COMBINATOIRES SYMBOLIQUES EN LOGE
Suivant l’expression consacrée, on dit à l’apprenti récemment initié qu’ici en loge, tout est symbole !
Le problème réside dans la définition du symbole, car ce dernier projette, à partir d’une ressource connue ou réelle, une représentation mentale relevant de l’imaginaire ou de l’inconnaissable ! Mais ici nous sommes "en loge" et donc nous avons un cadre d’action et de réflexion qui va nous aider à définir le symbole en général et le symbolisme initiatique en particulier.
Étudier le symbolisme en loge, dans un lieu séparé du monde profane, c’est entrer dans l’étude d’un langage spécifique qui du fait de son cadre, diffère du langage commun.
Évidemment, si « ici tout est symbole », alors il s’agirait d’un langage symbolique qui porte à la fois sur des images, des objets, des signes, sur des gestes et des paroles prononcées ou des écrits. « Ici tout est symbole » suppose l’existence préalable d’une pensée symbolique individuelle et collective. Précisons cependant que cette expression devrait être reformulée de la manière suivante « ici tout est symboles[i], allégories et emblèmes, légendes et mythes ».
Définition de la pensée symbolique. Apprentissage de la représentation mentale par « l’outil symbole ».
Pour Mircea Eliade « la pensée symbolique précède le langage et la raison discursive » ou plus précisément: la pensée symbolique est un des préalables consubstantiels du langage. La pensée symbolique est la capacité de créer et de manipuler des symboles dans un but précis, et notamment la communication.
Un symbole est une entité matérielle telle qu’un objet ou immatérielle telle qu’un mot, ou une idée qui représente par convention une autre entité. Pour être précis, le processus sémiotique de symbolisation repose sur un référent objectif, un signifiant représentant l'objet (dessin - tracé) et un signifié (ce que veut nous dire le signifiant en une représentation mentale ou conceptuelle). Le signifié résulte d’un arbitraire que nous étudierons plus loin.
Il y a donc un lien arbitraire et utile et pratique entre le symbole et ce qu’il représente mentalement chez l’individu et son groupe d’échange mimo-linguistique. Donc l’interprétation est culturellement déterminée et cadrée. Par exemple, la colombe, ou le rameau d’olivier, ou les deux associés sont un ou des symboles de la paix dans de nombreuses cultures, mais pas toutes.
La pensée symbolique est une capacité fondamentale de l’être humain à dépasser le simple cadre matériel et apparent de l’objet symbolique. La pensée symbolique repose une manière d’utiliser le symbole comme un outil ou vecteur qui nous permet d’investir les 4 domaines qui marquent notre présence au monde :
- Communiquer avec les autres de manière complexe et abstraite.
- Raisonner sur des concepts qui ne sont pas directement observables,
- Imaginer et créer.
- Comprendre le monde qui nous entoure.
La pensée symbolique est développée dès le plus jeune âge autour de l’interface du « symbole – outil ». Les enfants commencent à utiliser des symboles dès qu’ils apprennent à parler. Ils utilisent des mots pour désigner des objets, des personnes et des événements qui ne sont pas présents devant eux. Ils utilisent également des gestes et des images pour communiquer leurs pensées et leurs sentiments.
La pensée symbolique continue à se développer tout au long de la vie. Au fur et à mesure que nous apprenons et que nous expérimentons, nous accumulons un vaste répertoire de symboles que nous pouvons utiliser pour comprendre et interpréter le monde. C'est en interprétant ce monde que le symbolisant découvre d'autres mondes, plus intérieurs ou plus éthérés. En effet, le symbole a pour effet de convoquer toutes les ressources et ressorts de l'imaginaire y compris les plus archétypaux. C’est ce vaste répertoire de symboles que nous tenterons d’étudier dans la cadre stricte de la loge maçonnique : Le « ICI » tout est symboles ! assigne notre recherche autour de « l’outil symbole » support signifiant d'un symbolisme initiatique et producteur signifiant d'une interprétation par la représentation mentale signifiée qui en découle. Nous retiendrons que le signifiant est à la fois vecteur et producteur et nous nous interrogerons sur l'origine de la puissance d'évocation du signifiant.
