De tous temps, en tous lieux et dans toutes civilisations, l’homme a cherché à s’élever spirituellement par la pratique de rites initiatiques. En effet, contingenté dans le monde des formes, soumis aux nécessités de sa propre subsistance, à ses passions, aux dures lois de la nature, aux normes éthiques et sociétales de son lieu et de son temps, angoissé par sa propre finitude, chaque homme a aspiré à accéder à un « plus haut ».
Tous ces rites initiatiques, pourtant en apparence si différents les uns des autres dans leurs pratiques et rituels, font pourtant très souvent appel aux mêmes ressorts et mécanismes.
Mais quels sont les schémas communs à toute initiation ? En quoi cette dernière amène-t-elle à l’éveil ? Quels sont les aspects propres à l’initiation maçonnique ?
Bien évidemment, il faut définir ce qui est initiatique et ce qui ne l’est pas. Je me garderai donc de ne pas confondre rites initiatiques et rites de passage, car si les premiers relèvent de la spiritualité et ont pour but de provoquer des changements profonds d’états d’être, les seconds n’ont pour but que de marquer le passage d’une condition humaine ou sociale vers une autre.
Toute initiation cherche à reconnecter l’impétrant à l’archétype de la pensée universelle et traditionnelle, celle qui permet l’accès à ce que certains dénomment la VERITE, l’UNITE principielle, le TOUT, le GADLU, la CONSCIENCE éclairée ou encore DIEU ….. Je vous laisse positionner le curseur où vous le souhaitez.
Carl Gustav JUNG[i] définit l’archétype comme étant la tendance humaine à utiliser une même « forme de représentation donnée a priori » renfermant un thème universel structurant la psyché, commun à toutes les cultures mais figuré sous des formes symboliques diverses. Ces archétypes, ces modèles, structurent de façon fractale chaque civilisation, chaque société, dans ce qu’il qualifie être un inconscient collectif auquel chaque individu est soumis et se trouve déterminé.
Les composants élémentaires d’un archétype se transmettent à travers le temps et les générations au travers de mythes et légendes, des arts, des croyances ou religions à travers des représentations bien souvent anthropomorphiques du divin (l’homme ne semble bien souvent capable de concevoir le plus haut qu’à partir de lui-même).
Si la vision Jungienne positionne l’archétype sur le plan de la psyché, relevant donc des états inférieurs de l’être, elle occulte celui relatif aux états supérieurs de ce dernier.
Bien avant la notion d’archétype de Jung, Platon[ii] avait déjà décliné la notion d’archétype sur un plan bien supérieur, « le monde des idées ». : pour lui, le monde sensible (le monde des hommes et de leurs perceptions) n'est que le reflet d'un monde idéal, formé de pures idées.
René Guénon définit comme étant traditionnels les rites initiatiques procédant d’une tradition primordiale remontant aux origines de l’humanité et ayant évolué sous formes distinctes, façonnée par les lieux et époques dans lesquels elle s’est écoulée. La notion de Tradition primordiale relève ici encore évidemment de l’archétype ; la transmission initiatique lui sert de véhicule depuis la nuit des temps jusqu’à ce jour. Dans la même veine, Eric Romand dans "La vision de l'initié ou l'extension du domaine du réel" définit l’archétype comme relevant également de ce plan supérieur : « Ces archétypes sont les restes, les vestiges de la pensée universelle de nos anciens suivant la science traditionnelle. »
C’est parce qu’il existe un inconscient collectif, vu ici sous son acception métaphysique et donc relié à une VERITE première voilée, que la démarche initiatique trouve sa raison d’être et sa puissance révélatrice : elle vise justement à rendre l’impétrant pleinement Conscient du phénomène et de sa source. L’inconscient procède des ténèbres et du profane, la conscience procède de la lumière et du sacré,
L’initiation, plutôt que de créer un homme nouveau, réordonne l’impétrant en lui révélant ce qu’il avait déjà en lui, cette frêle lumière voilée ses propres ténèbres, cette pierre si précieuse enfouie sous le tas de ses métaux, afin d’en faire un être éclairé et pleinement conscient.
Pour réordonner l’impétrant, la démarche initiatique a besoin de moyens de réalisation et d’action, que sont l’impétrant lui-même, les rites et leurs rituels ainsi que celui qui les maîtrise pour les transmettre (la chamane, le druide, le vénérable où qui vous voulez…). Les rites recèlent en eux le compendium initiatique traditionnel sous des aspérités propres à une époque et à un lieu donné. Les rituels représentent leur praxis.
Mais pour initier un profane, encore faut-il que ce dernier le demande ou soit choisi par un autre initié. Le chemin vers l’initiation procède donc préalablement d’un désir de s’élever ou de faire s’élever, si l’on est initié, celui en qui on décèle une potentialité, une appétence au sacré : cet état de tension préalable est indispensable à toute cérémonie initiatique.
