Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 avril 2017 7 02 /04 /avril /2017 16:14

Nous abordons la deuxième partie de l'étude "Dévoilement, hypostase et Principe".

Le voile est un symbole qui opère une rupture, une séparation du monde des apparences permettant une projection imaginaire et un franchissement.

Il n’y a pas de voile qui ne couvre l’image d’une réalité augmentée assortie d’un plan ou d’une dimension supplémentaire. Définitivement la loge et le Temple maçonniques établissent par le dévoilement, le concept de la surplombance et de la reliance !

1/ Aspect Kabbalistique, la remontée de l’Arbre-Axe.

L’autre aspect du dévoilement c’est qu’il attire notre attention sur le caractère trompeur du monde des apparences (monde d’Assiah), non pas que le réel n’est pas, mais que notre vision profane n’englobe pas toute la profondeur du réel. L’initiation maçonnique, c’est l’apprentissage de la profondeur et de la verticalité du réel en-soi, permettant le dévoilement des autres niveaux de perception. En 1638, le poète George Anderson dans son poème The muses threnodie fait référence explicite au Mot de Maçon (Mason Word -le secret du métier) et au don de double vue (second sight) qui sera qualifié de rabbinique aux aspects kabbalistiques.

Ainsi dans la Kabbale, le monde de l’Action, ( Assiah ), est le monde physique et concret de l’agir matériel. C’est le monde de la matière constituée des éléments les plus grossiers qui voit devant lui 3 voiles successifs se dresser pour trois autres mondes plus élaborés et plus éclairés.

Ces 4 Mondes au total (d’Assiah,d’ Yetzirah, de Bria puis d’Atziluth), sont dans la géométrie sacrée de la loge, les plans superposés d’une remontée vers la Lumière. Les plans sont ici les dimensions subtiles de la Réalité née de la lumière ineffable, des étapes dans le processus selon lequel l’Esprit se libère petit à petit de sa Matière puis de sa Forme dans sa remontée ou dans sa réintégration vers Aïn Soph. Ainsi à partir du réel apparent du monde des actions, nous pouvons appréhender ou imaginer l’essence divine par le Triple lever de voile jusqu’a l’Ineffable complet. L’Inconnaissable dans la Kabbale (appelés Aïn, Aïn Soph, Aïn Soph Aur) se manifeste, d’un point de vue humain, par le trajet de la de la Sephirah Malkouth, jusqu’à la Sephirah Kether, du plan le plus inférieur et humain au plan le plus supérieur et divin. Nous avons 10 Sephirah conçues comme des vases receptacles, qui sont les dix manifestations de la Volonté de l’ineffable Lumière.

De ce point de vue le lever de voile en loge est une étape de la remontée vers la Lumière.

2/ le Verbe est la Volonté « lumineuse » dans le Monde matériel et humain de la Loge

Le schéma de la kabbale nous aide à percevoir la notion d’hypostase dans une loge, chacun restant libre d’interpréter ce qu’est la lumière chez l’homme et dans l’image archétypale du Temple.

Pour comprendre ce que signifie le voile qui recouvre les éléments de langage du tableau de loge, il faut commencer par définir les lumières d’ordre comme des hypostases du Verbe divin. Ainsi, le voile, la vison, l’image, la lumière et le verbe sont liés dans une même relation élévatrice.

En effet, le Lumière et le Verbe divin étant inatteignables, l’homme n’en perçoit que la fraction rendue intelligible. Nous considérons que le dévoilement est par sa nature propre, synonyme de découverte du lien entre le visible et l’invisible, mais aussi entre l’apparent et non-apparent. Ce que cache le voile, c’est ce lien.

Nous avons vu en première partie que le stimulus sensoriel, la perception centrée, formée et figurée, la cognition suivant les différents modes, adaptent la lumière Principe aux termes d’un réel perceptible : ici Sagesse, Beauté, Force et tableau de loge sont des dérivées qualitatives et quantitatives de la lumière principielle. Les 3 lumières d’ordre, le voile et le tableau s’assimilent à des hypostases qui matérialisent l’invisible ou l’inaccessible. L’ensemble constitue la mise en image d’un dérivé principiel dans la matérialité.

La Lumière divine deviendrait indirectement « visible » pour certains, suggérée pour d’autres. C’est une volonté qui s’affiche dans le monde du symbole et du sacré qu’est le Loge. L’image dérivée appelée hypostase devient alors « vision », une réalité reliée à un plus haut

Nous savons que Sagesse Force et Beauté est un ternaire qualitatif accessible à la compréhension humaine. Il permet au binaire quantitatif et qualitatif typiquement matériel de remonter vers l’unité primordiale. Les trois qualités de la Lumière (SBF) sont projetées sur le plan de la loge, composé d’un pavé mosaïque d’apparence binaire. À ces fractions lumineuses correspond le trois issu de l’unité. Grâce au modèle du « Temple de la Lumière » auquel se réfère notre représentation mentale, le réel perceptible, peut être reliée au Principe lumineux unitaire.

À l’hypostase objective, avec mise en scène « in situe » correspond une hypostase mentale « in abstracto » (représentation en soi du motif), grâce au contexte du dévoilement notamment. Ainsi le dévoilement est double comme la Lumière : extérieur à soi et en-soi ! C’est un mécanisme fondamental qui permet de mieux comprendre que la vision de l’unité passe par un alignement harmonieux de plans intérieurs et extérieurs.

À partir de ce constat à la fois symbolique, psychique et cognitif, nous devons toujours tenir compte de l’objet observé et de la représentation mentale de l’observateur : les deux images produites, in situe et à l’intérieur de soi, sont hypostatiques d’une image « originelle », « principielle », « unitaire » ou « divine » et dans tous les cas analogique, car « symbolique ». Ainsi, si l’hypostase à lieu dans notre réel visible, elle rejoint le grand schéma de la correspondance hermétique entre le haut inatteignable et le bas visible, le troisième terme « oublié » étant l’homme qui observe et ressent le réel visible et invisible à sa propre mesure.

L’initié doit reconnaître les clefs qui permettent le passage du Principe au Réel dans le sens descendant, et du Réel à l’Essence dans le sens montant. Les clefs adaptatives d’un plan à l’autre sont aussi des clefs de lectures universelles. Ce sont aux modèles schématiques fondamentaux auxquels que se réfère la représentation mentale analogique : si le tableau de loge triplement éclairé est une clef de lecture de la relation Terre-Ciel, alors l’allumage de Sagesse, Force et Beauté sera sous-jacent de la lumière principielle. Ainsi, ce qui sera dévoilé et illuminé par les lumières d’ordre sera d’un ordre inférieur tout comme la Shekinah, la présence au cœur du tabernacle est une sous-production d’un Divin inatteignable.

Il reste toujours une trace de la « présence initiale » dans une production hypostatique.

Le dévoilement fait donc apparaître une reliance entre les différents niveaux (au moins 3 plus l’observateur dans son état). Le niveau dans lequel nous sommes agissants, appelé niveau « réel », serait le reflet d’un niveau supérieur ontologique conforme à la tradition. Ce « réel » fait apparaître au surplus ce fameux niveau intérieur à l’homme, où se déroule la représentation mentale du modèle suggéré. Le Réel serait le produit d’une relation triangulaire hypostatique entre le haut et le bas d’une part, entre le réel visible et la représentation mentale élargie d’autre part et enfin entre la représentation mentale et la source de lumière surplombante et inatteignable. Au centre de cette triangulation « haut et bas - représentation mentale d’un visible élargi - source inatteignable » est la « vision ».

Le privilège de l’initié est d’être par son apprentissage des signes et par son intuition (langage du cœur), capable de reconnaître schéma directeur suggéré par l’hypostase. C’est l’image suggérée qui inspire et nourrit notre système cognitif et notre « êtreté ». Le dévoilement de l’image schématique qui relie à plus haut, n’aurait pas de sens ni d’essence sans acteurs ni observateurs désirant la reliance. L’observateur qui désire une transcendance n’a d’autre choix que d’être acteur d’un rite qui permet l’intériorisation. C’est la voie cardiaque.

Ce désir de reliance marqué par la lumière, fera des FF et SS, les acteurs et les lecteurs de l’invisible, ou plus simplement des médiateurs entre la terre et le ciel. C’est ainsi que s’établit une relation triangulaire entre le motif central réel (tableau de loge et Loge), le motif représenté au centre de soi (temple intérieur) et l’origine axiale céleste et sa finalité symbolique (temple céleste). Ramenée a d’une dimension psychique la loge permet de mettre en évidence par le symbolisme constructif, la conscience humaine relative à soi et aux autres et son étendue totalisante. Cette relation triangulaire nous la retrouverons dans les différents sens attribués aux signes tels que et lettres d’un alphabet sacré. L’interprétation à plusieurs niveaux correspond à notre désir d’ascension ou de remontée vers un paradis perdu, propension naturelle chez l’homo erectus puis de l’homo sapiens d’imaginer une transmission originelle, une voie élévatrice, une connaissance donnant accès à la clef de tous les mystères.

 

3/ Mise en place et mise en forme de la source lumineuse dans le réel, dans la loge et en-soi.

Le Soleil pas plus que l’Étoile ne sont atteignables. Nous n’en recevons que les rayons qui éclairent notre pensée. Point d’hypostase sans source lumineuse.

L’hypostase est une représentation phénoménale rayonnante du divin surplombant ou du Principe non directement accessible. L’hypostase est une image ou un objet dans un niveau inférieur à celui d’où elle est censée provenir. C’est la notion de sous-jacence liée à la Verticalisation symbolique chez l’homme que nous décrirons. Sachant que la Verticalisation symbolique reste associée au désir de reliance. (Voir le redressement de la pierre « Bethel » par Jacob à l’issue d’un songe exprimant ce désir de reliance)

Symboliquement, le verbe créateur et animateur arrive au sein de l’enceinte consacrée de la loge pour illuminer notre conscience et notre relation à nous-mêmes, à l’autre et au monde, mais aussi à l’origine commune des ces trois cercles. La lumière enfin installée au centre de la loge, chacun peut s’y abreuver, en percevant le sens, et surtout l’essence de la Sagesse, de l’Harmonie et de la Force. C’est donc ces trois hypostases de la lumière divine qui vont éclairer et donner un sens corrélé au symbolisme des bâtisseurs. Leurs outils et instruments présents sur le tableau de loge seront agissants dans la lumière. Retenons que les outils et instruments du tableau de loge sont plus qu’opératifs, ils sont opérants. Ils opèrent en nous dès lors que les lisons en regard du modèle de temple à bâtir qui sera le « temple de la lumière ».(voir supra).

L’opération serait la construction en soi du temple « réceptacle » de la lumière.

Au plan humain « l’effet lumière » se traduit par la réalisation de soi en sagesse, harmonie et force ; sur un plan divin l’effet produit sur le plan humain devient cause : la lumière serait d’un point de vue humain, une pensée divine (sagesse), volonté divine (harmonie) et action divine (force) qui « opère » (effet) la construction d’un temple ici bas (le réel) afin de refléter la lumière d’en haut et en soi (double reflet).

Ainsi la cause, l’effet dans un plus bas et le reflet sont liés par l’homme et en lui. Donc le point de vue humain reste une association entre ce qui est réellement vu et la sous-jascence d’un modèle archétypal porté par le désir.

Toute « opération » hypostatique aboutirait chez l’homme à une double réalisation extérieure et intérieure : ici la construction d’un temple dédié à la lumière serait l’effet « monumental » sur terre et en chacun des bâtisseurs cela se traduirait par la construction d’un temple intérieur, authentique réalisation de soi. Bien entendu les principes de construction et les proportions restent les mêmes en soi, sur terre et dans le modèle originel, car l’homme serait à l’image de Dieu…

Les trois lumières d’ordre verticalisent le tableau de loge. Le phénomène perçu dans l’ordre humain (l’objet tableau éclairé en soi) peut être relié à son essence invisible, à savoir l’origine ontologique de la lumière. Sagesse Force et Beauté ordonneraient le niveau cognitif humain en fonction d’un modèle relevant d’un état supérieur que nous imaginons sans le voir vraiment. Ce passage du phénomène constaté sur un plan horizontal, à l’intelligible d’un modèle vertical, est de même nature en matière éthique que le passage du savoir-faire de l’artisan au savoir-être du franc-maçon. C’est par exemple le passage de la taille de la pierre brute à la pierre taillée et placée dans une œuvre de lumière. Grâce au dévoilement hypostatique, le savoir devient connaissance par Verticalisation de l’intellect. La Verticalisation de l’intellect implique l’abandon du registre logique pour déboucher dans le registre analogique, l’abandon du sens pour atteindre l’essence.

Notons enfin, pour clarifier l’intérêt du voile, que le tableau de loge est une table de projection, table à tracer, table d’élévation du plan qui par dévoilement reçoit un reflet lumineux issu d'un circuit triangulaire descendant et pénétrant. Nous retrouvons notre schéma triangulaire, mais cette fois en terme de réceptacle-dépôt :

a/ du ciel vers la loge-réceptacle centrée sur son tableau de loge,

b/ de la loge vers l’homme-réceptacle,

c/ de l’homme vers le franc-maçon « connaissant » (l’initié) qui à reçu la transmission (le dépôt traditionnel) des éléments de langage, les clefs pour lire le tableau et connaît l’importance de la lumière céleste.

Inutile de préciser que le fameux réceptacle n’est autre que la coupe ou le Graal figuré sur la table à trois pieds du Bateleur…Premier arcane du Tarot.

Le jeu de la sous-jacence hypostatique met en évidence la superposition des images et des temples Ceci n’est rien d’autre qu’un emboîtement des images ou schèmes selon un isomorphisme axial dont l’illustration la plus pertinente figure dans la représentation que l’on fait en soi de la Jérusalem terrestre et de la Jérusalem céleste. L’image du temple dans ses trois états (céleste, terrestre, et intérieur) illustre cet emboîtement. Ainsi par cet emboîtement structurant, à une imagination métaphysique de la lumière réponds une imagination microcosmique de la conscience. Le temple céleste de l’infini diurne et le cabinet de réflexion de l’enfermement nocturne se répondent et bornent la réalité profonde de l’initié comme du mystique.

Nous pouvons conclure que le procédé de l’hypostase en loge est un médium lumineux associé à la vision et à la connaissance.

En compléments du réceptacle médiumnique représenté par le tableau de loge et les 3 temples recevant la lumière-conscience, nous devons étudier ce qui s’apparente au denier cyclique et au bâton axial du Bateleur.

4/ le cortège lumineux de la Tradition et dimension polysémique.

L’hypostase naît d’une mise en œuvre ternaire, sur trois plans plus celui de l’observateur. L’observateur par sa présence influence le réel. C’est un phénomène à prendre en compte lorsque l’on parle de l’effet relatif de la perception ou de réalité perçue. Pour l’homme il n’y a pas d’autre réalité que la réalité perçue. L’initiation consiste en l’apprentissage des différents niveaux de perception. Dans l’ordre traditionnel, il faut trois officiants pour dessiner la perception totale. Dans les tarots on utilise divers symboles pour les caractériser : outre la coupe réceptacle de la représentation mentale, nous avons le denier cyclique de la lumière dans la matière et le bâton axial de la reliance au ciel et enfin l’épée représentant le verbe

L’hypostase liée au dévoilement serait donc l’aboutissement d’une mise en scène de l’entrée de la lumière en loge. Celle-ci entre en cortège par la porte d’Occident pour prendre siège à l’Orient, puis de l’Orient elle redescendra au centre du plan dans le Hékal sur un lieu de projection appelé tableau de loge et carré long. Venue des parvis, la lumière est portée par le frère terrible, suivi du Vénérable Maître et du Maître des Cérémonies.

Ce cortège à 3 nous rappelle les Rois Mages de la tradition chrétienne, où chaque couronné est porteur d’une offrande hypostatique de la lumière incarnée (l’or du roi est celui de l’étoile, l’encens du prêtre est le symbole de l’invocation divine, le parfum de la myrrhe celui de l’embaumement et de la vie après la mort, il est aussi le parfum de la prophétie et de la renaissance) et chacune des offrandes va rectifier la matière du nouveau-né et confirme l’état cristallin de Jésus (la pierre philosophale alchimiquement pure) et donc la reliance du nouveau-né à l’étoile « très lumineuse » (quintessence) qui leur servi de guide. Ainsi les trois mages honorent par des offrandes le réceptacle humain de la lumière d’une l’étoile lumineuse. Le but du Grand Œuvre est le mariage du soufre (pôle masculin) et du mercure (pôle féminin) par l'action du sel ; principe neutre, le troisième qui scelle les deux autres. Nous y reviendrons plus loin. Notons toutefois que ces trois offrandes qui célèbrent et triangulent l’incarnation du principe en l’homme, sont synthétisées en loge par trois lumières d’ordre qui triangulent à leur tour le principe qui descend au milieu du Plan humain, au milieu du tableau de loge, au milieu du temple à bâtir.

Au plan psychique ce schéma nous donne une source lumineuse qui est l’étoile-principe, ou l’exemplarité ou la Bonne Étoile, en relation avec un réceptacle ou table de projection pour la lumière que serait la crèche, écrin du nouveau-né. La figuration de l’illumination de la crèche par les offrandes est à nouveau une triangulation dédoublée : les rois mages sont en triangle autour du nouveau-né, incarnation de la lumière dans un triangle montant, Ce triangle qui encense la relation terre ciel dans ce nouveau-né, est inscrit dans un carré typiquement terrestre composé de la Vierge assimilée à la crèche et Joseph assimilé à l’archétype de l’homme, l’âne porteur de reliques sur terre reconnaît son Maître alors que le bœuf cornu par la reliance au ciel reconnaît son étable. Les deux souffles vitaux de l’âne et du bœuf sont chargés de réchauffer le nouveau-né dans ce monde, pendant que le charpentier couvreur et la vierge réceptacle protègent et font un écrin, une loge à la lumière incarnée.

Cette crèche « loggia » serait le lieu de naissance de la nouvelle conscience de l’Homme « éclairé » (conscience de soi des autres et du monde), ou le Grall-chaudron du chevalier, ou l’athanor des alchimistes ou la table du bateleur, ou encore le tableau de loge triplement éclairé. Les trois officiants sont porteurs des insignes structurants de la conscience éclairée : « état corporel » sous la lumière, « état d’âme » en relation à plus haut c’est-à-dire en « élévation » vers la nature divine de l’homme et enfin « état d’esprit » donnant une vision « inspirée »par la relation axiale. Cette conscience éclairée semble une fois de plus marquée par le désir d’alignement des trois états constitutifs de l’être.

Les trois Rois, porteurs d’une couronne symbolisant le céleste, sont une triangulation. Ils se déplacent sur le plan terrestre et viennent se mettre à l’aplomb de l’alignement axial qui part de l’étoile-lumière et descend dans le réceptacle-crèche. La crèche est le plan de projection de l’étoile.

En conclusion nous retrouvons le plan de projection avec ses quatre angles (la vierge, le charpentier couvreur, le bœuf et l’âne), une triangulation hypostatique « royale » et un chemin axial d’élévation vers la source marquant la reliance à l’étoile fixe et immuable. On retiendra que les trois couronnes et leurs attribus réunies en un point réceptacle situé sous l'étoile sont hypostatiques, elles révèlent ce qui sera considéré comme une "épiphanie".

Le franc-maçon est loin de l'épiphanie, mais il conserve la pratique hypostatique traditionnelle de la célébration de la lumière quelque soit le rite.

5/ Le cortège lumineux en loge

En loge l’illumination est aussi un cheminement intérieur, un sentier lumineux.

Reprenons le cheminement en loge : la lumière entre en loge et suit le chemin héliaque et dextrorsum du lever au coucher du soleil. Il s’agit d’aller à la rencontre de la lumière naissante de l’Orient, puis de répandre celle-ci sur le plan de la loge en trois fractions qui établissent par ses effets perceptibles à l’homme, une Verticalisation.

Nous retrouvons ce cortège lumineux dans la loge, chacun à un rôle bien défini dans le plan : au REP, le Maître de Cérémonie veille à ce qu’il n’y ait aucun obstacle devant le porteur de la lumière : le porteur ne doit pas chuter dans son parcours vers l’Orient[1]. Le processus d’illumination de la loge est le suivant : 1/ Le porteur de lumière qui est le Frère Terrible porte aussi une épée synonyme de verbe humain, à main droite, et le chandelier à trois branches à main gauche, 2/ le Vénérable Maître entre au signe de fidélité la main droite posée en creux sur le cœur réceptacle, une fois à l’Orient il sera porteur du maillet sur le cœur signe du pouvoir temporel et de l’épée flamboyante symbole de l’autorité spirituelle déléguée, soit le verbe divin ou sel alchimique, 3/ et enfin le Maître des Cérémonies porteur de la canne qui est un axe de jonction entre la terre et le ciel, sera chargé d’animer le monde manifesté (carré long-pavé mosaïque) par les trois lumières d’ordre. Ces trois lumières d’ordres sont réputées purifiées, car venues de l’Orient et donc dégagées de leurs « terrestreités ». Le Maître des Cérémonies va mettre dans l’athanor central les trois principes : sel, soufre mercure et de « luter » le tout puis de dévoiler le premier résultat qui est ce fameux tableau de loge. Ce tableau n’est qu’un stade intermédiaire du Grand Œuvre qui consiste à conjoindre l’esprit et la matière dans ses proportions originelles. Il y aura trois tableaux de loge correspondant aux trois œuvres et aux trois grades.

La loge-athanor répond à l’injonction Paracelsienne : « De l'unité, tirez le nombre ternaire et ramenez le ternaire à l'unité ». (Nous reviendrons sur l’aspect alchimique en partie III)

Nous pouvons conclure que le cortège lumineux est un voyage cycliquement renouvelé et célébré dans les sociétés traditionnelles (fêtes des deux Saint-Jeans). Dans l’arcane du Bateleur, la loi du cycle perçue sur terre est représentée par le denier-sicle. Face au réceptacle et au cycle est présent l’axe. L’axe permet de faire descendre la lumière parmi les tribus et au centre dans le foyer. L’axe comme l’échelle autorisent une reliance et un voyage mental de réintégration dans la lumière des origines.

6/ L’animation ternaire du centre tribal pourquoi faire ?

La lumière fait naître le monde des formes et la pensée. D’un point de vue anthropologique ce sont trois acteurs qui interviennent pour célébrer une ontogenèse.

Le rituel d’animation ternaire est conforme à la tradition qui veut que depuis la nuit des temps le feu-lumière source de vie et de reliance à plus haut soit protégée et rituellement installé au centre de l’enceinte tribale ou du lieu d’invocation. C’est le feu central qui réunit l’assemblée. Les rituels de consécration les temples et des loges suivent ce schéma général d’animation du centre relié à plus haut. Trois personnages interviennent : le vieux sage qui invoque le Très-Haut, le mage celui qui fait apparaître les images ici-bas, le gardien qui veille sur la flamme et vérifie le rang et la place de chacun dans les cercles concentriques.

Nous retrouverons ces trois personnages qui vont présider à l’allumage des lumières d’ordre qui sont synonymes des lumières d’ordonnancement du chaos dans le Hékal ; ce qui est mimé en loge, c’est tout le processus de création et de manifestation de l’univers, mais aussi, et surtout, le processus éclairement de la conscience qui fait du Temple à la fois une image de l’homme et du divin.

Le niveau de conscience n’est pas uniquement individuel il répond à des représentations ancestrales liées à l’évolution humaine. Cette organisation lumineuse porte l’organisation collective du divin au centre de la tribu par trois officiants. Par mimétisme ces trois officiants incarneront au niveau sociétal les trois voies initiatiques traditionnelles (sacerdotale, chevaleresque et artisanale) qui co-participent au dévoilement hypostatique d’un même sommet.

 

7/ Instrumentalisation de la lumière en loge : de la lumière élémentaire à la lumière principe.

La concentration des actes et des pensées est nécessaire pour mettre en œuvre la lumière dans un espace clôt en un point donné. Des quatre éléments nous allons passer aux trois principes incarnés par trois lumières d’ordre et trois officiants (au REP). Les trois officiants ont déjà subi avec succès les épreuves élémentaires il ne leur reste plus qu’a introduire les trois lumières principes au milieu des éléments. Le but est donc de passer d’un stade de recomposition élémentaire (initiation) au stade principiel représenté ici bas par triple hypostase.

Du système tribal nous avons hérité d’une instrumentation symbolique de l’acte lumineux.

On retrouve la classification instrumentale de la lumière dans les tarots et dans la lame du Bateleur qui correspond symbole pour symbole a l’entrée du cortège lumineux en loge. Au risque de nous répéter (voir paragraphe 5), nous avons la lame du Bateleur qui synthétise l’ensemble du mécanisme hypostatique sur une table de projection.

Le Bateleur représente la cause première, la présence d’esprit, la source et sa manifestation « imagée » par un véritable mage :

1/ dans le réceptacle de la loge représentée par le vase-coupe (élément eau),

2/ nous avons le denier-sicle , expression terrestre (élément terre), représenté par le pavé mosaïque qui supporte le tableau de loge permettant la construction du temple,

3/ le bâton (élément feu) symbolise la relation terre-ciel et l’ordonnancement de la lumière,

4/ l’épée (élément air) remise au Fère Terrible symbolise le verbe dans le bas alors que l’épée flamboyante exprime le Verbe dans le haut, la lumière installée au Debhir.

L’épée droite (verbe d’en bas) entre les mains du gardien du seuil va refermer la porte du temple afin que l’espace devienne « hermétiquement » clôt aux influences profanes. La canne du MDC va assurer la liaison entre la terre et le ciel, et enfin le maillet exprimera la force la volonté agissante nécessaire pour répandre la lumière dans l’espace réceptacle de la loge. Mais la véritable source de cet ordonnancement éclairé du monde et de la conscience humaine vient du ciel : l’épée flamboyante (l’autorité spirituelle) se relie à la lumière principielle et diffuse l’influx spirituel venu de l’Orient. Elle transmet par le Vénérable la pensée originelle, celle de la création du monde, la lumière incréée et la puissance infinie qui préside au « fiat lux ». Cette mécanique de diffusion de la lumière descend de l’Orient vers le centre du carré long. Le carré long, véritable « table de projection », « fond du ballon » de l’athanor, symbolise le cœur de manifestation du monde et l’émergence de la conscience, du langage et de la représentation mentale chez l’homme.

On voit le schéma suivant se dessiner : l’unité d’origine devient le Un du VM qui donne instruction au Maître Des Cérémonies qui tient le bâton lumineux et au Frère Terrible qui tient l’épée verbe (le deux) l’ordre d’ordonner en ternaire hypostatique (le 3 et les trois principes alchimiques) l’illumination du tableau de loge (le 4 des quatre angles et quatre éléments). Le Tableau de loge est un quaternaire matériel ou élémentaire, illuminé par un ternaire principiel, lui-même hypostase de l’Unité. Ici se situe le schéma bien connu de la Tétraktys pythagoricienne 1+2+3+4=10.

Mais ce n’est pas tout, nous conclurons que ce qui est un modèle, une image et une hypostase doit rayonner à son tour.

8/le dédoublement dans l’état inférieur, passage du Temple de lumière au Temple de l’homme

Le Hekal est dans un plan inférieur à celui du Debhir, donc le Vénérable fait diffuser la lumière dans un plan inférieur par les lumières d’ordonnancement.

C’est à cette source ordonnatrice secondaire que le 1er et 2nd Surveillant vont à leur tour prendre la lumière nécessaire à l’éclairement de leurs colonnes. Le foyer central va se rependre en chacun de nous. En effet chaque franc-maçon participe « activement » à l’illumination et à la « formation » de la loge. Il est évident que l’éclairement des colonnes relie chaque maçon présent au Vénérable via son Surveillant et au carré long et à l’image éclairée qui s’y trouve. À ce stade les deux surveillants sont les représentants, des médiateurs de l’ordonnancement lumineux à l’échelle humaine. Ils se servent de l’image éclairée du tableau de loge pour la démultiplier et la répandre. Ils sont chargés par leur transmission d’établir le langage symbolique et constructif de l’humanité. Ce langage sera celui des bâtisseurs de lumière. Donc nous pouvons dire que l’ensemble du Hékal doit son organisation et son ordonnancement à l’allumage des lumières d’ordre qui illuminent son centre « dévoilé ». On notera que cet ordonnancement n’est descriptible que par la lecture du tableau. Le tableau donne un sens à la lumière en fonction d’un modèle et d’un plan dévoilé. Ce sera celui du Temple-lumière. (voir supra)

Il y a bien ici une relation entre ce qui est en haut et ce qui est en bas, entre un niveau supérieur inintelligible à l’homme avec un dieu invisible, innommable et non situé, et un niveau inférieur plus accessible à l’homme, avec des « signes » et des symboles lisibles, éclairés par les 3 lumières hypostatiques. Nous avons vu que les lumières hypostatiques du divin deviennent assez facilement des lumières « principe » sur un plan alchimique, ou des qualités universelles sur un plan éthique et psychique : Sagesse, Beauté, Force.

Le Un invisible se dédouble dans la matérialité manifestée binaire et devient trois à l’échelle de la perception spirituelle de l’homme : le pavé mosaïque « éclairé » dans son ensemble (le noir et le blanc ainsi éclairé par trois lumières) nous dévoile une image icône qui se veut « essentielle ». Le ternaire étant une déclinaison triangulaire du Un originel, ce ternaire permet l’élaboration imagée en l’homme d’éléments symboliques qui permettent de créer la relation au principe. Ainsi, tailler sa pierre puis construire le Temple permet de construire notre relation au divin en nous rectifiant. Une mise en scène graduelle est nécessaire pour signifier en essence le principe originel qui descend dans la matière. Le voile est levé pour que le temple devienne réceptacle et le bandeau est levé pour que l’homme discerne et ressente en lui. La mise en scène hypostatique passe par un double lever du voile symbolique pour mieux signifier le mécanisme de la représentation mentale.

Il faut avoir vu pour la première fois, la lumière à l’Orient pour comprendre ce que signifie la découverte hypostatique au centre du Hékal, car le voile pour l’entrée du temple est l’équivalent du bandeau pour l’apprenti en regard du Principe -Lumière. Dévoiler revient à ôter ce qui couvre la vue discernante. C’est un dessillement des yeux.

Le dévoilement est précédé d’une mise en condition ritualisée des participants aux travaux de loge. Outre l’abandon des métaux et des émotions profanes, cette mise en condition en appelle aux vertus « opérantes » de la lumière-esprit en chaque acteur de la loge : le Vénérable dit successivement : « - Que la Sagesse préside à nos travaux ». –« Que la Beauté les orne ». – « Que la Force les achève ». L’ouverture s’adresse aux travaux dans le laboratoire de la loge, mais aussi au travail en soi.

Avant la fermeture des travaux, on procède au revoilement du tableau après l’extinction des lumières d’ordre. C’est dans une triple invocation que chacun intègre les vertus liées au principe lumineux : « - Que Ta Sagesse, Dieu Tout-puissant, soit toujours en nos esprits. », « - Que la Beauté les inspire en toutes nos actions. », « - Que la Force appuie nos efforts vers le Bien ». La fermeture s’adresse aux travaux dans le monde par l’homme éclairé par la lumière en soi. C’est une approche éthique de l’incarnation lumineuse. Du laboratoire de la loge, nous passons au labeur en soi.

Si le tableau de loge dévoilé est un reflet d’une lumière spirituelle « opérante », ou d’un principe ordonnateur, alors la lumière incarnée du franc-maçon est le moteur de l’être spirituel qui agit dans le formel.

Le tableau de loge dévoilé révèle une réalité à plusieurs niveaux interactifs.

 

9/ le Langage et sa clef et sa structure « essentielle ».

Le langage de la lumière en loge est une orthopraxie lumineuse, c'est-à-dire une mise en pratique d’une verticalité descendante dans le plan. L’initiation est une expérience lumineuse du réel. L’orthodoxie est aussi présente dans le rite maçonnique par la recherche de la verbalisation originelle du nom divin. Cette doxa est inachevée, car portée par le symbole de la parole perdue. Cette distance entre le verbe humain et divin est représentée par l’épée droite du Hékal et l’épée flamboyante du Debhir. Néanmoins nous voyons à quel point le verbe et la lumière sont liés dans la recherche des origines.

Il convient de distinguer le sens de l'essence par un troisième élément qui est porté par l'hypostase: là est le secret géométrique de l'hypostase. A partir de deux éléments connus je détermine le troisième perdu. Ainsi en étudiant la représentation hypostatique dans un plan inférieur nous pouvons reformer l'essence de la parole perdue dans un plan supérieur. La parole substituée n'est qu'hypostase de la parole perdue que nous ne retrouverons pas par le sens, définitivement perdu mais par l'essence toujours accessible. L'essence s'est réfugiée à la fois dans le mot substitué dans l'ordre inférieur mais aussi par le rite inchangé qui mime encore les deux notions initiales "sens et essence".

Donc ce qui est perdu est perdu en "sens" mais pas en essence!!! C'est ce que l'on découvre en travaillant sur les substitutifs hypostatiques, c'est logique et mathématique.

Le tableau de loge éclairé établit une corrélation « objective » entre les éléments de langage de notre environnement maçonnique. En effet, les objets-symboles s’animent et se corrèlent entre eux pour former une combinatoire de langage dans le registre des bâtisseurs du temple. Cette combinatoire ne fait pas que donner du « sens », elle fait apparaître une dimension « essentielle » par la voie symbolique. Les symboles se substituent aux objets représentés. Cette dimension en « essence » est une reliance de chaque outil, instrument et objet d’architecture, au céleste. Cette reliance est inhérente au modèle du temple « maison du divin » sur terre. C’est donc une spiritualité « construite » qui se dégage naturellement de cette découverte.

L’acte de tailler sa propre pierre aura pour but d’éclairer le maçon sur lui-même et sur sa place dans le temple.

Enfin, avec l’orthopraxie et l’hypostase nous pouvons maintenant aborder la recherche d’une clef de lecture qui respecte l’intention rituelique et le modèle du temple de la lumière. Cette intention rituelique est révélée par une prière qui fait partie du rituel du XVIIIème Siècle du REP : « A la Gloire du Dieu Tout Puissant, Grand Architecte de l’Univers, au nom et sous les auspices de la Grande Loge Symbolique travaillant au Rite Écossais Primitif, en vertu des Anciens Devoirs et des Pouvoirs qui me furent conférés en fonction de ma charge, je déclare ouverts les Travaux en Loge d’Apprentis ». L'ora annonce le labora en suivant la même structure essentielle.

L'ora descendant peut être lu en remontant : « les travaux en loge sont un Devoir et une charge qui nous relient à la Gloire et à la Puissance ». On remarquera, au Rite Écossais Primitif, que chaque lumière d’ordre se relie au tableau de loge par une représentation stylistique et normative, par exemple : ionique pour sagesse, dorique pour force et corinthienne pour beauté, avec un instrument de mesure au pied de chacune : équerre, fil à plomb, perpendiculaire. C’est ici que se situe la clef.

tableau au REP 1er °Cette association des colonnettes axiales, aux trois styles et aux trois instruments d’architecture est l’objet même du dévoilement. Le dévoilement précise la nature particulière des lumières d’ordre, leur style et leur inscription dans le réel « matériel » d’une manière « ordonnée » et géométrisée suivant l’équerre, la verticale et l’horizontale.

Il y a littéralement correspondance ou emboîtement du sens à donner à la lumière des origines venue d’en haut, jusqu'à son organisation figurée au tableau de loge. En dévoilant le tableau, on dévoile la clef de lecture du sacré donnant une possibilité de remontée vers la source.

Ainsi d’une lumière des origines nous débouchons dans la réalité concrète toujours reliée à la cause première qui ordonne le chaos suivant les trois axes et les six directions et un centre générateur. Cette découverte (ou ce dévoilement) met en exergue le lien de cause à effet entre la Lumière des origines et la lumière des hommes, celle de la réalité « perçue » de manière tridimensionnelle. Ce qui est dévoilé en une fois pour le tableau de loge, doit être entrepris pour chacun des objets symboles : par illumination de leur sens, ils deviennent symboles puis essence. Mais avant d’atteindre ces trois dimensions, chacun doit travailler dans le plan qui est le sien et dans son propre athanor.

Finalement ce qui est dévoilé ce sont les éléments de langage de la reliance à plus haut, à cette autorité surplombante ordonnatrice des sociétés humaines appelée GADLU en franc-maçonnerie. Nous restons ainsi dans l’objectivation de cette cause première, que l’on qualifie de puissance créatrice, ce « Dieu qui géométrise » que les hommes ont découvert en eux-mêmes il y bien longtemps, comme générateur d’une pensée créatrice universelle, d’une volonté qui se manifeste par une réalisation universelle et particulière.

L’essence du réel ne s’oppose pas à la substance, car nous avons le langage et donc la représentation mentale pour faire le lien. La Lumière devient trine et le Verbe devient Sagesse Force et Beauté. Le dévoilement permet de redécouvrir et surtout de réactiver le lien de l’esprit qui existe entre substance et essence, entre la terre et le ciel : c’est ainsi que l’on dévoile le double mécanisme secret de l’immanence et de la transcendance.

On trace à la craie la médiation de l’homme entre terre et ciel en prenant appui sur un modèle, un schéma directeur, une clef de lecture en trois dimensions. Ce schéma directeur nous apparaît par la corrélation de chaque lumière d’ordre avec les instruments associés du tableau de loge comme une croix tridimensionnelle : équerre, fil à plomb, niveaux, trois axes six directions, le point central les lignes et les plans.

Cette croix tridimensionnelle est l’expression du Principe manifesté, c’est aussi la structure de toutes les représentations symboliques majeures qui induisent une reliance entre le principe axial et le plan manifesté sur lequel nous travaillons.

Enfin nous pouvons vérifier que chaque signe tracé sur le tableau de loge, qu’il soit outil ou instrument, meuble ou astre, participe du symbolisme axial. La trace est un signe qui fait sens, mais qui une fois dévoilée et éclairée porte une dimension en essence appelée "présence" dans l'arbre des séphirot. La trace et le tracé dévoilés sont porteurs des résidus du principe.

10/ Vérité, Formes et transformation. De l’Ars à la Trans.

En découvrant un tableau de loge « illuminé », nous dévoilons symboliquement la vérité, la cause première de la vie et de la création. Le voile protège des regards profanes (littéralement l’état de celui qui n’a pas vu la lumière) le secret du langage maçonnique qui est cette combinatoire d’un langage reliant traditionnellement la terre au ciel. En effet tous les symboles maçonniques ont une relation avec le céleste.

Le dévoilement signifie que le réel est bien plus que l’apparence et qu’il faut en sagesse rechercher l’harmonie en soi, envers l’autre et au monde pour, avec détermination et force, progresser sur le chemin de la lumière, véritable dévoilement intérieur. Cette progression se verbalise et se modélise dans l’athanor de la loge. Le verbe associé à l’image, produisent une représentation mentale et un schème structurant s’installe au centre de nous-mêmes comme dans la loge.

La voie initiatique est une ascension prométhéenne qui commence par la découverte de ce qui se cache sous le voile des symboles. Le voile n’a de sens qu’en regard de son environnement symbolique et dans le plan dans lequel il se situe. Le voile est mis pour signifier que la combinatoire du langage symbolique et la représentation mentale, supposent pour être efficace, que le maçon « opère » ce lever de voile à l’intérieur de lui-même. Ce qui est alors visible et je dirais « modélisé », c’est une réalité plus profonde, celle qui débouche sur la conscience éclairée et donc sur la sensation de l’hypostase en soi. Cette hypostase lumineuse fait de la loge un athanor qui non seulement étend le domaine du réel, mais produit en plus une conscience globale éclairée par l’esprit. C’est notre pierre philosophale, notre chrysopée.

L’hypostase est le moyen, le support « humain » de la remontée en soi qui permet le passage de la perception des phénomènes à la vision, mais aussi le passage de la vision à la réalisation de l’opération alchimique. L’immanence, sommet de l’intériorité totalisante, fait alors écho à la transcendance, béance de l’infini. Le dévoilement est double, extérieur et intérieur, vertical et horizontal telle est sa mécanique « essentielle » et rayonnante du dévoilement au REP. C’est ainsi que la franc-maçonnerie conserve d’Art de l’image agissante sur le mental.

L’image reste ici une représentation du sacré, un miroir qui permet le changement de niveau de lecture d’un réel toujours plus profond qu’il n’y paraît. Ce changement de niveau de lecture est magique au sens de la production d’une image dévoilée dans un niveau de représentation axial ou latéral, c’est l’art :

  • du transfert,
  • de la transformation,
  • de la transposition,
  • de la transmutation, etc.

La réalité ne serait alors qu’une alchimie de l’esprit. Donc il n’y aurait d’initiation que de renaître dans un réel profond.

ER

 

[1] La notion de chute est synonyme de chute dans la matérialité. C’est une gnose bien présente dans l’hermétisme chrétien. Le franc-maçon tout en constatant le réel tente de s’élever vers des sphères supérieures. Sur la chute, voir la chute de l’ange porteur de lumière, appelé Satan ou Lucifer qui devient un ange déchu, dans les traditions chrétiennes ou juives. C’est un ange exilé ou banni du Paradis en punition de sa désobéissance ou rébellion contre Dieu

Partager cet article
Repost0
5 mars 2017 7 05 /03 /mars /2017 14:58

Influence du dévoilement sur la perception du réel en loge

La loge est un lieu de convivialité horizontal et vertical. C’est un creuset, un lieu de « croisement » d’une fraternité horizontale qui se confronte au sacré vertical par la ritualisation du feu-lumière dans toutes ses dimensions. Nous avançons l’hypothèse que le rituel maçonnique en loge serait une évolution des rites initiatiques ancestraux liés au foyer central, source de vie et fondateur de la tribu. Ces rites liés au feu-lumière sont intimement liés à la nourriture cuite et partagée hiérarchiquement après la chasse et favorisaient l’élaboration d’un langage commun avec les premières légendes des longues veillées. Nombre de nos rites sociétaux sont orientés par la lumière « prométhéenne », la nourriture devient identitaire puis spirituelle. La lumière née du feu éclaire le récit commun fait d’événements mythiques qui expliquent la naissance du monde et de l’homme: le feu lumière va nourrir le corps, l’âme et l’esprit. Ces récits ontologiques, à la croisée de la verticalité transcendante d’un axis mundi lumineux et de l’horizontalité éthique, étaient tout autant verbaux que gestuels. Ils étaient pour le narrateur l’expression de la tradition reçue et pour l’auditeur la source première de l’éveil de l’individu. Ces récits "lumineux" permettait au membre du clan de prendre sa place protocolaire dans le cercle en regard du foyer central. Les rites initiatiques formaient l’homme tribal.Ils ouvraient une perspective à l’individuation à l’intérieur du creuset collectif.