Nous tenterons dans un premier temps une approche autour du langage symbolique en général et en la loge en particulier, en reprenant les caractéristiques du symbole, ses sources archétypales et le contexte de production du symbole, tout en rappelant la triangulation sémiotique "référent-signifiant-signifié" (I) ; dans un second temps nous aborderons la plasticité du symbole, ses capacités agrégatives et sa polysémie graduelle (II) pour aboutir dans une troisième partie aux combinatoires symboliques dans les décors de la loge et le tableau de loge (III).
[i] Le symbole fait à partir d’une figure qui est en elle-même source de choses ou d’idées. L’allégorie est l’inverse du symbole c’est à partir d’une idée, on produit une représentation concrète comme l’idée de Justice. L’emblème est l’objet rattaché à une représentation allégorique, une épopée, un mythe, une légende ou un conte (balance, ou glaive de l’allégorie de Justice).
I / Rapport entre la pensée symbolique et le symbole en Loge
Le symbole est l’élément de base de la pensée symbolique. La pensée symbolique associée à l’objet symbolique évoque bien plus que son apparence matérielle.
A/ Généralités : La pensée symbolique est un processus complexe qui implique plusieurs étapes. Tout d’abord, il faut identifier un symbole qui représente l’entité que l’on veut désigner. Ensuite, il faut établir une convention culturelle qui lie le symbole à l’entité. Enfin, il faut utiliser le symbole pour communiquer avec les autres. Tout cela parait simple s’il n’était question d’inconscient.
- Intervention de l’inconscient archétypal dans la pensée symbolique : L’inconscient est une partie de l’esprit qui n’est pas directement accessible à la conscience.
L'inconscient est souvent associé à des idées et des émotions négatives telles que la peur, la colère et la tristesse, mais il est principalement sous-tendu par des archétypes de la pensée humaine qui par leurs tensions "souterraines" dirigent le sens à donner aux symboles.
Les archétypes de la pensée sont des modèles en creux ou des structures performantes qui résident dans l’inconscient individuel et collectif. Pour reprendre une image simple, l’archétype de la pensée est un porte-manteau ou un moule qui va donner à notre représentation mentale du réel une structure « constante », sous-jacente, habillée et de couleurs diverses suivant le contexte. Ce qui est visible est donc l'habit chatoyant, mais pas le porte-manteau austère. Pour détecter et lire un archétype, on se fie aux signes qu'il laisse émerger des profondeurs de l'inconscient.
- Les schèmes archétypaux
L’expression symbolique qui découle des archétypes sous-jacents, est dotée de schèmes axiaux qui dynamisent la forme et la structure. Les schèmes archétypaux sont l’énergie « orientée » des archétypes. Ils se traduisent dans les rites et mises en scène par des verbes d’action et de mouvement associés à l’homme. Le schème dynamique trahit la présence d'un archétype et sa structure.
Les schèmes sont faits de mouvements directionnels, circumanbulatoires, d’émergences, d'immergences, de traversées, d'envols et de développements privilégiés. Le schème archétypal dicte la transformation, la transmutation ou la transposition. Au plan initiatique cela se traduit par un mouvement dicté par la dynamique de l’archétype (appelé ici schème) qui peut être suivant les cas, verticalisant, descendant, oblique, circulaire dextrogyre ou sénestrogyre, hélicoïdale, sensori-lumineux, sensori-chtonien, etc. Le schème archétypal va structurer l’archétype tout en le dénotant. Ex. quel est l’archétype structurel de la cathédrale ? Une croix tridimensionnelle. De la loge ? Une croix tridimensionnelle. D'une pierre cubique à pointe? Une croix tridimensionnelle. Les trois formes diffèrent, mais partagent le même archétype, car ils partagent les mêmes schèmes : 6 schèmes directionnels avec trois axes et 6 directions (Orient, Occident, Septentrion, Midi, Nadir, Zenith), auxquels se raccordent un centre et les circulations dextro et sénestrogyres, hélicoïdales, centrifuges et centripètes, montantes et descendantes. Etc.