Le mécanisme de la praxis est toujours à peu près le même :
- Un lieu approprié (caverne, grotte, temple, forêt etc…)
- Une légende, un mythe cosmogonique fondateur véhiculant l’archétype traditionnel
- Un récit incorporant le récipiendaire et créant un trauma chez ce dernier
- Un isolement avec une déconstruction / une mort symbolique
- Des épreuves symboliques
- Une reconstitution / une renaissance symbolique
- Un secret / un serment
Ce process initiatique a pour but de faire procéder à un changement d’état ou plutôt un réordonnancement chez le récipiendaire afin de lui donner un nouveau point de vue, de dépasser sa propre perception du réel, donc de lui-même. Relève du réel tout ce que nous sommes capables de percevoir. Or le réel n’est pas la réalité : il en est une perception déformée par le prisme de notre égo, de nos cinq sens plus ou moins affûtés et de notre filtre mental formaté par notre vécu, notre éducation, les normes civilisationnelles auxquelles nous sommes inféodés. La réalité, le monde des idées, est tout autre, elle est ce qu’elle est, elle est pleine et totale, sans fragmentations ni hypostases[iii].
Le profane erre dans ses propres ténèbres, l’initié reconnecté au courant initiatique traditionnel, lui, s’éveille à la totalité en pleine conscience.
Et la Franc-Maçonnerie dans tout ça ?
Et bien au risque d’en décevoir certains ou d’en réjouir d’autres, elle est une voie initiatique aussi valable que les autres,
Elle est le creuset d’un dépôt initiatique traditionnel multiple et elle a évolué, comme les autres voies traditionnelles, avec ses propres spécificités selon les époques et lieux où elle s’est développée, mais tout en restant reliée à sa source primordiale.
Si l’archétype originel qu’elle véhicule et auquel elle se rattache est le même que les autres voies initiatiques mais exprimé par un langage symbolique traditionnel qui lui est propre, les rites, rituels et symboles qu’elle utilise sont appropriés au monde occidental. L’homme occidental diffère de ses semblables orientaux dans sa capacité à envisager l’indicible et le sacré.
Aussi, nos apprentis œuvrent-ils ce soir sur un chantier de l’esprit en étant baignés de symboles, instruments et outils relatifs au travail ….de la matière (l’équerre est actuellement positionnée sur le compas).
Là est la spécificité de la Franc-Maçonnerie, voie spirituelle par excellence du monde occidental, partir de ce qui nous est connu pour accéder à l’inconnu, travailler d’abord sur les contours du monde des formes afin d’envisager plus tard et de façon progressive les voies de l’esprit.
Œuvrer sur les formes, remonter jusqu’à leur source pour finalement construire un temple non plus de matière mais d’esprit, tel est le chemin menant à l’éveil pendant les trois premiers degrés.
Voilà sûrement, me diriez-vous, de quoi interpeller à priori un initié oriental. Mais rassurez-vous, ce dernier fera preuve de bienveillance et de sagesse à votre égard ! Si les symboles traditionnels que nous utilisons diffèrent des siens du moins en apparence, il se reconnaitra très certainement dans le travail de lecture que nous faisons en loge ce midi : les symboles semblent relever d’une polysémie de sens, il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont qu’une essence, cette idée pure, qui tends vers ces archétypes traditionnels et universels.
Dav .°. DUB.°. R.°.L.°. "Les Ecossais de Saint Jean" O.°. de Hyères.
Photo : Statue préhistorique, la Vénus de Laussel, sculptée il y a 18 à 20 000 ans est une forme extérieure d'archétype portant sur la complexion de la Mère nature.. Photo de l'original conservé au musée d'aquitaine de Bordeaux, France (fond noir) CCBY3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/3.0>, via Wikimedia Commons.
Bibliographie succincte sur les archétypes pour faciliter vos recherches :
L'homme et ses symboles, C. G. Jung, Gallimard, coll. « Folio », 1988, 181 p. (ISBN 2-07-032476-1). Livre en 5 parties, première publication en 1964. Inclus « Essai d'exploration de l'inconscient ». Écrit en collaboration avec Marie-Louise von Franz, il comprend : 1- Essai d'exploration de l'inconscient (C. G. Jung) ,2- Les mythes primitifs et l'homme moderne (Joseph L. Henderson), 3- Le processus d'individuation (Marie-Louise von Franz), 4- Le symbolisme dans les arts plastiques (Aniéla Jaffé), 5- Les symboles à l'intérieur d'une analyse individuelle (Jolande Jacobi). (wp)
Eric Romand : https://www.ecossaisdesaintjean.org/2016/03/la-vision-de-l-initie-et-l-extension-du-domaine-du-reel.html - sur ce blog!
Article concernant l’archétype en psychologie analytique Jungienne : "http://fr.wikipedia.org/wiki/Arch%C3%A9type_(psychologie_analytique)"
[i] Carl Gustav Jung https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Carl_Gustav_Jung&oldid=209480812
[ii] Les origines de l'hypothèse archétypale remontent à Platon . Les eidos , ou idées , de Platon étaient de pures formes mentales imprimées dans l'âme avant sa naissance dans le monde. Cette approche est liée à sa théories des formes et des solides. Jung reprendra l’idée platonicienne : les archétypes seraient des schémas innés, collectifs, des prototypes universels d'images d'impressions idéologiques et sensorielles…
[iii] Sur la notion d’hypostases article dans ce blog : https://www.ecossaisdesaintjean.org/2017/04/ii-eme-partie/devoilement-hypostatique-en-loge-et-la-perception-du-macon.html