Nos loges maçonniques à couvert des regards profanes, ont su préserver, sous une forme symbolique, les racines traditionnelles de la connaissance liées à l’arrivée de la lumière dans les trois niveaux qui sont : le monde, au milieu des hommes et en l’homme. Sur un plan strictement horizontal on notera que ce sont trois principes agissants et équilibrants qui de manière universelle sont « à l’œuvre » à savoir le « principe actif-mâle-centrifuge force », le « principe femelle-réceptif-centripète –beauté », et le « principe équilibrant-présence-sagesse ». Ce dernier donne la forme au-delà des cycles et du chaos apparent, une stabilité, une unité et une continuité. Symboliquement le feu-principe au centre de la loge établirait une organisation du réel hiérarchisée, stable et cyclique. Ceci recoupe le sens donné aux deux colonnes qui encadrent l’entrée du temple à savoir Jakin et Boaz dont la traduction synthétique peut se faire dans les deux sens : « dans la force il établira » ou « il établira dans la force » ce qui nous renvoie dans le principe d'ordonnancement. On rappelle que c’est entre ces deux colonnes que la lumière entre en loge, donc l’intention rituelle s’inscrit dans un "ordonnancement" lumineux de la loge.

La métamorphose appelée aussi évolution ou adaptation, est issue du jeu des forces en présence. Chaque principe est en relation analogique avec un niveau : ainsi le principe réceptif et matriciel est en relation avec la terre à féconder, le principe lumière fécondant est en relation avec le Ciel du « sol invictus », et le principe équilibrant est en relation avec le Sage, c'est-à-dire avec l’homme médiateur céleste sur terre. La Terre, le Ciel et le Sage médiateur sont le ternaire opérant dans les loges maçonniques. La loge maçonnique reprend le principe émetteur avec la colonne J, le principe réceptif avec la colonne B et le principe équilibrant et stabilisant la forme à l’Orient.

Notre approche du dévoilement reprendra les principes et mécanismes liés à la représentation traditionnelle du réel, via les symboles et lois de correspondances. L’analogie symbolique qui guide la vision du franc-maçon met en relation des plans superposés qui sont autant de niveaux de langage réservés à ceux qui ont la transmission des secrets. Si le voile cache un secret alors le dévoilement du tableau de loge mettrait en évidence un réel à plusieurs niveaux de lecture ou point de vue. Les symboles, et le lever de voile notamment, vont jouer un rôle de révélateur d’une dimension intérieure et cachée de l’être, mais aussi des clefs secrètes de la totalité universelle concoctées dans un athanor. Notons que certains rites déroulent un tapis de loge ou une toile, d’autre tracent à la craie le fameux tableau de loge, mais dans l’ensemble nous considérons que ces différents actes équivalent au dévoilement des ingrédients et éléments langage du grade.

Le niveau de langage représenté par le tableau de loge impliquerait outre la connaissance du langage spécifique du grade, une lecture de la réalité en fonction d’objets réels mis en reliefs par le jeu de la lumière (et de l’ombre). Ainsi, l’objet (outil, instrument, meuble) n’exprimerait sa réalité en l’homme qu’en fonction d’un environnement et relativement à des concepts, des modèles et principes qui lui donnent du sens. Donc, si nous retenons l’hypothèse du sens relatif, l’objet dévoilé porte une signification dictée par la nature de l’objet lui-même, son inscription dans le contexte des principes agissants, mais aussi en fonction du niveau d’élévation initiatique et verbale de l’observateur.

Le contexte et le co-texte de la loge, c'est-à-dire les décors, la mise en scène, le langage verbal et non verbal, sont réglés et rythmés par le rituel de la lumière. Ce rituel est un ordonnancement lumineux. Ce rituel de la lumière porterait en lui une tentative de modélisation de la lumière divine « créatrice » devenue lumière parmi les hommes dans l’espace séparé de la loge. Le rituel maçonnique déplace et répand la lumière en des endroits bien précis et cette lumière s’installe et se rétracte pour mieux « éclairer » notre vision symbolique.

Notons enfin que cette lumière peut s’interpréter diversement. La lumière serait l’expression : 1/d’un divin surplombant et dirimant (autorité surplombante), 2/ d’un divin incarné ou parcelle divine en l’homme dans la suite de la grande tradition chrétienne, ou 3/ d’une manière plus humaniste, la conscience éclairée de l’homme libre faisant ici référence aux avancées du Siècle des lumières dans la suite progressiste et humaniste d’une philosophie rose-croix de l'amélioration de l'homme et de la société. Cette possibilité d’interprétation graduelle illustre la traversée des plans sus-énoncés tout en conservant l’idée suivant laquelle ce qui est en haut est comme ce qui est en bas.

L'homme va donc tenter de se rapprocher graduellement de la lumière des origines, en prenant appui sur un objet transcendant et clos, "contenant" le divin lumineux et qui se trouve tout à la fois sur terre, dans les cieux et en soi! Cet objet reprendra les symboles de la montagne sacrée et de l'arbre "axe du monde" en faisant apparaitre dans son enceinte la parole du divin, la course de la lumière et diverses hypostases qui ordonnent le monde et la conscience dans un isomorphisme axial.

Chacun restant libre des ses interprétations, nous allons tenter de dégager quelques traits fondamentaux du dévoilement lumineux qui augmenterait ou exciterait nos facultés cognitives et notre vision du réel. Cette vision sera sous l’influence d’un imago mundi associé à l’imago templi (1ere Partie). En regard du cadre sacré de la loge, nous aborderons le caractère hypostatique du dévoilement (2ème Partie). Enfin nous aborderons ce dévoilement sous l’angle des trois principes alchimiques dans l’athanor hermétique de la loge (3ème Partie).

 

1ère Partie /Approche cognitive du dévoilement, influence du modèle « temple de la lumière ».

La franc-maçonnerie traditionnelle fait du dévoilement de l’image du Temple un compendium de l’image « lumineuse » du monde et de l’homme.

 

1/ Le voile sépare deux réalités, intérieure et extérieure

Le temple de Salomon était doté de plusieurs voiles. Un premier voile séparait le Ouham du Hékal, deux voiles séparaient le Hékal du Debhir. Habituellement le voile sépare la partie la plus sacrée du temple en regard d’un observateur situé dans un plan inférieur. Généralement ce voile masque le sanctuaire. Il établi une frontière entre le visible et l’invisible, entre le périssable et l’éternel, entre la condition terrestre et l’inconditionnement céleste. On retrouve la trace de ce voile dans la plupart des rites religieux et initiatiques. Dans le rite de Memphis Misraïm, le voile d’Isis est situé derrière le VM. Mais ce positionnement dans l’axe de l’Orient diffère de la pratique du REP qui voile le pavé mosaïque au centre du Hékal et donc dans l’axe Nadir/Zénith.

Il y aurait donc deux types de dévoilement se rapportant à deux points de repère traditionnels signifiant le céleste : le dévoilement solaire ou héliaque pour la lumière visible et le dévoilement axial ou zénithal pour la lumière invisible. Le dévoilement dans l’axe de la marche vers l’ouest serait éthique et relatif à la tripartition du Temple à l’image de l’homme, alors que le dévoilement axial serait métaphysique. Ce dernier fait référence aux échelons d’une échelle à gravir ou aux différents tableaux de loges graduellement superposés; le Temple serait alors une image de l’univers. Pour conjoindre les deux axes, celui de l’élévation axiale et celui de la progression orientale, la franc-maçonnerie va reprendre la symbolique des marches séparant le Debhir du Hékal et reproduisant à l’échelle de la marche humaine, l’élévation ou l’exaltation graduelle.

 

2/ la lumière dévoilée dans le monde et en l’homme, le visible et l’invisible,

Le dévoilement du tableau de loge est un épisode important du rituel mettant en scène l’entrée en loge de la lumière (et donc en nous-même). Nous avons vu que notre perception du réel dépend du contexte de la loge et de l’intention du récit.

Le rituel de la lumière est inspiré du concept de la « manifestation ». Cette manifestation du réel découle du surgissement ou du dévoilement d’une lumière originelle. Ainsi tout prend forme, tout est nommable et tout ce qui est éclairé existe. Tout rituel initiatique est porteur d’une intention qui doit être interprétée par chacun pour être « réellement » intégrée et comprise. En fonction de ce qui précède, le rituel va permettre la lecture de l’objet et donc la lecture du réel dans plusieurs plans. Le réel est alors « éclairé » par son sens et son essence au moyen de la lumière initiatique. Cette lumière en loge, sa diffusion et son incarnation sont synonymes de Principe et de Verbe. En sa qualité « principielle » la lumière illumine la manifestation « visible » (le monde qui nous apparaît) et la conscience (le monde dans lequel nous nous situons en acteur et observateur), mais aussi la manifestation invisible, c'est-à-dire la source ontologique de cette manifestation. Cette conscience du visible et de l’invisible émerge en l’homme en même temps que le langage. L’invisible a un effet sur le comportement de l’homme et doit donc être de ce point de vue considéré comme un type de réalité agissante. Le langage va donc tenter de recouvrir les dimensions visibles et invisibles du réel. Ceci nous conduit à redéfinir le symbole comme l’objet visible qui n’a de sens qu’en réunissant la partie manquante et invisible. Réunir le visible et l’invisible c’est reconstituer l’objet-origine (appelé symbolum). Le sens du symbole, c’est la réunion des deux parties, son essence serait son unité originelle. D’emblée le symbole fait appel à ce qui n’est pas visible et ouvre la porte au sacré, à l’immanence et à la transcendance. Le symbole dans ses deux parties, anime ou illumine le réel ressenti et donc vécu par l'observateur, est sera la base de toute spiritualité.

Le dévoilement est double, il porte aussi bien sur le secret de la loge que sur notre intériorité, c’est typiquement une caractéristique du système initiatique que de permettre un parcours intérieur, dans les arcanes de l’Être symétriquement aux arcanes de l’Universel. Le voile couvrant le visible comme l’invisible est donc dédoublé en soi.

 

3/ l’émergence du langage, anthropomorphisme et séparation ;

L’émergence du langage est corrélative à la perception du réel organisé chez l’homme rendant nécessaire la description, la communication et la ritualisation. Rien ne peut être vu ou construit sans lumière qui éclaire (voir le récit de la grotte socratique). C’est l’homme qui décrit ce qu’est la lumière, c’est l’homme qui lit et interprète les écritures sacrées par le prisme de sa pensée. La lumière permet de voir et comprendre le réel visible et invisible comme un Homme héritier de 40 000 ans d’évolution.

La perception du réel est donc relative à l’observateur évolué ou initié. Cela vaut aussi bien pour l’objet matériel que pour la notion de conscience (entendement) qui reste relative à l’homme. Pour surmonter cet obstacle du relativisme, l’homme élabore le Temple comme un espace absolu, refuge séparé du relatif profane, hors du temps et de la contingence. Donc la lumière qui serait le Verbe divin, induirait la conscience, la conceptualisation et la verbalisation chez l’homme, mais n’aurait de valeur absolue et ne pourrait être célébrée que dans un espace séparé et consacré à la relation avec le Principe. Le dévoilement va permettre de mettre en évidence cette corrélation entre le divin créateur « surplombant » (le Principe) et l’homme. Ainsi le groupe « Lumière-Manifestation-Verbe » surplombe le groupe humain « Conscience-objet-verbalisation » ou « Pensée-volonté-action ». Le groupe inférieur, séparé de son origine, emprunte des objets possédant une dimension ontologique (les « sacra ») pour la mise en scène rituelle. La rituellie emprunte ou élabore un langage spécifique proche de la langue originelle dont on suppose qu’elle fut transmise par le divin. Tout doit être mis en œuvre pour se rapprocher de l’origine (c’est aussi la recherche de la Parole perdue chez le Maître, ou la prononciation impossible du nom divin). L'initiation relate et met en scène la Lumière, hors d'atteinte par la frustration du prisme. Ce prisme relatif au domaine humain est dévoilé par superposition de l'origine et du réel actuel.

La relation entre les deux groupes superposés est traversée par le Principe axial ascendant et descendant qui constitue le modèle graduel de l’initiation générale (échelle de Jacob). Ce principe axial de reliance est porté par la Lumière qui n’existe que par contraste avec les ténèbres. La lumière serait le véhicule de l’idée divine et du principe de vie. Ainsi ce qui est en haut se projette sur le plan inférieur en prenant des traits matérialisés. C’est la leçon du mythe prométhéen. Chaque plan inférieur reçoit la lumière du plan supérieur comme un miroir reflète une image. Simplement la lumière reçue ou volée au plan supérieur est toujours de moindre qualité que l’originale ; il en va de même de la parole mal prononcée et transformée, ou de la vision du réel par le prisme déformant du regard de l’homme. Le Verbe divin originel ne cesse d’être réinventé et réinterprété par l’homme. Cette imperfection de nos sens fait que nous recherchons un procédé de rétablissement motivé par la proximité perdue et retrouvée avec le divin, soit un retour au paradis perdu.

La reconstitution de l’image originale, du Symbolum premier, se fait par extrapolation, par le jeu du symbole et les lois de correspondances[1]. Vouloir remonter à la source serait dans la kabbale une conséquence de la chute de l’homme dans la matière, de son éloignement du centre ontologique.

La Lumière, en matière initiatique est plus qu’un concept, elle prend l’allure du Principe créateur, ou puissance créatrice, qui est le sommet initiant tous les concepts secondaires, et notamment le concept anthropomorphisé du divin ou du GADLU. Chaque concept secondaire se décline à son tour en concepts sous-jacents. La lumière principielle devient bougie sommitale, le centre ontologique de la manifestation devient centre de l’espace sacré, la lumière unitaire devient trine, le Verbe devient parole et la parole se perd et se déforme dans les générations successives, etc.

Le divin "anthropomorphisé" n’est que l’expression, à la mesure de l’homme, d’une tentative d’approche fractionnée et parcellaire du divin, de reconstitution du corps d’Osiris par Isis, de même le Temple n’est qu’un résumé à l’échelle humaine de l’inaccessible divin qui nous renvoi à notre propre génie inventif pour reconstituer un miroir brisé. Finalement le dévoilement ferait apparaître le miroir de notre quête d’absolu.

 

4/ Sens, perception, cognition.

Cette lecture de la lumière mise en scène, contextualisée, cotextulaisée, jouée en loge, passe par plusieurs phases mises au jour par les psychologues de la perception. Trois étapes au moins se succèdent : sensorielle, perceptive et cognitive.

L’étape sensorielle, qui passe par des récepteurs spécialisés qui actionnent les 5 sens et permettent de repérer les caractéristiques du réel telles que mis en en scène en loge. Cette étape sensorielle est d’abord rétinienne, mais aussi auditive et posturale, etc. : il s’agit d’une « lumière sensitive» qui se répand dans la loge et en chaque franc-maçon, accompagnée de phrases rythmées.

Suit un traitement perceptif des signaux sensoriels. Ce traitement perceptif permet de dépasser les strictes données sensorielles pour les mettre en forme. La mise en forme est une étape majeure de la perception : il est opéré un regroupement par « proximité » physique ou par identité de « forme » géométrique, topographique, temporelle, c’est le début de la mise en place d’une combinatoire du sens. Par exemple on constatera que le chemin de la lumière descendue de l’Orient se concentre autour du tableau central de loge recouvert d’un voile, puis se répand à nouveau aux plateaux des deux surveillants. La loge et les maçons s’éclairent ainsi progressivement à partir d’une seule bougie principielle.
À la suite de ce traitement perceptif par regroupement et par identité de forme, se trouve la phase purement cognitive qui relate l’environnement dans une perspective et un point de vue plutôt horizontal. Il reste un travail d’élévation de la pensée par l’interprétation axiale du rituel.

 

5/ Du relatif à l’absolu

Nous savons que l’initiation maçonnique est une initiation individuelle dans une cadre collectif. Cela implique en fonction de ce qui précède que ma vision de l’absolu ne sera jamais que relative au prisme déformant de ma rétine et de mes terminaisons nerveuses, et que néanmoins, la conjonction de nos absolus(vision-cognition collective) fait qu'ils se regroupent sur des schèmes communs. Nous aurions donc un patrimoine de schémas directeurs collectifs qui caractérisent l’espèce humaine.

Nous avons vu que la vision de l’homme est fonction de son expérience et de son vécu. Pour « ontologiser » sa vision de la lumière, il faut à l'homme une initiation au rite de la lumière, une transmission-dévoilement du schème telle que pratiquée en franc-maçonnerie. Sa vision se détache du relatif pour approcher peu ou prou l’absolu de la voie initiatique suivant une modélisation collective (ici celle des bâtisseurs du temple: le temple est une oeuvre individuelle et collective!). La ritualisation des symboles dans un contexte séparé et sacré est nécessaire. Alors le franc-maçon peut aborder une vision qui dépasse le relatif profane pour accéder aux concepts des bâtisseurs du Temple, qui de manière ultime sont des bâtisseurs célébrant l’absolu et la reliance terre-ciel.

Le concept permet, à partir d'un objet de pensée concret et abstrait, comme l’arrivée de la « lumière Principielle », de rattacher à ce même objet les diverses perceptions en différents plans, et d'en organiser la connaissance et la transmission. Le concept surplombant « Lumière Principe » est ici organisé et réceptionné en un plan inférieur par trois lumières d’ordre (appelées aussi petites lumières ou piliers, etc;) qui illuminent le dévoilement d’une image « centrale ».

Il faudra rechercher plus loin à quoi participent ces trois lumières d’ordre si ce n’est à l’illumination du centre secret de la loge, son « arcane ». Il est probable qu’elles participent à l’élaboration d’un schéma directeur qu’il faudra apprendre à lire. Ce schéma sera emprunté à notre bibliothèque culturelle ou issue de notre intuition collective, plus ou moins innée. Cette bibliothèque de modèles résulte d’archétypes visuels et cognitifs reconnus comme fondateurs et qui peuvent être mis en scène suivant un processus rituel rigoureux de type initiatique en vue de leur transmission. Le but de toute initiation étant de faire pour chacun retour vers l’unité ontologique et percevoir la totalité universelle, alors le concept de Lumière-Principe et le précieux « objet » qu’elle éclaire seraient le sommet de tous les schémas archétypaux. Le passage du relatif à l’absolu passe par la Verticalisation du regard, c’est alors que la lumière venue d’en haut prend tout son sens.

 

6/Du réel phénoménal à l’intelligible essentiel : l’intention rituelle et le Voile.

Le « Voile » va donner une dimension réelle au sacré, car nos facultés cognitives vont intégrer le secret dévoilé au processus d’élaboration du réel. En ce sens le dévoilement vaut pour tous les symboles que l’Homme incorpore en lui pour les faire vivre. Le dévoilement « vécu » en loge grâce au rituel d’allumage des feux en loge impliquerait-il l’assimilation intellectuelle du sens de ce qui est dévoilé, puis l’incorporation de l’essence axiale du motif révélé ? Ne dit-on pas que le franc-maçon doit vivre et être le symbole.

C’est à partir du concret et du réel que l’homme élabore une pensée à plusieurs niveaux : fonctionnelle, abstraite, conceptuelle ou essentielle.

Comment une simple bougie et un lever de voile, un déroulement de tapis ou un tracé à la craie au sol peuvent illuminer notre vision essentielle ?

Il y a une distance entre le réel ressenti par nos sens et l’intuition de l’être et du sacré. La cognition suit les niveaux d’approche du réel en tentant de leur donner une signification, un sens voir une essence. L’intention du jeu rituel initiatique est de permettre le traitement profond de l'information via le symbole qui exalte, et l’idée qui se réalise. L’initié doit être capable d'acquérir, conserver, utiliser et transmettre des connaissances qui découlent toutes de l'étude concrète et de la modélisation des phénomènes considérés comme vécus par l’initié, débouchant sur un nouveau regard. Notons que le franc-maçon constate des faits et des actes, lit les objets présents et va les relier et les interpréter dans un sens qui dépasse le sens concret. Il part de l’objet projeté en soi, un réel matériel ou une situation considérée comme expérience vécue et les interprète dans les limites de l’intelligible. On passe de l’objet en soi à l’être en soi. Ainsi l’initié transpose par le symbole sa vision du réel, il opère une métamorphose du regard. Cette métamorphose du regard via le dévoilement va s’appliquer aux 8 approches du phénomène concret tel que nous le reconstituons dans sa dimention invisible :

  • La perception : expérience pratique ou sensorielle d'objets ou de propriétés présents dans l’environnement de la loge. Dévoilement du niveau de langage. Cette expérience en loge doit aboutir à dépasser les 5 sens pour atteindre l’essence.
  • L'intelligence : compréhension de l’environnement de la loge suivant le niveau de perception et qui peut aller du domaine phénoménal jusqu’au domaine non visible.
  • Le langage : épellation, répétition triple voix, rythmes, suivant le niveau de perception, c’est l'aptitude à lier des éléments entre eux (combinatoire), à faire preuve de logique, de raisonnement déductif et inductif. Ainsi le langage est lié à la pensée symbolique et abstraite. Le langage peut aussi exprimer l’informel et le non visible.
  • La mémoire : catéchisme, symbolisation de l’outil, idéalisation, conservation des symboles, c’est la capacité d'enregistrer, conserver et rappeler les expériences passées et surtout en matière initiatique les schèmes et clefs symboliques dans le but de les transmettre.
  • L'attention : mise à l’ordre suivant le grade, concentration sur un objet ou une pensée parmi d’autres, il s’agit de pratiquer une concentration en restant silencieux immobile et aligné, l’objectif de la concentration étant littéralement une reliance avec le centre.
  • Le raisonnement : empirique et analytique, il restitue la pensée au réel. La méthode maçonnique reliant l’objet réel, le symbole, le maçon, la loge et le monde par l’analogie permettra de se départir de l’objet en soi pour aboutir à la pensée sans phénomène.
  • Les émotions au sens initiatique : langage du cœur, intuition, comportement expressif d’un état d’âme et du psychisme. C’est l’humanisation du réel.
  • La conscience : situation de l’individu en relation avec l’unité et l’universalité impliquant le sens de l'éveil, la connaissance de soi et l’évaluation sensuelle, intellectuelle et essentielle de son environnement. La conscience semble être l’aboutissement de la perception du réel visible et non visible par un sujet qui se reconnaît comme objet au milieu d’un tout. Elle aboutira logiquement à une conscience collective, en fonction d'un schème collectif (ici le Temple).

Tous ces « phénomènes » concrets du monde sensible et les « Idées » de la réalité intelligible, sont accessibles à la connaissance rationnelle et sont réinterprétés et rejoués en loge par le jeu des rituels et symboles. Le jeu rituel fait que la participation de chaque maçon au rituel de la lumière « incorpore » celle-ci en chacun. Ainsi l’objet concret devient objet intellectuel puis objet symbolique en soi. Le feu-lumière illustre parfaitement cette ascension du sens vers l’essence. Le support de la loge, mais aussi les lumières d’ordres associées au voile révélateur du tableau de loge, vont servir une spiritualité « construite ». Cette spiritualité tendra vers une vision en essence du Temple. C’est ainsi que la dimension sacrée s’invite dans le réel et que le dévoilement incorpore le secret à la réalité « vécue et ressentie ». C’est une des conséquences de l’expérience initiatique. En ce sens le dévoilement est dit  "révélateur" dans le sens montant et " réalisateur " dans le sens descendant.

L’activité en loge permet de retraiter le réel simple en réel profond. Les 8 approches cognitives en loge seront développées sous différents angles : analytique, symbolique, alchimique, intuitive, banale ou sacrale, anagogique... Le réel est peut-être une reconstruction permanente par le jeu de la perception-cognition de l’individu et du groupe. Maintenant nous devons rechercher comment le réel senti (étape 1) et perçu (étape 2) est reconstruit par la cognition (étape 3). Existe-t-il un système référentiel qui apparaît au moment du lever du voile ? L’initiation consiste-t-elle en la redécouverte de ces systèmes référentiels ?

 

7/ La trace de systèmes référents : l’Imago Templi

La franc-maçonnerie offre un système référentiel, une modélisation de la vision.

Voile sur le tableau de logeLe dévoilement initiatique en loge a pour effet d’impacter la signification générale ordinaire de la lumière, de la bousculer pour lui faire franchir le chemin entre le sens banal et le sens sacré. C’est le passage de l’horizontalité de la perspective à la verticalisation de sens qui deviendra essence. Or par expérience nous savons que le sens sacré s’appuie sur un symbolisme qui dépasse le sens commun et reste contenu dans un espace clôt, hermétique et caché. C’est un symbolisme « réservé » qui tend vers l’essence et qui s’appuie sur une situation conceptuelle ou sur un modèle, un schème, plus que sur un objet. L’objet n’est que support exotérique qui permet de rattacher le réel à une perception conceptuelle, ésotérique et sacrée. L’objet réel devient alors image en soi, chez l’observant, et va déclencher les trois étapes précédentes avec l’ajout de niveaux supplémentaires de perception et un développement du sens en essence. La représentation mentale, si indispensable au langage, est alors transportée dans un registre supérieur qui tout en restant attaché à l’objet réel lui donne une dimension sacrale, ou ontologique, conforme au modèle référent.

Ce qui est dévoilé, c’est un signal, une information que vont traiter nos facultés cognitives. Le tableau de loge est une image guide, une combinatoire de signes et symboles, une icône qui combine par proximité géographique et par formes associatives des objets reliés à la construction « axiale », à l’espace et au temps, à la terre et au ciel. Cette combinaison en une même image dévoilée, de la matière, du plan, de l’espace et du temps céleste, s’effectue dans le lieu sacré de la loge. Or la loge est « formée » en vue de construire le « temple », c’est ici l’intention du rituel. C’est aussi la référence du bâtisseur. Cette icône du temple à bâtir, « forme idéale », est un modèle imaginaire au sens que ce n’est pas le tableau de loge qui a du sens, mais « le modèle de la construction du temple » qu’on y trouve. Le modèle, ou « forme idéale » est un schéma directeur et ce sera ici le plan de l’architecte. Ce "plan", ce schéma directeur, mais qui commence par une pierre brute à tailler sous la lumière. Point de forme sans lumière matérielle et essentielle. Voici donc le modèle référent auquel le tableau fait allusion. Le tableau de loge n’est qu’un assemblage d’images-symboles reliées au céleste lumineux. Le véritable tableau de loge référent est hébergé en notre encéphale, il est l’héritage endormi de notre vision structurale du monde que le rituel du dévoilement lumineux va réveiller. L'encéphale dans sa boite crânienne ("boite d'os") serait une loge (cavité) en relation prismique avec la Loge, elle-même en relation prismique avec le Tout.

Notre manière de percevoir l’image se fait suivant une modélisation cognitive analytique, symbolique et intuitive qui reste liée et conditionnée par le modèle du temple et le modèle de notre cerveau. Or si le Temple est la maison de la Lumière céleste, il est aussi le modèle de l’homme. Le modèle qui est ici découvert par le voile permet la lecture de la construction lumineuse du réel avec une triple perspective : microcosmique, macrocosmique et humaniste ou psychique. Le Temple dans sa tripartition est bien le modèle de toute spiritualité construite analogiquement par l’homme en regard d’un schéma archétypal "essentiel", substantiel, ou structurel.

 

8/ Une spiritualité née du réel « élargi » et de l’expérience initiatique

Ce modèle du Temple sera applicable au réel et permettra d’affirmer une « vision » initiatique de l’homme en regard des angoisses existentielles, éthiques et métaphysiques. L’homme ne fait que reconstruire sans cesse la réalité sur la base de modèles structurants qui donnent une perspective "lumineuse". Ces modèles sont enfouis dans son for intérieur qu’il veut dévoiler et « éclairer ».

Donc l’image dévoilée s’associe à un modèle « temple de la lumière ». Toutes les interactions relationnelles entre les objets présents dans le tableau de loge forment une combinatoire de langage dictée par le modèle du temple. L’icône « tableau de loge » n’est pas séparable de son modèle perçu « temple de la lumière », renforcé par trois points qui sont des dévoilements successifs:

a/ l’affirmation que la loge est séparée du monde profane (voile séparant le Oulam du Hékal dans le Temple de Salomon),

b/ une mise en scène rituelique « orientée » au sens lumineux du terme (descente de la lumière du Debhir, franchissement du double rideau séparant dans le centre du Hékal dans le Temple de Salomon),

c/l’expérience vécue d’une intention lumineuse en soi et au monde (dévoilement des éléments de langage dans le centre de la Loge et en soi).

 

9/ les Consciences et le chemin de la Connaissance dévoilés.

Le franc-maçon utilise la technique du dévoilement par l’expérience in situ. L’expérience progressive crée un maillage de la conscience du réel suivant une méthode qui devrait conduire sur le chemin de la connaissance.

L’initiation est une expérience, un apprentissage de la conscience dans ses différents secteurs et étages. Toute expérience est un vécu qui impacte la conscience du réel. La conscience reconstitue le réel extérieur en réel vécu tout autant à l’intérieur de soi (dimension signifiée) que dans l’environnement extérieur (dimension signifiante). Le passage de l’extérieur à l’intérieur se fait par une projection mentale dans le champ de la conscience en se référant à des archétypes.

Peut être pouvons nous faire un rapprochement "intuitif" entre la structure de notre cerveau et la structure de la loge, au prétexte que la conscience est associée au cheminement de la lumière (voir les jeux d'ombres dans la caverne socratique) et aux déformations dans la représentation ou du rendu .

La méthode maçonnique activerait la "conscience de base" située dans le cortex occipital/visuel et dans le cerveau droit, correspondant aux représentations perceptives (formes, couleurs, musique) ou symboliques (phonèmes, images, visages, tabliers). On y trouve la perception simple de l’ensemble des tableaux de loge signifiants, la topographie de la loge, meubles, décors, etc.

La méthode active "la conscience verbale" ou sémantique par l’apprentissage progressif d’un nouveau langage (épellation, syllabisation, onomatopées, recherche du sens du mot, parole perdue, essence du mot, souffle) et l’élaboration d’une conscience sémantique verbale et non verbale, posturale, permettant l’introspection et dont le support organique serait principalement l’hémisphère gauche.

En parallèle s’élabore une "conscience historique" (auto noétique chez Tulving) associant ici, le temps et le non-temps, fondée sur la sensation d’expérience vécue qui met en relation le vécu initiatique en loge et le souvenir ancien qu’il fût réel, individuel ou collectif ou encore mythique, elle se situerait dans l'hippocampe. Le mythe, récit mémoriel, intègre l’expérience du réel par le mime. Les différentes relations conscientes au réel "dur" ou "mythique", sont asservies par une "conscience surplombante" dite "exécutive" qui permet la focalisation ou la concentration et donc le passage d'un modèle symbolique à l'action. C'est la conscience opératoire ou réfléchie située dans le cortex frontal. C’est la fameuse conscience des philosophes permettant de dissocier le corps exécutant, et son contrôle par l’âme ou l’esprit tributaire d’un grand plan (plan du Temple). Cette concentration permettra d'associer le temple à soi.

C’est ici que se situe l’image du triangle centré d’un œil ou du GADLU, de l’hexagramme hermétique ou des Tables de la Loi, intervenant dans la tripartition du Temple sa voie droite, gauche et centrale, c'est dans ce schéma qu'a lieu la latéralisation de la droite vers la gauche par le corps calleux. C’est la "surplombance" qui organise les lois non plus de la logique, mais de l’analogie. La conscience du franc-maçon, née de son cerveau, aussi multiple soit-elle, se caractérise par une mise en relation de niveaux et de points de vue symboliques qui se superposent dans un isomorphisme axial. L'homme dans sa structure intime reste le modèle réduit du temple. L'homme est la mesure de la perception du Tout.

 

10/ La Papesse dévoilée

La Papesse de WirthC’est la deuxième lame du Tarot de Wirth qui nous permettra d’illustrer le phénomène du dévoilement en trois phases. Le premier voile est son manteau, le second est celui qui voile son visage et surtout son regard et enfin le troisième voile est celui qui est tendu entre les deux colonnes du Temple objet de "con-templation".

Nous sommes donc en présence du Temple comme image à pénétrer puisse que les deux colonnes en marquent l’entrée. Cependant avant de comprendre l’arcane du Temple il faut dévoiler le mystère en 3 temps : 1/dévoiler ce qui n’est pas apparent (manteau de la papesse), 2/dessiller son regard, opérer une métamorphose du regard, c’est le dévoilement du visage et du regard de la Papesse, et enfin 3/lever le voile sur l’entrée dans la maison du divin, c'est-à-dire à l’intérieur de l’enceinte qui cache l’arcane et qui répond aux énigmes posées par le sphinx sur la vie et la mort et le mystère de la création du monde.

Ce développement du mystère fait passer l’impétrant par les trois phases du dévoilement, celui des apparences signifiantes, par le manteau extérieur, celui du regard sur le Monde, et enfin celui du regard dans le Temple Intérieur. Nous retrouvons les trois niveaux de perception : Éthique, Psychique, Métaphysique. Les deux colonnes dont le franchissement est un but, symbolisent le passage du phénoménal symbolique d’une papesse assise sur un trône-sphinx (qui symbolise le mystère et la phase cachée derrière l’apparence), au phénoménal axial ou monumental, via les colonnes du Temple (qui permettent l’entrée dans la relation sacrée et secrète entre la Terre et le Ciel). L’axial-monumental permet le changement de plan et donc le passage du logique à l’analogique, du sens à l'essence, de l’apparent extérieur à la vérité intérieure. Ce schéma est tout entier résumé dans la tiare portée par la papesse. Elle est à trois niveaux :

1/ Le premier fait allusion au premier niveau de perception qui si on y prête attention est sertie de pierres précieuses, car reliée au sommet, au ciel. La pierre précieuse « concentre » à la fois le regard de l’observateur et les scintillements du rayon d’une lumière « précieuse » et mystèrieuse. 2/Le deuxième niveau est celui de l’analogie avec une gnose, d’une parole élévatrice de la conscience humaine qui s’allie au symbolisme axial. 3/ Le troisième niveau est constitué par cette Lune réceptacle-axial, point de concentration ultime qui symbolise le recueillement du reflet de la lumière des origines (clef d’Or) par le miroir lunaire (clef d’Argent). Ainsi la Papesse est une Isis qui révèle et fait naître l’Horus ailé en soi, la conscience supérieure de l’homme qui englobe le visible et l’invisible, le temporel et l’intemporel par le triple dévoilement. Le travail sur le reflet et le miroir est la première clef celle d’argent qui permet le passage de l’extérieur apparent au mystère de son éclairement « intérieur », la relation avec la lumière d’or et la seconde clef qui permet de remonter vers la lumière ontologique ou originelle. (ER)

Résumons : chaque voile suscite et permet une projection mentale de ce qui est caché et révélé. La valeur de ce qui est découvert après un dévoilement est décuplée à plusieurs niveaux.

L’’image dévoilée du tableau de loge implique un modèle de lecture du réel « éclairé », véritable combinatoire du langage qui fait sens, suivant un schéma directeur, un modèle, un concept abstrait ou « essentiel ». Si la Lumière principielle est l’essence insaisissable du réel, alors le temple de la lumière (le modèle) serait sa représentation mentale, douée d’une schématisation ésotérique et cachée. En contrepartie, la lumière en loge serait la réalisation exotérique du réel (l’apparence) et le tableau de loge posé sur le pave mosaïque constituerait la grille de lecture permettant l’ascension des différents plans de la vision. La grille de lecture permettrait la remontée de l’objet au sens et du sens à l’essence. La traversée d’un plan à l’autre se fait par nature symbolique de l’icône qui s’adresse successivement au réel, à l’image représentée en soi, au sens et à l’essence. L’icône, pour traverser les différents plans, doit être conforme au modèle archétypal : le tableau de loge « éclairé » est conforme au « temple de la Lumière », elle le suggère par l'association symbolique des formes, des sens et des essences. L’imago templi restera le modèle des trois premiers grades jusqu’aux grades ultimes. Nous pouvons dire que l’image du Temple relie la Terre au Ciel et autorise une certaine vision du monde. En loge, l’imago templi "voilé" serait le schème structurant de l’imago mundi et se dérive en isomorphisme axial et graduel.

ER

Dans une seconde partie, nous reviendrons sur le dévoilement hypostatique en loge.

[1] Les lois d’analogie et la polarisation s’associent pour donner au symbole son relief initiatique. Le symbole étant fait de deux parties, l’une visible l’autre manquante, c’est donc dans un plan supérieur ou inférieur que nous iront rechercher la partie manquante. Analogie, polarisation et symbole nous font admettre le schéma général des plans ou mondes superposés traversés par un même axe. Cette configuration verticale, essentielle en franc-maçonnerie, est la base de l’échelle graduelle initiatique et prendra pour exemple la croix tridimensionnelle. Voir dans ce sens René Guénon « Le symbolisme de la croix » éditions Vega 1931.

Partager cet article
Repost0
31 décembre 2016 6 31 /12 /décembre /2016 17:35

L’acclamation écossaise : Sémiotique élargie de la geste acclamative commune :

Dans la suite de notre première partie, il convient d’entrevoir dans l’acclamation écossaise autre chose qu’un mot à traduire. Nous tenterons d'élargir notre champ exploratoire. Sans doute l’acclamation possède bien plus qu’un sens, ce serait une essence qui se dérobe à la relation du signifiant et du signifié, trop subjective et falsifiable et sujette à contresens. Dans cette seconde partie, nous éclairerons moins l’onomatopée que l’intention ontologique du groupe acclamant. Nous reprendrons certains des thèmes déjà abordés en première partie pour une approche complémentaire en vue d'alimenter le débat.

1/ L’acclamation est un cri de joie, d'approbation, d'enthousiasme collectif …

…pour saluer ou approuver publiquement une personne, une œuvre, une nouvelle, associée à une posture corporelle. Ici on acclame en regardant le centre de la loge ou le Vénérable Maître qui incarnent tous les deux l’œuvre à accomplir en relation avec l’origine, la lumière, etc. L’acclamation n’est pas en franc-maçonnerie qu’un pseudo-mot répété trois fois, c’est une communication langagière verbale et non verbale touchant à l’essence. C’est aussi une posture et des gestes qui expriment une tension collective et un expire collectif du souffle.

L’acclamation est donc un cri, un souffle touchant à l’essence. C’est célébration mise en scène par une posture, une gestuelle en regard d’un centre ontologique unificateur du clan.

Mais auparavant il faut étudier le schéma régulateur de la communication du maçon en loge. Le rituel maçonnique organise un écrin contextuel et co-textuel pour porter l’essence de l’acclamation.

a/ Le schéma régulateur co-texte et contexte

La ritualisation gestuelle va réguler le niveau de langage en faisant sortir les excès langagiers et les postures inadéquates. L’objectif serait d’obtenir un haut niveau d’expression et une régulation des comportements. L’acclamation dite écossaise va favoriser une mise en état particulière de l’émetteur et du récepteur qui est le franc-maçon en loge. Nous noterons que cette mise en état particulière se retrouve chez le franc-maçon dans sa vie profane comme un acquit. Cette « mise en l’état » débouche dans une attitude de « grande écoute ». Il s’agit d’une posture langagière d’écoute et de synthèse qui sera propice à l’art du compromis et à la structuration symbolique de la pensée. C’est une méthode de communication langagière qui permet d’extraire l’essence du langage par la médiation de la représentation symbolique associant le verbe, la posture et le geste. Pour arriver à créer une unité de représentation mentale dans le groupe, il faut évacuer une partie de l’affect qui pourrait faire échec à l’accès au centre-origine. Il faut purifier nos facultés cognitives.

La communication langagière verbale, pseudo verbale et non verbale[1] du franc maçon est la suivante :

  • l’affect va se retrouver régulé par le contexte symbolique de la loge (1) considérée comme non-lieu et non-temps profane et modèle d’harmonie et d’ordre.
  • Les représentations mentales individuelles et communes qui y sont associées (2) sont significatives d’une reliance à un « plus haut ». La sémiotisation spécifique « in situe »(3) va engendrer deux modes expressifs :
    • a/ l’élaboration d’un discours verbal de type symbolique (4) établissant un pont entre le sens et l’essence
    • b/ doublé et renforcé d’une posture et d’une gestuelle régulatrice de l’affect (5) telle que : la mise à l’ordre, le salut, les salutations, le protocole de prise de parole, utilisation de formules rituelles, invocations, prières... Ce sous ensemble constituant un co-texte solidaire de la gestuelle, etc..

La posture et la gestuelle du langage non verbal vont agir sur la modulation verbale et la cognition : par la mise à l’ordre[2] préalable à l’acclamation, la gorge sera tenue et cadrée. Ce langage parallèle induit une régulation affective et impacte la représentation mentale. On serait tenté de dire que la geste maçonnique et le rituel, conditionnent l’affect et le registre de l’imagerie mentale.

L’énoncé du discours, l’intervention verbale du franc-maçon ainsi contextualisées et régulées vont influencer le domaine dans lequel s’exerceront ses capacités cognitives en faisant remonter le discours dans le registre du symbole et de l’essence. La régulation du discours, son énonciation, est induite par le contexte de la loge et le co-texte du rituel, de la gestuelle et de la demande de prise de parole. Le redoublement co-textuel et contextuel du sens permettra de cheminer vers l’essence.