Aujourd'hui la pensée individuelle prend le dessus sur la pensée collective. L'initiation est certes une renaissance pour soi mais dans un cadre collectif qui conserve et partage un récit collectif ontologique et archétypal. La pensée symbolique de l’homme est donc racinaire, car conditionnée par 5 points oubliés d'origine collective: 1/ l'histoire réelle ou mythifiée à laquelle son groupe et lui-même s'identifient (récit ontologique tribal et différenciation des autres, création de l'homme, création du monde, conscience collective diachronique. Conséquence en loge: séparation des initiés et des profanes), 2/ ses ancrages territoriaux réels et rêvés (territoire des vivants et des morts, frontières, lieux sacrés, orient éternel), 3/ l’expérience d’un réel avec les traumas collectifs et individuels (épopées, blessures et cicatrices, passages + épreuves), 4/ la culture d’appartenance et ses récits fondateurs (légende de grade + mots de passe + mots sacrés + signes tuilages), et enfin 5/ l’inné de la charge, c’est-à-dire la lignée généalogique fonctionnelle et sociale, les habitus liés à la survie du groupe - la vocation de chacun à une place et un rôle dans la structure sociale, (présence obligatoire en loge+ devoir + offices + progression graduelle).
En résumé, tout symbole est interprété sous l'influence d'une structure archétypale racinaire à finalité collective. La pensée symbolique telle que développée par les symboles présentés en loge, illustre cet aspect racinaire via les schèmes dynamisants mis en œuvre par tous.
- La pensée symbolique en loge : Muthos intuitif et temple à bâtir
Trop souvent, on oppose le Muthos qui raconte une histoire immémoriale et qui s'appuie sur une chaîne de transmission, au Logos qui est régime discursif fondé sur le raisonnement rationnel et logique. C’est le muthos bien plus que le logos qui domine les interactions symboliques. La symbolique s’attache moins à la logique rationnelle qu’a l’impression intuitive faite de corrélation et correspondances. Tout symbole « initiatique » est un récit sur l’être et sa part lumineuse voir divine et en ce sens emprunte plus au muthos qu’au logos. L’expression "rassembler ce qui est épars" vient sceller définitivement la supériorité "évocatoire" du muthos maçonnique tout en installant "la mesure de toutes choses". Cette mesure de la raison provient du Logos ordonnateur du géomètre et de l'architecte. Nous pourrions résumer ce double exercice muthos-logos par l'expression: Le récit de l'homme et des mondes en loge s'organise sous l'effet du compas et de l'équerre de l'architecte du Temple.
Les schèmes archétypaux, non directement visibles, expliquent en partie que le raisonnement discursif fondé sur la relation de cause à effet n’est plus de mise. En effet, c'est plutôt l’intuition qui guide les perceptions sur l’image symbolique en l’associant systématiquement à l’invisible. L'invisible par induction fait système avec le symbole. Cette image s’insère dans une non-rationalité née d’un temps circulaire diachronique plutôt qu’un temps linéaire synchronique. Le temps historique est donc remplacé par le temps anhistorique (ou cyclique) dans un non-lieu sacré et séparé du monde profane. À la relation causale et déductive du logos, on répond par la corrélation qui est une relation de ressemblance partageant des schèmes non apparents. Dès lors suivront aussi des analogies et des correspondances irrationnelles nées de l’imagination créatrice fondée sur l’acte de nommer, sur la geste et le rituel, sur le tracé fondateur de l'image. C’est la reliance de tous les objets symboliques et la complémentarité fusionnelle des opposés qui prendra le dessus sur le ratio cartésien distinction-séparation. Le temple à bâtir par le franc-maçon devient ainsi réceptacle d’un muthos intuitif et structurant.
B/ Notion de cadre symbolique – Passage du signifiant au signifié.
L’interprétation de l’image et du symbole dépend de l’individu qui perçoit ou regarde et du cadre général et particulier de cet exercice. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse interprétative sauf si elle est conditionnée par un contexte spécifique et dirimant. L’interprétation symbolique dépend donc du contexte qui fait apparaitre une intention, une promesse, mais aussi du fond culturel dans lequel il s’exprime (le fond symbolique des bâtisseurs du sacré pour les francs-maçons) ou du récit ou du mythe ou de la légende qui le porte (mythe de la caverne, mythe prométhéen, mythe de l’Adam premier, légende d’Hiram, etc.), ou enfin de l’influence politique et idéologique de l’obédience…
- Prégnance du non apparent non déterminé, mais déterminable : un signifié commun en devenir !
