Une vision du TERNAIRE en architecture à travers la CITE RADIEUSE de l’architecte Le Corbusier
Nous présentons ce travail d'apprenti pour démontrer que la polysémie du symbole résulte d'une expérience vécue du réel en fonction du contexte. Ce qui compte est moins l'interprétation d'une simple l'apparence que celle qui conduit à l'essence d'une réalité d'un ordre supérieur.
Ma démarche est simple, elle est constituée de trois pas qui me font avancer vers cette cité que son Maître d’œuvre voulait d’elle qu’elle soit juste. Une poléogonie idéale, dans laquelle des hommes -modules interchangeables- doivent vivre comme des phalanstériens de Fourier (1).
De ce cogito paradoxal (je suis là où je me vois), je vais appréhender d’une tout autre façon cette visite. Je vais voir autrement cette architecture qui se présente à moi. Car comme le disait Marcel Proust : « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux ».
Me voici donc au pied de la structure:
Pour Le Corbusier l’architecture des années 50 doit retrouver son rôle symbolique, intégrant la notion d’espace et d’urbanisme à trois dimensions. On le comprend un peu plus en voyant cette structure en suspension entre ciel et terre. Formée à sa base de forts pilotis, sur lesquels s’appuie l’unité d’habitation -partie centrale composée de cellules- et tout en haut vers le ciel, son toit-terrasse. Je mesure de manière conceptuelle la distance entre le conçu et l’exécuté comme il nous est possible de concevoir de façon spirituelle la distance entre le plan, le maillet/ciseau et la matière.
Le parc de la Cité Radieuse dans lequel je suis a été vu comme un cheminement par Le Corbusier. Je fais un parallèle avec mon chemin initiatique : de mes pas d’apprentis alourdis par mon ego, je prends le temps de réfléchir sur mon année d’apprentissage, de cette initiation où mes 5 sens ont été réactivés, de mon pèlerinage vers une vision globale. Mais en cet instant, tournée vers l’intérieur de moi-même, je suis à l’instar des moines qui le pratiquent, dans « la conversion du regard ».
Je rentre dans l’unité d’habitation comme le nomme Le Corbusier. Au passage je découvre, sous la forme d’un vitrail, l’unité de mesure de l’architecte « Le Modulor » : projection d’un homme, Le bras levé et découpé en trois intervalles : des pieds au nombril, du nombril au plexus solaire, du plexus solaire à la tête.
(Photo de l'auteure)
Alors il me vient en pensée que l’urbanisme en trois dimensions se retrouve dans la charpente tridimensionnelle de l’homme : le corps, l’âme et l’esprit, dans la religion : le Père, le Fils et le St Esprit, ou, en géométrie par les 3 figures mères : le cercle, le triangle et le carré,
dans le monde : entrailles de la terre- le terrestre- le céleste.
Le chiffre trois semble s’expliquer par la cohérence structurale des formes et des êtres…
Au pied des ascenseurs, je transpose la verticalité de leurs mouvements ascendants/descendants à notre fil à plomb. Celui-là même figurant symboliquement, durant mon apprentissage, la descente en mon moi intérieur : mon introspection, ma construction. Ce fil à plomb qui indique également deux directions : le centre de la Terre et le ciel. Cette perpendiculaire si elle est parfaite pourrait répondre à la question : ces ouvrages, que son « mon moi intérieur » et cette cité radieuse sont-ils bien d’aplomb ?
Au 3ème étage, poursuivant mon chemin, je me retrouve dans l’artère principale de l’unité d’habitation, avec ses commerces, ses bureaux, son hôtel et son restaurant dont le nom est « Le Ventre de l’architecte ». C’est à ce moment précis que, lors de ma visite, j’ai été interpellée. Je suis au niveau du Hara (2), ce rayonnement de la force vitale, je suis au centre de la structure :
en mon « temple intérieur » (spirituel) dans mon «temple intérieur» (corporel)
Le cheminement se poursuit dans les couloirs volontairement sombres ; ils desservent les portes successives des cellules d’habitation. Volontairement, car LC avait composé ces cellules avec de vastes baies vitrées donnant une sensation d’éblouissement à leurs entrées. N’est ce pas sans nous rappeler à tous, ce que nous sommes venus chercher en loge ?
Cette architecture n’est pas sans nous rappeler l’allégorie de la grotte de Platon ou celle de la Lumière de Prométhée. Elles témoignent de la propension de l’homme à s’élever vers la lumière.
L’unité de Marseille commence au feu, au foyer de chaque famille c’est-à-dire dans chaque cellule. Ce contenant / ces contenus forment l’unité d’habitation dont l’homme est le troisième terme.
Cette unité, comme toute autre, n’est qu’un fragment d’un projet plus vaste dont il reste difficile de situer le début de la fin : une architecture totalisante.
Mon parcours ascensionnel a débuté dans le parc au niveau de la terre d’où vient la force tellurique, il s’achève sur le toit-terrasse au niveau du ciel d’où vient la sagesse. Quant à l’harmonie- figurée par l’homme empreint du divin- il est l’intermédiaire entre la terre et le ciel.
Alain POZARNIK dans son livre « A la lumière de l’Acacia » dit je cite : « L’initiation, c’est ce voyage en soi qui permet de rejoindre le point ultime ».
Sur ce toit-terrasse, justement le point ultime de ma visite, où je suis à nouveau ébloui par la lumière, je vois la projection de l’ensemble sur la terre selon la course du soleil.
L’harmonie se sera glissée dans cette construction contemporaine en ajoutant à l’utilisation du Modulor, l’axonométrie : une technique de représentation graphique des objets à l’aide de projections effectuées sur des plans perpendiculaires aux trois directions principales dont l’une est verticale.
Cette visite ponctuée de passage entre ombre et lumière n’est pas sans me rappeler notre pavé mosaïque qui se construit sur ses lignes virtuelles pour qui sait le regarder et qui est positionné dans le Temple au centre de trois axes comme notre axonométrie.
Si l’architecture permet de rendre visible l’invisible pour Le Corbusier. elle retrouverait un rôle directement symbolique, tout en cherchant également à l’amélioration constante de l’organisation de la vie communautaire. Le Corbusier se sera inspiré de ses nombreuses visites dont celle de l’abbaye du Thoronet aux innombrables évocations du ternaire dont il dira lors de sa visite en 1953: « à l’heure du béton brut, bénie soit, au cours de la route, une telle admirable rencontre ».
F.: R.: RL Les Écossais de Saint-Jean .
(1) POLEOGONIE : (naissance d’une forme d’organisation collective, une citée juste)
(2) LE PHALANSTÈRE : (def Universalis) Conçu dans l’œuvre de Charles Fourier (philosophe du 18e 19e siècle) comme le dispositif expérimental central destiné à démontrer par la pratique la validité de sa théorie du monde social d’une certaine organisation communautaire.
(3) HARA : Centre du corps humain dans les traditions chinoises et japonaises « siège des émotions et partie profonde de l’être sensible »
Cette planche a été inspirée par :
Mes visites de « La cité Radieuse » et de l’abbaye du Thoronet avec une recherche spécifique sur le ternaire en architecture.
Par les lectures suivantes :
- Le Corbusier l’unité d’habitation de Marseille de Jacques SBRIGLIO aux éditions Parenthèses
- À la lumière de l’Acacia Du profane à la maîtrise d’Alain POZARNIK aux éditions Dervy
- Le Livre de l’Apprenti d’Eric Romand aux Éditions du Maçon
- Le code secret de Priya Hemenway aux éditions Evergreen
- L’émission radiophonique de France Culture : l’allégorie de la caverne