Enfin le locuteur aura pour allocutaire non pas les Frères et Sœurs sur les colonnes, mais le Vénérable Maître littéralement « installé » dans la chaire de Salomon, au Debhir en surélévation du Hékal. Le contexte de l’énoncé est alors « orienté » vers la lumière qui se veut éclairante, et suivra un cheminement ascensionnel, comme indiqué par le geste du salut[3] vers l’axe associé à l’acclamation écossaise.

Le schéma régulateur trouve dans le cri triple associé à la posture de l’acclamation son fondement et son alignement axial[4] dans les trois niveaux : l’individuel, le groupe humain et la loge image du temple. La loge image du temple, reste donc le cadre structurant du schéma, lui-même soumis à la naissance de la lumière et donc du langage.

b/ Le cri de l’origine – retour au Centre.

La loge en ses qualités de « maison accueillant la lumière » ou lieu d’émergence de la « conscience éclairée » ou « temple des origines » va réguler les capacités cognitives en les développant au-delà du sens commun et induire une représentation mentale associée à l’essence. Pour détruire cet aspect induit du cadre directeur il faudrait détruire la symbolique de la loge antichambre du temple, en la réduisant dans un aspect secondaire quasi profane, lieu de rencontre où sévirait un simple entre soi.

Le cri qui mobilise les profondeurs du corps exprimerait tout simplement notre reliance consciente au centre du dispositif de la loge et au lieu « mythique et symbolique » d’où vient la lumière. L’acclamation est collective, rythmée et orientée.

L’objet de l’acclamation serait donc la lumière qui entre et s’installe dans la loge et dans nos corps, l’acclamation est donc situationnelle. Elle situe le maçon sur la périphérie du centre ou l’identifie aux postes et charges occupées, en regard d’un centre. Le son du cri fait le chemin en sens inverse de la Lumière rayonnante. Il remonte de la périphérie ou des colonnes vers la source du Verbe qui est aussi la source de la Lumière. À cet endroit il se « concentre » pour nous revenir plus fort et plus puissant tel un écho.

Cet aller-retour centrifuge et centripète, cet expire et cet inspire, établiraient une respiration symbolique entre le centre et la périphérie. L’unité du tout qui en résulte, ne fait qu’exprimer l’origine de la manifestation, le principe créateur de toutes choses s’il en existe et dans une mesure plus restreinte l’origine de la parole. Il y aurait donc un cheminement symbolique et métaphysique identique entre la lumière qui s’impose au milieu des ténèbres pour éclairer la conscience et le verbe créateur.

La Lumière source à pour périphérie la conscience éclairée de l’homme, le Verbe source aurait à sa périphérie la parole humaine reliée par le souffle. L’acclamation exprime et met en scène cette reliance originaire.

Cette Acclamation par trois fois est un ternaire collectif qui se retrouve dans les trois grades et les apprentis, voués au silence, y participent pour signifier leur appartenance au groupe. L’appartenance serait aussi corroborée une sémiotique non verbale : par la posture la manière de se vêtir considérée comme des marqueurs d’appartenance[5] et comme des marqueurs de relation[6], la gestuelle, etc, le tout renforcé et tous les codes de la communication langagière spécifique à la franc-maçonnerie.

L’acclamation est donc une communication quasi langagière : de mon point de vue, c’est moins un mot signifiant qui est porté collectivement, mais plutôt un paralangage. Ce paralangage s’associerait à une posture physique et une gestuelle précise interactive dans le ternaire suivant: le franc-maçon, le groupe et la loge qui est le lieu de l’exercice. Ce ternaire, cette interaction triangulaire, encadrerait la tenue et traverserait les individus en situation qui se retrouvent ainsi reliés. Ce ternaire traversant et rayonnant se retrouve dans l’ouverture comme dans la fermeture, et se répète à l’envi dans un rituel qui se fonde à chaque instant sur la symbolique du nombre trois. Ce serait symboliquement la lumière ou l’élan vital qui pénètre les trois niveaux de l’être par leurs centres : le corps en son nombril, l’âme par la cavité cardiaque et l’esprit par la cavité crânienne. C’est aussi l’effet recherché du mantra ou du dihkr que d’atteindre une forme d’illumination intérieure par un état de vide suivit d’un remplissage lumineux.

 

Nous savons en franc-maçonnerie qu’avant de prononcer un mot il faut apprendre à l’épeler. C’est le stade de l’apprentissage des mots sacrés. Que se passe-t-il avant l’étape de l’épellation ?

N’y a-t-il pas quelque chose qui précède la parole humaine et qui soit fondateur de l’humanité ?

Le cri de naissance est d’abord un souffle.

c/ Le souffle originaire devient cri :

Avant l’étape de la lettre formée, nommée, prononcée et tracée, il y a le souffle qui sort de l’intérieur de soi pour former un son, un phonème. Je proposerai de partir de ce souffle venu de l’intérieur de soi qui est mis en partage au sein de la tribu rassemblée autour du foyer central. Il ne faut pas seulement partir du sens du mot qui a pu être déformé au cours des âges. Notons que sans ce souffle venu de l’intérieur il n’y aurait ni lettre prononcée[7], ni syllabe, ni mot.

Nous pouvons dire que c’est par ce souffle intérieur que nous animons le langage et ce serait par ce souffle premier, animateur, que nous serions en capacité de nommer les choses et les êtres.

Est-ce un hasard si ce souffle venu de l’intérieur nous permet symboliquement d’évoquer le divin. C’est un juste retour aux origines : le Nom du Divin, comme la Parole des origines, sont symboliquement liées au souffle premier sur la face des eaux (« Le souffle d'Elohîms planait sur les faces des eaux. »(Genèse 1.2 ~ Traduction André Chouraqui). On pense aussi au souffle insufflé dans l’homme premier fait de terre et d’eau[8]. En loge le souffle s’inscrit dans un aller-retour triangulaire entre soi, les autres et le centre originel protégé par le temple.

Fut-il humain ou divin, pris dans son sens fluidique ou dans son essence « ontologique » le souffle[9] est symboliquement l’âme qui donne vie.

Tentons, dans la mesure du possible, de remonter à la source du souffle qui donne la vie et le sens.

2 / Du sens à l’essence :

Vouloir révéler une essence à pseudo-mot « houzza » résulterait moins de l’étymologie que de tenter de constater la mise en commun d’un souffle dans un but ontologique. Cet objectif reste difficile à démontrer. Il nous suffit de constater la manière d’exécuter le rituel de l’acclamation et de le vivre de l’intérieur pour être sensibilisé son essence. L’essence se définirait par ce qui constitue l’acclamation le cri-souffle originaire. L’essence d’un mot ou d’une onomatopée s’oppose au tropisme des sens multiples voir opposés. L’essence n’est pas soumise à la contingence, elle s’affirme comme une évidence.

Dans « De l’interprétation », Aristote construit sur le couple onoma, rhéma, « nom, verbe » le constitutif du logos. Les traductions et les commentaires médiévaux, en latin, introduisent la dictio « le mot » comme terme générique regroupant nomen et verbum. Lavoisier accordait aux mots savants une capacité heuristique. Rien qu’à les entendre ou le lire, nous sommes invités à tirer d’eux leurs propriétés, d’où la célèbre formule « celui qui connaît le mot connaît la chose, car ils sont tous nés des origines du logos »[10] et donc du verbe. Nous y répondons ainsi : « Qui connaît l’acclamation pour l’avoir vécue connaît aussi son essence ».

a/ La force du Houzza

Les mots auraient une âme constituant le sens caché et une essence. La découverte du sens caché et de l’essence du mot est l’un des objets de la recherche maçonnique.

Pour comprendre la remontée « essentielle » du symbolisme initiatique, nous prendrons un exemple facile basé sur la kabbale hébraïque : Abram devient Abraham à la suite d’une rencontre avec le divin provocant la naissance d’une vocation. Le divin lui confie une mission. Le H devient la marque de cette rencontre et de son changement d’état. D’homme il devient Prophète il accède à un niveau supérieur de perception du réel, il connaît l’essence des choses et de la vie. Le « Hé » hébraïque est la lettre du souffle de vie[11]. « C’est le mode de communication entre les différents niveaux de l’âme, regroupant les cinq principes (Hé a une valeur de 5) : Nefesh, Roua’h, Neshamah, H’ayah, Yeh’idah.. »

Pour mieux comprendre le passage du sens à l’essence il faut revenir à l’épisode relaté dans la Génèse 14/18 : « Melchisédek, roi de Salem, fit apporter du pain et du vin: il était sacrificateur du Dieu Très-Haut. 19Il bénit Abram, et dit: Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut, maître du ciel et de la terre!…et Abram lui donna la dîme de tout ». Il y a ici une gestuelle de transmission entre le Prêtre Roi ou Roi Sage[12] de Salem (qui est la ville de paix autrement dit le centre immobile et éternel)) et Abram, Melchisédech qui n’a ni père ni mère ( autrement dit, il est dans l'axe originel), qui est de tous les temps, est porteur d’une conscience spirituelle universelle la plus avancée. Cette geste se rapporte à l’essence et se traduit dans la transformation du nom du bénéficiaire.

Ce qu’illustre le pain et le vin dans cet épisode biblique, c’est la « transformation » du sens en essence. En apportant le pain et le vin à Abram, Melchisédech lui fait connaître non pas la nourriture substantielle, mais la nourriture essentielle. Le vin est à considérer ici comme l’essence de la vie, la part intérieure de l’être, l’esprit en soi. Cette approche « essentielle » sera reprise dans la Cène que reproduisent intentionnellement certains grades chevaleresques.

L’aboutissement de cette approche essentielle sera illustré par le rajout du Hé au nom d’Abram et Saraï : avant l’acceptation totale de leur vocation d’être le père et la mère d’une nouvelle nation et fondateurs du monothéisme, ils avaient un nom. Le premier s’appelait Abram et la seconde Saraï. Élohim leur donne un autre nom, à Abram il ajoute un après le Rech et à Saraï il supprime le Yod pour lui substituer un autre .[13]

Les deux personnages clés de la Bible, une fois leur « conversion » opérée, se voient pourvus d’un Hé qui marque la présence du souffle divin du Tétragramme dans leur nom.

S’agissant de la lumière-esprit en l’homme nous pourrions tenter le même raisonnement avec la lettre latine X pour ChristChrist »), celui-ci issu de la lettre grecque Χ, l’initiale du grec ancien Χριστός, Christós (« Christ »). La lettre signe devient le mot qui lui-même devient symbole et touche directement à son essence. On retrouvera ce X dans la croix de Saint-André. Avec ce X il est question de recevoir l’esprit en soi, d’en avoir la vocation ou la perception. Jésus devient Christ.

L’essence du souffle, de la lumière ou de l’esprit, est liée chez l'homme à la vocation qui se démontre par des actes positifs qui vont jusqu’au sacrifice. Pour définir l’essence d’un mot ou d’une expression à caractère spirituel, il faut donc tenir compte du texte, de la geste et du rituel qui ont pour fonction d’établir une reliance par des niveaux de langages supérieurs[14].

L’acclamation reprendrait une geste de transmission désignant le centre à partir de la périphérie et réactivant par la voix et le geste l’écho du centre créateur, c'est du moins une hypothèse à évaluer.

b / La remontée maçonnique, du sens à l’essence du souffle

Ainsi nous remontons l’arbre maçonnique qui va d’un pseudo mot au sens puis à l’essence. Nous avons vu que la loge est le lieu hors du temps et de l’espace profane, où se recrée à chaque tenue le monde. Plus précisément c’est le lieu où l’on célèbre l’arrivée de la lumière ordonnatrice au milieu des ténèbres. Ce serait donc le lieu de la conscience première de l’humanité, soit une vision en essence qui précède les sens multiples qui en découleront. L’essence précède le sens comme la lumière éclaire le monde. Pour l’homme, l’essence procède d’une vision illuminative[15] , qualifiée d’éblouissante ou de splendeur[16], « que le regard ne peut soutenir ». Celle-ci est sans description possible, le sens quant à lui découle d’une représentation mentale qui transpose en soi « le visible ». Le visible qui fait sens est décrypté en l’homme, qu'en est-il de l'essence? Le passage du sens à l’essence dépendrait du niveau de perception.

Le souffle tel que défini précédemment (le H du Hé dans houzza) se retrouverait avec plusieurs approches. Les plus communes font du souffle un élément naturel comme l’air circulant qui favorise les combinaisons des autres éléments: l’eau, la terre et le feu. Les quatre éléments et leurs associations multiples sont la base constitutive d’une combinatoire de langage symbolique « élémentaire » impliquant les 5 sens.

Le souffle possèderait une définition plus avancée dans la combinatoire « élémentaire », dans l’idée d’une puissance animatrice de la vie. Le souffle nous l’avons dit, serait suivant la tradition,  à l’origine du monde et de la vie. D’un point de vue traditionnel, il s’associe au Principe. Le sens commun du souffle serait la vie qui est l’animation des combinaisons élémentaires formelles, donc l’essence du souffle serait la dimension ontologique de la création et de la vie.

Le souffle joue un grand rôle dans les rituels chamaniques et dans tous les systèmes initiatiques. On reprend le sens et l’essence du souffle dans l’épreuve élémentaire de l’air. Les "éléments" dans le rituel d'initiation sont réappropriés et réordonnancés au niveau de leur sens originel qui est le cadre essentiel. On reprend aussi l'élément air dans une version plus évoluée celle de la transmission du souffle de celui qui donne à celui qui reçoit (dernier souffle de l’architecte, connaissance transmise au Maître par l’essence du souffle, parole perdue et retrouvée ou réinventée non à partir du sens ordinaire du mot, mais de son essence fondatrice, etc…).

Nous définirions l’essence comme quelque chose de caché qu’il s’agit de découvrir au-delà du sens banal. Cette essence serait le produit d'une distillation, d’une rectification, d’une purification des substances étrangères. La franc-maçonnerie dans sa communication langagière, non verbale, au-delà de la phase symbolique, installerait une sémiotique de l’essence. Rappelons qu’au plan symbolique et métaphysique, c'est l’essence qui fait lien entre le sens et le Principe Universel.

3 / Essence du souffle et la célébration du centre ontologique en partage.

Avant qu’elle ne se transforme en expression latine d’un « vivat » ou en frontispice républicain, l’acclamation fut à l’origine l’équivalent d’un cri de ralliement d’un clan, la marque identitaire de ceux qui ont un point de convergence en commun et qui s’expriment dans un accent commun et puissant, dans des couleurs et des tracés communs (tartan, tatouages, totems, couleurs, tableau de loge et décorum armoirié, étendard …). C'est une hypothèse qui mérite d'être étudiée.

Le clan s’entend naturellement dans l’esprit écossais et nous renvoie aux structures primitives des groupes d’hommes revendiquant une identité collective « formés » en cercles réunis autour d’un foyer commun. En loge chaque membre prête serment le bras droit tendu vers la Bible ouverte à l’évangile selon saint Jean. C’est l’Évangile de la lumière et du verbe premier, soit le souffle premier, la source. C’est à nouveau ce bras droit qui sera tendu lors de l’acclamation vers le centre de la loge indiquant la source première sur un plan donné, celui du Hékal. L’Évangile de la lumière selon saint Jean et le centre du Hékal se superposent en un centre commun.

a / L’identité collective est une appartenance qui s’exprime en sens et en essences.

Les Stuarts en exil devaient affirmer leur identité et leur revendication. Le sentiment d’appartenance ne se raffermit que pour ceux qui entretiennent la mémoire du centre et du retour. (Au plan symbolique et dans une certaine proportion, l’exil des Stuarts est à rapprocher de l’exil des Hébreux à Babylone. On retrouve ici un emprunt,un mimétisme historique assez courant dans la royauté soucieuse de légitimité pseudo-historique). L’acclamation serait une mémoire vivante, voire nostalgique du centre originel[17], une raison d’être qui pourrait devenir nostalgique.

Par mimétisme pseudo historique, l’acclamation écossaise est la mise en application du psaume 137 qui allie le geste (le bras droit) la parole (la langue) et surtout la mémoire (face à l’oubli) d’un centre spirituel : Jérusalem.

Ce désir de réintégrer le centre s’exprime en langages essentiels, mais aussi en images et intentions telle la reconquête du trône « royal » des 4 royaumes (Écosse, Angleterre, Irlande, et France[18]) par Jacques II Stuart et ses successeurs.

L’identité clanique « verbale » est le propre des Scots ou des Pictes et de toute tribu, car le sens donné au mot leur est commun et inconnu des étrangers qui en ignorent la prononciation et l’accent spécifique[19] . Le tuilage est alors de mise pour démontrer son appartenance, ledit tuilage se fait dans la prononciation spécifique au clan et par la main droite dans la bonne compréhension du psaume 137. Le bon geste et la bonne prononciation sont des codes d’appartenance.

b / Le langage en essence serait l’approche ultime du langage initiatique

L’expression des mots sacrés de grades, des mots de passe ont leur sens et leur essence.

La preuve que les mots sacrés de la franc-maçonnerie seraient « essence » et non pas uniquement sens, c’est qu’ils ont tous un rapport direct ou indirect avec les différents noms du divin ou le divin en général via la Bible. Aucun récit ou légende de grade traditionnelle n’y fait exception. La franc-maçonnerie exprimerait un cheminement par étape vers la lumière. C'est un chemin de spiritualité: chaque étape est une progression dans la verbalisation de la lumière en essence.

Dans l’échelle prométhéenne et hermétique, il s’agira d’une ascension vers la lumière. Notons que le mot se double d’un signe, d’un geste, d’une attitude qui « porte » vers l’essence.

Le domaine initiatique porte et transmet l’idée du souffle. Le mot aurait une essence qui est trop souvent oubliée. Le mot n’est-il pas en premier un souffle ?

Alors la chose représentée dans l’acclamation est tout simplement le clan auquel on appartient, et l’essence du mot se rapporte à l’histoire même de la reliance du clan à un centre mythique. Au REP cette reliance se fait par le mont Hérédom.

c / Le vécu « essentiel »

Le souffle devient mot signifiant avec un signifié classique intervenant par le langage non verbal (gestuelle, posture) et qui intègre physiquement le mot-souffle « en-soi » le rendant opérant.

Le maçon fait l’expérience de l’essence, il est alors le mot, il l’incarne et par ce simple fait va perdre son sens extérieur multiple.  Le mot « acclamé » deviendrait l’essence de l’homme, c’est-à-dire son sens intérieur et secret. Houzza(i) collectif est aussi l’essence de l’homme en relation avec le centre exprimant l’origine unique et commune.

Le couple « signifié-concept et signifiant-image acoustique » implique une intériorisation qui va construire la formation d’un égrégore sur un plan horizontal. L’acclamation a donc un effet par le sens sur le plan, c'est-à-dire dans l’expérience commune et le sentiment d’appartenance, mais le sens s’arrête à ce sentiment. Dans cette hypothèse, le relais est pris par l’essence une fois conçue en chaque maçon la notion d’axe et de centre. Le centre n’a pas un sens comme simple point géométrique, il est symboliquement essence de toute chose et tout être. C’est donc sur ce point central que le sens s’efface au profit de l’essence.

Dans l’acclamation, il y aurait littéralement une transposition du souffle, du geste et de la posture vers le centre qui est l’« essence » du cercle. C’est le trajet de la prononciation « extérieure » la plus haute à la représentation « intérieure » la plus puissante qui nous permet d’appréhender l’essence. C’est littéralement une incorporation de l’essence collective qui passe par l’audition du mot clanique. Or il se trouve que le centre est par nature invisible et sans dimension, il faut donc lui donner une apparence extérieure qui soit un point de ralliement ! C’est ici l’utilité de la geste acclamative collective. Pas de centre sans loge ni maçons.

Conclusion :

Toute la démarche initiatique tendrait vers le principe d’unité qui est à la fois la source et la fin de toutes choses.

L’acclamation tendrait vers ce même centre « essentiel ». Le franc-maçon se référera à l’étoile qu’il suivra comme le signe « apparent » de cette origine et fin. L’étoile restera inatteignable, mais autorise par son rayonnement le monde des formes géométriques : cercle, triangle, carré, utilisées pour la construction du temple en carré long. Ce carré long constitue l’archétype de la réalisation de l’homme dans son rapport au divin. La construction du temple concrétise une spiritualité descendante autour d’un centre lumineux.

De cette origine « vitale » célébrée par l’acclamation, ce serait toute la chaîne de la tradition primordiale et sa transmission qui trouverait sa raison d’être. Le rituel initiatique ne fait qu’illustrer par diverses étapes, cette concentration des sens verbaux et non verbaux en essence. Ainsi les sens dérivés de l’acclamation s’originent, selon cette hypothèse, dans l’innommable et l’indéfinissable en passant par l’étape de l’élan vital. Ce qui se dégage, c’est ce désir de reliance ontologique. L’acclamation ne serait alors que la remémoration d’un ordonnancement originel, l’aboutissement de « ordo ab chaos », un paradis perdu... la question reste posée.

Le pseudo mot ainsi prononcé dans le souffle du groupe en communion (égrégore) est « magie-image » en partage, car agissant sur la perception commune. (Image commune intériorisée et partagée passe parfois par une magie invocatoire ou évocatoire en groupe. Tout ceci n'est qu'affaire de représentation mentale "collective").

Cette approche mentalement « imagée » et physiquement « mimée » vaudrait plus particulièrement dans deux cas, celui de l’acclamation écossaise et celui de la parole perdue du « maître ». Il y a un parallèle à faire entre l’essence immortelle du mot qui est transmis dans le dernier souffle d’Hiram et la renaissance en esprit ou l’idée de résurrection en esprit. Ce chemin de l’esprit serait aussi celui de l’essence. L’essence du souffle vital, fût-il clanique, outrepasserait l’allégorie ou le symbole lié au mot.

Dans ces deux cas nous aurions l’élaboration d’une « tradition » du « souffle vécu », avec une transmission par une chaîne verticale de celui qui meurt (dernier souffle) à celui qui recompose le mot, le revivifie, voir le réinvente (nouveau souffle) tout en conservant malgré tout son essence non verbale (parole perdue et retrouvée suivant les rituels). À cette transmission par la griffe post mortem (chaînage vertical descendant dans le foyer central du clan) suit la transmission entre vifs dans une chaîne d’union circulaire et concentrique, de bouche à oreille (chaînage horizontal d’appartenance clanique) : c’est le plan ou sévit le sens. Le vivant clanique se retrouve dans le chaînage de l’immémorial. La verticalité « essentielle » de l’axe terre-ciel et l’horizontalité intelligible du plan s’unissent en un point central : c’est ici que se dessinerait la structure « essentielle » de la loge, la structure absolue.

D'un certain point de vue, l’acclamation dite « écossaise » révèle cette structure absolue en même temps qu’elle illustre le passage du sens à l’essence.

Er.°.Rom.°.

(Nous remercions pour leur fidélité, les 182 310 lecteurs du blog ecossaisdesaintjean.org de l'année 2016)

 

 

 

[1] Nous adaptons à la franc-maçonnerie et à la communication en loge, les travaux de J. Cosnier et A.Brossard : « communication non verbale, co-texte ou contexte ? » in « La communication non verbale » chez Delachaux et Niestlé-Paris 1984. Page 26.

[2] La mise à l’ordre implique que le franc-maçon soit silencieux, immobile et aligné en regard de l’axe terre ciel qu’il incarne en sa qualité de médiateur.

[3] Ce geste se fait après les trois répétitions d’un claquement de main équivalant à un triple bravo en rythme, suivi du bras droit tendu en direction du centre de la loge puis enfin le Houzza(é) répété haut et fort a l’unisson par trois fois.

[4] Il ne s’agirait pas d’une synchronicité au sens linguistique, mais bien d’une diachornicité qui plutôt que de rechercher la pseudo-étymologie du « houzza » préfère définir le sens à partir de l’essence dans le contexte et le co-texte de la loge. On procède à l’ envers, par une ascension qui décolle du centre de l’homme et de l’éthique pour s’installer dans la métaphysique. Cette ascension dans l’axe nous permet de contextualiser la descente de l’essence dans le sens et donc de comprendre la structuration de la loge, mais aussi le passage du Verbe créateur à la Parole. La structure de la loge est bâtie autour d’un centre commun qui se superpose au groupe et au centre de chaque maçon. La superposition des centres est alors diachronique, permettant la remontée d’une communication langagière et non verbale vers l’essence même du langage. L’essence s’incarne dans le maçon qui prononce et mime le triple « Houzza(é) » scandé dans les trois niveaux de la descente ou de la remontée en imitation de l’arrivée de la parole au milieu des hommes.

[5] Les marqueurs d’appartenances sont ici la tenue portée par les francs-maçons et leurs positionnements sur les colonnes.

[6] Les marqueurs de situation seaient ici les grades signifiés par les couleurs des tabliers et par les fonctions représentées par les postes occupés et les insignes portés

[7] C’est la raison pour laquelle le maçon ne sait ni lire ni écrire, il ne sait qu’épeler.

[8] " Rouah Elohim " ... le souffle de Dieu. La Bible de Jérusalem utilise le terme de " vent " pour traduire " rouah ".Mais il est plus courant de lire " l'Esprit de Dieu " (traductions Segond, Sefarim, T.O.B. ou version du Semeur). Le terme grec " pneuma " utilisé dans la traduction des Septante désigne à la fois le souffle et l'esprit. N'est-ce pas ce souffle de Dieu qui va susciter la vie ? ... ce " souffle de vie " que Dieu décide ensuite d'anéantir en Genèse 6.17 : « Je vais faire venir le déluge d’eaux sur la terre, pour détruire toute chair ayant souffle (rouah) de vie sous le ciel. » (Traduction Segond)Puis Dieu se ravise : « Ils entrèrent dans l’arche auprès de Noé, deux à deux, de toute chair ayant souffle (rouah) de vie. » (Genèse 7.15) Sur le souffle dans l’homme : Genèse 2-7 « L'Eternel Dieu forma l'homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant. » dans le sens démiurgique, le poète Hésiode dans sa théogonie nous révèle que la mission confiée à Prométhée était de donner un souffle de vie à chaque créature, celle de son frère de les armer (griffes, défenses, crocs…)

 

[9] Nous retrouvons la notion de souffle dans les grades capitulaires du REP

[10] http://www.accordphilo.com/article-les-sens-du-mot-l-essence-du-mot-100434996.html

[11] Les premiers pictogrammes représentant le , figuraient un homme en prière, les bras levés vers le ciel en signe d'adoration ou de joie. On peut donc supposer que le rôle profond du , soit d'exprimer un cri de joie rituel, poussé vers tout ce qui dépasse et terrifie les créatures. Ceci expliquerait que le en tant que cri spontané, n'ait pas d'étymologie précise (voir : http://www.alephbeth.net).

[12] Melki veut dire Roi, sedek Sage.

[13] Dans ce sens lire http://www.alephbeth.net qui est notre référence pour ce passage.

[14] Voir notre étude sur « l’extension du domaine du réel »

[15] La vision illuminative pourrait se rapporter à la conscience éclairée originelle, le sens est alors une dérivée contingente de l’essence. L’acclamation célèbrerait cette essence, prémices au langage et à la nomination des choses et des êtres.

[16] Voir dans ce sens les rituels suivant les rites, du Maître Parfait Écossais (Éditions du Maçon) et du Maître Secret, etc.

[17] Le célèbre psaume 137 n’évoque-t-il pas la nostalgie des exilés (qui sont des « excentrés ») pour leur patrie perdue et ainsi leur appartenance à un centre spirituel ? « Comment chanterions-nous l’hymne de l’Éternel en terre étrangère ? Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite me refuse son service, que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens toujours de toi, si je ne place Jérusalem au-dessus de toutes mes joies ! », répondent les captifs à leurs geôliers babyloniens qui leur demandent de jouer sur leurs harpes des chants d’Israël. La paralysie de la langue et du bras droit signifiant la perte de la raison d’être, de la parole et de l’agir, soit une perte de « l’Orient ».

[18] « Jacques le Second par la grâce de Dieu, roi d'Angleterre, d'Écosse, de France et d'Irlande, défenseur de la Foi ». Tels sont ses titres, sachant que depuis Charles III les souverains Anglais revendiquent le trône de France. Celle-ci resta symbolique. Du reste on notera que cette revendication est plus mythique comme la légende des 4 royaumes irlandais dont le cinquième n’existait que par période. Ce cinquième royaume tiré de la légende était au centre des centres, le milieu rayonnant des quatre autres. Les souverains Écossais devaient se faire couronner sur la pierre de Scone dont la légende dit qu’elle venait d’Irlande.

[19] Voir sur la prononciation le mot schibboleth dans le Livre des Juges 12:4-6. Les Giléadites utilisent ce terme pour distinguer leurs ennemis Éphraïmites parmi les fuyards. Les Éphraïmites se trompant sur la façon de prononcer la lettre sin’, ils trahissaient leur non-appartenance au clan.

Partager cet article
Repost0
17 décembre 2016 6 17 /12 /décembre /2016 17:47

L’acclamation écossaise : Le souffle clanique et l’essence en partage

Bien des auteurs maçonniques ont écrit sur la signification de l’acclamation écossaise et ses différentes variantes. Leur démarche était de rechercher un sens lié à l’origine étymologique du mot. Nous constatons que ce mot est décliné en différentes écritures et prononciations dont personne ne peut garantir la conformité originelle. L’acclamation dite écossaise a de nombreuses variantes tant dans l’écriture que la prononciation.. Initialement rien ne garantissait la stabilité de la prononciation au sein du même rite, d’autant que le rituel était une notion non stable et orale. Notons que le rituel écrit de 1751 de la mère loge écossaise de Marseille adopta la rédaction « Huzzé »[1] ce qui ne garantit pas la prononciation d'origine. Ainsi on retrouve dans un « Lexique ou dictionnaire portatif des mots François » de 1750 la définition suivante : « UZZA ou HUZZA, adv, cri des Anglois qui répond au Vive le Roi des François. C’est un témoignage d’affection et d’applaudissement » .

Nous verrons que la figure centrale et axiale du Roi à une certaine importance dans l’acclamation, que le mot lui-même est l’expression d’un souffle vital originel et que la gestuelle associée vient confirmer le caractère ontologique et structurant de cette expression.

PREMIERE PARTIE :

I / Aperçu général

La transmission orale serait historiquement antérieure à l’écriture. La transcription d’un mot ou d’un son ou d’une onomatopée reste aléatoire et sujette à erreurs multiples.

L’expression traditionnelle ancienne est à l’évidence une expression typique avec son accent spécifique, appartenant à la tradition orale d'un terroir donné. Nous sommes alors face à une triple distorsion :

  • celle de la transcription écrite d’un son initial,
  • celle de la lecture et la prononciation de cette transcription conforme à l’originale,
  • et enfin celle de la connaissance spécifique de l’accent primitif originel, celui de la tradition orale du terroir considéré.

Nous sommes ici confrontés au syndrome de la « parole perdue[2] », recomposée puis redécouverte éternellement… Il faut donc en revenir à l’intention que porte cette acclamation depuis toujours.

a/ L’impression phonétique « in illo tempore »

Cette expression doit être mise en rapport avec l’apparition du Verbe et la verbalisation chez l’homme. .

Notre recherche englobera à la fois l’expression et la geste associée, ce qui nous fera dépasser une simple recherche étymologique qui est trop limitée. De plus il convient de rappeler au spécialistes du langage que la franc-maçonnerie inclut dans sa démarche initiatique un accès aux « Mystères » et qu’à ce titre le réel de l’initié est toujours plus large et plus profond qu’une simple apparence. De notre point de vue, la franc-maçonnerie développe au-delà des sens multiples donnés aux mots et aux signes, l’accès à l’essence de ceux-ci par des techniques de représentation mentale. Plus que l’étymologie, c’est donc la mise en scène du mot qui orientera le sens du mot vers son essence originelle.

Le hou serait un « o » soufflé de l’intérieur de soi et le « zzé » ou « zza » serait une finale de l’onomatopée comme une virgule, une inflexion finale, une graine plantée. Il nous est dit dans notre transmission qu’il s’agirait un souffle imitant « le souffle vital » des origines. Évidemment l’analyse qui suit n’a pas la prétention d’être un travail de linguiste, il s’agit de relater ici une impression phonétique associée à une transmission.

Ce souffle serait à rapprocher de l’«AUM » bouddhiste : une onomatopée pourvue d’essence et dénuée de sens concret. Il s’agirait dans les deux cas (écossais et bouddhiste) d’un mantra répétitif qui met l’homme au centre du tout et/ou dans la proximité de l’origine des temps. Le Houzzé dans son expulsion de l’intérieur de soi fait rapport au souffle premier insufflé dans l’homme et commun à tous les membres du clan réunis autour d’un centre traditionnel. Sur un plan plus large, il est fait référence à l’acte de création soit la fameuse parole, le logos rayonnant et vital des origines. Le « Houzza(é) serait donc une onomatopée, une imitation de la naissance du langage chez l’homme mythiquement exprimé avec l’arrivée du souffle en l’homme. Nous verrons que cette idée se renforce par la gestuelle dynamique et concentrique.

L’acclamation relaterait ainsi le souffle qui est en tout homme.

 

b/ L’origine du Verbe

« in principio erat verbum ». Selon la tradition, et par la descente du Verbe en verbe, la verbalisation première de l’homme aurait un rapport direct avec le Principe et son dérivé spirituel, le divin.

On remarque l’association de la triple acclamation à l’ouverture et à la fermeture des travaux en loge pour mieux marquer l’arrivée de la lumière en loge et en l’homme. Ce qui est acclamé c’est aussi l’arrivée de la lumière en loge et au milieu des hommes. La lumière illuminatrice ayant une dimension essentielle, alors l’acclamation qui se rattache à cette lumière reflète aussi une dimension essentielle.

Il est acquis que le travail en loge se situe hors du temps et dans un lieu sacré, celui de l’origine des temps où la lumière surgit des ténèbres. Nous sommes dans l’avènement du Verbe et du Logos qui ordonne. L’acclamation ne ferait que marquer cette présence initiale du verbe comme la naissance au plan humain d’un langage premier dans la proximité du divin.

L’humanisation serait liée à la communication verbale et non verbale sur un registre autre que les sens contingents. Le geste et la parole échangée fut-elle rudimentaire, de type onomatopée, signifient ensemble la reconnaissance de l’homme par l’homme et donc par voie de conséquence son appartenance a une communauté de vie et d’expériences initiatiques qui le distingue de l’animal. L’homme identifié au groupe entre dans son humanité en même temps qu’il découvre la transcendance et que l’idée divine s’élabore autour du foyer central. La Parole commune, identitaire est donc née autour du foyer qui scelle la destinée tribale. Cette parole en partage ne se limite pas au sens immédiat et utile, elle porterait en elle cet étonnement face à l’immensité de la voûte étoilée, son attirance pour le feu. La parole porte les noms et les nombres, la survie du groupe, mais aussi la légende de l’origine.

Le verbe en partage se ritualise s’ordonne et se hiérarchise à la veillée depuis les temps anciens . Autour du foyer central primitif, n’y a pas de verbe sans lumière. Lumière et verbalisation semblent liées dans l'émergence la conscience humaine, donc la parole a toujours une dimension essentielle qui relève du double mystère de la création et de la vie.

L’acclamation par sa nature rituelique « orientée » ne peut se réduire à un sens[3] restreint, car elle porte l’essence de la reconnaissance de l’homme par lui-même, point de départ de l’humanisation. L’acclamation se situerait aux prémices du langage de l’homme, celui des origines de sa conscience naissante, l’essence commune d’un ancien pré-langage. Rituellement conservé et agissant comme un mantra, ce pré-langage de l’origine deviendra para langage d’appartenance au même titre que le tablier ou la gestuelle d’un langage non verbal et initiatique.

c/ « orientation » de l’acclamation.

L’acclamation semble converger vers un centre invisible et pourtant commun à toute l’assemblée présente. Ce centre n’est pas un homme couronné et de droit divin comme au temps des rois, ce n’est donc pas vers cet orient horizontal de la lumière naissante[4] que doit aller l’acclamation, mais vers l’orient essentiel et céleste qui est l’axe reliant la loge au ciel[5]. On l’appelle Orient vertical ou Zénith. Cette convergence se fait au milieu du Hékal qui est le lieu où descend de l’étoile Polaire, le fil à plomb, le milieu du carré long du pavé mosaïque et du tableau de loge. L’origine et la diversité du vocabulaire du maçon en loge est résumée dans les éléments de langage (objets-symboles, instruments et outils) du tableau de loge du grade considéré. Ce tableau mis en commun constitue, en regard de la naissance du verbe, une véritable combinatoire du langage symbolique « éclairé » par trois lumières d’ordre. Cette combinatoire des éléments symboliques ici présents, permettant l’analogie « en partage » puis l’anagogie collective aboutissant à l’essence, qui scelle l’appartenance au groupe. L’acclamation centrée sur le tableau de loge scellerait le langage en essence qui aurait un rapport direct avec cet orient vertical et axial qui nous relie à l’immensité du ciel. Sans le groupe ou la tribu et donc sans la loge "formée" ce langage en essence serait sans fondement.

Il y aurait donc un triple aspect dans l’acclamation 1/ l’origine de la verbalisation, avec l'idée d'essence et de conscience, 2/ communication langagière d’appartenance à une même origine, 3/ la facilitation cognitive liée au geste qui vient renforcer l’essence du « Houzza »en indiquant un point de convergence en partage.

 

 

II/ Approche étymologique, historique et herméneutique.

Il nous semble que l’acclamation rituelle porte en elle une dimension qui dépasse les tentatives de traduction. Le parallèle qui peut être tenté se réfère à la langue hébraïque qui pour chacune des lettres attribue un nombre, un nom, et une image, les trois sens réunis constituant l’essence de la lettre. On nous dit[6] que HUZZA aurait un rapport avec l’élan vital collectivement partagé, car toute acclamation est une manifestation collective du souffle vital.

a/ La puissance de la vie

L’acclamation serait alors l’expression communautaire assortie d’une puissance évocatoire faisant référence à l’élan vital que nous avons en partage[7]. Cette fois ci le double Z de la transcription serait une césure dans le mot avec un suffixe ZE et une racine O’Z à rapprocher de ‘’Oza’’ signifiant ‘’force’’ et ‘’puissance’’, que l’on retrouvera dans la phonétique du mot BOOZ ou BOAZ[8] de la fameuse colonne qui veut dire au REP « persévérance dans le bien » ou « dans la force » et qui vient en réponse à JAKIN « ma force est en Dieu » ou « il établira ». L’idée de force, de puissance, et de persévérance dans le beau et le bien s’associent au plan humain et clanique comme l’élan vital en partage. Cet élan vital proviendrait du souffle divin.

b/ Le Sauveur

Alors cette acclamation serait un cri de l’âme individuelle propre à chacun, mais c'est aussi une croyance commune en la parole annonciatrice du « sauveur », fut-il Roi ou Roi en devenir. Ce Roi de la définition de 1750[9], incarne la dévolution divine de « l’élan vital » qui persiste dans la communauté des hommes quelque soit la fin individuelle et corporelle à venir. C’est ainsi que, partant au combat avant de rentrer dans la mêlée, les clans écossais invoquaient et appelaient leurs glorieux ancêtres à se joindre à eux dans la bataille. L’élan vital par ce cri de l’âme en partage, se faisant avec ceux qui étaient présents physiquement et les morts toujours présents « en esprit »[10].

On le retrouve exprimé en amont comme un cri d’appartenance, de liesse commune en ce jour des rameaux[11], lorsque Jésus pénètre en Jérusalem. C’est le Hochée dédoublé en Hosanna[12] qui incarne l’élan vital victorieux du « sauveur » ou du « messie ». Le Tuileur Delaunay de 1813 transforme le Uzza en Hochéa qui veut dire « Sauveur ».

c/ Le Roi

Dans le même sens, cet élan vital est signe d’appartenance commune à une même source : nous avons l’interprétation bien connue d’Albert Lantoine souvent cité par Robert Ambelain pour qui l’acclamation HUZZA par trois fois signifiait pour les Anglais « Vive le Roi » confirmant nos recherches dans le lexique de 1750 cité en introduction. Notons que le Roi est le sommet hiérarchique territorial humain, impliquant l’appartenance de ses "sujets" à un territoire. Sa couronne et son pouvoir sont de droit divin. L’acclamation au roi est donc une façon d’identifier l’appartenance de chacun à un groupe légitime et légal dans l’ordonnancement divin, garantissant a chacun sa dévolution vitale et son origine première, son récit commun. L’identification et l’individu n’existaient que reliés a un territoire et a son souverain. L’autonomie individuelle n’était que relative au groupe, à la caste, etc. Le Roi incarne la légende qui fonde « la vitalité » du groupe, l’histoire commune, les couleurs et marques d’appartenance. C’est encore l’aspect vital que nous retrouvons dans la traduction qui est faite dans le Vivat, Vivat Semper Vivat de certains rites et le rite français notamment.

d / La pratique Stuartiste.

Au bout du compte la pratique Stuartiste déclinera cette "appartenance commune" « acclamative » signifiée par l’élan vital du clan, en une "cause commune" de type « exclamatoire », puis une espérance commune de type « incantatoire ». Pour les Stuarts en exil, la polysémie de l’acclamation à pour centre de gravité la restauration du pouvoir légitime du roi sur son trône. Or nous sommes d’accord pour constater que le trône du roi se trouve au centre du palais. Le centre temporel issu d’un centre essentiel règne et gouverne sur l’ensemble des sujets soumis à son rayon (puissance) et qui se reconnaissent dans sa couronne. Un roi en exil a besoin de conforter sa légitimité par l’acclamation, le clan a besoin plus que jamais, de se raffermir avant le combat. Les Stuarts en exil vont entretenir l’esprit de corps propres aux loges régimentaires par l’acclamation. Il est bien connu que l’esprit de corps d’un groupe rejaillit sur l’état d’âme et l’état d’esprit de chacun ; l’acclamation joue un rôle majeur dans la cohésion du groupe. L’acclamation écossaise serait donc une technique ancestrale d’identification au groupe, portant dans une expression un condensé culturel et d'appartenance à un centre symbolique.