L’interprétation symbolique « de l’initié » repose sur l’apparent et le non apparent « contextuel ». Le non apparent est la part exprimée de manière implicite par l’objet symbolique en fonction de l’intention. L’objet est une référence qui porte autre chose qu’elle-même.
Ce non apparent trouve sa référence dans l’intention rituélique, dans la culture du groupe ou de l’individu, mais aussi dans la part inconsciente de chacun.
Le non apparent du symbole renvoie à la notion de réalité profonde (« le réel profond ») telle que ressentie et vécue par l’observant. Ici on peut percevoir l’importance de l’archétype sous-jacent. Le non apparent est la seconde partie du symbole qui échappe à notre vue immédiate, mais qui doit apparaitre comme issu d’une promesse fondatrice du symbole ou d’une espérance de réalisation. Ex. dire que la pierre brute est l’image de l’apprenti emporte, pour la partie non visible du symbole, la promesse ou l’espoir d’une la taille aussi parfaite que possible transposable en perfectionnement de soi.
Tout signifiant initiatique emporte un signifié à réaliser issu d’une intention contextuelle. Donc nous pouvons affirmer qu’un symbole initiatique est double, avec sa part visible (signifiant), et sa part invisible en devenir (signifié en devenir). Pour nos amis sémiologues qui n’ont pas vécu de rituels initiatiques, nous dirons que le processus de symbolisation et l’émergence du signifié suivent la geste progressive et graduelle de l’initié lui-même dans son périple. La geste initiatique de mise à l’ordre est donnée dans le sens suivant : on fait le geste par imitation puis on donnera l’explication segmentée : -1 le geste est « incorporé » comme signe symbolique », 2-le geste « vécu » est l’imitation du schème (du mouvement) d’un objet symbolique indispensable aux bâtisseurs et dument nommé : on dit « par l’équerre, le niveau et le fil à plomb ! « ( la main posée sous la gorge avec le pouce en équerre signifie l’équerre, le geste horizontal qui va jusqu’à épaule droite signifie le niveau, puis le geste de la main descendue au niveau de la hanche signifie le fil à plomb :) et -3 les trois signifiants gestuels donnent trois signifiés outils qui s’associent pour former un récit soit un signifié mythique transmis par le groupe initiatique dans le cadre d’un muthos commun : « je préfère avoir la gorge tranchée plutôt que révéler, etc. ». Le geste précède la parole. Ici le signifié en devenir c’est la gorge tranchée ou le respect du devoir notamment du secret… Nous aurons le même procédé dans l’élaboration du mot sacré, ou lors du tuilage avec la formation du mot de passe. Toute parole est d’abord une geste d’échange dans un but de reconnaissance et d’appartenance au même récit "incorporé".
Conclusion: le cadre symbolique n’est jamais neutre dans la production du signifié symbolique et particulièrement en matière initiatique, où l’initié récipiendaire du signifié est aussi l’acteur central « signifiant » de son propre récit. L'initié incorpore le signe, son intentionnalité et sa partie invisible.
- Prégnance du dédoublement symbolique.
Le symbole est à l’origine un symbolum c’est-à-dire une tesselle, un morceau de terre cuite que l’on brise en deux pour sceller un engagement de se revoir, ou un contrat entre deux parties. Pour se reconnaitre dans le temps ou à l’issue d’un périple, les deux porteurs de tesselles ou leurs successeurs, réunissent les fragments qui à nouveau se correspondent parfaitement. Le symbolum est donc un engagement à se réunir dans un futur à définir, chacun ayant exécuté sa part d’engagement ou d’obligation.
Les critères minimas du symbolum sont 1/ une unité originelle, 2/ deux obligations corrélatives, 3/ le temps qui passe, 4/ la réunion à nouveau des deux tesselles avec les obligations réalisées. Donc le symbole porte une unité originelle, un dédoublement du symbolum, une partie qui est en promesse de réalisation dans le temps, une unité finale « retrouvée ». (Nous commenterons ce dédoublement symbolique dans une prochaine étude portant sur les mythes initiatiques.)