Tous les rituels du REP auront durablement une triple lecture ontologique, politique et chevaleresque. La voie initiatique reste l’école de la "connaissance" de soi, des origines, de la mémoire dans un cadre collectif. La Loge organise une représentation du réel et du contingent sur un plan symbolique. C'est cette représentation collective qui fait sens pour atteindre l'essence en partage par le symbole, c'est du moins l'hypothèse que nous voulons évaluer à travers notre approche de l'acclamation.

Nous y reviendrons dans une seconde partie.

(...)

Er.°. Rom.°.

 

[1] Les sept grades de la mère loge écossaise de Marseille, 1751. Ed Abatos-2008, préf Michel Iafelice.

[2] La parole est perdue si elle perd son essence sacrée. Une parole qui perd son essence ne relate plus l’origine de celle-ci, elle n’est que déformation et perte de reliance. La parole devient profane, elle est désacralisée, mais non dénuée de sens.

[3] Il nous semble que le sens qu’on veut bien lui trouver et que nous faisons l’effort de relater ne fait qu’amoindrir sa dimension essentielle, fondatrice et ontologique.

[4] Le midi plein de la conscience éclairée, ce qui indique "le sens" de "l’orientation" sur le plan.

[5] Le minuit plein de l’illumination intérieure qui révèlerait « l’essence » en vertu de l’axe et de l’étoile.

[6] Ceci résulte de nos transmissions.

[7] Cet élan vital en partage, est de même nature que la parcelle de lumière originelle que nous avons en nous.

[8] On remarquera que le O et le OA se confondent à nouveau dans la prononciation suivant les rites et les transcriptions dans les différents rituels. Il y a donc lieu dans ne pas s’arrêter au sens littéral de la transcription, mais de tenter de remonter à la source et de se rappeler qu’aucun mot sacré ou d’appartenance au sein de l’échelle initiatique de la franc-maçonnerie ne s’éloigne d’une dénomination du divin.

[9] Voir notre introduction.

[10] Nous retrouvons cet appel aux présents « en esprit » par l’invocation du nom de ceux qui sont passés à l’O.°. éternel, lors de la chaîne d’union.

[11] Il commémore deux événements : d'une part, l'entrée solennelle de Jésus à Jérusalem où il fut acclamé par une foule agitant des palmes et déposant des manteaux sur son passage, narrée par les quatre Évangiles ; d'autre part, la Passion du Christ et sa mort sur la croix. La foule en l’acclamant le reconnaissait comme « messie ».

[12] On remarque à nouveau la confusion potentielle du O et du A.

Partager cet article
Repost0
25 juin 2016 6 25 /06 /juin /2016 23:03

« La Crise du Monde Moderne » de René GUENON, notes de lectures

(Il s’agit ici de notes prises au cours de la lecture de "La Crise du Monde Moderne" de René Guénon. Ces notes peuvent aider à comprendre le sens général de l’œuvre mais n’ont pas pour but de résumer le livre ni de l’interpréter. Il s'agit d'en éclairer le sens, laissant à chacun ses impressions et commentaires.

La numérotation de pages correspond à l’édition parue chez Folio-essais 1994)

NOTES SUR L'AUTEUR

Né à Blois en novembre 1886.

1904 : Il s'installe à Paris pour préparer les concours aux grandes école (math. Spé.).

En parallèle, il s'intéresse aux mouvements occultistes.

1912 : Il se marie.

Il est reçu la même année en maçonnerie à la GLF puis, en islam, initié au soufisme et prend le nom d'Abdel Wahid Yahia « le serviteur de l'Unique ».

1916 : Diplôme d'études supérieures de philosophie consacré à Leibnitz et au calcul infinitésimal.

Fréquente Jacques Maritain et les milieux thomistes*.

* Thomiste ou adepte du thomisme qui est la doctrine de St Thomas d'Aquin :

Contrairement à l'idéalisme, le thomisme part de l'existence et non de l'essence.

La perception extérieure n'est pas considérée comme une construction de la conscience, mais comme l'appréhension d'une réalité atteignant Dieu non par son idée, mais à titre de cause de cette réalité.

(Dictionnaire de la Philosophie de Foulquié et Saint Jean)

Voue sa vie à la quête de la Connaissance ou Somme Métaphysique Traditionnelle.

Nombreuses publications consacrées à la Science cachée.

1925 écrit dans la revue « Le Voile d'Isis » qui devient « Études traditionnelles ».

1928 décès de sa femme. Il quitte Paris pour s'installer en terre d'islam.

1930 vit au Caire puis épouse en 1934 la fille d'un cheikh.

1951 (07 janv.) il décède.

L'oeuvre de René GUENON

Il a écrit 26 ouvrages et 350 articles réunis en 10 volumes.

Toute son œuvre critique la modernité, vise la restauration de la … civilisation traditionnelle :

« Une civilisation qui repose sur des principes au vrai sens du mot, où l'ordre intellectuel domine tous les autres... »

Il n'a de cesse de proclamer le déclin de l'Occident… depuis la Renaissance, l'oubli de la ...

Tradition (du latin traditio, action de transmettre, orale ou écrite de génération en génération)

– noyau originaire de toutes les métaphysiques, mythologies, religions de toutes les civilisations -

A la fin du cycle où nous nous trouvons (Age le plus sombre de l'Age de Fer, selon l'hindouisme), l'avenir passera par le relèvement de la Tradition nourri de l'art spirituel du sacerdoce et de la scolastique** thomiste de l’Église Catholique – organisation authentiquement traditionnelle - , de l'art royal de la maçonnerie – dépositaire de l'héritage médiéval - , de la rencontre des spiritualités d'Orient et d'Occident.

** Scolastique : Enseignement philosophico-religieux au Moyen-Age qui, à partir de St Thomas d'Aquin (1227-1274), emprunte les principes de la philosophie d'Aristote. (Dict. Philo. Cf. Ecole)

René Guenon demeure le grand inspirateur en France et à l'étranger, des penseurs de la Tradition.

NOTES de lecture:

AVANT-PROPOS

(p 16) Le terme de CRISE :

Crise : outre le sens donné habituellement, est aussi synonyme de jugement, discrimination.

(le terme vient du grec krisis, décision)

R.G. (René Guénon) entend toujours restituer aux mots la plénitude de leur sens, leur valeur originelle au travers de l'étymologie.

(p 18) Certains contemporains sentent confusément la fin imminente de quelque chose dont ils ne peuvent définir exactement la nature et la portée…

Cette fin n'est sans doute pas la « fin du monde », au sens total…, mais elle est tout au moins la fin d'un monde.

(p 18) Il semble que nous approchions réellement de la fin d'une époque ou d'un cycle historique qui peut être en correspondance avec un cycle cosmique, suivant ce qu'enseignent toutes les doctrines traditionnelles.

(p 20) Bien des indices permettent de dire que nous nous trouvons dans un « âge sombre » dont il s'agit de préparer la sortie, puisque bien des indices permettent d'entrevoir la fin imminente de cet « âge sombre ».

CHAPITRE PREMIER

L'AGE SOMBRE

(p 21) La doctrine hindoue enseigne que la durée d'un cycle humain, ou Manvantara, se divise en quatre âges qui marquent autant de phases d'un obscurcissement graduel de la spiritualité primordiale.

Ce sont ces mêmes périodes que les traditions de l'antiquité occidentale désignaient comme les âges d'or, d'argent, d'airain et de fer. Nous somme actuellement dans le 4ème âge, le Kali-Yuga ou « âge sombre », et, nous y serions depuis plus de 6000 ans.

Les vérités qui étaient autrefois accessibles à tous les hommes, sont devenues de plus en plus cachées et difficiles à atteindre. Si le trésor de la sagesse « non-humaine », antérieur à tous les âges, ne peut jamais se perdre, il s'enveloppe de voiles de plus en plus impénétrables…

(p 25) A l'intérieur de chaque grande période, ou dans chaque âge, on peut distinguer différentes phases secondaires. Ces subdivisions reproduisent sur une échelle plus réduite, la marche générale du cycle dans lequel elles s'intègrent….

R.G. mentionne enfin les dernières époques particulièrement critiques qu'a traversées l'humanité, période dite « historique », la seule accessible à l'histoire ordinaire ou « profane ». La dernière de ces époques critiques constitue ce qu'on nomme les temps modernes.

(p 25 - 26) La période « historique » remonte exactement au VI ème siècle av. J.C., comme s'il y avait dans le temps, une barrière qu'il n'est pas possible de franchir pour les chercheurs ordinaires.

A partir de cette date, on possède une chronologie bien établie, mais, pour ce qui est antérieur, on a en général seulement de vagues approximations, les dates proposées pour les mêmes événements varient souvent de plusieurs siècles, même pour des pays comme l'Egypte, et, même la Chine qui possède des annales datées (par des observations astronomiques) pour des époques bien plus éloignées… qui, néanmoins, restent qualifiées de « légendaires » par les modernes.

A vrai dire, l'antiquité « classique » n'est que toute relative, voire beaucoup plus proche des temps modernes que de la véritable antiquité, puisque elle ne remonte même pas à la moitié du Kali-Yuga, dont la durée, suivant la doctrine hindoue, n'est que la 10ème partie de celle du Manvantara.

(p 26 - 27) On peut donc juger de l'étendue des connaissances historiques des modernes qui considèrent ces périodes comme « légendaires ». Les modernes n'en tiennent pas compte… Aveu d'ignorance ? Incompréhension et dédain de la tradition ? Nous verrons que l'esprit spécifiquement moderne n'est rien d'autre que l'esprit antitraditionnel.

(p 27 - 30) Au VI ème siècle av. J.C., se produisirent des changements considérables chez presque tous les peuples.

En Chine, la doctrine primitivement constituée en un ensemble unique, fut divisée en deux parties distinctes :

- Le Taoïsme réservé à une élite et comprenant la métaphysique pure et les sciences traditionnelles d'ordre spéculatif.

- Le Confucianisme, commun à tous sans distinction, et, ayant pour domaine les applications pratiques et principalement sociales.

Les Perses ont eu une réadaptation du Mazdéisme, car cette époque fut celle du dernier Zoroastre*

* Zoroastre : Désigne non pas une personne, mais une fonction à la fois prophétique et législatrice. Cette fonction a pu avoir un caractère collectif comme celle de Vyâsa en Inde, de même en Egypte, ce qui fut attribué à Thot ou Hermès représente l'oeuvre de toute la caste sacerdotale.

Dans l'Inde, on vit naître le Bouddhisme qui devait aboutir dans certaines de ses branches à une révolte contre l'esprit traditionnel. En Inde, aucun monument ne remonte au-delà de cette époque, car les constructions antérieures étaient en bois et ont disparu (c'est pour la même raison qu'on ne retrouve aucun vestige des cités gauloises…). Un tel changement dans le mode de construction correspond nécessairement à une modification profonde des conditions générales d'existence du peuple chez qui il s'est produit.

Chez les Juifs, ce fut l'époque de la captivité de Babylone et, 70 ans furent suffisants pour leur faire perdre jusqu'à leur écriture, puisqu'ils durent ensuite reconstituer les Livres sacrés avec d'autres caractères.

Pour Rome, ce fut le commencement de la période « historique », succédant à l'époque « légendaire » des rois…

Les peuples celtiques virent aussi d'importants changements….

Pour la Grèce, ce fut le départ de la civilisation dite « classique », seule reconnue comme « historique » par les modernes. Il y a quelques raisons de penser (découvertes archéologiques,…) que la civilisation hellénique qui a précédé fut beaucoup plus intéressante intellectuellement.

Mais il a eu (contrairement au passage de l'Europe du Moyen Age à l'Europe moderne) au moins une réadaptation partielle effectuée dans l'ordre traditionnel, principalement dans le domaine des « mystères ». Il faut y rattacher le Pythagorisme, qui fut une nouvelle forme d'Orphisme avec des liens avec le culte delphique de Apollon hyperboréen, ce qui permet d'envisager une filiation régulière avec l'une des plus anciennes traditions de l'humanité.

(p 31) On prétend que Pythagore employa le premier le mot « philosophie ».

Étymologiquement, il ne signifie rien d'autre que « amour de la sagesse », soit, tout d'abord, une disposition préalable requise pour parvenir à la sagesse, puis, par extension naturelle, la recherche qui, naissant de cette disposition, doit conduire à la sagesse.

Ce n'est donc qu'un stade préliminaire, donc inférieur à la sagesse (Cf. aussi dans la doctrine taoïste l'état de l' « homme doué » et celui de l' « homme transcendant »).

Une déviation s'est produite, et, on a pris le degré transitoire pour le but même, substituant la « philosophie » à la sagesse.

Ainsi prit naissance la philosophie « profane », prétendue sagesse, purement humaine, donc simplement d'ordre rationnel. Cette « philosophie... » a pris la place de la sagesse traditionnelle, supra-rationnelle et « non-humaine ».

Néanmoins, à travers toute l'antiquité, l'enseignement des philosophes avait souvent un côté « exotérique » et un côté « ésotérique » (nous verrons les définitions plus loin), ce dernier permettant un rattachement à un point de vue supérieur.

Pour que la philosphie « profane » soit définitivement constituée, il a fallu que l' « exotérisme » seul demeure, en allant jusqu'à la négation de l' « ésotérisme », ce qu'ont fait les modernes en donnant une importance excessive à la pensée rationnelle, pour arriver jusqu'au « rationalisme ».

(p 33) L'Occident a connu une autre époque critique qui a été un redressement…

On fait parfois un parallèle entre la décadence du monde actuel et la décadence antique où la philosophie « profane » (scepticisme, « moralismes » stoïcien et épicurisme,…), les superstitions, etc... remplacent l'esprit traditionnel.

La civilisation gréco-latine prenait fin, et après la période troublée des invasions barbares, un ordre normal fut restauré par le Christianisme, pour quelques siècles, au moyen-âge.

(p 33 - 34) Le vrai moyen-âge, pour nous, s'étend du règne de Charlemagne (742 à 814) au début du XIV ème siècle, date où commence une nouvelle décadence qui ira jusqu'à nous.

Ainsi, il faut faire remonter l'époque moderne près de deux siècles plus tôt qu'on ne le fait d'ordinaire. La Renaissance (XV ème et XVI ème siècle) et la Réforme n'ont été possibles que par la décadence préalable ; loin d'être un redressement, elles consommèrent la rupture définitive avec l'esprit traditionnel, l'une dans le domaine des sciences et des arts, l'autre dans le domaine religieux !

(p 36) Désormais, il n'y a plus que la philosophie et la science « profanes », négation de la véritable intellectualité et limitation de la connaissance à l'ordre le plus inférieur, c'est à dire :

- étude empirique et analytique de faits qui ne se rattachent à aucun principe,

- dispersion dans une multitude indéfinie de détails,

- accumulation d'hypothèses sans fondement qui se détruisent incessamment les unes les autres,

- vues fragmentaires qui ne conduisent à rien, sauf à des applications pratiques, seule supériorité effective de la civilisation moderne.

Cette supériorité, en se développant, a étouffé toute autre préoccupation et a donné à la civilisation moderne le caractère purement matériel qui en fait une monstruosité.

(p 36 – 37) R.G. note comme « extraordinaire » la vitesse à laquelle la civilisation du moyen âge tomba dans l'oubli, au point que les hommes du XVII ème siècle n'en avaient plus aucune notion !

R.G. s'interroge sur les facteurs de ce changement si radical et sur une « volonté directrice » de « nature... assez énigmatique ».

Pourquoi, à un moment donné, présenter comme nouvelles des choses qui étaient connues depuis longtemps ? Par exemple, la prétendue invention de l'imprimerie que les Chinois connaissaient antérieurement à l'ère chrétienne, ou encore la découverte « officielle » de l'Amérique, avec laquelle des communications suivies avaient existé durant tout le moyen âge.

La légende qui fit du moyen âge une époque de « ténèbres », d'ignorance et de barbarie ne s'est pas accréditée d'elle-même. La falsification de l'histoire à laquelle les modernes se sont livrés n'a pas été faite sans idée préconçue...

(p 37 - 38) Un mot fut mis en honneur à la Renaissance : « L'Humanisme ».

Il s'agissait de tout réduire à des proportions humaines, de faire abstraction de tout principe d'ordre supérieur…. Se détourner du ciel… pour conquérir la terre.

En voulant tout ramener à la mesure de l'homme, pris pour une fin en lui-même, on a fini par descendre peu à peu au niveau de ce qu'il y a en celui-ci de plus inférieur.

Les doctrines traditionnelles indiquent que nous serions entrés dans la phase finale du Kali-Yuga, dans cet état de dissolution dont il n'est possible de sortir que par un cataclysme* , car ce n'est plus un redressement qui semble nécessaire, mais une rénovation totale.

* Cataclysme : Du grec kataklusmos, inondation... on pense bien sûr au Déluge.

(p 39) Le désordre et la confusion règnent dans tous les domaines.

On peut constater partout cette déchéance profonde que l'Evangile appelle « l'abomination de la désolation ».

Mais, la fin de l'ancien monde sera aussi le commencement d'un monde nouveau…

(p 40) Cependant, ce qui est anormal et désordonné à un certain point de vue, ne serait que la conséquence d'une loi se rapportant à un point de vue supérieur ou plus étendu…

(p 41) L'ultime phase du cycle serait l' « exploitation » de tout ce qui a été négligé au cours des phases précédentes. On constate en effet que, finalement, la civilisation moderne ne vit que de ce dont les civilisations antérieures n'ont pas voulu.

(p 42) La civilisation moderne, comme toute chose, a forcément sa raison d'être… Si elle est vraiment celle qui termine un cycle, on peut dire qu'elle est ce qu'elle doit être, qu'elle vient en son temps et en son lieu, … Selon la parole évangélique : « Il faut qu'il y ait du scandale ; mais malheur à celui par qui le scandale arrive ! »

CHAPITRE II

L'OPPOSITION DE L'ORIENT ET DE L'OCCIDENT

(p 43 - 44) Les civilisations que R.G. appelle normales ou traditionnelles, ne présentent entr'elles que des divergences superficielles et extérieures.

La civilisation occidentale devenue antitraditionnelle est en revanche en opposition fondamentale avec celle de l'Orient.

(p 45) Quand on s'en tient aux grandes lignes, l'Orient est resté traditionnel essentiellement par la civilisation chinoise, le Moyen Orient par la civilisation hindoue, le Proche Orient par la civilisation islamique.

(p 46) Aujourd'hui R.G. entend parler d' « esprit moderne » quand nous parlons d' « esprit occidental ». L'autre esprit s'étant maintenu en orient reste appelé par R.G. l' « esprit oriental ».

(p 47 - 48) A des époques communément dites « préhistoriques », la tradition primordiale est venue des régions hyperboréennes qui a été suivie de plusieurs courants.

Un de ces courants alla incontestablement de l'Occident vers l'Orient et a laissé des vestiges qui sont encore discernables. Dans l'état actuel des choses, le véritable esprit traditionnel et tout ce qu'il implique, n'a plus de représentants authentiques qu'en Orient… Car malheureusement, le « traditionalisme » occidental n'est pas la même chose que l' « esprit traditionnel ».

(p 49) Voyons le courant traditionnel venu des régions occidentales.

Les récits anciens évoquent l'Atlantide et sa disparition dans un des derniers grands cataclysmes. Des restes de sa tradition auraient été très probablement transportés dans diverses régions et se seraient mélés à d'autres traditions, principalement à d'autres courants de la grande tradition hyperboréenne. Un des produits de cette fusion pourrait fort bien être les doctrines des Celtes.

(p 51 - 52) Les éléments celtiques subsistants ont été pour la plupart, au moyen âge, assimilés par le christianisme (par exemple la légende du « Saint Graal »…). C'est pourquoi, en Occident, les restes de l'esprit traditionnel survivent dans le Catholicisme….

Rappelons ici que l'idéal catholique, au sens premier du terme se réfère au tout, à l'universel (du grec kata, selon et olos le tout, l'entier).

Si le christianisme à notre époque n'est plus guère compris dans son sens profond, R.G. répond qu'il a du moins gardé, dans sa forme même, tout ce qui est nécessaire pour fournir la base à une restauration de l'esprit traditionnel.

(p 53) En Occident, afin de revenir vers la tradition, seule une élite (Élite = ce qu'il y a de meilleur, ici intellectuellement) pourrait faire un travail d'adaptation sur les traditions orientales qu'elle peut assurément assimiler. Si une élite occidentale arrive à se former, la vraie connaissance des doctrines orientale lui sera indispensable pour remplir sa fonction.

(p 55 - 56) Dans la société occidentale et dans la confusion qui la caractérise, le mot « tradition » est appliqué à toutes sortes de choses, comme de simples coutumes, parfois même récentes. On retrouve aussi cet abus pour le terme de « religion »… et il n'est même pas sûr que les « traditionalistes » occidentaux sachent, même imparfaitement, ce qu'est la tradition au vrai sens du mot.

En aucun cas, le nom de tradition ne peut être donné à tout ce qui est d'ordre purement humain, à l'exemple de la « philosophie traditionnelle »… Une philosophie n'a aucun droit à ce titre parce qu'elle se tient tout entière dans l'ordre rationnel, même si elle ne nie pas ce qui la dépasse. La philosophie n'est qu'une construction édifiée par des individus humains, sans révélation ou inspiration d'aucune sorte, en un mot, elle est essentiellement « profane ».

Si on veut restaurer la tradition perdue, la revivifier, le contact avec l'esprit traditionnel vivant est nécessaire… il n'existe plus qu'en Orient.

(p 58) La connaissance des principes est la connaissance par excellence, la connaissance métaphysique au vrai sens du mot… La métaphysique* est la connaissance des causes premières et des premiers principes. Elle est donc dégagée des contingences individuelles qui, au contraire interviennent dès qu'on en vient aux applications. Il s'agit bien de partir de ce qu'il y a de plus élevé, c'est à dire des principes, pour descendre graduellement aux divers ordres d'applications**, en observant rigoureusement la dépendance hiérarchique qui existe entre eux… Ceci ne peut être réalisé que par une élite intellectuelle.

* Métaphysique ( Cf. Dict. de la Langue Philosophique de Foulquié et Saint Jean)

- Vient du grec « ta meta ta phusika… » sous entendu biblia, livres, soit les livres venant après les livres de physique. C'est le titre donné, d'après la place qu'ils occupaient dans la collection des œuvres d'Aristote (collection due à Andronicos de Rhodes au 1er siècle av. J.C.), aux quatorze livres constituant l'ouvrage que nous appelons Métaphysique. Ce mot a remplacé le terme aristotélicien de « philosophie première ».

- Devenu préfixe, « meta » a pris le sens de « au-delà » ou « au-dessus »

- Marque l'opposition à empirique, expérimental, positif : qui dépasse le domaine de l'expérience (des phénomènes), qui se situe au-delà. L'intuition ou expérience métaphysique atteint, au-delà du phénomène, le noumène, la chose en soi.

** Note du rédacteur : Cf. Par exemple le Deuteronome de l'Ancien Testament ?

(p 60) L'opposition de l'Orient et de l'Occident réside aussi dans le fait que le véritable Orient ne songe ni à attaquer ni à dominer qui que ce soit. Le véritable Orient ne demande rien de plus que son indépendance et sa tranquillité. Quant à l'Occident, il a en réalité besoin d'être défendu, mais, uniquement contre lui-même.

CHAPITRE III

CONNAISSANCE* ET ACTION

* Connaissance (Diction. de la Philosophoe de Foulquié et Saint Jean)

Le fait de connaître, d'être d'une certaine manière autre chose que ce qu'on est ; c'est devenir autre chose que soi

(J. Maritain).

Connaître, c'est exister en même temps. Ainsi, tout ce qui naît, esprit ou corps, co-naît selon son mode.

(p 63) R.G. évoque l'opposition entre l'esprit oriental et l'esprit occidental.

Cette opposition apparaît comme celle de la contemplation* et de l'action.

* Contemplation (Diction. de la Langue Philosophique de Foulquié et Saint Jean)

Dérive du latin cum, avec, et de templum, le temple.

Dans le domaine de la spiritualité, méditation dans laquelle l'âme est unie à Dieu par une vue de l'intelligence et une adhésion de la volonté toutes simples, avec exclusion de toute pensée discursive ou de toute multiplicité de représentations ou d'affections.

(p 64 - 65) Si la contemplation ou l'action peuvent dominer l'une sur l'autre… ce n'est que dans une apparente opposition, car elles se complètent en constituant la double activité intérieure et extérieure de l'Homme (individuel ou collectif).

(p 66 - 67) La contemplation est une attitude plus développée chez les Orientaux…

R.G. part du fait que la puissance spirituelle n'est pas basée sur le nombre, dont la loi est celle de la matière ; il affirme qu'en Occident, une élite intellectuelle constituée et reconnue, même restreinte, suffirait pour que tout rentre dans l'ordre.

(p 68 – 69) Sans imposer des conceptions étrangères, l'Orient pourrait aider l'Occident à retrouver sa propre tradition.

Pour les doctrines orientales, comme pour les anciennes doctrines occidentales, la contemplation est supérieure à l'action, … Car le principe de l'action se trouve lui-même dans la contemplation, synonyme de connaissance.

(p 70 – 71) Contrairement à l'agitation et au changement qui caractérisent le monde moderne dans son « action », R.G. est pour un changement intelligible, seulement si on part du principe dont il procède… Ce principe étant lui-même immuable (Cf… Aristote et le « moteur immuable »).

Pour ne pas se perdre dans l'action ou le changement qui enferment l'homme et le diluent dans une agitation stérile, un principe supérieur est nécessaire, une connaissance principielle ou métaphysique, immuable, car elle est essentiellement identification avec son objet…

(p 71 – 72) L'homme s'enfonce dans la multiplicité et la division de la matière au lieu de s'élever vers une spiritualité, vers des principes universels, vers l'unité, … vers Dieu. Au point que le mouvement et le changement sont recherchés pour eux-mêmes, … sans but en vue !

Dans l'ordre scientifique, c'est la recherche pour la recherche, plus que pour des résultats … qui demeurent partiels et fragmentaires.

(p 73) Le monde qui est en pur devenir, semble en exacte correspondance avec l'état d'esprit des hommes dont la réalité est ce même devenir… d'où la négation de l'immuable dont font partie les principes universels.

(p 75) Ne rien admettre d'autre que le « devenir » est une conception « naturaliste » qui nie le domaine métaphysique, c'est à dire, au-delà de la nature.

(p 76 – 77) R.G. fait remarquer que l'accès à la métaphysique qu'il appelle « intuition intellectuelle » est supra-rationnel. L' « intuition intellectuelle » est différente de l'intuition des philosophes contemporains, d'ordre sensible, ou infra-rationnel.

L'antiquité et le moyen âge ne vivaient pas dans dans le rationalisme jusqu'à Descartes où apparaît l' « individualisme », négation de toute faculté d'ordre supra-individuel.

Nier l'intuition intellectuelle est l'obstacle à la tradition ou à la rencontre avec les authentiques représentants des civilisations orientales.

CHAPITRE IV

SCIENCE SACREE ET SCIENCE PROFANE

(p 79) Nous venons de dire que, dans les civilisations « traditionnelles », l'intuition intellectuelle est au principe de tout, c'est à dire, que la pure doctrine métaphysique constitue l'essentiel auquel tout se rattache… institutions sociales, sciences…

(p 80) Les sciences traditionnelles sont incompatibles avec les sciences modernes.

La science principielle fait l'objet d'adaptations au domaine contingent. La doctrine métaphysique qui en est le principe a seulement une expression modifiée (traduction).

(p 81) Une science n'est pas seulement définie par son objet, mais aussi par le point de vue sous lequel l'objet est envisagé. Cette définition permet de percevoir des différences considérables entre sciences traditionnelles et sciences modernes.

(p 82) Par exemple, le terme de « physique » signifie « science de la nature » (Cf. étymologie), ou science qui concerne les lois les plus générales du « devenir » (« nature » et « devenir » sont synonymes). Les modernes ont employé le mot « physique » pour désigner exclusivement une science particulière parmi les autres, qui, toutes sont également des sciences de la nature.

(p 83) L'analyse rationnelle a poussé à la « spécialisation » en créant des sciences, conception qui rend impossible une unification, un rattachement à un principe supérieur.

(p 84 - 85) Dans la conception traditionnelle, les sciences sont rattachées aux principes comme autant d'applications particulières. La conception moderne rend les sciences indépendantes en niant tout ce qui les dépasse (positivisme, agnosticisme). La séparation des sciences de tout principe supérieur entraîne une dispersion dans le détail, faussement considérée comme un approfondissement.

(p 86) Du fait du rattachement à aucun principe, la science moderne manque de profondeur et de solidité ; elle ne part d'aucune certitude absolue, mais seulement d’hypothèses probables ou d'approximations.

(p 87) Les sciences traditionnelles se présentent comme des conséquences indubitables des vérités connues intuitivement, donc infailliblement dans l'ordre métaphysique.

(p 88) Toute l'activité humaine moderne est absorbée par l' « expérimentalisme »*, ce qui est « illégitime » car sans attachement à un principe supérieur et des valeurs spéculatives.

Ce qui est illégitime, c'est que ces choses absorbent toute l'activité humaine, ainsi que nous le constatons.

*« expérimentalisme » : Pour R.G. c'est le développement abusif des sciences expérimentales, sciences du monde sensible et de la matière, sciences des applications pratiques immédiates, au point de négliger les connaissances d'ordre supérieur.

(p 89) Les sciences modernes représentent en fait des « résidus » de sciences anciennes aujourd'hui incomprises à l'exemple de...

- l'Astrologie et de l'Astronomie.

(p 90) Autrefois, et depuis les Grecs, ces deux mots désignaient une science unique. Aujourd'hui, on ne sait plus ce que pouvait être l'Astrologie ancienne, parce que le côté le plus matériel, soit l'Astronomie, s'est développé.

- l'Alchimie et la Chimie

(p 91) L'alchimie est essentiellement une science cosmologique applicable à l'ordre humain suivant l'analogie du macrocosme et du microcosme… dans l'idée d'une transposition dans le domaine spirituel… ses enseignements avaient une valeur symbolique et une signification supérieure… une des sciences traditionnelles les plus complète. La chimie n'est qu'une « déviation » au sens rigoureux du terme, de l'alchimie.

(p 92) La Psychologie, aujourd'hui, est l'étude des phénomènes mentaux comme tels, produit naturel de l'empirisme anglo-saxon et de l'esprit du XVIIIe siècle… un produit si négligeable dont les anciens n'auraient jamais pensé faire une science. Dans la tradition, tout ce qu'il peut y avoir de valable dans la « psychologie » a été transformé et assimilé dans des points de vue supérieurs.

Les mathématiques modernes n'ont que le côté « exotérique » de la mathématique pythagoricienne… L'idée ancienne des nombres, sa valeur proprement intellectuelle, a totalement disparu du monde moderne.

(p 93 - 96) Une science traditionnelle est un prolongement de la doctrine, essentiellement constituée par la métaphysique.

Il y a un double intérêt d'une science traditionnelle :

- Elle reflète la connaissance principielle dans un domaine contingent, comme une application de la doctrine.

- Elle conduit à une connaissance plus haute, vers la connaissance principielle.

Les sciences traditionnelles sont bien rattachées aux principes métaphysiques, elles sont incorporées à la « science sacrée ».

La « philosophie profane », par exemple dans l'antiquité grecque, aurait eu comme point de départ, soit la connaissance des principes, soit au contraire la connaissance du monde sensible. Cette question ne se pose pas pour la « science sacrée » qui ne peut partir que des principes universels, avec le rôle de l'intuition intellectuelle, indépendante de toute faculté d'ordre sensible ou rationnel.

(p 97) Le principe de connaissance des ordres supérieurs par analogie ou correspondance avec les ordres inférieurs… confère à toute science un sens anagogique* ou sacré.

* anagogique, du grec ana = vers le haut et de agogué = action de conduire.

(p 98) Les « arts traditionnels », comme les « sciences traditionnelles », sont également inconnus des occidentaux modernes. L'art des constructeurs du moyen-âge est un exemple remarquable de ces « arts traditionnels » dont la pratique exigeait la connaissance réelle des sciences correspondantes.

En fait, dans le domaine des sciences, il n'est pas de « domaine profane » qui s'opposerait au « domaine sacré », car le « domaine profane » n'est que le point de vue de l'ignorance…

Une des sciences les plus sacrées, la cosmogonie, trouve sa place dans tous les Livres inspirés, y compris la Bible hébraïque. La cosmogonie est devenue, pour les modernes, l'objet des hypothèses les plus purement « profanes »… ainsi, le domaine de la science est bien le même dans les deux cas, mais le point de vue est totalement différent.

(p 99) La « science profane** » est un savoir ignorant de toute fin supérieure à lui-même, …

… enfermée dans un domaine relatif et borné où elle se proclame indépendante, coupée de la connaissance suprême.

** profane, du latin profanum, qui est devant (pro) le « fanum » (lieu sacré, temple), et non à l'intérieur. Dans le cas de la « science profane », il s'agit d'une connaissance qui reste extérieure au « Temple » de la connaissance traditionnelle.

La science moderne procède d'une limitation de la connaissance, assimilant l'intelligence pure ou « intuition intellectuelle » à la raison.

(p 100) La racine de la déviation de la science humaine est l' « individualisme », c'est à dire la négation de tout principe supérieur à l'individualité… réduction de la civilisation dans tous domaines, aux seuls éléments purement humains.

CHAPITRE V

L'INDIVIDUALISME

(p 101) Définition : Ce que nous entendons par « individualisme », c'est…

- La négation de tout principe supérieur à l'individualité, et, par suite, ...

- La réduction de la civilisation dans tous les domaines aux seuls éléments purement humains.

(p 102) Seul le monde moderne a constitué une civilisation édifiée sans principe, sur quelque chose de purement négatif, où l'individualisme est à l'opposé de toute spiritualité ou intellectualité vraie.

(p 103) Les philosophes abordent une « pseudo-métaphysiques » qui est du domaine physique (la nature). Ils posent des problèmes bien plus que de les résoudre, besoin désordonné de recherche pour elle-même. Chez les artistes comme les philosophes, le désir d'originalité, de renommée obère le désir de vérité vraie.

Note du rédacteur : On ne peut s'empêcher de penser à des « philosophes » comme …

- Sartre (L' « existentialisme athée »), …

- Bernard Henri Lévy et ses interventions calamiteuses dans le domaine politique (Voir récemment en Lybie…) et à

- Tous les donneurs de leçons que nous subissons au travers des média.

(p 104) Dans une civilisation traditionnelle, un homme ne saurait être propriétaire d'une idée, car une idée ne peut être « nouvelle », elle n'est pas un produit de l'esprit humain, elle existe en dehors de nous. Nous avons seulement à la connaître.

R.G. prend l'exemple des « pragmatistes » modernes qui nomment « vérité » ce qui est l'utilité pratique.

(p 105) L'individualisme a réduit l'intelligence en mettant la raison au dessus de tout.

Même la raison dans son aspect spéculatif a été rabaissée au profit du côté pratique.

L'individualisme mène au « naturalisme », puisque tout ce qui est au-delà de la nature est considéré hors d'atteinte de l'individu (comme tel). Il n'y a plus que de la « pseudo-métaphysique » possible.

(p 106 - 107) Certains philosophes reconnaissent l'impossibilité de bâtir une métaphysique, d'où des dérives comme le « relativisme », l' « évolutionisme », l' « intuitionisme » bergsonien…

Quand existait une connaissance supérieure, la philosophie respectait ce qu'elle ignorait et ne pouvait le nier. Une fois disparue, la négation de fait de cette connaissance fut érigée en théorie d'où procède la philosophie moderne. Cependant, la philosophie reste intéressante car elle exprime les tendances du moment, plutôt qu'elle ne les crée. Elle dirige ces tendances dans une certaine mesure.

(p 108) Un mouvement tel que le cartésianisme est toujours une résultante plutôt qu'un point de départ. Il faut rechercher les racines de la rupture avec la tradition en remontant jusqu'au XIVème siècle, en passant par la Renaissance et la Réforme.

(p 109) Les sciences traditionnelles du moyen-âge étaient réservées à une élite, constituant un « ésotérisme* » au sens strict. La partie extérieure commune à tous était une tradition spécifiquement religieuse, le catholicisme.

* Esotérique , du grec esoterikos, qui est à l'intérieur, par opposition à exoterikos, qui est à l'extérieur… L'ésotérisme, par définition, se situe à l' « intérieur » d'un cercle d'initiés, ici, une élite.

(p 110 -113) La révolte contre la tradition s'est appelée le Protestantisme.

Rejetant toute autorité spirituelle légitime pour une interpréter la tradition religieuse, le Protestantisme substitua le « libre examen » ou interprétation libre… laissée aux ignorants. Cette interprétation fondée sur la raison humaine, a été la porte ouverte à toutes les divergences : « moralisme », « sectes », « religiosités », « expérience religieuse », appel au « subconscient », spiritisme,…

Le Protestantisme ne reconnaît d'autre autorité que celle des Livres sacrés, mais avec l'esprit de négation qui l'anime, il a grandement contribué à la destruction de cette autorité…

(p 114) … car l'autorité des Livres sacrés soumise au « libre examen », s'oppose à une conservation de la doctrine. Cette conservation suppose un enseignement traditionnel pour maintenir une interprétation orthodoxe, celle de l'enseignement du Catholicisme.

Dans le catholicisme seul, persiste ce qui subsiste d'esprit traditionnel. Mais il s'agit d'une conservation à l'état latent. Il faudra être capable de retrouver le sens de la tradition.

(p 115 -116) Dans l'Occident, hors du monde religieux, il existe beaucoup de signes et symboles issus d'anciennes doctrines traditionnelles. Un contact avec l'esprit traditionnel vivant est nécessaire pour les comprendre. En cela, l'Occident aura besoin de l'Orient pour restaurer la compréhension perdue.

(p 117 - 118) Aujourd'hui, la plupart des catholiques ont minimisé l'influence de la religion sur l'existence. S'ils comprenaient la religion, pourraient-ils lui faire une place aussi médiocre dans leurs préoccupations ? La doctrine est oubliée ou réduite à presque rien, ce qui se rapproche de la conception protestante.

En l'absence d'enseignement orthodoxe, le paradoxe consiste à discuter de la doctrine sur un terrain « profane ». Alors on s'égare, on parle de morale…

(p 119) L' individualisme introduit partout la discussion, et, en ne dépassant pas l'ordre rationnel, en ne faisant appel à aucun principe supérieur, en soutenant indéfiniment le « pour et le contre », ne parvient à aucune solution, car il est des choses qui par leur nature même, ne peuvent pas se discuter.

(p 120 - 121) L'attitude « apologétique* » (discuter « le pour et le contre », …), terme dérivé d' « apologie » ou plaidoyer d'un avocat, est extrêmement faible, car défensive (Cf. aussi le terme anglais apologize = excuser). L' « apologétique » est incontestablement un recul de l'esprit religieux. L' « apologétique » elle même dégénère en discussions toutes « profanes » où la religion est placée au même plan que les théories (pseudo)scientifiques.

* Apologétique (Petit Larousse) En théologie, ce qui a pour objet de montrer la crédibilité du dogme.

(p 121 - 122) Pour parler au nom d'une doctrine, il faut être qualifié et, il ne s'agit pas de « discuter » ou de « polémiquer », mais seulement de l'exposer à ceux qui peuvent la comprendre, faire apparaître l'erreur là où elle se trouve, en projetant la lumière de la vraie connaissance. Ainsi, il n'y a pas de lutte à engager où on compromet la doctrine, mais seulement le fait de porter un jugement infailliblement inspiré par les principes. Il s'agit d'être le « moteur immobile » qui dirige le mouvement sans y être entraîné…

… la connaissance éclaire l'action sans y participer…

… le spirituel guide le temporel sans s'y mêler.

Tel est l'ordre hiérarchique universel.

Tandis que dans le monde moderne, c'est l'inférieur qui juge le supérieur, l'ignorance qui impose des bornes à la sagesse, l'erreur qui prend le pas sur la vérité, l'humain qui se substitue au divin, la Terre qui l'emporte sur le Ciel.

CHAPITRE VI

LE CHAOS* SOCIAL

* Chaos : vient du même mot grec, gouffre, abîme, ténèbres et… chaos.

Abîme venant lui-même du grec abussos, sans fond (fr. abysse)

(p 123 – 124) Ainsi, dans le monde occidental, nous avons vu que personne ne se trouve plus à la place qui lui convient.

L'accession à des fonctions au sein de la société n'est plus soumise à des règles « légitimes »… car le seul facteur qui devrait compter, ce sont les différences de nature qui existent entre les hommes. La caus du désordre est la négation de ces différences, entraînant la négation de toute hiérarchie sociale (ce qui aurait causé la suppression des « castes »).

(p 125) Cette négation a été érigée en pseudo-principe sous le nom d'égalité.

Or l'égalité ne peut exister, comme si deux êtres distincts pouvaient être en même temps semblables sous tous rapports. Imposer une uniformité est une idée chimérique à l'exemple de l'enseignement identique distribué à tous . Dans cet enseignement, il s'agit plus d'apprendre que de comprendre… la mémoire est substituée à l'intelligence… On aboutit encore à la « dispersion ».

(p 126 - 127) Les « dogmes laïques » ont été formulés comme, « égalité », « progrès »,… Ils ont été formulés à partir du XVIIIème siècle. Ce sont de vraies « suggestions** » qui ont produit leur effet dans un milieu déjà préparé. Elles sont entretenues par ceux qui ont quelque intérêt à maintenir le désordre. Dans un temps où on veut tout soumettre à la discussion, ce sont les seules choses qu'on ne se permet jamais de discuter….

** Suggère (Dictionnaire de la Langue Philosophique de Foulquié et St Jean)

Du latin suggerere, porter ou amener sous, soit « sub », en dessous, c'est à dire avec une nuance de furtivité.

Présenter une idée… de façon que celui qui l'adopte ne se sente pas influencé.

A l'origine de tout cela, il faut une action consciente, une direction venant d'hommes qui savent parfaitement les idées qu'ils lancent. Il s 'agit de « pseud-idées » destinées à provoquer principalement des réactions sentimentales, moyen le plus efficace pour agir sur les masses.