- Le conditionnement ancestral symbolique, les garde-fous
La pensée symbolique en loge fait intervenir dans le symbole l’immémorial, la reconnaissance et la destinée. Le mythe est un récit mémoriel qui illustre et "source" le conditionnement ancestral symbolique, notamment avec les mythes cosmogoniques. Le mythe est aussi une pensée organisée par des représentations symboliques qui font sortir l’homme de son animalité et de sa dépendance aux Dieux. Mais la pensée symbolique peut aussi s’inverser ou devenir destructrice. La pensée symbolique est manipulatrice et intentionnelle dès lors qu’elle est en partage. C’est ce conditionnement ancestral qui finalement définira, aux détours de circonstances, notre humanité et notre animalité. La loge rejoue le récit commun autour d’axes de sagesse de force et d’harmonie afin d’éviter les excès de la surinterprétation. Il est donc important de souligner le rôle des anciens qui tempèrent toute surinterprétation sectaire. Si l’initiation est individuelle par sa nature propre, le fait de transmettre dans un cadre collectif doit rester une garantie de sagesse.
C/ Caractéristiques générales du symbole (Rappel) et caractéristiques du symbole initiatique
1/ Approche inconsciente
Le symbole permet de dire plus que l’objet ou l’image servant de référence.
Le symbole se situe à la frontière du monde apparent et du monde imaginaire cela veut dire qu’il peut avec une grande économie de moyen intervenir comme un langage liant le visible à l’invisible. Il est de ce point de vue un pont permettant de relier le monde des apparences et les continents invisibles. En général, le symbole va servir de pont ou de tunnel pour explorer le non-conscient, le subconscient (Freud), l’inconscient collectif (Jung) avec le passage du Moi au Soi, la supra conscience (Guenon) avec la visualisation des grands schémas métaphysiques. De ce point de vue, le symbole est le véhicule d’exploration des espaces qui échappent naturellement à la conscience et au contrôle. Donc les symboles permettent des opérations intuitives de transferts par productions imageries mentales comme la création artistique, l’illumination du religieux, la révélation du prophète ou du poète, la découverte scientifique, la création d’une œuvre d’art. Ces transferts du Soi remontant vers le moi sont des « réalisations », qui construisent l’êtreté, mais on peut aussi inverser la processus et entrer dans une déconstruction de l’être, comme un retour au ventre matriciel. Enfin le rêve met en œuvre des symboles qui disposent non pas d’une logique (car on n’est pas dans le logos mais dans le muthos), mais d’un mouvement autonome d’interactions primitives distinctes de la raison ordinaire « civilisée ». Le rêve vient confirmer que le symbole est bien le véhicule qui permet d’explorer les facettes souterraines, inaccomplies, temporelles, intemporelles et archaïques de l’Être. L’ordonnancement du monde réel semble s’opposer à l’archaïsme et ses imageries et visions, à moins que ledit réel ne soit que l’une des formes évoluées et socialement stable de l’archè. Le réel causal et discursif ne serait que la pointe émergée d’un plus vaste ensemble dominé par la pensée symbolique.
2/ Approche synthétique ou combinatoires symboliques
Le symbolisme en général et le symbolisme en loge en particulier, élabore une pensée qui fait interagir les symboles entre eux. Les combinatoires symboliques s'appuient sur des lois "intuitives": les lois d’analogies par contreparties, les lois de correspondances de plans, les lois des corrélations ou ressemblances, les lois d’associations - constructions, les lois intentionnelles contextuelles :
Les lois d’analogies par contrepartie consistent à créer un lien entre deux termes à potentiel évocatoires en qualité de symboles, soit un binaire d’opposés ou complémentaires (chaud-froid, Haut-Bas, Roi-Reine, droite-gauche, Orient-Occident, Colonne J colonne B, etc.) On note que les composantes séparées du binaire sont des référents porteurs ou pas d'un symbolisme intrinsèque, mais ils déploient par association une puissante signification symbolique. Si je prononce l'expression "Orient - Occident" une foule de représentations mentales apparaissent dans différents domaines. Les binaires symboliques ainsi constitués peuvent à leur tour trouver une autre contrepartie par analogie complémentaire. Ex: les binaires de "qualités" opposées "chaud-froid" et "humide-sec", créent par contrepartie un quaternaire qualités cohérent: "chaud-froid-humide-sec". Le quaternaire de "qualités" chaud-froid-humide-sec trouve une analogie d'effets physiques ressentis avec le quaternaire "élémentaire" : air – feu – terre – eau // chaud-froid-humide-sec. Les 4 qualités et les 4 éléments viennent à s'associer dans un concept commun aristotélicien d'analogies par contreparties et complémentarités.