Note du rédacteur : On pense ici à l'ouvrage de Wilhelm Reich « La psychologie de masse du fascisme ».

(p 128) Dans les procédés de suggestion, le phénomène du « verbalisme », où la sonorité des mots suffit à créer l'illusion de la pensée, est utilisé par les orateurs comme un procédé (de suggestion) comparable à ceux des hypnotiseurs…

Note du rédacteur :

Pour s'en « convaincre », il suffit d'écouter un enregistrement d'un discours en public de Hitler...

(p 130) Sur les dogmes laïques on a élaboré la démocratie…

L'argument le plus décisif contre la « démocratie » se résume ainsi :

Le supérieur ne peut émaner de l'inférieur… traduire par...

Le peuple ne peut conférer un pouvoir qu'il ne possède pas lui-même…

Le pouvoir ne peut être légitimé que par la sanction de quelque chose de supérieur à l'ordre social, c'est à dire, d'une autorité spirituelle.

A l'origine du désordre et de la confusion, se trouve le renversement de toute hiérarchie, le pouvoir temporel voulant se rendre indépendant de l'autorité spirituelle… à l'exemple de la royauté française depuis le XIVème siècle,... ce qui a mené à la Révolution.

La démocratie est définie comme le gouvernement du peuple par lui-même,… ce qui est impossible (Cf Aristote). Ainsi, par l'illusion du « suffrage universel », c'est l'opinion de la majorité qui est supposée faire la loi.

(p 132 - 133) Sachant que l'opinion peut toujours être modifiée, par exemple par la suggestion, créant jusqu'à des courants (d'opinion) allant dans un sens déterminé. Ainsi, les vrais artisans de ces courants ne sont pas toujours les dirigeants apparents.

Remarque du rédacteur :

On pense ici à la « Young Génération » dont sont issues certaines personnalités politiques et autres, personnalités « dociles », qui sont propulsées sur le devant de la scène, acquis à des intérêts purement « exotériques ».

Aussi, l'incompétence des politiques les plus en vue semble n'avoir qu'une importance relative… Les politiques incompétents apparaissent comme l'émanation de la majorité, toujours elle-même constituée par les incompétents.

(p 133) L'avis de la majorité est l'expression de l'incompétence qui vient du manque d'intelligence ou de l'ignorance de cette majorité. De plus, en psychologie collective, il faut savoir que la résultante des réactions mentales d'une foule n'est pas au niveau d'une moyenne, mais à celui des éléments les plus inférieurs.

(p 133 -134) Les philosophes de la théorie démocratique font valoir le « consentement universel » comme « critérium de la vérité »… consentement qui ne peut se réduire qu'à celui du plus grand nombre … et en milieu très limité dans l'espace et le temps.

Côté politique, ce sont les impulsions émotives qui sont un obstacle à la compréhension, ce dont les hommes politiques tirent parti.

(p 134 - 135) Les gouvernements tirent leur justification de la « loi du plus grand nombre », celle de la matière et de la force brutale, celle de la masse entraînée par son poids qui écrase tout sur son passage. Le monde moderne proclame ainsi la suprématie de la multiplicité, suprématie qui n'existe que dans le monde matériel. Dans le monde spirituel, dans l'ordre universel, c'est au contraire l'unité qui est au sommet hiérarchique, car elle est le principe dont sort toute multiplicité.

La multiplicité, identifiée à la matière, exerce cette force descendante et compressive qui limite de plus en plus étroitement l'être.

(p 136) En dehors de son principe, la multiplicité ne peut plus être ramenée à l'unité. Dans l'ordre social, la collectivité est conçue comme une somme arithmétique des individus… la loi du plus grand nombre est fondatrice de la « démocratie ».

(p 137) S'il existe des conflits sociaux, ce n'est point entre la collectivité et l'individu (puisque la collectivité est la somme des individus, donc ne peut être opposée à ceux-ci). Ces conflits, ne sont pas entre l'individualisme et quelque chose d'autre, mais entre des variété multiples d'individualismes… On revient vers la division et le chaos.

(p 137 - 138) L'idée démocratique s'oppose à l' « aristocratie » dans son sens étymologique, le pouvoir de l'élite,… sachant qu'une élite véritable ne peut être qu'intellectuelle. L'existence et le rôle de cette élite intellectuelle sont incompatibles avec la conception « égalitaire » de la démocratie. C'est pourquoi la démocratie s'instaure là où l'intellectualité n'existe plus.

(p 138 – 139) Dans la réalité, l'égalité étant impossible, la démocratie invente de fausses élites. Ce type d' « élite » est fondé sur la distinction sociale par la fortune, supériorité quantitative, seul critère conciliable avec la « démocratie », car celle-ci procède du même point de vue.

(p 139) Dans le domaine social, comme dans tous les autres, la restauration de l'intellectualité, et, forcément d'une élite, est nécessaire pour sortir le monde du chaos.

(p 140 - 141) L'élite véritable n'aurait pas à intervenir directement dans tel ou tel domaine relatif, social ou autre, ni à se mêler à l'action extérieure. L'élite dirigerait tout par une influence insaisissable au vulgaire, mais profonde car moins apparente.

Nous avons parlé de la puissance des suggestions qui ne supposent aucune intellectualité véritable. On peut soupçonner ce que serait la puissance d'une influence intensifiée par la concentration dans l'unité principielle. Cette influence s'identifierait à la force de la vérité.

CHAPITRE VII

UNE CIVILISATION MATERIELLE

(p 143) Les Orientaux ont pleinement raison lorsqu'ils reprochent à la civilisation occidentale moderne de n'être qu'une civilisation toute matérielle.

(p 144 - 145) - Définition du « matérialisme » -

- Ce mot ne date que du XVIIIème siècle. Il fut inventé par le philosophe Berkeley pour désigner toute théorie qui admet l'existence réelle de la matière.

- Un peu plus tard, ce mot prend un sens plus restreint, celui qu'il a gardé depuis lors :

Il caractérise une conception suivant laquelle il n'existe rien d'autre que la matière et ce qui en procède. Cet état d'esprit consiste à donner plus ou moins consciemment la prépondérance aux choses de l'ordre matériel et aux préoccupations qui s'y rapportent, que ces préoccupations gardent encore une certaine apparence spéculative ou qu'elles soient purement pratiques.

(p 145) Toute la science « profane » de ces derniers siècles est enfermée dans le monde sensible, et, les méthodes « scientifiques » ne sont applicables qu'à ce seul domaine. Ces méthodes nient toute science qui ne se rapporte pas à des choses matérielles.

(p 146 - 147) Le plus redoutable dans ce déni, est l'indifférence, car, pour contester ou nier quelque chose, il faut encore y penser… C'est le résultat d'une science exclusivement matérielle, présentée comme seule science possible.

Certains se font quelque idée d'un autre monde et se le représentent sur le modèle terrestre, avec ses conditions d'existence, y compris l'espace et le temps. Ainsi, l'intervention de la seule imagination montre l'incapacité de l'Occident à s'élever au-dessus du sensible. Certains philosophes, tel Kant, vont jusqu'à déclarer « inconcevable » ou « impensable » tout ce qui n'est pas susceptible de représentation. Ainsi, le « spiritualisme » ou « idéalisme », n'est souvent qu'un matérialisme transposé.

(p 148 - 149) Le spiritualisme n'est pas la spiritualité… la philosophie oscille entre matérialisme et spiritualisme sans pouvoir les dépasser… sans pouvoir se placer à un point de vue supérieur.

Les modernes ne conçoivent pas d'autre science que celle des choses qui se mesurent, ce qui est une propriété inhérente à la matière ; penser que cette propriété s'étend à tout ce qui existe, revient à matérialiser toute chose.

(p 149 – 150) « Réalité » est un terme aujourd'hui réservé à la seule réalité sensible.

Ainsi, tout ce qui ne tombe pas sous les sens est « irréel », c'est à dire illusoire ou même inexistant. A l'exemple de la réduction des prétendues convictions religieuses de bien des gens qui minimisent la religion, jusqu'au dernier dogme qui est le « verbalisme » (Cf. plus haut).

(p 151) Certains croient à la valeur spéculative de la science moderne, mais les préoccupations sont pratiques et la philosophie est le « pragmatisme », dernier degré d'abaissement… c'est aussi la philosophie du « bon sens » qui ne dépasse pas l'horizon terrestre.

Pour le « bon sens », il n'y a surtout pas de connaissance qui ne vienne autrement que des sens.

(p 152 - 153) Dans tout cela, il ne reste pas de place à l'intelligence, sinon celle qui consent à s'asservir, devenant « un outil à faire des outils » (Bergson), « pragmatisme » sous toutes ses formes avec une indifférence totale à l'égard de la vérité.

Les modernes ont borné les ambitions intellectuelles modernes et sont devenus de véritables « outils » (ou machines) eux mêmes. Bien différents des artisans d'autrefois, les spécialistes ne sont plus que les serviteurs des machines au service de la production matérielle. Industrie, commerce, finances, semblent seuls compter dans l'existence des peuples.

(p 154) Nos contemporains sont persuadés que les circonstances économiques sont à peu près les seuls facteurs des événements historiques ; ils s'imaginent même qu'il en a toujours été ainsi. On a même inventé le « matérialisme historique », théorie qui veut tout expliquer par là. Peut-on voir ici encore l'effet d'une de ces suggestions dont nous avons déjà parlé ?

Pour mener la masse sociale, il suffit de disposer de moyens purement matériels, le dernier degré d'abaissement…. tout en faisant croire à cette masse qu'elle agit spontanément et se gouverne elle-même. Le fait qu'elle puisse le croire indique un haut degré d'inintelligence !

(p 155) L'Occident vit dans l'illusion d'une entente avec les peuples sur le terrain des échanges commerciaux. C'est l'effet contraire qui se produit, et, si l'orient se résigne à entrer en concurrence économique avec l'Occident, c'est pour se protéger, s'armer.

(p 156 - 157) Les guerres n'ont jamais fait autant de ravages, et, outre les armes toujours plus destructrices, ce sont les « nations armées » qui s'affrontent. Circonstance aggravante, il n'y a plus l'arbitrage d'une autorité spirituelle qui, par sa nature, est au dessus de tout conflit politique.

(p 158 – 159) Considérant encore le développement matériel, un parallèle entre avantages et inconvénients serait probablement négatif. Sans considérer des inventions à but léthal, on constate que le progrès matériel est une cause de catastrophes dans l'ambiance terrestre. C'est peut-être par là que le monde moderne se détruira lui-même, s'il ne s'arrête pas dans cette voie.

R.G. pose la question des prétendus « bienfaits » d'un progrès tout matériel, pour le « bien-être » . Ce bien-être, même atteint, ne vaut pas la peine qu'on lui consacre tant d'efforts. Tous les hommes n'ont pas les mêmes goûts ou besoins, et, certains voudraient échapper à l'agitation moderne, mais ne le peuvent plus.

(p 160 - 161) Singulière époque que celle où tant d'hommes se laissent persuader qu'on fait le bonheur d'un peuple en l'asservissant, en lui enlevant ce qu'il a de plus précieux, c'est à dire sa propre civilisation, en l'obligeant à adopter des mœurs et des institutions qui sont faites pour une autre race, et en l'astreignant aux travaux les plus pénibles pour lui faire acquérir des choses qui lui sont de la plus parfaite inutilité !

il est inadmissible que celui qui ne s'agite pas et qui ne produit pas matériellement ne peut être qu'un « paresseux » ; sans même parler à cet égard des appréciations portées couramment sur les peuples orientaux, il n'y a qu'à voir comment sont jugés les ordres contemplatifs, et cela jusque dans des milieux soi-disant religieux. Dans un tel monde, il n'y a plus aucune place pour l'intelligence ni pour tout ce qui est purement intérieur, car ce sont là des choses qui ne se voient ni ne se touchent, qui ne se comptent ni ne se pèsent ; il n'y a de la place que pour l'action extérieur sous toutes ses formes, y compris les plus dépourvues de de toute signification.

Cependant, ceux qui mettent leur idéal dans le « bien-être » matériel, sont-ils plus heureux qu'autrefois ?

(162 - 163) Alors que la civilisation moderne crée plus de besoins qu'elle ne peut en satisfaire, et des luttes où les plus « forts » ont seuls le droit d'exister,… où les plus démunis se révoltent car ils sont confronté aux inégalités, contrairement aux théories égalitaires qu'on leur a « suggérées »…

Il est dit dans l'Evangile :

« Celui qui frappe avec l'épée périra par l'épée »…

... celui qui déchaîne les forces brutales de la matière périra écrasé par ces mêmes forces, dont il n'est plus maître… forces de la nature ou forces des masses humaines… ce sont toujours les lois de la matière qui entrent en jeu et qui brisent inexorablement celui qui a cru pouvoir les dominer sans s'élever lui-même au dessus de la matière.

Et l'Evangile dit encore :

« Toute maison divisée contre elle-même s'écroulera » …

... cette parole aussi s'applique exactement au monde moderne, avec sa civilisation matérielle, qui ne peut, par nature même, que susciter partout la lutte et la division.

(p 164 - 165) Sans changement radical, on peut prédire une fin tragique à ce monde…

Certains éléments constituent une atténuation du matérialisme. Ils ne sont pas philosophiques comme le « spiritualisme », etc. Dans le monde occidental, c'est dans l'ordre religieux qu'on trouve des restes de spiritualité véritable ; ces restes sont à l'état latent… Il faut néanmoins admirer la vitalité d'une tradition religieuse qui persite en dépit des siècles d'effort pour anéantir cette tradition. R.G . voit dans cette résistance l'implication d'une puissance non « humaine ». Il est vrai qu'aucune conciliation entre esprit religieux et esprit moderne n'est possible, ce dernier ne voulant que la destruction de ce qui reflète une réalité supérieure à l'humanité.

(p 166 - 167) On dit que l'Occident moderne est chrétien, mais c'est une erreur, l'esprit moderne est antichrétien car, plus généralement, il est antitradition. Mais une rupture, même radicale, avec le passé, n'est jamais complète. R.G. affirme que tout ce qu'il y a de valable dans le monde moderne est venu du Christianisme, ce dernier ayant apporté avec lui tout l'héritage des traditions antérieures.

Cependant, R.G. pose la question : Où sont, même dans le catholicisme, les hommes qui connaissent le sens profond de la doctrine qu'ils professent extérieurement ? On peut espérer que que l'Occident redeviendra chrétien… (avec l'aide de tels hommes ?). Ce jour là, le monde moderne aura vécu.

CHAPITRE VIII

L'ENVAHISSEMENT OCCIDENTAL

(p 169 - 170) R.G. ne cache pas la gravité du fait que le désordre semble gagner l'Orient. Jusqu'ici, les effets étaient limités au domaine politique et économique. Mais des Orientaux dévoyés par l'enseignement des universités européennes et américaines deviennent une cause d'agitation et de trouble dans leur propre pays. Ces modernistes s'agitent, se montrent et l'Occident s'imagine que ces individualités bruyantes sont les représentants de l'Orient, tandis que…

… l'esprit traditionnel se replie en quelque sorte sur lui-même, les centres où il se conserve intégralement deviennent de plus en plus fermés et difficilement accessibles ; cette généralisation du désordre corresponds bien à ce qui doit se produire dans la phase finale du Kali-Yuga.

(p 171) Des Orientaux « modernistes » ont institué en Orient des nationalismes divers, nécessairement opposés à l'esprit traditionnel… mais, pour combattre la domination occidentale… Ils répandent ainsi des conflits. Il se peut que ces « modernistes » utilisés transitoirement, soient ensuite éliminés comme les Occidentaux…

La civilisation moderne périra par les conflits sociaux entre les nations, ou encore par un cataclysme lié aux « progrès » de la science. Le monde occidental est en danger par ce qui sort de lui-même.

(p 172) L'Occident entraînera-t-il dans sa chute l'humanité toute entière ?

L'esprit traditionnel ne peut mourir, car, par essence, il est supérieur à la mort, et, ce sera alors véritablement « la fin d'un monde ».

Nous avons le signe précurseur du moment où, suivant la tradition hindoue, la doctrine sacrée doit être enfermée toute entière dans une conque, pour en sortir intacte à l'aube d'un monde nouveau.

(p 173 - 174) L'envahissement occidental, c'est l'envahissement du matérialisme sous toutes ses formes, et ce ne peut être que cela ; tous les déguisements plus ou moins hypocrites, tous les prétextes « moralistes » toutes les déclamations « humanitaires », toutes les habiletés d'une propagande …, ne peuvent rien contre cette vérité, qui ne saurait être contestée que par des naïfs ou par ceux qui ont un intérêt quelconque à cette œuvre vraiment « satanique »*, au sens le plus rigoureux du mot.

* Satan, en hébreu, c'est l' « adversaire », c'est-à-dire celui qui renverse toutes les choses

et les prend en quelque sorte à rebours ; c'est l'esprit de négation et de subversion, qui s'identifie à la tendance descendante ou « infériorisante », tendance « infernale » au sens étymologique (du latin infernus, d'en bas, d'une région inférieure), celle même que suivent les êtres dans ce processus de matérialisation suivant lequel s'effectue le développement de la civilisation moderne.

(p 174 - 175) Une défense de l'Occident a été publiée récemment par M. Henri Massis.

M. Massis fait partie de ceux qui voudraient réagir contre le désordre moderne, tout en étant dans la contradiction… R.G. demande s'il est bien habile de la part de M. Massis d'attaquer la tradition chez les autres quand on voudrait la restaurer dans son propre pays…

(p 176 - 177) M. Massis s'en prend à ce qu'il appelle des « propagandistes orientaux », expression qui renferme en elle-même une contradiction, puisque l'esprit de propagande est chose tout occidentale.

Il y aurait deux groupes, dont le premier est constitué de purs Occidentaux (Allemands, Russes), plus dangereux que de simples philosophes, en raison de leurs prétentions à un « ésotérisme » qu'ils ne possèdent pas, mais qu'ils simulent…

Dans le second groupe, nous trouvons quelques-uns de ces Orientaux occidentalisés… qui présentent aux Occidentaux leur Orient modernisé, accommodé aux théories qui leur ont été enseignées en Europe ou en Amérique… ces Orientaux occidentalisés, sont effectivement des agents, mais de la …« propagande… occidentale » qui s'attaque directement à l'intelligence. C'est pour l'Orient qu'ils sont un danger.

(p 177 – 178) Pour ce qui est des vrais Orientaux, M. Massis n'en mentionne pas un seul,… l'impossibilité où il se trouvait de citer le nom d'un Oriental qui ne fût pas occidentalisé eût dû lui donner à réfléchir et lui faire comprendre que les « propagandistes orientaux » sont parfaitement inexistants…. Son esprit est troublé par la peur que fait naître en lui le pressentiment d'une ruine plus ou moins prochaine de la civilisation occidentale…

(p 179) Il ne sait pas exactement quels sont les adversaires qu'il devrait combattre, et, d'autre part, son « traditionalisme » le laisse ignorant de tout ce qui est l'essence même de la tradition, qu'il confond visiblement avec une sorte de « conservatisme » politico-religieux de l'ordre le plus extérieur.

M. Massis est troublé par la peur…. ces soi-disant « propagandistes orientaux » seraient animés d'une haine farouche à l'égard de l'Occident, et, c'est pour nuire à celui-ci qu'ils s'efforceraient de lui communiquer leurs propres doctrines, c'est-à-dire de lui faire don de ce qu'ils ont eux-mêmes de plus précieux, de ce qui constitue en quelque sorte la substance même de leur esprit ! Devant tout ce qu'il y a de contradictoire dans une telle hypothèse, on ne peut s'empêcher d'éprouver une véritable stupéfaction.

(p 180) On pourrait plutôt s'attendre à ce que les Orientaux interdisent l'accès à leur doctrine aux Occidentaux. La vérité est que,….

… les représentants authentiques des doctrines traditionnelles n'éprouvent de haine pour personne, et leur réserve n'a qu'une seule cause : c'est qu'ils jugent parfaitement inutile d'exposer certaines vérités à ceux qui sont incapables de les comprendre ; mais ils n'ont jamais refusé d'en faire part à ceux, quelle que soit leur origine, qui possèdent les « qualifications » requises ; est-ce leur faute si, parmi ces derniers, il y a fort peu d'occidentaux ?

(p 181 - 182) … quand la résistance à une invasion étrangère est le fait d'un peuple occidental, elle s'appelle « patriotisme » et est digne de tous les éloges ; quand elle est le fait d'un peuple oriental, elle s'appelle « fanatisme » ou « xénophobie » et ne mérite plus que la haine ou le mépris. D'ailleurs, n'est-ce pas au nom du « Droit », de la « Liberté », de la « Justice » et de la « Civilisation » que les Européens prétendent imposer partout leur domination, et interdire à tout homme de vivre et de penser autrement qu'eux-mêmes ne vivent et ne pensent ?

...sauf des exceptions d'autant plus honorables qu'elles sont plus rares, il n'y a plus guère en Occident que deux sortes de gens, assez peu intéressantes l'une et l'autre :

… les naïfs qui se laissent prendre à ces grands mots et qui croient à leur « mission civilisatrice », inconscients qu'ils sont de la barbarie matérialiste dans laquelle ils sont plongés, et,

… les habiles qui exploitent cet état d'esprit pour la satisfaction de leurs instincts de violence et de cupidité…

Les Orientaux ne menacent personne et ne songent guère à envahir l'Occident d'une façon ou d'une autre ; ils ont, pour le moment, bien assez à faire de se défendre contre l'oppression européenne, qui risque de les atteindre jusque dans leur esprit ; et il est pour le moins curieux de voir les agresseurs se poser en victimes.

(p 182) Comme les modernes, M. Massis est dans l'ignorance des principes et nie tout ce qui dépasse un certain horizon ; il est inapte à comprendre des civilisations différentes, et se trouve dans cette superstition du « classicisme » gréco-latin… Mais il représente de façon intéressante l'insatisfaction de l'état présent chez quelques-uns de nos contemporains.

(p 183 - 184) C'est maintenant le moment de tirer des conclusions, mais, ce qui doit être dit le sera à mesure que les circonstances l'exigeront… Pour ceux qui la recherchent, … il n'est en effet pas question de recevoir une connaissance avec plus d'enthousiasme que de véritable discernement !

CHAPITRE IX

QUELQUES CONCLUSIONS

(p 186 - 187) Nous avons voulu seulement fournir un point de départ approprié, un appui suffisant pour s'élever au dessus de la vaine multitude des opinions individuelles.

Mais, quelle est la portée pratique de cette étude ?…. Car nous ne sommes pas restés dans la doctrine métaphysique où toute application n'est que contingente et accidentelle. Les applications sont les conséquences des principes, le développement normal d'une doctrine qui, étant une et universelle, doit embrasser tous les ordres de réalité. Les applications sont pour certains un moyen préparatoire pour s'élever à une connaissance supérieure (« science sacrée »…). Considérées pour elles-mêmes, les applications devraient rester rattachées aux principes… pour éviter la dégénérescence qui a produit la « science profane ».

(p 187 - 188) Si tous les hommes apprenaient ce qu'est vraiment le monde moderne, celui-ci cesserait aussitôt d'exister, et, ce changement se produirait sans catastrophe…. Ne serait-ce pas une conséquence pratique incalculable ? ! cette compréhension n'est pas possible pour tous, mais une élite peu nombreuse et fortement constituée, suffit.

Si une élite se formait, elle pourrait préparer le passage d'un monde à un autre, dans des conditions plus favorables, et, réduire les troubles qui ne manqueraient pas de se produire.

(p 189) Contrairement à l'Orient, l'élite n'existe plus en Occident. Si elle ne se reconstitue pas, la civilisation périra.

(p 191 - 193) Par définition, une élite occidentale ne devrait être constituée que par une initiative occidentale, comme un réveil à sa propre tradition. C'est peu probable car il n'existe plus en Occident de point de conservation de l'esprit traditionnel. Ce travail de restauration peut plutôt se faire à l'aide d'une connaissance des doctrines orientales.

Comme support de cette restauration, il suffirait de restituer à la doctrine catholique son sens profond… L’Église Catholique semblant la seule organisation existante à caractère traditionnel, …

… Ce serait la réalisation du Catholicisme au vrai sens du mot, qui, étymologiquement, exprime l'idée d' « universalité »… L'existence d'une organisation qui porte un tel nom est l'indication d'une base possible pour une restauration de l'esprit traditionnel…. D'autant plus que, au moyen âge, elle a déjà servi de support à cet esprit dans le monde occidental. Il ne s'agirait donc, en somme, que d'une reconstitution de ce qui a existé avant la déviation moderne, avec les adaptations nécessaires aux conditions d'une autre époque…

(p 194) On pourrait envisager non pas un accord diplomatique, mais un accord sur les principes, à condition que les représentants de l'Occident redeviennent vraiment conscients de ces principes comme le sont toujours ceux de l'Orient.

(p 195 - 196) … il y a dès maintenant, dans le monde occidental, des indices certains d'un mouvement qui demeure encore imprécis, mais qui peut et doit même normalement aboutir à la reconstruction d'une élite intellectuelle, …

… l'église aurait tout intérêt, quant à son rôle futur, à devancer en quelque sorte un tel mouvement, plutôt que de le laisser s'accomplir sans elle… elle qui aurait les plus grands avantages à retirer d'une attitude… qui aurait… pour résultat de la débarasser de toute infiltration de l'esprit moderne…

(p 199) Nous ne sommes plus très loin de cette prédiction évangélique… :

« il s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes, qui feront de grands prodiges et des choses étonnantes, jusqu'à séduire, s'il était possible, les Elus eux-mêmes ».

(p 200 - 201) Ceux qui arriveront à vaincre tous ces obstacles, …

… et à triompher de l'hostilité d'un milieu opposé à toute spiritualité, seront sans doute peu nombreux ; … mais, ce n'est pas le nombre qui importe, car nous sommes ici dans un domaine dont les lois sont tout autres que celles de la matière… rien ne saurait prévaloir finalement contre la puissance de la vérité ; leur devise doit être celle qu'avait adoptée autrefois certaines organisations initiatiques de l'Occident : Vincit omnia Veritas.

Notes de lecture d'un « Écossais de l'Hermione » (Juin 2016) Th.°. C.°.

Partager cet article
Repost0
20 mars 2016 7 20 /03 /mars /2016 10:01

Résumé :

La méthode maçonnique et une technique de plénitude du langage verbal et non verbal, basée sur les symboles qui donnent accès aux archétypes.

Ces archétypes sont les restes, les vestiges de la pensée universelle de nos anciens suivant la science traditionnelle. La science traditionnelle se rapporte à la vision totale.Cette vision est suggérée par notre intuition et constitue un métalangage. L'intuition est-elle même un rêve ou un songe qui veut s'exprimer.

Ce métalangage investi le monde ordinaire, l'infra monde et le monde supérieur. C'est la base d'une supraconscience.La supraconscience, c'est la fameuse lumière du franc-maçon. C'est une conscience individuelle et collective de la totalité et de l'unité. Elle est l'équivalent du terme "dieu" en dans le domaine exotérique.

C'est pour cette raison que le franc-maçon réapprend à voir et à parler dans un espace qui élargit sa perception du réel. Il n'est pas étonnant que l'initié donne au langage et à la perception du réel toute sa dimension. Le fondement même de l'initiation et de réactiver nos facultés oubliées.

Le franc-maçon bénéficie-t-il d’une vision de la réalité différente du commun des mortels ?

La question n’est pas nouvelle. À Édimbourg en 1638 le poète Adamson dans The Muse, fait référence à la vision particulière développée chez les francs-maçons et les rose-croix : « Car nous sommes des Frères de la Rose-Croix ; nous possédons le mot de Maçon et la double vue » Or ce qui réunit les francs-maçons et les roses croix en cette période c’est le désir de changer la société représentative du réel, en s’inspirant à la fois des sagesses anciennes et en proposant des sciences nouvelles.

La franc-maçonnerie va mettre en œuvre dans ses rituels des techniques symboliques de représentation du réel. Ces techniques reposent sur les symboles et les rituels, et surtout sur la loge elle-même qui devient un athanor de la représentation d’un réel apparent et caché. Les moyens sont donc divers pour rendre compte de l’étendue du réel, ce sont la polysémie étagée des symboles, la triangulation des symboles et le miroir des symboles. Ce qui est apparent et caché est perceptible par ce « don de double vue ».

Le franc-maçon restaure ce don de double vue et le mot de Maçon : le don de « double vue » est une vision profonde et élargie du réel, quant au « mot de Maçon » c’est un langage verbal et non verbal nécessaire à la représentation d’un réel global[1].

1/ La métamorphose du regard sur le réel

On dit que l’initiation aboutit à une métamorphose du regard sur le réel et à un développement des facultés cognitives.

Le passage d’Adamson ne peut se lire que sur la base d’une réalité réétudiée dans son sens profond et son essence. Le secret de l’initiation : « la première source du secret initiatique qui du fait de sa nature profonde, est toujours relatif au passage de l’inintelligible à l’intelligible, et donc relié à la notion de vision-perception ou, si on préfère, au don de double vision, celle du sensible et celle de l’intelligible[2]. ». L’intelligible profond fait apparaître l’image cachée ou enfouie, le mot secret ou sacré, comme le symbole, la hiérophanie, la théophanie, la hiérologie, etc. L’intelligible profond dépend directement des facultés interprétatives du réel, mobilisées par l’esprit humain[3].

Toute la littérature maçonnique nous parle d’une métamorphose du regard, d’un dessillement des yeux. Ce sont nos yeux qui perçoivent le réel et nous savons à la suite de Robert Ambelain « qu’il n’y a pas de plus grande initiation que la réalité ». Or l’initiation se déroule dans un réel séparé, celui de la loge afin de préserver toutes les dimensions du réel intégrant la valeur primitive d’un langage dit « sacré », car originel comme la parole perdue.

Le réel est lié à notre vision et à la représentation que chacun peut en avoir. La métamorphose du regard portera sur la portée de la vision et l’étendue de la représentation mentale.

La voie maçonnique est une voie initiatique basée sur le réel, celui de la pierre taillée par la main de l’homme, elle n’a d’autre ambition que de nous faire embrasser la réalité dans toute l’étendue du spectre lumineux et dans sa transparence. C’est donc des yeux symboliques qui scrutent la réalité avec une intelligence élargie qualifiée parfois d’intelligence du cœur ou de l’esprit. Le cœur étant le centre et l’origine de l’être de chair, c’est donc l’intelligence de l’origine, de la source première qui nous permet de mieux percevoir et de mieux entendre le monde.

Pour mieux percevoir le réel, il faut réactiver les facultés cognitives oubliées.

C’est ici que s’exercent les fonctions analogiques, anagogiques, herméneutiques et comparatistes qui donnent accès, par un certain cheminement graduel, à la fameuse représentation mentale universelle dont le fondement reste le symbole. Il y a donc une intention délibérée que de vouloir la vérité et la lumière au milieu du réel. Cette volonté de rend pas neutre le regard de l’initié. Nous pouvons dire que son regard est doté d’une intention que nous appellerons « intention initiatique[4] » qui replace le réel dans un vaste champ de perception.

2/ Relativité et Universalité du Réel

La réalité nous apparaît sous un angle plus subjectif qu’objectif. Cependant le regard de l’initié reste lié par une intention lumineuse[5] : l’objet ou le sujet sera mis sous un éclairage principiel.

C’est notre vision de la réalité qui est aujourd’hui polluée par une représentation superficielle, consumériste et fragmentée du réel ; il existe plusieurs façons de voir le réel. Le réel a un sens « commun » d’autant plus réduit que le l’interprétation doit être partagée et comprise par le plus grand nombre. C’est ainsi que le réel donne une réalité de surface qui peut devenir déprimante et perdre de sa saveur et de sa profondeur. Ce regard de surface sur le réel est lourd de conséquences. Il implique ce qu’on appelle le désenchantement du monde[6] qu’a très bien décrit Max Weber[7].

Face à la relativité profane du réel, les sciences traditionnelles vont donner une relation unifiée du réel en mettant au grand jour la partie ésotérique ou hermétique de celui-ci.

Par sa mutation, le regard de l’initié doit apporter un « éclairage » et une mise en perspective d’un réel universel et englobant.

3/ L’apparence et la manifestation, le sentiment d’impermanence

La réalité sous l’angle de l’apparence semble peu stable et changeante contrairement à la cause qui l’a généré. L’initié s’attache à la recherche de la cause première stable et originelle, à l’image de la lumière qui luit dans les ténèbres, donnant un relief particulier au monde des formes.

La tradition initiatique nous enseigne que le réel recouvre une dimension qui dépasse les seuls éléments discursifs et apparents que l’on nomme communément réalité. La réalité profane ou commune est impermanente et changeante dans ses aspects les plus apparents.

Il convient de dépasser l’instabilité de l’apparence pour se diriger vers le principe stable qui en amont la sous-tend. Le réel par le biais des apparences n’est alors qu’une gestion de l’éphémère de l’apparent et du hasard, des causes incertaines et du dirimant[8], autant de caractéristiques qui ne rendent pas compte de l’insertion de la vie dans un ensemble plus universel et cohérent[9].

L’initié doit repenser le réel à l’aune de sa capacité à voir au-delà des apparences et à concevoir dans une vision symboliste une universalité dans laquelle s’insère l’existence. L’existence[10] est aussi une conséquence de cette chaîne de causalité qui remonte suivant la Tradition à un fait fondateur et originel. En dépassant les apparences, le réel n’est pas enfermé dans une notion existentielle restreinte et impermanente, mais au contraire bénéficie de champs et de perspectives étendus et stables.

Pour accéder à ces champs et perspectives, il faut avoir dépassé un certain état d’intégration à soi du réel qu’on appelle "réalisation de soi", soit un état de conscience supérieur par l’intégration de la réalité et de l’universel en soi. C’est la connaissance de soi[11] qui permet la réalisation de soi, facteur d’unité, de stabilité et de continuité. Ainsi conçoit-on l’unité avec un réel « éternel » centré autour de la lumière : le monde et l’homme sont traversés par la même lumière originelle qui représente l’Unité ; la Stabilité[12] des lois organisant le cosmos ; la Continuité caractérisée par la mémoire des cycles sans cesse renouvelés et l’harmonie des sphères.

4/ Les 7 conditions à l’extension du domaine du réel en franc-maçonnerie

« La double vue » et le « mot de Maçon » supposent un développement des facultés cognitives.

a / Réalisation de soi : intégration d’un réel riche et essentiel en-soi

C’est la condition préalable à l’extension du domaine du réel.

Replacer en soi, l’existence, le réel et la réalité dans une perspective plus large permettent de réenchanter, de réharmoniser la vision du monde. Cet autre regard sur le réel passe obligatoirement par la connaissance de soi, des autres et du Monde.

La connaissance du réel est littéralement « une réalisation » en soi de la connaissance et par voie de conséquence, oblige l’initié à aborder et vivre le réel en y percevant des notions éthiques, mais aussi métaphysiques[13]. C’est par le biais de la connaissance de soi que le réel se rattache à une vision globalisante et métaphysique. Cette idée, loin de plaire aux rationalistes et individualistes modernes, est pourtant un puissant moteur « traditionnel » pour la recherche en matière scientifique et en sciences humaines[14]. En effet, le réel ne peut se limiter pour un esprit sérieux, au simple constat des apparences et de la nécessité, mais va plus loin en investissant le domaine du possible par l’analogie. La réalité est un potentiel à découvrir par un observateur averti et formé. L’initié se reconnaît à cette aptitude.

La « réalisation » de soi, qui est liée à une prise de conscience de la totalité ontologique du réel, est promue dans les mouvements initiatiques depuis la nuit des temps. L’objectif de la connaissance de soi est d’intégrer le réel dans une dimension plus grande que la simple démarche existentielle fondée sur une vision individuelle. La vision qui est ici promue est celle qui confond l’individu avec l’universel. Le réel de surface est donc qu’un aspect d’une réalité universelle que l’on appréhende partiellement par la seule apparence. À l’inverse nous dirons que le réel est plus large et plus profond que nous l’imaginions et cela suppose un développement des facultés cognitives et la récupération de notre mémoire archétypale[15].

L’initiation maçonnique par son orthopraxie nous oriente vers la lumière synonyme de conscience éclairée et vers le développement de nos facultés cognitives endormies. Chacun devra exprimer son étendue du réel en fonction de son avancement initiatique. L’avancement initiatique s’apprécie relativement à l’acquisition du langage lumineux qui l’accompagne, ce sont les mots de passe et les mots « sacrés » dont le sens profond est acquis, mais aussi tout l’univers du langage non verbal qui accompagne la représentation mentale du réel vers les frontières du sacré.

La réalisation de soi intégrera des notions liées à l’immanence et à la transcendance qui caractérisent le réel de l’homme. L’homme a en lui le souvenir des trois ères qu’il a traversé, l’ère chamanique et magique, l’ère transcendante et spirituelle et l’ère rationnelle et positiviste. L’initié réalise en conscience ces trois visions unifiées dans la langue des Sages. Le langage de l’initié est "magique" au sens ou il produit des images mentales agissantes, "spirituel" car il conjoint la terre et le ciel par l’esprit, et "rationnel" car il applique la rigueur de la raison à l’analyse d’un réel élargi.

Ce développement du vocabulaire et des moyens d’expression n’est qu’une restauration du potentiel cognitif oublié ou réservé. On peut ainsi corriger l’affirmation relativiste de Protagoras : « l’homme est la mesure de toute chose » où chacun dispose de sa vérité, sous la condition expresse d’avoir les moyens de voir et d’entendre le réel. Chacun peut avoir sa vision du réel, mais l’initié se donne les moyens de voir et d’entendre la structure universelle afin de se soustraire au relativisme et à la superficialité. L’aboutissement de cette réalisation est de même nature que l’aboutissement du langage : il se résume jusqu'à se rétracter dans un silence « essentiel » qui précède la parole originelle.

C’est ici que la richesse du réel de l’initié devient comme l’épure du schéma premier du Grand Architecte.

b/ Le « point de vue » de l’observateur et de l’initié :

La deuxième condition : prendre en compte tous les points de vue.

Le réel est accessible à tous de manière variable, en fonction de la situation de l’observateur et de sa profondeur d’analyse.

La loi du nombre appauvrit le réel dans une vision réductrice et sans autre profondeur que le « lieu commun ». La phase finale de la rhétorique profane du réel, abouti à une tautologie du réel : « le réel c’est le réel » il n’y a rien d’autre que le réel ! Il faut échapper aux topiques des rhétoriques matérialistes et aller chercher plus en amont la structure universelle du réel. Cette recherche emporte avec elle les dimensions éthiques, humanistes et métaphysiques.

L’initié prend ce chemin armé d’un regard sur la réalité, plus riche et plus profond. Il répondra à cette tautologie d’un réel réduit à son écorce[16] par l’affirmation : le réel est plus que son apparence ! Ce qui est apparent devient un reste signifiant, mais devient transparent aux yeux du franc-maçon. Ce qui est vrai pour l’image l’est aussi pour la parole. L’apprentissage de l’image profonde est liée à l’apprentissage du mot essentiel et du signe symbolique qui le représente.

En faisant cette réponse l’initié n’est ni victime d’hallucinations ni empreint d’un imaginaire romantique débordant, il conçoit simplement le réel comme l’aboutissement d’une chaîne de relation de cause à effet[17] dotée d’un sens générique dont il recherche la structure « universelle » et l’étendue véritable. L’initié considère que si le réel n’est que le réel comme l’arbre n’est qu’un arbre, il assortit sa considération d’un point de vue plus étendu : l’arbre à une partie supérieure qui semble toucher le ciel et l’autre partie reste invisible et sous terre et seul le tronc médiateur entre la terre et le ciel reste accessible à l’homme. Donc l’arbre, dont on ne peut toucher que l’écorce, se prolonge réellement en direction du ciel par sa couronne et sous terre par ses racines. De cet ensemble nous ne percevons, suivant le modèle de réalité apparente ou restreinte, qu’une fraction limitée. L’apparence se limite à ce qui nous est accessible au regard et à nos sens et plus nous sommes prés du tronc moins nous voyons le faîtage. Les racines resterons invisibles à tous les observateurs quelque soient leur distance au sujet ou à l’objet.

Le réel apparent est une affaire de point de vue et de situation de l’observateur en regard de l’objet. Face à l’apparence formant le réel restreint, l’initié « réalisera » le sujet observé « en lui », assimilant tous les points de vue extérieurs et intérieurs. Cette aptitude donne la vision de ce qui est vrai, analogiquement apparenté, probable et caché. La réalisation de l’image d’un réel projeté « en soi »[18] amorce une infinité de "possibles" qui posent le problème de l’interprétation de l’image[19] et l’apprentissage d’un langage adapté qui tend vers l’essence.

Face au signifiant matériel du signe, il faut aller chercher le signifié essentiel.[20] On peut admettre qu’une partie du réel n’est pas de prime-abord visible.

c/ La représentation mentale des réalités : du possible au réel.

La troisième condition porte sur l’apprentissage de la représentation de la réalité élargie.

Chacun peut avoir sa propre représentation du réel manifesté, mais une formation traditionnelle aux symboles, mythes et archétypes permet d’unifier la vision, de la rendre claire dans son expression intérieure.

Cette pédagogie permet en définitive de traverser les différents plans superposés des différents grades maçonniques. Ces plans sont représentés par les tableaux de loge qui seront incorporés comme éléments de langage dans le monde de l’apprenti, du compagnon et enfin du maître. Ces mondes sont des « possibles » graduels que l’initié va parcourir dans sa vie maçonnique. On est bien d’accord pour considérer que ces traversées sont à la fois réelles et symboliques. Réelles, car réellement vécues comme expériences initiatiques par l’initié et symboliques, car ouvrant le champ des possibles par le truchement des analogies.

Le changement de grade et de tableau de loge est un possible qui se réalise à l’intérieur du franc-maçon par la voie intérieure agissant comme un miroir de la réalité extérieure. Donc la voie initiatique permet la réalisation « en soi » de ce qui était possible et non apparent. Notre sortie du cabinet de réflexion, les trois premiers pas, la mort à soi et la renaissance à la lumière sont bien des instants doublement vécus « en soi », « incorporant » une réalité. Nous sommes bien dans ce cas en présence d’une réalité vécue de nature augmentée, car rendant apparent un possible par la voie extérieure et la voie intérieure.

C’est ici que le poète, l’esprit romantique et l’artiste se distinguent de l’initié. Le poète ressent et reçoit l’image visible et invisible par le filtre du sensible lié à certains « états d’âme » alors que l’initié reçoit l’image visible et invisible par le filtre du langage symbolique et un certain « état d’esprit » lié à une vision globale. C’est cette vision qui nécessite de remettre dans un même axe l’état corporel, l’état d’âme et l’état d’esprit. À l’alignement par l’âme du poète, répond l’alignement par l’esprit du sage.

Il y a donc une étape à franchir, celle de la représentation mentale de l’objet ou signe observé non plus au niveau de l’affect, mais au niveau de l’esprit. Le signifiant (représentation mentale de la forme) est vu en 3 temps : 1/ l’objet ou le signe concret pour son apparence, 2/ puis le schéma symbolique qu’il porte en lui. 3/ et enfin le sens supérieur qu’on veut lui donner en regard de l’Être ou du Principe. D’une représentation mentale objective, on passe à une représentation mentale qui dépasse le concept[21] pour atteindre l’essence[22].

Cette étape est le point de bifurcation entre ceux qui ne voient que le réel manifesté dans son apparence et ceux qui l’envisagent dans une totalité intégrant le domaine non manifesté. C’est le champ des possibles[23] qui s’ouvre devant nous grace à la reliance. Ce possible peut se réaliser et devenir apparent si on détient le langage et la vision pour le faire éclore, c’est l’objet de la pratique initiatique graduelle du franc-maçon. Ce système est aussi opérant en matière scientifique.

Un réel peut donc générer plusieurs réalités qui se définissent et s’associent à l’aune de la sensibilité de l’homme en regard de son environnement et de son apprentissage. Ces réalités élargies, « sensibles » générées par l’objet observé ou la situation sont des possibles.

Ces possibles ne sont pas tous manifestés, mais l’apparence manifestée résulte de l’extériorisation d’un possible. Une forme apparente est donc polysémique en fonction de l’état d’âme ou de l’état d’esprit et du vocabulaire analogique et symbolique de chacun. Nous comprenons que la vision d'un "réel élargi" dépend de la connaissance des clefs symboliques de la représentation mentale et du langage. C’est la connaissance intime de ces clefs issues des anciennes sagesses qui permettra d’intérioriser le réel et ainsi d’exceller dans la perception des problèmes éthiques et sociétaux, mais aussi métaphysiques. C’est l’apprentissage du symbole qui donne à la fois accès aux idéaux et utopies humaines, mais aussi aux valeurs principielles et ontologiques.

Le franc-maçon pour appréhender le réel dans tous ses possibles, ne peut donc faire l’économie de l’apprentissage des symboles, de la géométrie, de l’analogie, de la synthèse, de l’exégèse, de l’herméneutique et de l’anagogie, de l’alchimie spirituelle et autres sciences traditionnelles (et de leurs langages) qui élargissent le domaine du réel « apparent » et substantiel, en direction du « sensible » du subtil et de l’essence.

d/ Du réel invisible au Principe :

La quatrième condition suppose une remontée analogique et symbolique vers le principe. Le signifiant se dédouble en signifiant symbolique qui donne le signifié ontologique ou principiel.

L’apparence est ce qui apparaît « extérieurement », c’est donc qu’il existe une dimension intérieure[24] qui permet de ressentir (sensible) ce qui n’est pas substance (essence). Le réel porte en lui un exotérisme et un ésotérisme. L’apparence ne relate pas la totalité du réel. Nous pourrions dire que dans la voie initiatique, l’apparent se « dédouble » en non apparent par le biais de la traduction symbolique.

Donc la réalité a deux versants : le visible et l’invisible. Le réel ne serait que la partie visible du non manifesté. C’est au nom de l’invisible, mais néanmoins réel que l’initié démarre sa quête d’une vision profonde qui le conduira à la vision du non manifesté et du principiel.

Poursuivons nos investigations sur la profondeur du réel. L’arbre se situe entre ciel et terre comme un trait d’union entre ce qui est en haut et ce qui est en bas.

L’arbre se nourrit tout autant du ciel que de la terre. Partant de ce constat bien réel, notre vision se porte sur les potentialités lumineuses qui « tombées du ciel » animent la vie sur terre et en conséquence l’arbre nous conduit dans un symbolisme lumineux et axial puis ontologique, voir cosmologique. C’est toute la chaîne des causalités successives qui peut ainsi se remonter jusqu'à l’origine principielle[25] du réel. Le réel et sa réalité apparaissent alors comme une forme visible et donc « manifestée » subséquente parmi d’autres potentialités non manifestées, ou non visibles. Nous pourrions tenir le même raisonnement avec les outils-symboles présents en loge (Niveau, perpendiculaire, maillet-ciseau, équerre-compas, ou avec le dispositif général de la loge et ses meubles, etc. Ils disposent tous d’une clef axiale).

Rappelons que la lumière venue de l’Orient est principielle et à ce titre venu d’en haut. C’est cette lumière qui vient éclairer la réalité apparente et déjà symbolique de la loge. Cet éclairage est d’une autre dimension lorsque les colonnettes Sagesse Force et Beauté sont « allumées » : elles éclairent une autre réalité plus étendue.

C’est autour de ce versant du réel « invisible » et surplombant que les grands progrès de la science se font et que le symbolisme et l’analogie se développent. L’homme est capable de représentation mentale du réel et de mise en perspective de celui-ci dans des mondes non visibles, mais qui sont aussi réels que sensibles ou subtils. Le réel et son observateur restent ainsi reliés à une relation de causes et d’effets dont le sommet ou l’origine réside dans une lumière initiale ou dans une puissance surplombante qui se décline en autorité surplombante.

Le Grand Architecte de l’Univers (ou des Mondes suivant les rites) fait fonction d’autorité surplombante détenant les plans de la construction du Temple et donc l’image construite née du « Principe » créateur. En gravissant la chaîne des causalités et des grades par le biais de l’analogie, le franc-maçon remonte[26] progressivement vers le Principe.

Cette remontée vers le Principe est favorisée par la reliance[27] à plus haut qui anime la voie initiatique.

e/ Une vision intégrale et globale du réel

La cinquième condition est d’intégrer et d’incorporer l’invisible sensible ou subtil et l’intuition de l’être. Cette démarche d’absorption ne doit pas nous faire tomber dans l’illusion en niant l’importance de l’expérience vécue en loge et l’importance du phénomène et de la phénoménologie liée à la théâtralisation du rituel et à son heuristique[28]. La dimension « théurgique » du rituel favorise souvent ce développement de la vision.

De ce qui précède nous concluons que la vision de l’initié n’est pas seulement une vision globale, mais aussi une vision qui « intègre » et « incorpore » en lui l’invisible sensible et subtil « vécu » comme une expérience. L’initié est témoin de l’intégralité d’une vision. La conséquence de cette intégration-incorporation, est de rendre opérant le visible et le non visible en soi, c’est la phase ultime de la réalisation.

L’initié en loge, vit et relate dans sa vision, la terre, le ciel, l’apparent et le caché, le plan terrestre dans le plan céleste, la loi des cycles, etc. Outre la dimension manifestée, il incorpore en lui la dimension des possibles et s’oblige à en rechercher la cause.

C’est une dimension de la vision de « midi à minuit », qui n’est ni romantique ni productiviste : c’est une vision que l’on veut globale qui va du zénith au nadir, réaliste traditionnelle et globale. La vision du réel par le franc-maçon reste réaliste parce quelle se fonde sur la réalité intégrée, incorporée et sédimentée depuis la nuit des temps. Cette réalité, on veut la garder en mémoire et la transmettre en lui donnant une profondeur particulière. C’est cette cause « traditionnelle » incluse dans le Devoir de mémoire qu’entretient le franc-maçon[29].

Le réel élargi s’inscrit dans un réel toujours plus fort et plus vrai que la simple apparence, il ne peut être réduit à une simple écorce[30]. C’est le registre des possibles qui fait naître l’universel. C’est ainsi que les catéchismes des grades qui sont le témoignage d’une certaine mémoire ont deux aspects, l’un apparent et discursif, et l’autre réservé et intérieur qui demande à être découvert.

f/ La méthode maçonnique de réinitialisation du réel par le langage et l’image.

La sixième condition repose sur la mise en pratique des moyens permettant de découvrir cette réalité augmentée. Les moyens mis en œuvre sont relatifs à la notion de reliance à plus haut, en pratiquant la discipline de la réinitialisation du langage et de l’image.

L’initié ne joue qu’un rôle de lecteur interprète. Ce qu’il voit, en plus du commun extérieur, doit relever de la permanence qu’il réalise en lui. C’est par analogie et par le jeu des symboles et les lois de correspondances que la vision s’exerce à dépasser l’apparence souvent trompeuse et réductrice dans un seul niveau. Il faut donc passer les niveaux supérieurs. La proximité de la dimension mythique et divine est à intégrer dans notre vision comme éléments autonomes et significatifs de la conscience humaine. Ainsi l’initié incorpore une réalité globale, voire sacrée qui lui était autrefois étrangère. La transcendance liée au sacré permet d’échapper à la dialectique d’un réel limité.

Jamais la vision symbolique ni l’analogie ne s’éloignent du réel. Le point d’appui d’une image symbolique est la réalité « manifestée » de l’objet, du sujet ou de la situation. Néanmoins tous ses éléments objectifs vont s’affirmer dans une relation d’apparentement des signifiés et des signifiants, suivant les lois de l’analogie. L’analogie « axiale » va mettre en perspective l’objet le sujet ou la situation en fonction d’un modèle caché, mais considéré comme universel. C’est ainsi que les mythes, les légendes, les clefs symboliques et les archétypes vont structurer une causalité du réel, reliant ce réel contingent à une réalité originelle souvent de nature transcendante.

Les images archétypales sont à la disposition des cherchants dans une immense bibliothèque ancestrale commune à tous les hommes. C’est une mémoire universelle, soit le strict équivalent de la conscience universelle. C’est donc par le Devoir de mémoire et l’usage des moyens traditionnels de la reliance que le franc-maçon prône le centre de l’union. Elles sont des témoins d’une réalité qui perdure dans les relations entre le l’homme et la nature ou entre l’homme et ses semblables depuis toujours. Elles structurent le réel de façon permanente de même que les clefs symboliques et les mythes. Les images archétypales, les symboles et les mythes sont des éléments stables, continus et unifiants dans un monde contingent. Il faut donc rechercher la permanence dans l’impermanence d’un monde apparent, c’est le meilleur moyen d’entrer dans cette vision élargie du réel

Déjà le langage, et particulièrement celui des francs-maçons, nous fait pressentir cet accès possible par les divers sens qu’on accorde au mot, seulement un seul sens domine dans une situation donnée, mais les autres sens sont sous-jacents comme des rivières souterraines. L’image est symbole potentiel, dès lors qu’on l’intériorise par représentation mentale, ceci confirme la potentialité polysémique du réel. S’élabore alors un langage adapté à l’expression de cette « réalité augmentée » qui n’appartient pas à l’individu discursif prisonnier de la raison dialectique, un langage qui ne se satisfait pas du verbe commun parfois trop limité pour exprimer cette réalité ouverte. Ce sera un nouveau langage fait de silences, un langage non verbal et plus englobant qui viendra appuyer cette réalité profonde. Ce langage appartient à l’histoire de l’humanité et à la naissance de la conscience universelle.

Le travail d’apprentissage consistera à étirer le réel jusqu'à dépasser l’apparence et entrer de plain-pied dans le symbole. Le symbole est le passeport qui permet le franchissement de la contingence et de l’impermanence pour atteindre le permanent et le principiel.

La méthode[31] repose sur la communication et donc sur l’incorporation « à soi » de l’image symbolique, dans le but d’une réalisation « en soi » du symbole par projection mentale. Pour le mot verbalisé, ce sont les épellations qui réalisent « en soi » le sens caché (notamment par le silence interlettré). Pour le geste-signe qui est un langage non verbal, c’est le mime, l’imitation qui donne la profondeur de son vécu intime et incorpore le sens. C’est ainsi que la méthode maçonnique permet de « réaliser en soi », de représenter le sens et l’essence en notre for intérieur. Ainsi ce qui n’est pas apparent ou ce qui est absent est « incorporé » par représentation mentale.

L’initiation donne une vision progressive et universelle à partir d’éléments relevant d’un réel aux apparences limitées. L’initié, par la lumière qu’il est supposé recevoir lors de son initiation, ne peut se limiter à une vision étriquée. La vision personnelle de soi est un moyen pour faire apparaître une dimension supérieure. C’est alors qu’apparaît la notion d’Être qui loin d’être une notion purement individuelle se rapproche d’une dimension totalisante.

g/ Un métalangage :

La septième condition est de pratiquer et vivre le langage « séparé » en un lieu « séparé », le métalangage de l’unité. Ce langage initiatique qui découle de la vision initiatique, réuni les cherchants dans un lieu représentant la « connaissance »[32] à savoir la loge ou le temple maçonnique.

Si le réel est universel et non limité à l’apparence de sa manifestation et de ses phénomènes, il doit alors s’exprimer par un langage qui rend compte de son étendue et de son rattachement au Principe. Ce langage symbolique et souvent non verbal, est nullement engagé dans la voie religieuse, mais est, et restera « relié » à l’idée principielle. C’est la démarche intentionnelle de reliance de l’initié[33].

Ce rattachement ontologique emporte le langage dans le domaine du sacré qui ménage a l’intérieur de l’espace réel, mais « séparé » du profane, un « non-espace » dans un « non-temps » plus à même à rendre compte de la permanence du principe. Cet espace est le Temple ou la Loge. Le principe y brille et rayonne, mais est absent au plan concret il est présent dans un réel invisible : la dichotomie Présence-absence fonde la base du métalangage et la réalité élargie.

Dans le cadre particulier du sacré qui est « un sacré–réel [34]», le réel discursif et apparent devrait disparaître pour une mise en scène visible de ce qui est invisible. Précisons toutefois que l’invisible sera invoqué et mimé, par un langage verbal et non verbal de reliance. La scène sacrée est aussi réelle que la scène profane, elle est vécue et ressentie, mais en éliminant le temporel, elle installe l’intemporel associé à la lumière de l’initiation. Une reliance[35] se crée par cette mise en scène séparée du profane, et permet à chacun d’être participant l’espace d’un instant du Principe. La reliance permet la continuité de la relation de cause à effet, mais aussi la « réalisation » en soi du principe qui fait écho à la « réalisation » en soi du monde apparent et non apparent. Cette double réalisation devient axiale, c’est l’homme qui fait le trait d’union entre la terre et le ciel, prenant la place du tronc de l’arbre qui nous a servi d’illustration pour définir la vision de l’apparent et du non apparent dans le réel. Cette substitution de l’homme au tronc de l’arbre[36] illustre parfaitement la transparence de la méthode initiatique qui intègre les possibles dans le réel.

Cette réalisation en-soi d’un espace de reliance séparé du profane implique un nouveau langage, comme dans le cas de la légende d’Hiram.

En franc-maçonnerie la base du langage initiatique s’élabore sur le voile de fond du silence que l’on impose à l’apprenti, par l’abandon symbolique des métaux et la séparation du tumulte profane. Ce retour à l’origine, c’est la page vierge qui permet le réapprentissage élémentaire du langage loin des bruits parasites. Émergent alors les premières lettres qu’on ne peut qu’épeler à deux, en miroir. Mais avant d’entamer le processus acquisitif du langage verbal, on donne à l’apprenti la dimension du langage non verbal fait de signes (les lettres sont d’abord des signes) de gestes et de postures. Les signes, gestes et postures son adressés à la communauté de la loge comme langage non verbal fédérateur, car commun, partagé, signifiant et intemporel.

Ce langage non verbal dépasse ce simple apprentissage et permet d'accéder à la notion de réalité élargie. Il vient enrichir et conforter le langage symbolique qui permet l'analogie, en enclenchant un processus sensible « d’incorporation ». Le processus de métamorphose du regard suit le même parcours « d’incorporation ».

Le cas de la légende d’Hiram illustre par la parole perdue la découverte d’un langage plus élaboré fondé sur l’absence[37]. Le réel de la scène du meurtre d’Hiram exprime l’insuffisance du langage ordinaire pour un réel simple décrit par « mack-benah» pour accéder aux vérités supérieures de l’essence du mot (la chair quitte les os). Ces vérités supérieures sont exprimées par un métalangage de l’esprit qui marque la reliance au Principe. Donc la scène du crime et de la découverte du corps comme le mot prononcé ont deux versants, celui d’un réel basique et discursif, sans doute moralisateur, et un autre plus puissant et évidemment caché qui nous met sur la voie du langage principiel.



Le franc-maçon peut donc bénéficier d’une formation à la perception étendue de la réalité.

La vision de l’initié est d’abord une représentation mentale formulée suivant des clefs symboliques traditionnelles. Les niveaux de représentation mentale et de langage en franc-maçonnerie ne peuvent se détacher de la réalité, car l'initiation est une mise en pratique des lois du langage, des images et symboles fondés sur la vision du réel, sur l'altérité et la reliance à plus haut.

L'initiation étant un apprentissage de la vision élevée, devient par ce fait une "orthopraxie" des niveaux de langages et de représentation du réel dans des mondes graduels. Le but et la fonction de cette vision élevée et progressive sont de dépasser la simple description, pour relater une perception élargie et approfondie de la réalité intégrant l’observateur et l’universel.

La réalité vécue du franc-maçon est aussi une réalité de l’absence, une réalité augmentée du sensible non visible, du subtil, de l’essence, et du silence.

Nous pouvons affirmer que la voie initiatique, par la vision et le langage qu’elle procure, permet une extension du domaine du réel.

E.°. R.°. Conférence de Turin 12 mars 2016.

[1] Il est entendu que les francs-maçons utilisent ce langage commun, en mot ou signe de reconnaissance.

[2] Voir en ce sens RDM 5 « pourquoi rester en franc-maçonnerie ? Où il est question de la métamorphose du regard. Le monde sensible est le domaine des éléments corporels, soit le côté substantiel de la manifestation. Le « monde intelligible » est, pour Platon, le domaine des « idées » ou des « archétypes » qui sont effectivement les essences au sens propre de ce mot,

[3] Cette mobilisation de nos facultés n’est pas que culturelle, elle passe aussi par l’état de songe, par le lâcher-prise, par l’effacement de soi, afin de faire naître l’image, le sens ou la « présence » du tout autre en soi. L’échelle de Jacob est une bonne synthèse de ces facultés interprétatives de l’esprit humain qui donne au réel une dimension principielle étayée par la rétractation de la conscience discursive, et l’affirmation de la conscience essentielle.

[4] L’intention initiatique favorise la lecture d’un réel élargi qui dépasse la simple apparence. Cette intention consiste à faire entrer la lumière dans la matière donnant ainsi au réel sa transparence.

[5] Voir notre article sur l’intention et la reliance dans RDM 10 Le secret initiatique: de la divulgation à la révélation, notion de reliance .

[6] Pour l’initié il ne s’agit pas de restaurer la période obscurantiste du monde d’avant la modernité, mais il est certain que l’initié veut par sa recherche retrouver cet âge d’or de l’humanité, ce paradis perdu, ce monde de l’harmonie universelle. La recherche de cette harmonie d’essence divine est marquée par l’allumage des feux de la manifestation initiale au moyen des colonnettes Sagesse Force et Beauté synonyme d’harmonie.

[7] Ce réel de surface donne un existentialisme sans autre relief que le phénomène perçu du seul point de vue individuel.

[8] Impliquant la nullité de tout raisonnement globalisant.

[9] Toute manifestation ne serait que la résultante de relation de cause à effet que l’on peut étudier d’un point de vue scientifique et métaphysique. La manifestation du réel tel qu’il nous apparaît ne serait qu’une possibilité parmi d’autres non manifestées.

[10] Le terme exister suppose que l’objet ou l’être en question sort littéralement du giron qui l’a généré. L’être qui existe procède d’une puissance génératrice qui ne procéderait que d’elle-même.

[11] Il s’agit du « Gnôthi seauton » socratique que l’on trouvait grave au fronton du temple de Delphes annonçant un regard intérieur sur soi pour y découvrir au sein même de l’homme le siège de l’Esprit. Cette découverte de l’esprit en l’homme annonce les premiers pas de l’humanisme et la singularité du rapport de l’homme au divin.

[12] Notons que la RAPMM utilise le triptyque Unité Continuité Stabilité comme devise qui correspondent aux idées éternelles de Platon.

[13] On retrouve ici la grande division entre les Petits Mystères et les Grands Mystères.

[14] On utilise de plus en plus la vision transversale qui permet de relier les secteurs de la science autrefois cloisonnés. En reliant les fractions des savoirs épars en une vision globale, on voit au-delà du système sectorisé, on perçoit alors une dimension cachée plus originelle, plus essentielle.

[15] Au RAPMM, lors de l’initiation est donnée au futur initié le breuvage de l’oubli représentatif du réel profane et contingent, puis à la fin des épreuves le breuvage de la mémoire des origines. Il est donc évident que toute initiation a vocation à retrouver la mémoire des origines.

[16] René Guénon, L’écorce et le noyau ; Le Voile d’Isis, mars 1931, p.145 – 150. « On pourra remarquer que le rôle des formes extérieures est en rapport avec le double sens du mot « révélation », puisqu’elles manifestent et voilent en même temps la doctrine essentielle, la vérité une, comme la parole le fait d’ailleurs inévitablement pour la pensée qu’elle exprime ; et ce qui est vrai de la parole, à cet égard, l’est aussi de toute autre expression formelle ».

[17] Dans le Timée (28a) de Platon on peut lire : « Sans l'intervention d'une cause, rien ne peut être engendré » ce qui nous renvoi à la cause première celle de la manifestation du monde et de la vie accompagnés par la naissance de l’espace et du temps. L’expression maçonnique ordo ab chaos participe de la connaissance de cette notion.

[18] Sur la différence entre l’en soi et l’à soi lire notre article dans RDM 10

[19] Pour interpréter le réel et en voir les éléments cachés, les hermétistes utilisaient un jeu de miroir et la notion de « reflet ». Voir notre étude en RDM 10.

[20] Le signifié désigne la représentation mentale du concept associé au signe, tandis que le signifiant désigne la représentation mentale de la forme via l’image sonore du mot qui représente la chose et de l'aspect matériel du signe. Le signe et sa reconnaissance font partie de l’apprentissage dans la méthode maçonnique. Voir Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot,‎ 1972,

[21] Un concept est une idée abstraite, donc séparée de la réalité d'une chose, d'une situation, d'un phénomène. Ce n’est pas ce que l’initié recherche dans sa vision profonde du réel.

[22] Nous reprenons la corrélation guénonienne entre essence et substance « le végétal est pour ainsi dire la « mère » du fruit qui sort de lui et qu’il nourrit de sa substance, mais qui ne se développe et mûrit que sous l’influence vivifiante du soleil, lequel en est ainsi en quelque sorte le « père » ; et par suite, le fruit lui-même s’assimile symboliquement au soleil par « coessentialité », (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, page 29, René Guénon, éd. Gallimard). Cette corrélation souligne un double étagement éthique et métaphysique de l’essence, c'est-à-dire une représentation de l’essence dans sa version éthique, celle des Petits Mystères bien connus des francs-maçons et relatifs à l’étoile à cinq branches du compagnon (ici le fruit dans l’ordre terrestre), mais aussi celle de l’étage métaphysique, celle des Grands Mystères relatifs à l’étoile à six branches des Maîtres (ici le soleil dans l’ordre céleste).

[23] Le champ du possible est toujours plus large que celui du réel apparent. Ce qui peut-être est par définition plus vaste que ce qui est déjà apparu ou manifesté. Les possibles non manifestés sont infinis et participent de l’ordonnancement du réel élargi, ou de la réalité augmentée.

[24] Cette dimension est intérieure à l’objet observé comme intérieur à soi.

[25] Comprendre le Principe comme l’origine de la chaîne des causalités, Voir René Guénon Le Règne de la quantité et le signe des temps (1945)

[26] L’analogie permet de passer d’un monde à l’autre. La chaîne des causalités implique parfois la superposition des mondes. Notons que la remontée fait sans doute suite à une chute.

[27] Nous avons développé le concept de reliance à plus haut comme une condition préalable du symbolisme axial et de la spiritualité construite des trois premiers degrés de la franc-maçonnerie. Cette reliance suppose une autorité surplombante incarnée par le GADLU, un religare doublé d’un tradere.

[28] L’heuristique consiste ici en une réinvention de la manière de regarder un monde qui dépasse l’apparence.

[29] Les statuts de Schaw de 1598 faisaient obligation aux loges Écossaises de maintenir le devoir de mémoire ancestral, qui permettait de passer du savoir-faire au savoir-être.

[30] L’écorce sur la périphérie fait obstacle à la vision du centre qui est le noyau. Il n’y aurait pas d’écorce s’il n’y avait à l’origine le noyau. Le même raisonnement peut être tenu pour le cercle et son point originaire. Voir en ce sens : René Guénon, L’écorce et le noyau : Le Voile d’Isis, mars 1931, p.145 – 150.

[31] Cette méthode ne concerne que les rites qui ont conservé la mise en pratique des symboles, des mots de passe et mots sacrés, ainsi que les légendes et les catéchismes de grade.

[32] « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre » a pour corollaire « connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux »

[33] Un initié qui fait le vide en lui voit ce vide se remplir de lumière. L’intention lumineuse c’est avoir la vue pleinement consciente d’une totalité. Le vide se remplit de lumière.

[34] Voir notre étude en RDM 10

[35] Sur la « reliance » en matière initiatique, voir notre étude parue dans la Revue du Maçon n°10

[36] On parlera alors de l’arbre de vie maçonnique dont la loge maçonnique serait à son tour une illustration, rendant apparent un possible symbolique.

[37] Il s’agit du métalangage, voir notre étude parue dans la Revue du Maçon n° 10 « Parole perdue clefs de lectures et perspectives » et les notions de sacré-réel et de sacré-divin.

Partager cet article
Repost0
1 janvier 2016 5 01 /01 /janvier /2016 00:01

Les références au sacré sont omniprésentes dans notre société moderne ce qui tend à prouver que les progrès de la science et la sécularisation de l’église n’ont pas fait renoncer au sacré sans doute parce que c’est dénominateur commun aux hommes en tous lieux et de tous temps et qu’il est capable tantôt de le sublimer tantôt de le pousser aux pires exactions….

Cette opposition dans les comportements humains en présence du sacré apparait tant dans l’étymologie du mot sacré que dans les façons de le définir par oppositions, notamment par l’utilisation du mot profane.

Il me serait difficile dans ce travail d’évoquer de façon exhaustive tout ce à quoi renvoie le « sacré », aussi me bornerai-je dans une première partie à exposer pourquoi le sacré peut se définir comme un invariant universel c'est-à-dire un archétype ; dans une seconde partie j’évoquerai la façon dont s’exprime le sacré et ses fonctions ; enfin j’aborderai la question du sacré en franc-maçonnerie et tenterai d’expliquer en quoi il est vecteur de progression personnelle par l’expression d’une sacralité adogmatique telle qu’elle est vécue dans la maçonnerie libérale pratiquée au REP.

  • En quoi le sacré est il un archétype ? Comment le définir ?

L’archétype est défini par Jung comme la tendance humaine à utiliser une même « forme de représentation donnée a priori » renfermant un thème universel structurant la psyché et commun à toutes les cultures mais figuré sous des formes symboliques diverses. Il est l’union d’un symbole et d’une émotion et véhicule donc une puissante charge émotionnelle, que Jung nomme «numen» (la puissance divine en latin) qui « met le sujet dans un état de saisissement » et que l’on retrouve notamment lorsqu’on est en présence du « tout autre » qui peut qualifier la manifestation du « sacré ».

Le mot « numineux » a été inventé par Rudolf OTTO dans son livre « le Sacré » et désigne ce qui vient d’ailleurs et qui donne à un individu un sentiment d’être dépendant à l’égard d’un « tout autre » ; c’est un mélange paradoxal de fascination et d’effroi qui saisit un individu face à l’irruption du sacré dans sa vie.

Il est néanmoins difficile de comprendre et de définir le sacré tant ses manifestations sont liées à des particularités culturelles et temporelles ou, dans ses formes primitives, à l’expression des forces inexpliquées de la nature. Il en est pour preuve l’innombrable quantité de lieux considérés comme sacrés dans le monde.

Cependant une caractéristique universelle du sacré se retrouve dès le début de l’humanité, il y a environ 100000 ans à travers les premières sépultures que l’on retrouve tant sur les sites occupés par Neandertal que sur ceux ensuite habités par Homo Sapiens mais sans qu’il soit possible aujourd’hui, en dépit de traces certaines de rites funéraires, d’évoquer un sentiment religieux tel qu’on peut le définir aujourd’hui.

Ces rites funéraires radicalement différents selon les cultures ou les époques montrent bien que le rapport de l’homme à la mort est aussi fort que son rapport à la vie. On peut l’interpréter comme un signe de la sacralisation de la vie bien au-delà de la mort comme en témoigne le culte des ancêtres. Par ailleurs, la profanation des lieux de sépultures est universellement condamnée comme si ces lieux de « non-vie » étaient considérés comme sacrés ce qui confirme le caractère sacré de la vie au-delà de la mort.

Pour Camille TAROT, spécialiste de la sociologie des religions, le concept de sacré est constitutif de la condition humaine à savoir « une catégorie universelle de toute conscience humaine au regard de sa condition de mortel » ce qui rejoint la définition même de l’archétype précédemment évoqué…

Cependant, dire que le sacré est un archétype n’en donne pas pour autant une définition précise.

Souvent confondu avec le religieux qui associe le sacré à la divinité il ne peut se réduire à cette seule dimension.

En effet une approche anthropologique permet de le définir comme ce qui permet à une société d’opérer une « séparation axiologique » entre les éléments qui composent et représentent son monde. Cette séparation concerne tant des objets que des espaces, des actes ou des valeurs dont l’origine traditionnelle peut être mythologique, religieuse voire idéologique c'est-à-dire non religieuse. Cette approche permet d’appréhender le sacré comme ce qui est mis en dehors des choses ordinaires et communes. Il représente ce qui est inaccessible, hors du monde mais aussi ce qui relie à un groupe et s’oppose au profane.

L’étymologie du mot sacré permet de mettre en évidence cette dualité :

Les origines hébraïques :

Ce que l’on traduit en français par les mots « sacré » et « saint » vient du mot hébreu « qadosh » qui est basé sur l’idée de séparation et de la mise à part du peuple d’Israël. L’ancien testament explicite ces notions de sainteté et de séparation : le lieu où se tient Moise lorsque Dieu se manifeste est «saint », et Dieu s’adresse à lui en disant : « Sépare la montagne et sanctifie-la »

Cette séparation, à l’origine de la sanctification, peut aussi s’appliquer aux hommes : Dieu dit au peuple élu : « Vous serez saints pour moi, car je suis saint, moi, le Seigneur votre Dieu, qui vous ai séparés des nations, afin que vous soyez à moi ». Enfin, toujours dans le livre du Lévitique, Dieu commande aux prêtres de « faire séparation entre les choses saintes et les choses profanes, entres les impures et les pures ». Ce partage entre le pur et l'impur a une dimension symbolique importante puisque les interdits édictés pour éviter tout contact entre le pur et l'impur peuvent se comprendre comme le moyen de préserver la création et la société d'un retour à l'indifférenciation du chaos primitif.

En grec le mot « hagios » désigne la perfection, la sainteté et la pureté mais aussi ce qui est défendu, ce avec quoi on ne doit pas avoir de contact.

Le mot "hiéros" est utilisé dans un premier sens comme admirable, puissant. Le second, est sacré, au sens de divin ou d'origine divine. Enfin le troisième sens est le rite, et désigne à la fois les entrailles des victimes offertes, les augures ou les présages.

Enfin ce qui est ordonné ou autorisé par les dieux est "hosios" qui correspond au "saint", le profane étant "athéos », irrévérent.

En latin :

Le sens de « sacer » en latin est la séparation. Ainsi selon Émile Benveniste dans le Vocabulaire des institutions indo-européennes, "C'est en latin que se manifeste le mieux la division entre le profane et le sacré; c'est aussi en latin que l'on découvre le caractère ambigu du "sacré": consacré aux dieux et chargé d'une souillure ineffaçable, auguste et maudit, digne de vénération et suscitant l'horreur ».

En effet, « sacer » a la double signification de « rendre sacré » et de « mettre à mort », alors que le mot « sanctum » définit ce qui est protégé de toute atteinte, défendu par une limite ou un obstacle et isolé de tout contact. Mais le mot « sanctus » peut prendre aussi un sens positif en désignant tout ce qui fait l’objet d’une faveur divine comme les morts, les héros, les poètes…

Le sacré, en latin, c'est ce qui appartient au domaine des dieux et il s'oppose à « profanus » qui désigne ce que l’on a retiré du temple, ce que l'on a rendu à l'usage humain mais aussi l’ignorant par rapport à l’expert ou le non-initié par rapport à l’initié…

Ce qui constitue l’archétype c’est son caractère universel. Loin de nos sociétés judéo chrétiennes se sont développées au même moment, dans toutes les cultures, les notions de sacré et de profane, la distinction entre le pur et l’impur que l’on retrouve par exemple en Polynésie dans le concept de tabou qui désigne « ce que les profanes ne peuvent toucher sans commettre un sacrilège »

  • Les expressions et les fonctions du sacré

Dans ce qui précède nous avons mis en lumière que la caractéristique du sacré était de séparer, de garder à part en état de pureté, de mettre en relation avec le « tout autre » ou avec le Divin.

Il me paraît intéressant de comprendre comment s’opère cette séparation, d’en comprendre les mécanismes, à savoir, définir comment s’exprime le sacré dans un premier temps afin de tenter, ensuite, d’en appréhender le but, c'est-à-dire les fonctions du sacré.

  1. L’expression du sacré :

Le sacré se manifeste dans des lieux :

Mircea Eliade comme Claude Levy Strauss ont démontré que le besoin naturel de sacré s’est manifesté d’abord par la sacralisation des lieux nonobstant toute idée religieuse dans l’acception contemporaine du terme. Ainsi à Stonehenge il y avait du sacré mais pas de religion. Le visiteur d’un lieu sacré antique se sent envahi par ce que Eliade qualifie de hiérophanie, littéralement la manifestation du sacré, et qui permet de penser que le sacré non seulement précède le religieux mais aussi lui survit…

Pour les religieux c'est Dieu qui a l'initiative de rendre sacrés les lieux pour permettre la rencontre de l'homme avec lui : la séparation nécessaire des choses sacrées n'est donc pas une finalité, mais le moyen de la rencontre entre Dieu et l'homme : la séparation devient alors consécration à Dieu.

Le sacré s’incarne dans des êtres :

L’homme se trouvant face aux forces inexplicables de la nature, à la complexité du monde et de ses origines, tétanisé par le mystère de la vie et de la mort, s’est réfugié dans les superstitions, a adoré le soleil, la lune, le feu puis s’est créé des dieux. En même temps certains se sont investis d’un pouvoir de « relieurs » entre ces dieux et leurs semblables et ont édicté des règles incompréhensibles au commun des mortels, les non-initiés. Mais sous prétexte de dominer le surnaturel et de détenir un pouvoir, ils asservissaient les autres par des religions devenues des institutions gestionnaires du sacré par le pouvoir exclusif du dogme.

Le synode d'Arras en 1025 est éloquent à cet égard puisqu‘il avait affirmé que la peinture devait permettre aux illettrés –les non initiés- de connaître ce qu'ils ne pouvaient apprendre par les livres. La fonction de l'art devait enseigner l'ordre aux travers des terreurs de l'enfer et du respect de l'autorité divine : Le pouvoir est donc particulièrement lié avec le sacré.

Ainsi pendant des siècles pour assoir son autorité le détenteur du pouvoir était censé descendre d’un Dieu à travers des filiations mythiques, sorte de réactualisation du culte des ancêtres des sociétés archaïques.

En France, au moyen âge, le souverain était réputé guérir des écrouelles par simple contact, donnant au pouvoir une essence divine et accréditant dans l’esprit du peuple, qu’ayant reçu l’onction, le roi devenait thaumaturge.

Cet exemple met en exergue le rapport ambivalent entre le religieux, le pouvoir et le politique, rapport à la fois conflictuel et incestueux que même l’établissement de la République n’a pas su totalement effacer. En effet les révolutionnaires, en essayant de substituer aux fêtes religieuses les fêtes républicaines, comme la fête de la nature ou la fête de l’Etre Suprême n’ont créé en réalité que des formes affadies du sacré…

Le sacré s’exprime dans des rites :

Le mot rite, du latin « ritus », se définit, selon le Larousse, comme « une action accomplie conformément à des règles et faisant partie du cérémonial ». Le mot grec qui lui correspond est « thesmos » qui se traduit par « j’établis ». Il est donc ce qui pose et ce qui instaure par la répétition un Ordre « ici et maintenant » mais en relation avec « ce qui a été » et « ce qui sera » ce qui le rend transcendant à l’espace et au temps et ouvre à l’immuable et à l’intemporel. Par lui l’homme entre en relation avec ce qui le dépasse c'est-à-dire avec le sacré.

Le rite permet donc de créer les conditions de contact et de va et vient entre le sacré et le profane contrairement aux interdits qui assurent la séparation habituelle entre ces deux mondes. Pour ce faire il se met œuvre dans un espace séparé, définit comme le « centre du monde », et dans une temporalité distincte du temps normal, par référence au Grand Temps Mythique (le « illo tempore » de Mircéa Eliade).

Le rite permet à l’individu de s’introduire dans la zone du sacré et d’entrer en communication avec le divin en reproduisant un geste divin primordial et fondateur. Il est une action codifiée par la tradition qui règle les rapports de l'homme avec la divinité.

Ainsi le rite du sacrifice, littéralement « faire du sacré », en prenant une victime animale ou une offrande végétale, pour l'offrir à une divinité est précédé de rites d'introduction dans la zone du sacré et il est suivi de rites de purification qui permettent à celui qui a offert le sacrifice de réintégrer la communauté humaine dont il a été le porte-parole.

Enfin la prière est un autre mode de communication entre l'homme et la divinité. De toutes les actions rituelles c’est la plus communément répandue car les intentions qui la motivent sont extrêmement variées.

Le sacré et les mythes :

Les religions se caractérisent par leur doctrine et leurs dogmes. Les mythes, sujets d’étude des anthropologues, précédent les doctrines ; ce sont des récits imagés et fondateurs, des croyances en un surnaturel exprimées la plupart du temps au travers de métaphores.

Si le mot « mythe » désigne aujourd’hui une illusion ou l’image idéalisée d’une personne ou d’un événement, son étymologie « muthos » rappelle qu’il désignait un énoncé considéré comme vrai.

L’empire chrétien romain puis l’église médiévale combattront le mythe considéré comme l’inverse du dogme, et assimilé aux croyances des barbares et des païens. C’est au XVIII° siècle que ce terme sera réhabilité comme « expression de l’âme des peuples primitifs », comme renfermant une expérience mystique de la Nature.

Pour Roger Caillois (Le Mythe et l’Homme), « le mythe serait une sorte de mémoire collective inconsciente, permettant d’expliquer et d’affronter les incidents et les drames de la vie (…) [il] serait donc le produit de l’inconscient humain ».

Qu’il soit cosmogonique, c’est à dire expliquant la création et la structure du monde ou bien de fondation, en justifiant un ordre des choses, le mythe donne un sens à l’ordre existant : il invite à se remémorer le passé tout en lui offrant une interprétation qui permet de donner un sens à son quotidien.

Le mythe est un langage pour expliquer le monde mais il transpose toujours le réel à un plan supérieur à celui de l'homme, au plan du monde et des origines. C'est par cette transposition « en ce temps-là », ou plutôt dans une transcendance qui échappe au temps et à la réalité des hommes qu’il participe à la mise relation avec le Sacré.

  1. Les fonctions du sacré :

Le sacré répond à la question fondamentale de la temporalité, de la vie et de la mort :

Pour le profane le temps s’écoule de la vie à la mort sans aucun retour possible en arrière. Le temps sacré n’obéit pas aux mêmes règles : par la force régénératrice du rituel il permet une réactualisation d’un événement passé qui s’inscrit dès lors dans une répétitivité ouvrant l’accès à l’éternité. C’est ce qui est à l’œuvre dans la liturgie catholique qui permet à chaque cérémonie de participer au dernier repas Christ. C’est ce qui opère aussi à l’occasion de chaque tenue maçonnique, lors de la cérémonie d’ouverture des travaux, qui réactualise le temps mythique de la genèse par le jaillissement de la lumière comme au premier matin du monde…

La découverte du temps sacré permet d’échapper au temps profane par la découverte de l’éternel recommencement qui nous relie à nos origines et abolit l’angoisse face à la mort.

Le va-et-vient entre profane et sacré à une fonction régénératrice :

Le phénomène du numineux, précédemment évoqué, montre que le sacré contient une énergie difficile à manier et que ses rapports avec le profane doivent être organisés par des rites qui définissent les conditions de va et vient d'un domaine à l'autre.


En ce sens on peut considérer que mélanger le profane et le sacré, « c'est contrevenir à l'ordre du monde, troubler l'ordonnancement du cosmos, retourner au chaos ». Pour y pouvoir les sociétés traditionnelles ont institué des interdits qui protègent cet ordre du monde. Cependant pour que cet équilibre subsiste il est nécessaire à certains moments de permettre la transgression de ces interdits, c’est la fonction de la fête, moment de défoulement collectif que l’on peut analyser comme un retour encadré au chaos primordial permettant un retour à un ordre du monde revigoré et régénéré.