Les lois de correspondances des plans par les signifiés : Le symbole est une image qui produit une idée créatrice chargée de sens libéré sur plusieurs plans. Le sens libéré entre en correspondance entre différentes strates ou plans, supérieurs ou inférieurs en relation d’imitation dégradée ou sublimée, mais ayant tous la même une cause supérieure. Les lois de correspondance sont mises en avant par René Guénon dans le Symbolisme de la croix Ed Véga. Ex : Le couple signifiant: La lune et le soleil sur un tableau de loge appellent en idée commune la circumambulation des astres du soleil et de la lune et aurait pour signifié dans un plan supérieur (métaphysique) un centre des centres originaire du tout, et pour signifié dans un plan inférieur : le cycle de la vie, (le cycle des floraisons, germinations, marées, etc). Donc le Centre des centres et le cycle de vie entrent en correspondance. Ce sont toujours les signifiés (idée concept) qui entrent en correspondance multiple à partir d'un signifiant de base (objet symbolique).
Les lois des corrélations et ressemblances par les signifiants : ce ne sont pas des "lois de cause à effet"" qui sont scientifiques. Les corrélations et ressemblances sont intuitives et ont en partage un schème structurant ou un verbe sensori-moteur qui autorisent un rapprochement "par sympathie" : les symboles partagent alors une forme "archétypale", une idée concept en commun comme l’idée de descente dans l'obscur qui donne les signifiants suivants : la grotte, le puits, voyage au centre de la terre, ou l’idée concept d’axe (qui est un signifié) ou d’ascension vers la lumière (qui est aussi un signifié) va donner les signifiants suivants: la montagne, l’arbre, la flèche d’une cathédrale, un escalier, une échelle. Donc ce sont toujours des signifiants (objets symboliques) entre eux qui entrent en corrélation par le partage d'un signifié commun unique (idée concept commune).
Lois d’association-construction intentionnelle : On assemble divers symboles pour leur concours commun à une intention dirigée. Il s’agit d’associer des opposés et/ou complémentaires pour créer un symbole autonome distinct des symboles pris séparément et supérieurs à ceux-ci dans l’entendue de leur signification. (Ex: La pierre brute + le couple maillet ciseau.) Mais la signification de cette nouvelle construction signifiante est dépendante du cadre, du contexte et de l’intention progressiste ou spirituelle en loge. (Notre exemple donne les signifiés 1/ le symbolisme constructif de soi, 2/ du temple intérieur ou 3/ du temple de l'humanité par exemple... qui sont 3 signifiés entrant en correspondance).
L'assemblage peut se faire du coté des signifiants, comme des signifiés; exemple : murs du temple + la corde à 13 nœuds, + porte du temple, pour renvoyer au signifié: idée concept de 1/"séparation du monde profane" ou 2/"espace sacré", 3/ espace ontologique ou matriciel. Autre exemple: les signifiants case noire et case blanche et grille vont donner une construction signifiante appelée "Pavé mosaïque" qui a pour signifié (notamment) 1/ l'idée concept d'union des opposés (coincidentia oppositorum) ou 2/ d'universalité dans la diversité ou 3/ de grille de lecture de l'universel emportant ombre et lumière, etc.
Nous voyons que la loi d'association-construction fonctionne tant du coté des signifiants que des signifiés. Cela implique qu'une série de symboles de nature différente coparticipent d'un signifié commun par la co-construction d'un lien conceptuel pris dans une intention dirigée, inversement des signifiés connotant l'intention se recoupent dans un ou plusieurs signifiants qui coparticipent de l'intention commune.
Conclusion: L'association-construction est d'abord une intention recoupée à la fois par les lois d'analogies impliquant les signifiants et les lois de correspondances pour les signifiés. C'est la dynamique de l'intention commune qui crée l'association-construction.