Le sacré crée un centre :

Pour le profane l’espace est ressenti comme homogène et linéaire alors que celui qui est touché par le caractère sacré d’un lieu le perçoit comme qualitativement différent, imprégné de quelque chose d’extraordinaire et supérieur à lui. L’espace sacré apparait comme un point fixe autour duquel continue d’exister le flux du monde profane tel un point fixe au centre du chaos. Cela rejoint la vision du monde qui était celle des sociétés traditionnelles et qui opposait le cosmos, le territoire habité, au chaos, l’espace inconnu environnant. Se retrouver dans un espace sacré, permet de se sentir au centre du monde, dans « le nombril de la terre », dans l’axe du monde qui permet d’entrer en communion avec le divin.


Le Sacré est source de cohésion et de reliance :

Parce qu’il véhicule des mythes immémoriaux et des rites ancrés dans la mémoire collective, le sacré représente ce qui nous précède et ce qui nous succède, mais aussi ce qui nous rassemble et ce qui nous relie à un groupe et trouve sa cohérence dans la transmission et la tradition.

Pour Mircea Eliade le sacré est avant tout une expérience qui se traduit par un sentiment religieux au sens initial du terme, le « religare », à savoir ce qui relie les êtres et les choses et induit dans le comportement humain le respect absolu des altérités.

Ancré dans l’irrationnel et le traditionnel il revêt une force à la fois collective et subjective. « Subjective, elle est incontestable. Collective, elle est indéracinable. Le sacré acquiert alors le pouvoir d’interdire et celui d’obliger. C’est une forme d’autorité, mais une autorité qui nous échappe, car ses assises sont fondées en chacun de nous mais par d’autres que nous. »

Le sacré permet de dépasser le religieux :

En tant que manifestation du divin, le sacré est le plus souvent associé aux institutions religieuses puisque la fonction de toute religion est d'établir la relation entre l'homme – être limité et fini- et ce qui est investi de l'énergie divine –puissante et éternelle-, le sacré servant de médiateur entre le profane et le divin.

Pourtant dans une religion les rites régissent, d’une part l’organisation de la vie sociale et d'autre part, imposent les modes d'établissement d'une relation entre l'Homme et Dieu. Tout y est basé exclusivement sur la notion de Croyance alors que l’expérience du Sacré m’apparaît plutôt comme une manifestation du Divin à l’homme et sans lien obligatoire à une croyance religieuse. Dans ce sens il semble que le Sacré dépasse –sans le nier ou le minorer- le cadre du simple fait religieux.

  • Le sacré et la franc-maçonnerie

Le sacré, comme je l’ai évoqué, dépasse le simple fait religieux dans la mesure où il n’est pas forcément lié à la notion de croyance qui est LA condition pour intégrer un mouvement religieux quel qu’il soit. La Franc maçonnerie dans sa face dite libérale et adogmatique – en opposition avec sa face théiste- met en avant son esprit de tolérance et articule ses pratiques sur un sacré que l’on pourrait qualifier de non religieux voire laïque sans pour autant gommer toutes les influences spirituelles liées à l’environnement socioculturel dans lequel elle s’est développée.

La distinction entre le sacré et le profane est très présente dans la maçonnerie et ce dès le jour de l’initiation où l’impétrant passe du profane au sacré après avoir vécu une mort symbolique à la vie profane dans le cabinet de réflexion avant de renaitre comme initié et de découvrir la lumière.

De plus le temple est consacré à l’ouverture des travaux, séparé du monde profane et protégé par le Frère Terrible de toute irruption dans ce lieu dont la dimension sacrée se met en œuvre tant par le rituel que par les symboles qui ornent le temple. Cet espace sacré permet de relier ceux qui sont séparés et isolés du monde profane mais initiés à ces règles du sacré. En outre le temple maçonnique, à l’image de tous les édifices sacrés, est un lieu qui permet d’entrer en communication avec ce qui nous dépasse, le Principe, le GADLU et la porte que l’on franchit devient symbole de transition et de transformation.

Enfin, dans le Temple, comme dans tous lieux sacrés, nous sommes soumis à de nombreux interdits et obligations : port des décors, règles de déplacement, de prise de parole ou de silence. A notre totale liberté d'expression nous imposons un rigoureux respect de la forme.

La tenue maçonnique se vit dans un lieu sacralisé, le temple, et dans un temps volontairement détaché du temps profane puisque les travaux d’y déroulent symboliquement « de midi à minuit ». C’est dans ce temps sacré que se réactualise à chaque tenue le mythe de la création du monde, le « fiat lux » de la genèse que chaque F:. est appelé à revivre par l’illumination progressive du temple.

Pour accéder au sacré d’autres mythes sont mis en œuvre en Franc Maçonnerie :

  • celui de la reconstruction du Temple de l’Humanité par la construction de son temple intérieur permet de répondre à la quête du sens de l’existence ;
  • Le mythe de l’harmonie universelle issue de la complémentarité des contraires, la « coïncidencia oppositorum » qui exprime « la réalité paradoxale de la divinité, et devient de ce fait un modèle mythique à toute recherche d’unification de l’être » (Eliade) se trouve symbolisé dans le temple par le pavé mosaïque ;
  • celui enfin d’Hiram qui a préféré mourir et donc se sacrifier -littéralement faire du sacré- plutôt que de révéler le Secret dont le caractère est Sacré.

Notons à ce propos le lien étymologique qui existe entre le secret – du verbe latin « secernere » signifiant séparer, mettre à part, délier - et le sacré et qui trouve toute sa résonnance dans le cœur des maçons libéraux puisqu’il réunit deux concepts opposés, la déliance par rapport au monde profane et la reliance entre les initiés…

Ajoutons enfin que ce secret passe par le silence dans le rituel maçonnique, particulièrement au grade d’apprenti, car il permet une introspection, une découverte de soi, une reliance à soi permettant de construire son temple intérieur. Pour Eri:. Rom:., notre G:. M :, le silence « permet la mise en relief de l’invisible et de l’inapparent (…) et par son exercice « on entre dans la vision du tout ou dans la proximité du divin par l’esprit sans le saisir complètement », ce qui correspond à mon sens à l’essence même du sacré dans la loge maçonnique.

Il me semble que la voie maçonnique est un accès au sacré qui associe deux modes de transcendance : l’une passe par une forme d’horizontalité par la voie de la Tradition, qui vient du verbe latin « Tradere » qui signifie transmettre, l’autre par la verticalité du sentiment religieux au sens premier du terme, à savoir le « Religare » qui signifie « relier ».

La Tradition telle qu’elle est comprise en franc maçonnerie est sous-tendue par l’appartenance à un groupe car il est la condition de la transmission, comprise « comme une parole prononcée par celui qui a la connaissance, dans l’oreille de celui qui sait entendre » et qui « fonde l’amour et le partage dans le réel et valorise des préceptes sociétaux communs et ancestraux reconnus par tous ». Nous retrouvons dans cette définition la pensée de Durkeim pour qui le sacré est une "réalité transcendante que l’homme est capable d’expérimenter au moment où son individualité se dissout dans le chaleureux unisson du groupe auquel il va appartenir"

Par cette démarche traditionnelle, individuelle puisqu’elle suppose une démarche librement consentie et une volonté de travail sur soi mais aussi collective puisqu’elle ne trouve de sens que dans le partage du vécu et de l’expérience, nous nous relions ensemble à une mémoire commune qui nous ramène symboliquement à la notion de l’Origine et qui de fait transcende celui qui la reçoit et la partage.

La transcendance qui opère par le « religare » permet aussi d’accéder au Sacré d’une façon qui se rapproche de celle que peut avoir l’homo religiosus. En effet même si la Franc-maçonnerie libérale n’impose pas à ces membres une croyance en Dieu, elle lui substitue la notion de GADLU à laquelle chacun de ses membres donne sa définition intime et personnelle mais qui représente ou symbolise un principe surplombant à l’homme qu’il ne me déplait pas de nommer « le Divin » et que nous tentons d’approcher par nos rites et nos travaux.

Conclusion :

Je conclurai mes bien chers frères par une citation de Régis Debray que je trouve à la fois riche de sens et qui appelle à approfondir encore nos réflexions sur ce très vaste sujet qu’est le Sacré : "Ce n’est pas parce qu’on est athée qu’on n’a pas de valeurs sacrées. Ne confondons pas le sacré avec le religieux et le religieux avec le divin. Il y a beaucoup de religions sans dieux et sans Dieu. Par sacré, j’entends le trou fondateur, une absence fondamentale, une transcendance sans laquelle n’importe quel ensemble social s’effrite. Toute convergence suppose un point de fuite à l’horizon. Les sociétés par horreur du vide, le remplissent avec les religions traditionnelles. On marche vers l’Eden ou on vient d’un paradis perdu. Nous aurons toujours des comptes à rendre à quelque chose qui n’est pas là. C’est la rançon de notre incomplétude et c’est une chance : l’inquiétude est notre force motrice". Cette interrogation, cette "inquiétude" propre à l’homme ne peut être évacuée de notre réflexion, même si elle "relève de l’appréciation individuelle de chacun". Les rituels maçonniques renvoient à cette recherche vers laquelle, en effet, chacun trouvera sa réponse : " l’essentiel est la valeur initiatique de la méditation intérieure, du silence et du secret".

N.°.B.°. R.°.L.°. "La lumière Écossaise"

Partager cet article
Repost0
28 novembre 2015 6 28 /11 /novembre /2015 23:51

Nous avons établi dans nos précédentes études que le langage initiatique était doté d’une intention de reliance et que le cadre du réel initiatique dépassait nettement le cadre historique et discursif. Nous allons donc nous intéresser à une approche du langage initiatique à partir de ses éléments cachés.

En franc-maçonnerie la base du langage initiatique s’élabore sur le voile de fond du silence que l’on impose à l’apprenti, par l’abandon symbolique des métaux et la séparation du tumulte profane. Ce retour à l’origine, c’est la page vierge qui permet le réapprentissage élémentaire du langage loin des bruits parasites. Émergent alors les premières lettres qu’on ne peut qu’épeler à deux, en miroir. Mais avant d’entamer le processus acquisitif du langage verbal, on donne à l’apprenti la dimension du langage non verbal fait de signes (les lettres sont d’abord des signes) de gestes et de postures. Les signes, gestes et postures son adressés à la communauté de la loge comme langage non verbal fédérateur, car commun, partagé et signifiant.

Ce langage non verbal que je tente de décrire dépasse ce simple apprentissage et permet d'accéder à la notion de réalité élargie. Il vient enrichir et conforter le langage symbolique qui permet l'analogie, en enclenchant un processus sensible « d’incorporation » et une mise en action de la métamorphose du regard.

Langage et réalité en millefeuille

Le langage verbal ne peut que diminuer, par le choix limité des mots, l’étendue fidèle de la réalité. Donc le langage verbal ne peut décrire que de manière partielle l’entendue de la réalité chère à l’initié. Le périple du langage est semé d'embûches, car le langage de l'initié ne se limite pas à l'apparence, mais étend sa signifiance dans des strates supérieures "invisibles, mais sensibles".

Le problème réside essentiellement dans les niveaux de langages qui sont liés à deux autres éléments qui les précèdent: le réel et la vision.

Le réel dépend de la vision et ce binôme a des frontières extensibles dans le plan considéré, mais aussi en superposition de sens. Donc la réalité, d’un point de vue humain, est une sorte de millefeuille. Chacune des strates de ce millefeuille graduel est traversée par une lumière axiale qui permet la conscience et la vision.

Tous les niveaux de langage en franc-maçonnerie ne peuvent se détacher de la réalité, car l'initiation est une mise en pratique des lois du langage fondé sur la vision du réel, l'altérité et la reliance à plus haut. L'initiation étant un apprentissage de la vision élevée, devient par ce fait une "orthopraxie" des niveaux de langage, dont la fonction est de produire et relater une vision élargie et approfondie de la réalité.

Les moyens d'expression sont les lettres épelées, les syllabes, les gestes, les rythmes et des mots attachés aux symboles constructifs. C'est une codification du langage non discursif, attaché à une spiritualité construite et donc qui se relie à partir de la réalité à un plus haut appelé "divin".

Les niveaux de langages sont encadrés par les grades et leurs tableaux de loges qui conservent vivants les éléments du langage traditionnel de l'apprenti, du compagnon, du maître, etc.

Donc le niveau de langage ou la strate du langage de l'apprenti est caractérisé par les meubles, outils et instrument de son tableau "magique" qui devient sa boîte à outils et registre symbolique associé à la gestuelle du signe et de la posture. L’apprenti n’a pratiquement aucun mot pour s’exprimer en dehors du mot sacré qui n’est qu’épellation et du mot de passe à certains rites. Il ne dispose que du signe d'ordre, de la marche et de la frappe par trois coups sur la pierre brute.

Ce tableau ainsi que les symboles de la loge synthétisent l'univers du grade considéré et la vision « éclairée » du monde qui en découle. En effet on ne peut décrire le réel qu'en fonction de vocabulaire, tournures de phrases et gestuelles associées, acquises par l'apprentissage. Donc le réel dans sa traduction verbale est très dépendant du vocabulaire et du sens acquis, mais nous savons que le réel est toujours plus étendu que les mots pour le décrire. Cela implique qu'il nous faut d'autres éléments de langage pour tenter de relater toute l'étendue du réel...

Ces autres éléments de langage dépendent de ce que l'on peut dessiner sur le tableau de loge qui devient alors une table de projection de l'homme et de l'univers. Les tableaux de loge se superposent de manière axiale (reliance) au milieu du Temple faisant apparaître les différents niveaux de langage situés entre terre et ciel.

La gradualité initiatique dispose qu’à chaque niveau correspond un réel toujours plus étendu d'un grade à l'autre. Donc la réalité est extensible et ses frontières ne se limitent pas au sens discursif et formel. La forme apparente étend son sens dans d'autres niveaux non apparents par analogie notamment.

On peut donc affirmer que l'initiation a pour but notamment de nous donner une méthode d'acquisition de la vision profonde et élargie, partant d'une réalité démontrée.

La technique de vision étant acquise, il faut en donner les éléments de langages qui vont échapper au mode discursif; le langage sera alors non verbal, et même "subtil" pour décrire un niveau de réalité littéralement invisible au profane. Tout objet symbolique déploie une rhétorique verbale et non verbale.

La vision de l'outil ou instrument sous l'angle symbolique et axial sera la première approche d'un langage subtil particulièrement bien illustré au grade de Maître (parole perdue associée à l’usage dévoyé de l’outil). Retenons que le réel est plus étendu que l'apparence et que le langage verbalisé ne peut suffire pour l'appréhender. De plus, seule la vision élargie du réel peut nous amener à rendre compte de l'extension du domaine du réel.

Le langage non verbal et le langage subtil autorisent une extension du domaine du réel, correspondant à la vision de l'initié et du sage.

Nous conclurons en disant que l'homme a mémorisé d'anciennes techniques de vision et de langage dans les temps anciens qu'il s'agit de réactiver. C'est notre héritage de la période magique et chamanique des temps premiers, mais aussi l'héritage de la période spirituelle qui suivit et de la période de raison dans laquelle nous sommes encore…L’initié doit commuter ces trois visions qui sont toutes valables et indispensables pour décrire l’étendue du réel au-delà d’une verbalisation humaine encore trop limitée.

" La trace, le signe et l’augure dans leurs relations au langage non verbal ".

Je cherche ce que pouvaient représenter les traces et signes de la nature et des premiers hommes comme prémices du langage. Cette recherche sur le langage doit se faire dans une perspective d'échange entre l'homme de la tribu et la Grande Nature, puis dans un second temps entre l’homme social et le divin surplombant.

Ce canal d'échange sensible et subtil, doté d'un vétérolangage, sera d'après moi repris dans l'ère spirituelle qui suit l'ère chamanique au profit d'une autorité surplombante unifiée et omnipotente. De vétérolangage il deviendra métalangage.

De la trace au langage et du langage au sacré.

A-t-on idée de l’origine du langage de sa diversité et de son étendue ?

Symboliquement, dans les traditions et la Bible, le monde est généré par un acte premier d’origine divine, par une intention première, par une vibration ontologique. Le Verbe serait cette pensée initiale, et la Parole serait la manifestation du Verbe sous différentes formes et étendues, verbales, non verbales et symboliques.

Aujourd’hui malgré l’éloignement et la dispersion, l’homme est encore sensible aux traces et aux échos de l’ontologie dans le langage profane.

J’imagine volontiers que cette origine se situe dans la relation désirée, imaginée et élaborée entre l’humain et le divin. C’est le principe de reliance.

D’après la Genèse, le langage fut donné à l’homme pour nommer et nombrer les êtres, les animaux et les choses. Ceux-ci n’existaient que dans la mesure où un mot qui les qualifiait fut prononcé. Cette autorisation de nommer venait de l’autorité surplombante divine. Ce langage fut encore sacré, car né du Verbe et connexe de la création et de la manifestation. Ce n’est qu’à partir du mythe de Babel qu’eut lieu la confusion des langues et des langages sur terre. Babel annonce la perte de la langue sacrée. L’homme s’éloignait par son orgueil d’un centre originel qui l’avait vu naître. Bien entendu ce mythe doit être étudié sous l’angle d’un désir de l’homme de retrouver son origine et son paradis perdu. Donc le langage sacré représenté par le nom de Dieu, mais aussi par le premier mot prononcé et transmis à l’homme, est d’abord un désir de reliance au-delà de toutes les réalités scientifiques. Ce désir de reliance est un moteur puissant dans tous les domaines philosophiques, scientifiques et religieux, il permet une progression dans la recherche et l’élaboration d’une vision toujours plus éclairée au-delà du dogme. C’est une dynamique englobante qui construit l’homme et son devenir sans rien perdre de son passé.

Lorsque l’on crée un franc-maçon, on essaie de lui faire retrouver le chemin du langage sacré avec le fameux mot sacré et le mot de passe qui est un mot de passage. L’initiation est littéralement une « tradition », une transmission des éléments de langages qui relient l’homme à sa dimension sacrée. Cette démarche valide le fait que le langage profane a perdu le sens du sacré, mais qu’il peut être retrouvé. Ces retrouvailles sont possibles en alignant le centre de soi avec le Centre des centres dûment représenté dans la structure de la loge. Donc la démarche fondamentale du franc-maçon, comme de l’initié, consiste à retrouver les sens du langage sacré qui faisait l’unité de l’homme en regard de la totalité créée.

L’indistinction du profane et du sacré à l’aube de l’humanité

Pour l’homme des temps premiers il y a une relation invisible et certaine entre la vie et la mort, le ciel et la terre, la lune et le soleil, la chasse, la naissance et la mort, les saisons, les éléments rassemblés et dispersés.

Tout est lié et indistinct dans un horizon de causalités réciproques mystérieuses. La grande combinatoire des éléments donnant la vie et la mort est vue comme une opération magique.

L’instinct garanti la survie, c’est l’aspect du ressenti qui domine associé à l’expérience. Le ressenti s’associe de manière indistincte au "croire" qui n'est pas encore une croyance, et qui est aussi une transmission culturelle relative à la mystérieuse causalité qui établit des correspondances entre les hommes et la Grande Nature. Enfin, l’expérience et l’expérimentation obligent l’homme à progresser sur le chemin d’une pensée qui lui donne le pouvoir d’établir des explications sur les correspondances et les liens de causalité. Le sentir, le croire et le penser étaient donc indistincts, de sorte que le magique, le spirituel et le rationnel se confondaient dans une seule et même vision.

Évidemment le langage est né sur cette confusion généralisée de sorte qu’il fut à la fois magique, spirituel et technique.

S’il y eut un jour une langue sacrée, c’est à l’aube de l’humanité qu’elle s’installa en l’homme pour signifier la source première de son émerveillement face aux puissances de la Grande Nature, ou peut-être fut-elle importée comme certain le prétendent, d’un ailleurs aussi mythique qu’extérieur à la sphère humaine et terrestre ?

Donc ce langage est l’expression des causalités mystérieuses intriquées dans la marche de la nature terrestre, ou plus extérieure à celle-ci comme provenant d’un ciel d’une hauteur faite de coudées sans nombre.

De ces deux points de vue naîtrons une démarche chamanique qui éveille et suscite les puissances naturelles, chtoniennes et isiaques puis en second lieu une démarche spirituelle, supérieurement détachée, céleste, solaire et hermétique.

Le sacré va apparaître et se distinguer du profane avec en lui son double aspect : la crainte des forces de la nature puis l'idée de la puissance dirimante que l’on peut solliciter en faveur de l’homme (autorité surplombante).

La notion d’au-delà est d’abord une affaire de ligne d’horizon, de perspective et de point d’observation du chasseur migrant. Elle ne deviendra que plus tard une notion intérieure à l’homme, faisant le passage de la vie à la mort vers une sorte de continuité.

C’est pour l’idée d’une continuité après la mort physique que le néandertalien enterra ses morts avec des provisions pour une éventuelle continuité, que les Égyptiens embaumeront les morts dans l’attente de la pesée du cœur. De la même façon, les Grecs et les Romains mettrons une pièce de monnaie dans la bouche du défunt pour payer à Charon le passage de l’Achéron et du Styx en vue de leur jugement sur l’autre rive et de l’accès aux Champs Élysée.

Ainsi une continuité après la mort s’organise et se structure avec son langage et ses rites. On voudra que ce langage et ses rites parlent aux puissances souterraines et célestes en vue d’une traversée hypothétique. La traversée supposant encore l’existence d’un monde de transition où se négocie et se juge le passage définitif entre le réel de l’homme et le réel d’un ciel.

L’Homo sapiens prendra conscience de soi en se regardant agir et travailler à une construction sociétale ou monumentale qui le dépasse et lui survivrait. L’art et le symbole seront alors la composante majeure d’un regard sur soi, de l’idée de l’homme-essence vu par l’homme-substance et de sa continuité. Ce regard sur soi que l’on retrouve figuré sur les parois de grottes et bien plus tard dans les mythes et légendes, va écarteler le langage entre des ressentis instinctifs, des croyances traditionnelles, et une pensée expérimentale et rationnelle.

L’homme se regardant agir devient son propre miroir faisant apparaître la notion d’immanence et transcendance. Cette notion de transcendance peut être analysée comme une échappatoire au sort trop bien connu de la mort et donc une perspective de continuité perpétuelle.

Un langage vient s’adosser à ce nouvel horizon, c’est le langage sacré qui se formalise en même temps que « le croire » se formalise par des pratiques et des invocations. Ce sacré se fonde sur le magique, l’image, l’acte rituel, la geste et les mots agissants (invocations-prières). Mais l’homme toujours à l’étroit dans sa condition est allé chercher hors de lui une perspective de survie et de conquête comme il le fit en migrant au-delà de la ligne d’horizon.

C’est donc en séparant la Grande Nature que le sacré deviendra spirituel et séparé de l’homme dans un ailleurs supérieur. Cet ailleurs placé plus haut, se détachait du besoin quotidien pour établir un pont symbolique pour l’ultime passage. Le mort devenait homme éternel suggérant une distinction entre la partie périssable de la partie impérissable de l’homme. Ce seront les premiers bétyles, futurs pylônes égyptiens et colonnes du Temple, qui feront le lien entre les forces terrestres et subterrestre et l’autorité céleste.

Ces pierres dressées manifestent l’intention de reliance de l’homme à plus haut en associant le tellurisme et le chamanisme à la dimension spirituelle solaire. Symboliquement la grotte des premiers hommes se trouve insérée dans la montagne sacrée qui touche le ciel.

La spiritualité et la transcendance offraient un détachement à la condition d’homme mortel. Ici la langue sacrée prendra un sens ontologique et plus seulement chamanique ou magique des anciennes voies d’action sur la Grande Nature.

La langue relative au sacré sera doublement pétrie de la pratique chamanique des invocations (orthopraxie) et de la vision transcendante associée au Verbe devenu Parole qui s’impose, car venue d’en haut (orthodoxie).

Retrouver la langue sacrée par l’image symbolique. L’univers médian.

Au regard de la tradition chère aux sociétés initiatiques, c’est la langue sacrée ou primordiale qui précède le langage commun dit profane. Le profane et son langage désirent recouvrer le sens du langage sacré supposé originellement plus large et plus profond.

Tout langage trouve sa source dans une idée, un schéma mettant en scène l’homme et son éventuel créateur. Le langage a pour fonction notamment de répondre aux deux angoisses de l’homme face à sa naissance et sa mort et face au mystère de la création.

Si le langage a une origine divine, car donné par le divin à l’homme, le temps écoulé a fait que l’homme moderne s’est éloigné de cette origine. C’est à travers les mots et leurs racines qu’il cherche à rejoindre une origine, un centre, un paradis perdu.

La langue sacrée précède le langage profane qui en conserve trace. Le langage via le symbole devient glyphe, idéogramme, figure et image. Il laisse donc une trace qui porte en elle un niveau de signifiance supérieur et ancien. Le mot sacré que l’on trouve dans les sociétés initiatiques serait le reflet plus ou moins déformé d’une langue située dans la proximité des origines et du divin.

L’image est le reflet du sens, elle s’associe au sens du mot et organise un transfert du mot en vision. Il y a donc un génial aller-retour entre le mot et l’image. Cet aller-retour est la base de la représentation mentale et symbolique, mais aussi des lois de correspondances. Nous percevons enfin l’intérêt du langage symbolique en franc-maçonnerie.

Nous retrouvons ce phénomène de reflet illustré dans le cas de l’arc en ciel qui entre en correspondance céleste avec une arche de Noé. Chacun forme le demi-cercle d’une même alliance entre la terre et le ciel. C’est le reflet entre le haut et le bas que nous cherchons à interpréter comme une correspondance entre la terre, la surface des eaux et le ciel. La recherche de l’hémisphère supérieur serait la base de la quête de la parole perdue du maître.

Cette parole perdue serait la parole originelle chère aux francs maçons. La parole audible ne serait que la partie inférieure du sens, l’initié doit en découvrir la partie céleste, subtile ou volatile (et donc non verbale !). Des eaux inférieures il nous faut remonter vers les eaux d’en haut.

Peut-on trouver la preuve d’un langage adapté à l’existence supposée d’un monde concomitant et/ou supérieur dans lequel se crée et se dénoue la relation de l’homme à la Grande Nature et accessoirement la relation de l’homme au Divin ?

Il ne s’agit pas de rechercher un monde parallèle imaginaire ou farfelu, mais plutôt le complément à ce mode des apparences qui puisse donner au réel la profondeur de champs à la pensée. La rationalité ne renierait pas un complément d’âme et d’esprit puisque l’humanisation de l’homme en dépend. L’humanisation passe par une norme supérieure, une autorité surplombante sans laquelle ni la conscience des « devoirs » de l’homme, ni la morale ni le vivre ensemble n’auraient de sens. Les devoirs dont il s’agit sont parfaitement énoncés sous forme de questions dans le testament philosophique du REP et du RAPMM.

On trouvera la preuve d'un langage qui entretient le lien avec les puissances supérieures dans le langage évocatoire et l’invocation de la période magique ou la prière de la période spirituelle. Le langage se spécialisera en même temps qu’une classe spécialisée (clergé) s’occupera de faire vivre le lien. C’est aussi le fameux monde angélique qui a pour support anecdotique le langage des oiseaux, le langage ailé, rythmé, rimé et volatil qui permet la communication avec les états supérieurs de l’Être.

Rechercher ce monde, via le langage, serait admettre la possibilité d’un dialogue direct ou indirect avec la Grande Nature ou avec le Divin. C’est admettre la nécessité d’un espace de médiation qui autorise l’expression et éventuellement le dialogue verbal et non verbal. Ledit espace peut se situer dans un ailleurs intermédiaire entre Terre et Ciel ou entre les hommes et les puissances naturelles…ou plus simplement en soi !

Cet ailleurs, l’homme a tenté de le construire en même temps qui construisait la spiritualité. Construire une spiritualité, c’est répondre à l’appel ancestral de la transcendance. C’est l’ère de la spiritualité construite qui anime la franc-maçonnerie des trois premiers degrés. C’est l’élaboration d’un espace consacré à ce dialogue et à ces invocations sur terre avec l’exemple bien connu du Temple. Cet espace est le lieu privilégié de la naissance de la conscience de l’homme dans son rapport à la fois à l’Unité et au Tout. C’est par l’arrivée de la lumière symbolique autorisant la « vision » qu’émerge la conscience du rapport de l’homme à une totalité. Le temple ou l’enceinte sacrée vont permettre de formaliser, de ritualiser un modus operandi de la conscience humaine par l’étoile pour les initiés ou du soleil pour les croyants. Notons que cette émergence repose sur une mise en pratique de techniques langagières typiquement initiatiques que les religions viendront capter et cristalliser au profit d’une doxa.

Ce monde connexe, parallèle ou intérieur, pourrait être un monde imaginaire au sens d’un monde de la production d’image-reflets et toutefois investi d’une consécration ancestrale et mythique. Il s’agirait alors d’une strate de l’esprit et de la pensée humaine qui dialogue par le rêve, le songe et les invocations avec les puissances invisibles, mais sensibles. Ce monde est donc potentiellement agissant dans le déterminisme de l’homme et sa perception « étendue » du réel.

Le mythe lui-même occupe cet espace, en interface. Ce monde médian et allégorique situé entre les Dieux et les humains. Il suffit d’affirmer que le divin est une phase dans l’affirmation de la conscience humaine et sa négation sera une autre phase de cette affirmation pour résoudre l’antagonisme des croyants et des non croyants. L’initié traverse cet antagonisme avec un détachement dans le sens ou sa vision et son langage est libre de tout dogme. L’initié met en pratique des facultés de représentations spirituelles et conceptuelles. Ces aptitudes donnent à la réalité une dimension qui dépasse les apparences.

L’initié exploite une potentialité de la conscience libre, mais ne s’arrête à aucun dogme ni sclérose mortifère. Le libre exercice de la conscience consistera à choisir à partir des schémas archétypaux qui alimentent cet espace médian de réflexion et de guidance du réel, ceux qui lui semblent les plus universels. Bien entendu, cet universalisme passe par la définition de la place de l’homme dans l’univers et doit résoudre le double mystère de la création et de la vie.

Le langage et le rapport à l’invisible dans un espace donné-Voies d’actions

Ce langage lorsqu’il est verbal est celui de l’incantation des forces de la nature, c’est aussi celui de la prière. Nous dirons que le monde (fut-il intérieur) qui est destinataire de cette verbalisation est un territoire opérant sur la réalité. Le langage en question est le résultat d’une communication supposée entre le divin, ses intermédiaires et l’homme. Ce langage peut aussi être non verbal, fait de gestes, d’encens, d’objets symboliques, d’images, de rythmes, etc.

Ce langage va donc être destiné à obtenir une action, un agrément dans ce monde intermédiaire (consacré ou imaginaire) en vue d’un effet dans le monde concret (celui des hommes, de leur détermination voir de leur autodétermination). Le langage utilisé, outre les invocations et prières, est fondé sur des actes et des dons, des sacrifices pour s’attirer les bonnes dispositions de la nature ou du divin. On attend de cet arrière monde des signes et des marques lisibles dans le réel apparent. C’est donc un arrière monde non apparent que l’on convoque dans une éventuelle invocation ou incantation, et un monde supérieur lorsqu’il s’agit d’une prière.

Donc l’homme aurait conçu il y a fort longtemps que le réel se prolongerait dans un espace non visible en apparence, mais réellement sensible. Nous l’appellerons « l’arrière monde », car non apparent, mais supposé dirimant sur le cours des choses et sur le destin des hommes.

L’arrière monde serait affecté aux opérations et voies d’actions qui intéressent la Grande Nature dans ses puissances invisibles alors que le monde supérieur serait l’apanage du divin créateur et ordonnateur du chaos. Une sous classification serait donc à faire entre un arrière monde dit inférieur et un monde supérieur. Le passage de l’un à l’autre serait une évolution d’une perception magique et chamanique avec une diversité de puissances (arrière monde), vers une vision unifiée spirituelle confiant au divin l’origine et la fin du monde et des hommes, avec l’idée d’une porte donnant sur les cieux (monde supérieur).

L’arrière monde est une instance qui sans être surplombante comme le sera l’idée divine, influence le cours de la puissante nature. Enfin pour arriver à utiliser ce que nous appellerons les voies d’action, on s’en remet à des intermédiaires compétents qui sont, par leurs dons ou leur sacerdoce, dévoués à l’invocation ou la prière. Ce sont les chamans et autres sorciers-magiciens dans le cas de l’inframonde et les prêtres ou pasteurs dans le monde spirituel. Les premiers s’adressent aux forces telluriques et aux planètes et étoiles qui influent sur la puissante nature, les seconds s’adressent au "Bon Dieu" et à ses saints et autres anges qui servent d’intermédiaires et de passeurs. Le schéma général est donc le même quant à la structuration sociale de l’intermédiation entre l’homme et les puissances.

Ces intermédiaires sont des intercesseurs qui plaident la cause auprès de l’autorité suprême ou l’esprit tutélaire. Cette démultiplication par médiation dans un monde intermédiaire, entre le divin et l’homme, est un héritage et un recyclage des dieux païens de la période animiste et polythéiste vers un système monothéiste.

Donc l’espace religieux « consacré » qui occupe l’axe spirituel, a digéré et recomposé à son profit les anciennes pratiques concernant la Grande Nature, jusqu'à superposer sa liturgie et son dogme sur les fêtes et les croyances dites païennes. Les sciences dites traditionnelles qui sont par exemple l’astrologie ou l’alchimie spirituelle voir même la cabale et les Tarots sont des vestiges de la période chamanique où l’on avait appris à lire le sens des signes des traces et des images dans un niveau symbolique qui avait un véritable rapport utile pour la survie de l’homme ou son maintient social. Cette lecture utile et divinatoire des signes et des traces nées d’un réseau de relations invisibles est un langage en soi. Cette lecture n’avait pas de caractère mystérieux pour celui qui savait les traduire en vertu de son expérience passée et de ses transmissions.

La trace est un signe, l’apprentissage d’un langage en soi

Le signe est une trace. La trace deviendra signe que l’on va nommer dans les trois espaces : rationnel et concret, imaginaire et magique, spirituel et transcendant.

Le réel revêt les habits de l’apparent et du caché.

Le langage relate l’apparent et le caché. Le langage commence par nommer la trace et le signe qu’il faut identifier et interpréter.

Nommer la trace ou le signe suppose un apprentissage du sens et une transmission. Donc le signe s’adossait à l’apprentissage hérité d’une caste impliquant la notion d’appartenance. Le langage avait une dimension plus étendue que l’émission d’un son signifiant. Le mot prononcé s’accompagnait d’un sens et d’implications qui faisait apparaître une dimension non visible, mais imaginable, c’est la dimension signifiée du mot.

Dès lors le mot lui-même entraînait une dimension invisible et sous-jacente. Il en sera ainsi notamment du signe qui, au-delà de toute verbalisation, induit outre le sens immédiat et concret, une dimension divinatoire ou prédictive et intuitive.

En matière initiatique, un signe peut relever d’un fait ou d’une apparence dont on n’avait pas perçu la profondeur ni le déroulement dans l’espace et le temps. Lire le signe ou la trace, c’est dire ce qui était, ce qui est et sera.

La lecture initiatique du signe outrepasse le temps et l’espace. En trouvant le sens originel du signe, on découvre ses implications dans d’autres plans, mais cette découverte est à la fois intérieure à soi et universelle. Intérieure, car seul l’homme peut lire les signes et les traces. Universelle, car les signes s’apparentent à des clefs ouvrant à notre compréhension des plans superposés.

La lecture analogique impliquant des correspondances entre différents plans permet de donner le sens complet du signe dans ses dimensions non apparentes, mais réelles. Le langage étant l’expression du signe et signe lui-même, il est normal qu’il porte en lui toutes les dimensions inhérentes aux plans successifs qui donnent un triple « signifié » au langage. Le langage sera verbal, symbolique et non verbal et son triple signifié sera dépendant des lois d’analogies :

1/ intentionnel dans son désir de reliance,

2/conceptuel dans son désir de représentation schématique du réel

3/symbolique dans sa production d’image-reflet du mot.

Ce qui est caché au profane, c’est la relation de cause à effet entre les trois signifiés et la réalité.

La lecture des signes de la nature ou du destin avait la vertu d’exprimer concrètement l’utilité et la réalité de ce fameux monde intermédiaire dans lequel le lecteur va chercher la causalité mystérieuse et les interprétations attachées au signe. L’apprentissage reposait sur la connaissance en partage de la bibliothèque des relations entre les traces, signes et images signifiantes, leurs interprétations et leurs conséquences.

D’où vient cette aptitude des hommes à lire et comprendre les signes les traces et les marques ?

De la chasse ancestrale au gibier nourricier où l’homme se retrouva à communiquer en groupe et à relever et interpréter les marques et traces des animaux dans le sol. Ces marques portaient l’espoir de survie et organisaient un dialogue entre la proie et son chasseur. La marque de référence devient « signe », signifiant concret et signifié en vertu d’une intention. Par exemple la marque d’un animal blessé se remarque par l’irrégularité de ses traces laissées dans la terre et la fraîcheur de la trace permet de prédire les chances de rejoindre cette proie. L’animal est relié comme l’homme à cet inframonde qui sous-tend la Grande Nature, on peut donc s’y référer pour obtenir le succès de l’entreprise. L’animal blessé est une aubaine pour un chasseur, c’est un animal que la Grande Nature veut délaisser et que l’homme peut prendre. Nous verrons plus loin que du point de vue du chasseur cette trace prometteuse dans la terre n'est pas due au simple hasard. À la chasse on risque sa vie, il est donc nécessaire d’invoquer les esprits afin que la chasse soit un succès. On peut dire que l’homme dans la période chamanique ne se distingue ni de sa proie ni de la nature à laquelle il appartient. Il n’est pas encore démiurge, il ne domine pas le milieu dans lequel il s’intègre en qualité de prédateur parmi d’autres. Il est lui-même une proie potentielle pour d’autres prédateurs. Nous sommes dans un monde de dominants et de dominés où l’homme est encore dans une situation instable. Intelligemment, l’homme de la période chamanique tente de mettre toutes les chances de son côté en établissant un dialogue pour s’attirer les bons augures et les bons signes. Le résultat dépendait de la pratique de rituels qui reconnaissent la toute-puissance de la nature et de ses signes et augures. On peut dire que l’insertion de l’homme dans la nature n’est pas encore Prométhéenne ; l’homme n’est pas encore le colon dominateur et inventif des temps modernes.

La nature s’exprime à l’homme de manière non verbale par des signes et des marques que l’homme doit interpréter. Il les interprète souvent comme la preuve de la puissance des la Grande Nature, c’est sur cette base que seront établi plus tard les mythes de création et de destruction du monde avec l’épisode du déluge qui annonce le changement de paradigme. L’ancien temps de la magie et du chamanisme fera place au temps de la croyance spirituelle d’une main divine qui guide la puissante nature et le destin des hommes (passage de l’eau au feu).

Du senti et ressenti nous passerons à la foi de sorte que l’homme élaborera une théorie selon laquelle il possède en lui une parcelle de divinité.

Le don mutuel comme source d’échange linguistique et symbolique

Un langage s'élabore entre l’homme et les puissances de la nature et le divin, fait de signes, d’offrandes d’espèces, d’encens, et d’invocations à connotations symboliques.

Ces dons et suppliques faits à l’attention d’une puissance souterraine ou d’une autorité surplombante, sont des langages de reliance entre deux mondes : le monde du chasseur nomade et le monde caché qui influence la Grande Nature. Ce langage invocatoire prépare le terrain de l’inframonde au prélèvement qui sera fait par l’homme dans la Grande Nature, inversement l’inframonde va favoriser ou rendre difficile l’entreprise.

C’est donc l’expérience du comportement animal et la bonne connaissance de la puissance agissante qui est transmise de père en fils. La transmission inclus le langage secret de l’invocation. La chasse comme l’enfantement, fondateurs du rituel de vie et de mort sont par définition initiatique.

Ces invocations offrandes et sacrifices ritualisés et codifiés sont utiles à la concentration de l’homme en regard de son objectif. La concentration en regard de l’objectif est une garantie de bonne fin dans l’entreprise. La concentration est toujours issue d'une rituellie provocant une mise en condition et une mise en relation avec la puissance naturelle. Ce travail de concentration permet la survie de l’homme et de l’esprit qui l’anime, c’est donc une méthode majeure du langage initiatique du chasseur qui prépare sa chasse comme du franc maçon qui ouvre ses travaux. On retrouve dans les groupes de combat des rituels de préparation et de concentration qui était associés à des veillées d’armes et des prières. Les loges militaires se réunissaient sous la tente ou des lieux de fortune la veille de la bataille.

Dans tous les cas la concentration passe par un échange ritualisé de type invocation ou prière. On en retrouve trace dans la plupart des rituels maçonniques anciens.

En loge comme dans le Temple c’est le principe de concentration qui prévaut. Tous les regards sont tournés vers la source de lumière à l’Orient comme au centre du Hékal. Les rites initiatiques favorisent l’acquisition d’une expérience de concentration et l’entretien mémoriel du répertoire des signes. Les rites s’effectuent en groupes cohérents renforçant l’esprit communautaire appelé « esprit de corps » et augmentent les chances de survie renforcée par le sentiment identitaire ou la notion d’appartenance clanique.

L’invocation d’une aide circonstancielle pourra augmenter les résultats de la poursuite par autoconviction et surmotivation. On invoquera tel ou tel esprit de la forêt afin qu’il favorise la poursuite et on récompensera cet esprit par un don ou une évocation en guise de remerciement et d’allégeance. La proie devait être aussi compensée ou honorée afin de ne pas créer de déséquilibre entre le monde des hommes et l’inframonde directeur de la nature.

Le lien entre ce monde et les puissances de la nature se fait par l’élaboration d’une lecture des signes. Connaître les signes, c’est connaître le fonctionnement des puissances naturelles.

À l’origine la lecture de ces signes n’est pas mystérieuse et relevait d’un apprentissage culturel. Le signe ou la trace n’est pas fortuit, sa signification est la conséquence de la communication ritualisée entre l’homme et l’inframonde : la trace de l’animal blessé a été mise sur le chemin du chasseur. Les deux chemins se sont croisés comme deux destinées. C’est un augure favorable à l’attention du chasseur qui en conservera la mémoire. La mémoire d'une réussite confortera l'adresse à la puissance. Le chasseur aborigène dessine sa proie sur une pierre comme un signe d’appropriation de son esprit. C'est un langage triparti entre le chasseur, la puissance naturelle et le gibier. Il existe donc un espace d'échange et d'influences sur lequel il faut s'appuyer.

Le signe, le dessin transitent dans ce lieu d’échange. La rencontre et le don de l’homme et de sa proie à lieu dans le monde des esprits auquel ils sont reliés. Cet inframonde pseudo-réel, lié à la Grande Nature est le lieu du croisement des destinées. L’échange suit des règles d’équilibre et de respect qui associent des incantations et un langage non verbal, une concentration extrême par visualisation de la proie. Ce qui est prélevé doit être compensé. C’est la raison pour laquelle les francs-maçons héritiers de cette tradition faisaient l’invocation à Dieu puis au GADLU pour obtenir son soutien dans leur entreprise de construction de l’Œuvre.

Ce monde plus ou moins visible suivant les sensibilités n’est pas encore, pour le chasseur de cette période reculée de l’humanité, la conscience éclairée du divin, mais reste un monde d’interconnexions qui ont un effet sensible et donc réel et agissant en notre for intérieur. Nous dirons que ce monde est probablement intérieur à chacun de nous, et relève aussi de données psychiques.

Nous avons vu le cas du chasseur nous pourrions en dire de même s’agissant du navigateur qui en fonction des signes avant-coureurs de la puissante nature oriente sa trajectoire, ou demande l’assistance ou l’intercession de forces occultes.

Nous pourrions de même relater l’appel aux ancêtres de la tribu ou du clan afin qu’ils viennent se battre au côté des vivants et vaincre. Ces anciens dont on porte sur soi les traces et reliques (gris-gris, amulettes, marquages tribaux ou tartan du clan en Écosse) sont autant de marques et de signes d’appartenances agissants et signifiants. Invoquer et évoquer les anciens, c’est faire du passé un présent agissant dans un monde intermédiaire, c’est demander l’intercession des ancêtres dans le monde des morts au profit du monde des vivants, c’est aussi rendre l’invisible présent et agissant par un lien de cause à effet subtil.

Les morts avec lesquels on restait relié permettaient l’intersession, ce qui explique le culte des ancêtres. C’est donc dans un monde invisible que se décidait en partie le sort de la bataille.

L’ère chamanique est donc marquée par la naissance d’un dialogue avec un invisible sensible et un réseau relationnel sous-jacent.

L’unification des forces et puissances, émergence de l’ère spirituelle et l’ère rationnelle,

Lire les signes c’est donc établir une relation et un dialogue avec les puissances de l’invisible où tout se noue et se dénoue, c’est renforcer les chances de survie dans une nature où l’homme n’était pas encore dominant, c’était enfin garantir les grands équilibres naturels afin qu’ils soient toujours favorables et pourvoient à la subsistance.

La dominance de l’homme sur les puissances naturelles se fera dans la deuxième ère, celle de l’ère spirituelle et religieuse qui succéda à l’ère magique et chamanique.

L’homme spirituel n’a pas perdu de vue l’inframonde ou l’arrière monde, mais découvre les principes d’unité divine supposant l’existence d’un monde supérieur qui développe sa présence dans tous les registres naturels et sociétaux en qualité d’autorité surplombante et légitimante. De plus la vérité se trouve désormais non plus dans la Grande Nature, mais dans un Temple et un Livre Sacré qui recueille la révélation et les Tables de la Loi.

Ce Livre donne à l’homme le rôle d’exploiter et dominer la nature et légitime par son clergé l’autorité temporelle et spirituelle. Il est donc désormais inutile de vouloir dialoguer avec les esprits ou la puissance de la nature, car celles-ci sont désormais réunies dans une seule entité divine dotée d’un clergé spécialisé dans le dialogue entre l’homme et Dieu. C’est alors une entreprise de récupération qui voit le jour : tous les canaux de communication, tous les lieux magiques, toutes les dates et fêtes de la nature seront récupérées par l’entreprise du dieu unique.

Subsiste la voie initiatique qui est née avec les anciens rites de passage et qui s'est alimenté de la lecture des signes de l’ère chamanique. La voie initiatique préexiste à la voie religieuse et entretient dans ses rites la célébration des cycles et ordonnancement de la nature. La voie initiatique recueille les traces anciennes des puissances naturelles qui sont les sagesses, les harmonies et les puissances, et les "réorientent" vers l'Unique en Sagesse, Beauté et Force. La voie initiatique concède ainsi au dieu unique l’idée majeure d'une lumière synonyme de conscience éclairée et de vérité : Dieu, ainsi que les consciences éclairées cumulées de tous les hommes, recoupent sous l’angle externe à soi comme interne, le principe d’unité.

Puis enfin vient l’ère de la raison.

L’homme rationnel succède enfin à l’homme spirituel et engage le dialogue non plus avec la Grande Nature ou avec l’entité divine, mais avec lui-même. Ici encore l’initié s’impose en s’adaptant et introduit la rationalité scientifique et sociologique dans ses travaux tout en reconnaissant la pluralité spirituelle du franc-maçon.

L’homme rationnel fait confiance à la raison et considère la rationalité comme un facteur de progrès. Tel saint Thomas, il ne se fie qu’a ce qu’il peut démontrer et voir.

Évidemment le tableau ainsi dressé peut paraître caricatural. Il l’est, car l’homme a toujours eu en lui les trois dimensions magique, spirituelle et rationnelle. Néanmoins, il est clair qu’une grande partie du langage verbal et non verbal repose sur la lecture instantanée des traces et des signes et que c’est l’ère chamanique et magique qui porta la première, les éléments de base d’un symbolisme traditionnel. Cette base est désormais référencée dans notre bibliothèque d’images archétypales.

Pour l’ère spirituelle, la prière n’est qu’une affirmation déifiée de l’ancienne évocation et invocation des temps anciens, et pour l’ère rationnelle,on substitue à cette invocation une équation mathématique. L'équation porte en elle un vieil héritage "magique". Elle ne serait alors que la mise en ordre rationnelle de l’intuition magique du monde et sa confrontation dans l’un des niveaux de la réalité.(le principe de Gravité découvert par Newton est né de la recherche d’une force divine universelle animatrice de la Grande Nature !)

La non-verbalisation d’un langage, remplacé par signes et marques qui font sens, pourrait trouver son origine dans la communication de l’homme avec cet arrière monde. C’est alors une vision que l’on tente de cerner par d’autre moyen que le discours et la description, car le langage, notamment non verbal, sera toujours plus vaste que la parole réductrice. Une lettre hébraïque ou une comète dans un ciel préhistorique auront une puissance évocatrice supérieure à toutes les encyclopédies réunies.

Il en va de même du songe, du rêve et de l’apparition. La hiérophanie fut conçue par les anciens comme une communication et une intrusion entre l’homme, le monde des apparences et le monde subtil. Le songe de Jacob est un excellent exemple d’une vision prélevée dans une espace intermédiaire qui n’a point besoin de discours pour être efficace dans le monde réel. La vision qui est une image en autant de « points de vue » que de barreaux à l’échelle. Cette vision est donc associée à un langage évolué graduel et subtil et axial dépassant le stade réducteur du discours.

L’intuition d’un langage global associé à la vision

Le songe de Jacob nous montre l’espace intermédiaire où se trame, se nouent et se dénouent les influences du magique agissant ou du divin surplombant.

C’est dans cet espace rêvé que naissent les images qui donneront l’étendue du langage verbal, non verbal et symbolique des correspondances. Cet espace est le lieu de naissance des mythes et des archétypes élaborés par la conjugaison des trois signifiants : l’intentionnel, le conceptuel et le symbolique

Le songe et sans doute le rêve sont des états de conscience en relation étroite avec la réalité. En même temps, le rêve tente de se détacher de la contingence par une mise en scène visionnaire dépassant les limites du concret apparent. Il est donc primordial de distinguer le réel de l’apparent.

Le rêve et le songe notamment, sont des portes d’entrées dans cette espace médian où tous les éléments liés à la production d’images (magie) et à la figuration du divin prennent « formes ».

Le langage est lié à la vision du monde qu’il est censé décrire. Les formes notamment, avec les intentions qui y sont associées (voir la notion d’intention décrite dans notre précédent article) et donc la reliance du langage, sont liées au lieu dans lequel s’exerce la vision. Ce lieu est souvent inscrit dans une verticalité unique et dans une horizontalité multiple. Le mythe et la légende bénéficient de ce schéma, ce qui permet l’application des lois d’analogie, mais c’est aussi le cas dans l’expression religieuse du messie. À partir ce lieu « multicouche », il est logique que le langage qui va interpréter la trace, le signe ou la vision puisse s’entendre ou se répandre dans les différents niveaux de conscience qui éclairent la réalité.

Le songe comme le rêve font partie des éléments influençant la réalité en lui donnant une causalité « magique » ou spirituelle », il est donc logique que le langage du réel soit partiellement non verbal, et compréhensible dans un domaine cognitif subtil. C’est donc ce langage subtil qui remplace la parole lorsqu’elle est perdue ou sans efficacité pour relater la profondeur d’une réalité qui touche à cette espace médian. Ce langage subtil est celui de l’initié. Si le réel est plus profond que la simple apparence alors le langage pour le décrire peut ne pas être verbal.

Ce nouveau niveau de langage est alors global et non limité à la verbalisation.

Vision, langage et vérité

Il peut y avoir une représentation universelle du monde appelée « vérité », mais aussi des modalités d’expression différentes de ladite « vérité ».

L’apparente disparition contemporaine de ce monde inférieur ou parallèle est la conséquence d’un refoulement due à la rationalité conquérante qui explique le monde par des lois scientifiques. Mais les flux et reflux de l’autre monde viennent à nous comme l’écume de la vague.

Notre intuition, pour ne pas dire notre instinct, nous informe de la réalité de langages non verbaux en sommeils. Il faut donc d’une manière très scientifique rechercher les raisons qui nous permettent de considérer ce monde intermédiaire comme valable et réel aux yeux des hommes. Cette recherche peut se faire comme dans les temps anciens par la mise en relief de traces et de signes.

L’homme ne fut pas toujours scientifique, il fut aussi observateur des liens de causalités secrets qui liaient les hommes, les événements et les choses. Pour articuler ces liens de causalité, il donna des vêtements et un visage aux puissances de la nature afin qu’elles soient reconnaissables aux yeux de tous et qu’elles puissent être nommées, invoquées, racontées et vénérées. Ce fut la période des idoles et des totems que l’homme, malgré son approche rationnelle, a conservés au fond de lui. L’ensemble des signes et représentations concernées est associé à des histoires qui racontent le monde des temps premiers.

Cette anthropomorphisation du lien de causalité entre le visible apparent et l’invisible agissant, entraîna l’émergence du divin multiple en autant de figures que de puissances naturelles « nommées ». Il y eu le dieu du vent, de la mer, la déesse terre et le dieu soleil, etc. La mythologie est la source inépuisable d’un dialogue ancien entre les puissances de la nature transformées en dieux et l’homme. Ceci constitue une preuve de l’existence d’un dialogue « mythifié » en l’homme, mêlant le réel et les mondes divins. Ces mondes divins comme autrefois l’arrière monde participèrent au réel et l’intègre par les signes et les marques pressenties comme influençant la destinée. Les signes de l’apprenti, du compagnon comme du maître préfigurent la destinée de ceux-ci en vertu du non-respect du serment. Le serment n'a d'autre but que de protéger le secret de l'entrée en relation avec le monde de l'intermédiation. La mécanique du langage doit en effet rester secrète pour éviter que des profanes ne s’en emparent à des fins de manipulation de foules. Les dictateurs s'appuient sur la manipulation subtile du langage aboutissant à la faillite de l’humanisation.

Ici apparaît la bibliothèque des archétypes présents en l’homme depuis la nuit des temps. Ces archétypes qui sont illustrés par la scénographie du mythe, transportent et replacent la structure fondamentale de la pensée dans un ailleurs divin. Ces mythes font partie d’une tradition ancienne qui continue à cheminer au milieu de la modernité. Il en est de même des puissances de la nature qui plus que jamais régleront le sort de l’humanité.

L’inframonde par sa médiation induisait le respect de l’équilibre naturel, l’homme n’était qu’une partie du tout.

Donc l’arrière monde comme les mondes d’en haut, restent présents dans le ressenti de l’homme et ne seront jamais éradiqués par une rationalité moderne. Nous dirons alors que la rationalité ne peut évoluer sans considérer les dimensions de l’inframonde comme faisant partie d’un réel subtil et naturellement ressenti par l’homme.

Les traces probantes ?

La preuve de l’étendue du langage se fera en suivant le reflet de l’image intemporelle et délocalisée que suggèrent le mot et la parole nés d’un langage « verbal ». En ce sens c’est le seul cas ou la parole verbale est "agissante" dans le même registre que le langage non verbal. Tous les langages verbaux et non verbaux donnent accès à la représentation mentale.

Cette représentation donne accès à la « vision » initiatique sur laquelle on applique les lois de correspondances. C'est ici un exercice de transposition, mais il serait possible que ce niveau de langage dit de la « représentation mentale » soit autonome. Dès lors chacun disposant de ses propres facultés de représentation, ont peut suggérer que la représentation soit transmise sans langage verbal. La transmission serait inaudible, mais sensible pour ceux qui auraient pratiqué l’exercice et qui connaîtraient la bibliothèque des grands schémas de représentation symbolique, ce que nous offre la franc-maçonnerie.

Le moyen de communication serait soi par le geste ou l’attitude et dans l’attitude on pourrait retenir la concentration extrême qui établirait une sensibilité particulière et donc un canal de communication. Sur ce dernier point, on peut s’interroger sur la nature réelle du phénomène d’égrégore qui appartiendrait à la réalité d’un groupe rituellement uni, concentré et sensibilisé. Mais il est bon de rappeler que le maçon en loge est appelé à une forme extrême de concentration avec ses FF et SS depuis l’abandon des métaux jusqu’a l’allumage des feux sagesse, force et beauté. Cet allumage du point de concentration est au centre de la loge. C'est un véritable centre de partage et de convergence, mais c'est aussi, par association symbolique, l'identification de centre intime de chacun des "présents ". Il y aurait donc établissement d’un chemin commun à tous qui serait l’activation d’un centre par concentration. La résonnance d’un centre individuel formé et concentré est-elle perceptible par un autre participant également formé et concentré ?

Il y a lieu de rechercher les traces extérieures de l’existence d’un inframonde dans les tribus primitives, en précisant que ce monde est enfoui en chacun de nous. On le qualifie d’imaginaire, car il produit des images ou des représentations symboliques, mais il est réel pour les aborigènes.

Ce que nous avons en nous est une aptitude à la vision de la nature dans ses forces et puissances qu’elle développe, et cette vision résiste à l’explication scientifique sans la combattre. Qui dit vision dit signes, marques, traces et images qui sous-tendent l’intuition et l’embryon du raisonnement. Le raisonnement serait historiquement issu de l’intuitif.

Dans les rites primitifs de certaines tribus, on retrouve des traces probantes de la vison et l’exemple des aborigènes d’Australie peut démontrer le dialogue existant entre la Grande Nature et l’homme via un inframonde : les hommes sont reliés pour un temps donné avec le reste de la Création. Cette reliance inclut les générations passées et futures. Chez les aborigènes, c’est une vision globale inclusive du non apparent. La sagesse impliquée par cette vision, s'acquiert tout au long de la vie en écoutant, en observant et en expérimentant d’une manière initiatique l’environnement de l’observateur comme un lieu « relié ».

Les aborigènes ont une profonde compréhension de la nature humaine intriquée à son environnement. Une réalité intangible appelée « vérité » de ces peuples est liée aux lieux sacrés. Pour les aborigènes d’Australie, tels montagnes ou massifs sont un témoignage du temps du rêve où le monde fut créé par des esprits ou des "Grands Êtres" Ceux-ci ont façonné le monde et tous ses composants.

Ces mythes et légendes rendent comptent d'une forme de vérité. Les lieux et territoires sacrés transmettent la sagesse et la connaissance accumulées par les ancêtres en des temps immémoriaux, ils sont à la fois signes et marques de la communication existante entre le réel et le l’arrière monde. Ces Êtres dictent aux hommes la conduite à tenir en matière d'organisation sociale ou politique. Nous pouvons dire que la vision globale implique une représentation entraînant le visible et l’invisible dans un même schéma et que cette représentation visible et non visible est un réel complet. Il en est de même du langage qui est à la fois verbal, symbolique, subtil et non verbal, et plus primitivement formé en pensée par concentration. Peut-on affirmer que deux êtres formés à un réel étendu et qui ritualisent la concentration, peuvent communiquer en pensée ?

Naturellement formés au rationalisme nous demandons la preuve de l’existence d’un mode de langage en pensée, or il se trouve que la preuve telle que nous l’envisageons ne repose que sur le constat de l’apparence. Rappelons que l’apparence est règle de la modernité. L’ancienne tradition ne s’arrête pas à l’apparence qui n’est qu’un artefact d’un réel trop limité. La preuve ne serait rapportée que par une immersion dans un réel élargi. C’est ce que nous enseigne le rituel du serment maçonnique: les yeux bandés, le futur apprenti jure sur le livre de la loi sacrée, l’équerre et le compas. Le rituel maçonnique met ainsi en route un langage (ici sacré) qui n’a point besoin d’apparence pour former ses certitudes, et par le silence il nous enseigne que le langage est d’une autre nature que verbale. Ces deux constats semblent nous orienter vers un autre langage, comme celui les aborigènes d’Australie. Ces derniers orientent leur langage dans un temps et un lieu englobant le non apparent. Le temps et le lieu symbolique de la loge deviennent « sacrés » et séparés du profane. Le langage sacré est donc un langage de reliance fondé sur la pensée et la représentation mentale d’une communication non verbale.

Les anciens chemins de l’inframonde seraient accessibles par les voies d’actions nées de la concentration que l’homme spirituel va récupérer. Cette concentration héritée de la période chamanique et magique sera reconvertie dans la relation à l’unité divine. Ces voies d'actions sont activées de diverses manières, comme l’infinie étendue du langage qui investit d’autres lieux et d’autres temps à partir d’une situation présente et concrète.

L’homme rationnel voudra y voir une étape dans l’évolution de la conscience et ne s’y arrêtera que pour la relater et non pour réintégrer cette pratique; il refusera la dimension du langage sacré trop irrationnel. Ce qui échappe à la raison fondée sur la preuve et l’apparence est relégué à la rubrique des croyances.

Ceci constitue une erreur, car la reliance n’est pas nécessairement religieuse, elle peut être exclusivement initiatique et le langage sacré n’est pas obligatoirement celui d’une religion, mais celui de la sagesse de l’initié qui s'appuie sur l'expérience d'un réel élargi.

(…) à suivre

À travers l’évolution du langage de reliance nous tenterons d’établir le chemin de la conscience éclairée qui est la base de toute démarche initiatique

ER

Partager cet article
Repost0
30 octobre 2015 5 30 /10 /octobre /2015 19:11

Notion d’intention initiatique

(cet article est la suite de l'article "Histoire et vérité d’un rituel maçonnique."http://www.ecossaisdesaintjean.org/2015/09/histoire-et-verite-d-un-rituel-maconnique.html, et de "La parole perdue clefs de lectures et perspectives." http://www.ecossaisdesaintjean.org/2015/06/la-parole-perdue-clefs-de-lectures-et-perspectives."Le secret initiatique notion de reliance" http://www.ecossaisdesaintjean.org/2015/02/le-secret-initiatique-de-la-divulgation-a-la-revelation-notion de reliance-")

En tentant de faire un parallèle entre la vérité historique et la vérité initiatique, nous avons compris que la première ne pouvait prétendre complètement relater la seconde.

La vérité historique ne relate qu’une réalité restreinte et temporelle, la vérité initiatique donne à percevoir une réalité étendue reposant sur l’intention de reliance et de connaissance qui dépasse le fait. Pour ainsi dire l’intention transcende le fait sans le nier, lui donnant une épaisseur particulière qui servira de base au symbole.

L’initiatique reposant sur l’expérience « consciente » du vécu, il semblait logique que nous en recherchions les limites en prenant appui sur la réalité, en dépassant le système discursif et documenté d’un fait, pour atteindre la notion d’intention. La conscience du réel serait chez l'initié marquée par l'intention de reliance. On repousse les limites du domaine du réel en s’appuyant sur la notion d’intention et de reliance à plus haut. Cette intention s’exprime par un langage non verbal et utilise la technique symbolique et l’analogie. Finalement, le symbole est tiré de l’objet « réel » que l’on observe avec une intention interprétative qui repose sur la méthode analogique. Nous pouvons dire que la réalité augmentée de l'initié se fonde sur l’intention et a pour outils la méthode analogique.

Nous tenterons de poursuivre l’exploration du domaine du réel « élargi » par la notion d’intention.

Il n’y a pas d’action ni de transformation sans intention. C’est l’intention de reliance qui permet le passage de l’action à la réalisation « éclairée » pour l’initié. Pour l’œuvre de l’initié, le passage de la forme à la transformation et à la transmutation est encore rendu possible par l’intention.

Il y a donc à partir d’une attache indiscutable au réel, une volonté, une intention de se relier à un plus haut ou a un centre absolu et originel. Cette volonté se manifeste en loge part l’usage symbolique de l’épée droite qui symbolise le rayon qui nous relie au centre initial, et de l’épée flamboyante qui est celle des Kérubin qui nous ont tenus éloigné du paradis perdu depuis la chute. L’initié se tient donc entre le constat de la chute et de l’éloignement et son désir de retour et de réintégration au centre.

Cette tension est le moteur principal de l’initiation et de la réalisation. Nous appelons cette tension, « intention » en ce quelle marque la volonté d’un retour, d’une reliance à quelque chose de plus haut et de plus sublime. Ainsi la pensée, qui précède la volonté de se relier à plus haut (l’intention), induira l’action de l’initié. Géométriquement, l’action se fera sur un plan donné (la réalité), mais l’intention s’inscrira dans un axe. La pensée suivra alors le schéma symbolique de la loge maçonnique qui est représentée par cette incontournable croix tridimensionnelle. Philosophiquement, le réel d’un plan est donc interdépendant de son axe et de son centre que l’on doit rechercher. Ce fameux centre est encadré en loge par les qualificatifs suivant : force, sagesse et beauté entre lesquels se déploient les trois plans successifs de l’apprenti du compagnon et du maître.

Nous avons compris que l’initiation maçonnique œuvre à partir du réel et tente de lui donner un dimensionnement qui dépasse le simple aspect discursif et descriptif. Pour parvenir à donner à la réalité, à la fois cette transparence et cette épaisseur (ce qui constitue le don de double vue), le franc-maçon s’appuiera sur le transfert symbolique et sur la pensée analogique.

Nous pensons que le transfert symbolique de l’objet et l’analogie représentative qui en découle sont motivés par l’intention.

L’intention est ce qui, d’un point de vue humain, relie le réel de la matière et de la pierre à une unité et une totalité. C’est en quelque sorte la reliance à l’étoile. Il est bon de rappeler que cette étoile peut être à cinq branches lorsqu’elle est du domaine de l’éthique ou à six branches lorsqu’elle est du domaine de la métaphysique. Ainsi l’humaniste comme le métaphysicien trouvent une reliance qui motive l’intention et déplace les frontières de l’apparente réalité en lui donnant une profondeur et un sens.

Sans le transport représenté symboliquement par l’étoile, il n’existerait qu’une réalité plate et animale, il n’existerait ni chef d’œuvre « éclairé » ni Temple « de l’esprit ».


1/ Mécanisme de l’intention

L'homme veut toujours se relier à l'intention première, la graine, la source, l'origine, le yod, la lumière des temps premiers, etc. Tous les rites maçonniques placent leur naissance légendaire dans un ailleurs fondateur et archétypal.


Le Rite Ecossais Primitif, génialement éclairé par Robert Ambelain en 1985 nous servira d’exemple. Examinons la force de l’intention dans un rituel maçonnique. Il nous faudra considérer le fait associé à la vérité historique et l’intention associée à une réalité « étendue », « augmentée » voir « exaltée ».


Prenons un exemple sur lequel nous pouvons faire apparaitre le mécanisme de l’intention, de reliance à un centre ou a un plus haut : depuis 10 ans les historiens parlent enfin d'une possibilité d'implantation d’une franc-maçonnerie continentale en France bien avant la constitution de la Grande Loge de Londres en 1717. La réalité historique est donc évolutive, elle commence à admettre ce qu’elle niait naguère. Il semble probable que des loges régimentaires s’implantèrent en 1688 à Saint Germain en Laye. Ces loges régimentaires étaient composées d'officiers "acceptés" et de bas-officiers "de métier", sur un modèle écossais et irlandais de type Anciens Devoirs trinitaire.
Le fait : l'exil des Stuarts en 1688 est accompagné d’une noblesse d’esprit rose-croix et membre des ordres de chevalerie dont celle de saint André et de saint Lazare. Cette situation d’exil va se retrouver dans les rituels Stuartistes comme l’illustre ce grade de Maître Parfait au REP avec une mise en parallèle vétérotestamentaire de l’exil babylonien;
L'intention: reconquérir le trône du souverain de droit divin qui est le centre du pouvoir (reliance) face à l’usurpateur hanovrien, ou d’un point de vue vétérotestamentaire : reconstruire le temple de la reliance divine détruit (thème du grade le Maître Parfait Écossais).

Légitimité ritualisée : faire l’assimilation de l’histoire contemporaine en s’appuyant sur l’histoire vétéro-testamentaire. La légende la plus ancienne doit être en reliance avec le plus haut « divin » et doit coller par analogie à la situation historique et réelle des Stuarts. Ainsi l’intention de reliance emprunte les mêmes chemins entre une situation ancienne et reconnue et une situation contemporaine. La légende du grade légitime par analogie une revendication politique. Cette légitimité repose toujours sur l’intention de se relier au centre temporel ou spirituel car ici le roi est de droit divin qui même éloigné du trône reste relié a celui-ci. Rappelons à cet effet que le trône est le lieu du couronnement et donc de la descente du divin sur le tête du Roi.

Pour les Stuarts, leur « histoire contemporaine » liée à l’exil et à la perte de la pierre du couronnement (la pierre de Scone) s’en trouve transposée sur un plan mythique et vétéro-testamentaire.

L’exil suppose le retour, et la perte de la couronne suppose sa reconquête. C’est ici que se dessine une double intention convergente qui doit s’appuyer sur une légitimité historique de nature équivalente. On va donc apparenter la destruction de l’ordre établi (le Temple) et l’exil à Babylone à l'usurpation du trône et à l’exil Stuart de Saint-Germain-en-Laye. De même on va apparenter la mort d’Hiram à la disparition du lien initial et légitime avec le divin qui est en franc-maçonnerie caractérisée par la perte de la parole suite au meurtre du son porteur légitime.

Les Stuarts vont bénéficier d’une mise en parallèle des deux plans historiques : le plan contemporain se reflète dans l’Ancien Testament mythifié dans une version Salomonienne et Hiramique. Ici le référentiel reste légendaire, la vérité historique importe peu, elle n'est qu'illustration d'une intention de reliance. Cette intention de reliance va s'appuyer sur le système du "reflet" de l'image devenue symbole.

On fait une inversion volontaire du signifiant et du signifié en regard de l’objet historique, de sorte qu’on ne saurait dire quelle est l’image originelle et quel est le reflet.. C’est ici le jeu bien connu du miroir cher aux hermétistes. C’est l’art du mythe et du symbole d’induire la polysémie, et c’est cette polysémie qui nous conduit vers l’apprentissage d’un métalangage. C’est au final ce qui est recherché dans le rite en regard de sa prétendue historicité : établir des plans successifs de situations analogiques ouvrant le champ du réel à la notion de reliance à plus haut.

Si un rite n’a plus de fondement mythique et symbolique qui induit un langage subtil avec une perception élargie de la réalité, alors le rite dégringole, il ne devient que coutume ou folklore. Oublier le mythe ou l’histoire élargie à la légende, c’est rendre inactive l’image projetée en soi. L’image est visible, mais sans reflet en soi, et donc sans effet, si ce n’est folklorique.

Donc, le mythe et les images projetées qui l’accompagnent fondent le message de l’initiation qui est une intention de reliance. Cette intention initiatique est un recommencement se traduit par une remise à niveau de la perception du réel et l'acquisition d'une vision profonde de soi mais aussi l'intégration à soi d'une vision totale du monde (unité et totalité).

Illustrons cette intention polysémique dans la légendaire Écosse que lie le destin des Stuarts au trône et à son éloignement:

Le trône écossais repose sur la légendaire pierre de Scone. C'est littéralement une pierre cubique de fondement de la royauté écossaise ; la descente du ciel sur terre avec mise en gloire du souverain couronné et de droit divin , sacré « debout » sur cette pierre, est l’expression typique de l’intention dans l’acte sacral. La pierre représente le réel, augmenté de la station axiale du futur roi d’Écosse. C’est l’intention axiale, la reliance volontaire de l’homme qui donne la valeur symbolique et mythique à la pierre de Scone. Nous retrouvons l’intention dans le célèbre redressement de la pierre « Bethel » par Jacob. Donc la pierre de Scone devient trône pour le roi (pierre d'assise, de trône, et de "fondement"), comme Bethel peut être la pierre d’angle du Temple.

Dans sa représentation, le trône qui est la « pierre d’assise » du roi est toujours situé dans la mandorle du fronton des cathédrales, précisément dans l'axe et dans l'espace médiateur entre la Terre et le Ciel. Reconquérir le trône, c'est retrouver la parole perdue et donc le lien avec le ciel à partir d'un centre spirituel et temporel.

Le trône est donc la pierre de fondement et c'est aussi par l’intention de reliance qui nous anime, la clef de lecture de la voûte étoilée...(clef de voûte). Dans ce cas la pierre du sacre comme la pierre d’autel ou la pierre de fondation sont des "tables de lecture" du ciel qui permettent la reliance, la survenance de l'image et de la représentation mentale axiale, à partir de plan terrestre.


2/ L’interchangeabilité et l’appropriation- notion de transposition.


C’est l’art de la transposition qui permet l’appropriation du mythe ou de la légende. La transposition participe d’une réalité élargie.

Ainsi l’initié est capable de transformer la forme initiale, puis de passer de la transformation à la transmutation, mais encore de procéder à la transposition dans le temps et dans l’espace.

La transposition est permise par la nature même du mythe et de la légende. En effet le mythe est hors du temps et son espace est dans un ailleurs surplombant. Tous ces transferts que nous notons sont fondés par l’intention, consistant en la volonté de relier une situation réelle à un centre ontologique et s’appuient sur la méthode maçonnique de l’analogie symbolique.

Donc rétroactivement le mythe et la tradition verbale, vont devenir une réalité plausible « ritualisable », et surtout réutilisable dans des circonstances typiques. Bien que permettant l’analogie, les circonstances contemporaines seront de moindres importances que le modèle mythique archétypale qui fonde le rite . La fonction légitimante du mythe par analogie à une situation contemporaine contribue à démontrer que la réalité étend ses frontières au-delà du simple fait démontré. La circonstance est intriquée dans un schéma archétypal et axial qui domine notre pensée et notre action initiatique. C’est donc le mécanisme de l’intention qui augmente le champ du réel en lui donnant un sens.

L’initié va donc considérer que la réalité est porteuse de sens ne se limitant pas à un fait, et que le sens se détermine en fonction de l’intention.

Le rituel restitue la mémoire de l'origine dans sa double réalité : celle du fait (qui intéresse l’historien) et celle de l’intention (qui intéresse l’initié). La conjugaison de ses deux notions va générer la "vision". Le rituel donne ainsi la clef de la reliance à plus haut sur la base d’un artefact historique, mais il permet aussi l’établissement d’un modèle ou schéma typique de situations interchangeables dans le temps. En effet, l’intention de reliance permet de se projeter dans tous les temps et tous les plans. L’intention de reliance devient l’instrument de la transposition donnant la vision.

Ce schéma sera éprouvé par l’initié dans ses sens et dans un processus de cheminement vers une « lumière » qui lui appartient. L’appropriation de l’intention par l’initié rend effectif et interchangeable le message légendaire ou mythique. L’intention du rite devient l’intention de l’initié qui trouvera à appliquer ce modèle dans les « circonstances » de sa vie.

Donc le rite maçonnique ou initiatique doté de légende porte en arrière-plan, une négation du temps historique en faisant émerger le "non-temps", mais aussi le "non-lieu" qui est le centre absolu.

Exemples d’interchangeabilités possibles avec une reliance commune: Les Stuarts en exils sont « mimés » dans le grade de Maître Parfait Ecossais qui nous raconte le retour d’exil babylonien. Cet exil babylonien est archétypal et suggère deux destinations ontologiques : le retour au paradis perdu ou le retour en terre promise. Ces deux destinations ontologiques sont mises pour la reconquête du centre temporel par le roi déchu et la récupération de sa couronne. L’intention veut nous faire passer du désordre de l’exil et de la confusion à la restauration de l’ordre initial.

Autre exemple : l’assassinat d’Hiram dans le temple de la reliance serait qu’une remise en forme mythifiée de la décapitation du roi Charles 1er Stuart, roi d'Angleterre, devant son palais de Whitehall, près de Westminster, le 30 janvier 1649. Ce dernier s’opposa à son peuple et à son parlement, il ne voulut pas renoncer à l’ordre établi d’un pouvoir absolu, face à ceux qui n’avaient pas les qualités pour se substituer à sa reliance de droit divin. Au moment fatidique il prononça ce mot « remember » qui constitue pour certains, outre le devoir de mémoire cher au franc-maçon stuartiste, l’acte de résistance ultime dans la défense de la filiation de droit divin et que l’on retrouverait dans la légende d’Hiram où la mémoire du centre dépasse et survit à la circonstance de l’assassinat. Charles 1er comme Hiram, en héros tragiques et légendaires cultivent une mémoire et une filiation du verbe divin via la parole perdue. Ils vont défendre la légitimité traditionnelle d'une transmission et ne pas céder à l’usurpation "profane". L’intention dans la reliance est similaire et porte sur l’origine divine de la parole, des plans du temple et de la dévolution du pouvoir.

D’un autre côté, l’assassinat marque le renouvellement par une seconde transposition qui est littéralement une appropriation prométhéenne, caractéristique de la voie initiatique. Souvent la transposition dans le temps fait aussi place à une transposition dans l'espace en s’associant à la transgression. La transgression prométhéenne est une transposition qui marque un changement de cycle. Elle permet l’évolution tout en conservant la mémoire du centre, donc l’intention associée à la reliance reste intacte, mais se transpose dans un Nouveau Monde, ici celui de l'homme qui voulant s'émanciper du mythe par le sang du sacrifice, ne fait que l'intégrer plus fortement dans les soubassement de sa psyché. L’assassinat du porteur de la parole qui relie les élus au divin, est l’archétype de l’appropriation de la conscience d’une reliance à plus haut par la nouvelle génération (mot substitué = appropriation de la parole). Cette appropriation prométhéenne de la parole au profit des hommes se répercute tout au long de la chaîne de transmission, conservant l'intention de reliance comme fondement de l'initiation.

En transmettant, on s’approprie la reliance de son prédécesseur pour l’offrir à son propre successeur en gardant en ligne de mire ce qui symbolise l'intention, à savoir l’étoile.


On notera enfin que l’appropriation initiatique du mythe est d’abord l’appropriation d’un récit par "ingestion" (incorporation de la geste) et sa restitution en langage non verbal (table de projection du maître, parole subtile, métalangage).

Il ne peut donc y avoir d’initiation sans récit, légende ou mythe « appropriable » et transposable en vertu de l’intention.

3/ L’intention réhabilite l'espace sacré en l'homme

Le temps sacré est par définition un temps mythique. Le temps mythique est un « non-temps » profane, car le récit qu’il porte n’a pas de dimension humaine. Les hommes qui sont les héros de ces mythes sont des demi-dieux ou des hommes exemplaires placés dans l’axe de la reliance à plus haut.

Les Grecs, pour asseoir les mythes fondateurs de leur "histoire," et les faire redescendre dans leur réel, créèrent a posteriori et de toutes pièces, des faux tombeaux et faux mausolées dédiés à leurs héros qui n’y seront jamais enterrés. C'est une légitimation rétroactive et pseudo historique du mythe. On tente ainsi de concrétiser le mythe par des tumulus postérieurs dont l'effet est rétroactif.

Dans ce cas, la réalité historique importe peu, ce qui compte, c'est la valeur du symbole qui donne à la réalité une autre épaisseur et une élévation de la vision. De cette épaisseur de la réalité, née l’idée que le passé est "présent", et que ce passé est éternellement présent dans l'intention. On en revient au mythe de l’éternel retour. Le mythe est lui-même l'indice d'un éternel retour à l'origine et au centre. L'intention est donc une dynamique du retour à la source et au centre.

Dans la concrétude la plus complète, l’homme introduit une éternité centrée sur lui-même.
C'est ainsi que l'on fonde la mémoire collective, moins sur une « réalité historique » que sur une « réalité mythique et dynamique» qui s’appuie sur des rites servants un temps élastique et pseudo historique. Le devoir de mémoire du franc-maçon, depuis les statuts de Schaw et plus antérieurement les Anciens devoirs, témoigne dans la formulation légendaire de ce passé, un éternel présent marqué par la reliance. La véracité d’une date dans un espace mythique ou légendaire est secondaire face à l’autre vérité qui est celle de la reliance à la source. Cette volonté de reliance à une source est une bonne définition de l’intention.

On voit bien que pour l'initié, le réel est toujours relié, ce réel est sans doute plus étendu et plus ample que sa preuve scientifique ou historique! Les constitutions d'Anderson sont typiquement animées de ce désir de reliance. Ainsi entre 1723 et 1737, on constatera un effort de rationalisation historique surement due à l'influence "scientifique" du baron de la Tierce.


En fonction de ce qui précède, le franc-maçon cherche à développer sa vision comme « une extension du domaine du réel » par la mise en relation de l’acte avec le sens supérieur qu’on voudrait lui donner. À chaque fois que l’initié veut donner un sens à son acte, il se dirigera vers son étoile éthique et humaniste ou métaphysique. L’initié ne peut s'enfermer dans une rétractation du réel au seul objet formé, nommé, normé et documenté. L’intention permet le passage d’un réel formel à un réel profond qui se prolonge au-delà de la forme lorsque celle-ci vient à disparaître (mort d'Hiram) et que sa formulation audible n'est plus (perte de la parole). C’est alors que vient à s'exercer le véritable langage de l'initié (parole subtile ou substituée, mais toujours reliée par l’intention, langage non verbal). C'est ce que mettra en pratique le compagnon lorsqu’il accédera à la chambre du Milieu. C'est aussi une partie du sens de l'age du maître: sept ans et plus. Tout est dans le "et plus"
Le mythe et la légende répondent à notre vision du réel, dans un cadre bien plus élargi et relié. Le mythe nous parle d’un autre réel fondé sur l’intention de reliance. Le réel ne peut se borner à la seule apparence visible par un observateur. C’est donc à l’observateur confronté à la contingence, de donner un sens élevé à ses actes en devenant acteur intentionnel. Le franc-maçon est un acteur intentionnel qui situe l'acte en reliance avec l'idée d'un sacré intemporel attaché à l'homme, ce qui fait dire à certains que l'homme possède en lui une parcelle de lumière divine.

E.°.R.°.

(à suivre)

Partager cet article
Repost0
30 septembre 2015 3 30 /09 /septembre /2015 11:37

Histoire, vérité et réalité d’un rituel maçonnique.

L’esprit rationnel réclame la preuve documentée suivant les modalités de la recherche historique, seulement voilà que la dimension initiatique et les rites qui l’accompagnent échappent à l’histoire et à la preuve documentée. Ce n’est pas pour autant que l’initiation échappe à la réalité, bien au contraire puisse que l’initiation repose sur l’expérience. Nous allons tenter une mise en parallèle de la méthode historique qui relate des faits réels qui se sont déroulés dans le monde réel et de la méthode initiatique qui relate l’intention et la vision consciente à l’intérieur d’un ordonnancement de faits réels. Notre but sera de démontrer que la méthode initiatique par ses effets sur notre conscience augmente la profondeur de champ d’une réalité perceptible que l’histoire ne relate que superficiellement.

1/ La vérité d’un rite initiatique et son histoire documentée.

Peut-on répondre à cette question : est-il possible par le document historique de retrouver l’origine d’un rite ?

Il faut étudier le rite, et comprendre que la vérité initiatique se distingue de la vérité historique.

La vérité historique se fonde sur le fait avéré situé dans la flèche du temps, la vérité initiatique se fonde sur l’intention située hors du temps appelée « reliance » et « connaissance ». Nous pressentons que ces deux univers ne se nourrissent pas des mêmes informations, mais appartiennent a un même vécu sur une base réelle. L’histoire appartient au réel documenté qui se nourrit de la preuve, du fait dont on témoigne, l’initiatique appartient à un « réel augmenté » qui se nourrit du non-temps et du non-lieu pour être agissant et dont aucun document ne témoigne. Si l’initiatique maçonnique repose sur des rites nous devons vérifier si l’histoire démontre l’origine et détermine l’auteur d’un rite maçonnique.

Un rite maçonnique a-t-il un auteur ?

Un rite maçonnique n’a que des transmetteurs, car ici l’auteur appartient par nature à une collectivité humaine immémoriale. Ceci est le point de vue de l’initié, mais est-ce celui de l’historien ?

Ce que l’historien veut déterminer, c’est l’origine du rite, sa date et son lieu de naissance et ses sources documentées. Mais le propre des rites maçonniques est de renvoyer leur naissance dans l’espace immémorial du métier pour les francs-maçons et dans les confins des sources ancestrales de la conscience.

Cette conscience naîtra des grandes questions liées au mystère de la vi