En Loge l'intention commune est de construire un Temple pour la conscience éclairée, ou pour la Lumière suivant les rites, voir le perfectionnement de l'Homme, etc. sur la base d'une introspection, élévation, universalisante. Ceci nous renvoie au langage de la communauté et ses ressorts.
3 / L’image symbolique et le langage de la communauté
La recherche universitaire sur le symbole a permis de dégager un mécanisme de représentation mentale remarquable. Ici l’image mentalement représentée est à l’honneur.
De ce qui précède, il semblerait que l’imaginaire s’associe à la lecture du réel d’une manière incontournable. Autrement dit, le réel apparent que nous percevons est sans cesse retraité à l’aune de notre relation à l’imaginaire symbolique.
Tout notre environnement est retraduit en une forme symbolique. Le signal perçu par nos 5 sens est reçu et amalgamé par notre intellect et par notre cerveau de manière conforme à notre intérêt, pour notre survie, pour exister socialement pour être conforme aux règles de vie et de survie en communauté.
Le langage commun est aussi symbolique, il y a donc une symbolique commune qui nous permet d’échanger dans l’altérité et de faire société. Faire société c’est partager un récit commun, établir des échanges autour d’une communauté conceptuelle et symbolique. La loge est l’exemple condensé d'une communauté conceptuelle et symbolique réunie autour d’un récit commun qui est à la fois la quête de la Lumière et la construction d’un temple de sagesse pour l’homme et l'humanité.
4/ Communauté linguistique : La relation saussurienne « triangulation référent /signifiant / signifié »
Bien qu'insuffisante pour caractériser le symbole initiatique, la triangulation sémiotique reste la base incontournable pour connaitre de la structure du symbole en général.
« On distingue le signifié d’un signe de son référent, l’objet (ou ensemble d’objets) désigné par le signe. Au sein du signifié, on peut distinguer dénotation et connotation, la dénotation étant plus ou moins le sens littéral (qu’un dictionnaire cherche à définir) et la connotation l’ensemble des sens figurés potentiels ou dans un contexte donné » (WP). En loge maçonnique c’est une connotation « orientée » qui prévaut.
On notera que la verbalisation du concept par le son, renvoie à l’objet référent et au signifiant, tout autant que le référent matériel réel s’associe au son et à sa représentation. Mais il convient de donner a cette relation triangulaire une approche plus conforme à l'intention initiatique qui nait du contexte de la loge.
Schéma de la relation triangulaire, référent / signifiant / signifié, revue et corrigée sur un plan global :
Ci-dessous, nous avons repris la triangulation saussurienne additionnée et complétée par d’autres chercheurs qui ont nommé autrement les trois phases de la perception symbolique. Nous y avons ajouté "la culture du jardin" c'est-à-dire le lieu où est planté l’arbre qui permet l’émergence du réel phénoménal et son contexte culturel, mais surtout nous avons installé les archétypes en substrat nourricier invisible, car racinaires. Nous détaillons l’image de l’arbre porteur de fruits symboliques sous le titre « L’arbre aux symboles » dans notre prochaine parution.
Observons qu’un symbole peut se nourrir d’un archétype et se former sous la contrainte du lieu, du milieu, du contexte culturel, etc. Soit de tous les éléments cités dans ce schéma. Nous pouvons dire qu’il peut aussi être le produit d’une hybridation archétypale…Cette dernière perspective enrichira la notion de combinatoire symbolique que nous développerons plus tard.
Nous développons dans une prochaine étude la fin de cette première partie consacrée aux combinatoires symboliques en loge avec en D "LES 8 COMPOSANTES DU SYMBOLE INITIATIQUE EN LOGE " se terminant par la représentation graphique de l’arbre aux symboles qui par ses racines puise dans les archétypes de la pensée.
Suivront le mois prochain la seconde partie consacrée à la plasticité du symbole, ses capacités agrégatives et sa polysémie graduelle (II) pour aboutir dans une troisième partie aux combinatoires symboliques dans la loge maçonnique tirées des Tableaux de loge (III).
ER R:.L:. "La Lumière Ecossaise" à l'O:. d'Ollioules www.glsrep.fr - 4eme lundi.