PYTHAGORE: vers la modélisation harmonique du réel
Le franc-maçon se conduit dans la vie suivant les trois lumières qui ordonnent et font vivre son tableau de Loge. L’image parfois idéale qu’il peut avoir du monde vient de ce qu’il le contemple et y agit porté par la Force de l’élan vital, par la Sagesse de son jugement et par la Beauté harmonisante du geste créateur et transformateur. Ces vertus comportementales sont en interactions permanentes, évitant par leur triangulation de laisser place à l’opposition, pour constamment œuvrer dans la complémentarité et la verticalisation du regard.
Une triangulation de l’invisible par le visible
Disposées en triangle rectangle, les trois lumières d’ordonnancement du réel sont reliées par le principe harmonique né du triangle rectangle de Pythagore. Si le carré est toujours visible, la racine du carré est invisible. Ici le carré de chaque côté, c’est-à-dire la matérialité visible de chaque côté, pris dans leur somme donne le réel visible, alors que la racine carrée « invisible », est l’origine du lien qui unit les deux cotés visibles. Cette « racine carrée » invisible est l’hypoténuse, étymologiquement « ce qui sous-tend » ! Comme pour l’équerre du Vénérable qui a deux côtés inégaux visibles, la mesure du côté invisible va naitre de la complémentarité des deux côtés visibles. Ces côtés visibles matérialisés « au carré » produisent une somme dont on cherche la valeur cachée, souterraine, à savoir sa racine. On voit bien que le théorème, traduit en langage symbolique, donne au réel sa profondeur, profondeur invisible au profane qui ne distingue dans le nombre qu’un simple outil de computation.
L’hypoténuse est « ce qui sous-tend ».
Nous y voici : le principe harmonique né de l’ordonnancement du cosmos allie le réel apparent et donc sensible et sa partie racinaire invisible, mais intelligible pour le « mathématicien » au sens pythagoricien ou platonicien. C’est donc la partie voilée de ce théorème qui nous intéresse. Cette part invisible est initiatique, car elle révèle l’hypoténuse et la manière de la « nombrer » dans un rapport harmonique avec les deux côtés visibles. L’hypoténuse est ce qui « sous-tend » un rapport entre deux termes complémentaires dans leurs directions et proportions. Donc l’harmonie et le beau s’appuient sur un rapport de proportion du visible qui suggère une profondeur esthétique unifiante. Il en est ainsi des colonnes (dorique, ionique corinthien) qui ne peuvent avoir d’autres proportions « académiques » qu’en regard du style décoratif défini. La proportion (hauteur et circonférence) s’associe à un décor de « style » uni par un troisième terme (hypoténuse) qui harmonise. Ce rapport triangulaire entre deux côtés visibles d’un triangle se rencontre à l’intersection de leur direction (raison commune) et sont conjoints dans leur extrême raison par l’harmonie (hypoténuse). L’hypoténuse unit les différences.
(Ci-dessus: le triangle isiaque illustre symboliquement le pouvoir harmonique de l'hypoténuse: le côté 3 (esprit) et le côté 4 (matière) sont unis par le nombre de l’Homme (5). Horus (5) est l’enfant « ailé » appartenant au monde terrestre et céleste né d’Isis (4 la Terre) et Osiris (3 le Ciel).)
Tout carré long ou carré double, porte obligatoirement un rectangle pythagoricien de dimensions 3X4X5. Dans un carré long 1X2 [de 1 (La lumière) sur 2 (Soleil et Lune)], on va reproduire un rapport harmonique afin de rétablir un carré long soumis à ce rapport caché (Sagesse, Force et Beauté). L’image éclairée par cette équation « éthico-philosophique » sera un Tableau de loge « éclairant ». Le rapport harmonique sera appelé nombre d’or par double projection sur l’hypoténuse. Cette hypoténuse sera la diagonale qui "révèle" l’image ou la proportion comme un miroir.
La vibration de l’image par « ce qui sous-tend ».
L’image produite et ressentie, vibre d’une harmonie cachée dont il faut chercher l’hypoténuse (le nombre, la proportion qui sous-tend).
C’est le Nombre qui ordonne tout selon Pythagore. Le Nombre est aussi figure géométrique, et vibration : couleur, rythme et répétition (musique). S’engage derrière le Nombre et le jeu des proportions une série de correspondances. Notre recherche portera sur la mise en scène du Nombre relativement à son expression plastique donnant au motif géométrique représenté, une vibration, un effet qui excite notre capacité à voir au-delà de l’apparence. Cette mise en scène prendra en compte l’identification du nombre à la figure géométrique dans sa proportion son rythme. Si nous connaissons le point d’intersection des deux termes (raison commune), il nous reste à définir ce qui unit les extrêmes raisons (ce qui conjoint leur(s) différences). Nous avons toutes les raisons de croire que c’est la vibration qui unit les termes différents dans une harmonie. En effet le rapport de proportion est un rapport harmonique qui fait naitre le nombre d’or, l’harmonie dans la musique et l’harmonie des sphères. Cet aspect vibratoire né de la forme plastique ou géométrique, de la matière comme de la couleur, du rythme et de la répétition, sont unies par la vibration qui résonne en nous. C’est donc en l’Homme (5), par sa perception du sensible et de l’intelligible que l’esprit (3) et la matière (4) se conjuguent en formes esthétisantes, en correspondance et analogies.
Tout ce qui précède donne une idée de l’intervention de « ce qui sous-tend » l’apparent et le rend harmonieux. Le rapport de proportion entraînant une consonance pour ne pas dire une résonnance vitruvienne entre la partie et le Tout, fait que l’image, l’icône ou la sculpture vibre à nos yeux. L’image devient expérience phénoménale sensible et intelligible. Le géographe Pausanias rapporte au II-ème Siècle que la statue du chasseur Actéon fut enchainée tant sa plastique sculptée par Charon donnait l’impression d’être « vivante », au point que ses chiens pensant voir leur maitre venaient se coucher à ses pieds. Voilà ce que peut être l’image phénoménale née des mains de l’artiste. Cette résonnance entre la partie et le tout né des ressorts secrets de sa beauté, se déploiera non seulement sur l’objet représenté, mais aussi à son interprétation psychique, éthique voir métaphysique.
Ainsi la Géométrie issue du Nombre porte l’ouverture à l’intelligible au phénoménal qui dépasse le sensible apparent par le truchement des proportions, vibrations, analogies et correspondances.
E.°.R.°. T.°. "Les Ecossais de Janas"
1 /La modélisation harmonique et l’art optique contemporain
Le sensible associé au Nombre et à la proportion surinterprète le réel. L’art optique transforme les deux dimensions d’un plan en trois dimensions et plus, grâce à la notion de déplacement, de cinétique et d’instabilité de l’image…On va tenter de jouer sur trois critères qui sont la reproduction du motif (pavage), l’instabilité de l’image par effet d’optique qui donne non seulement un rythme, un mouvement, mais aussi une vie à l’œuvre.
La Tetractys continue à travailler l’imaginaire contemporain 2500 ans après son apparition avec Pythagore, le nombre et la musicalité apparaissent en peinture avec Vasarely.
Des correspondances sont recherchées entre l’art plastique et la musique à savoir :
- le phénomène vibratoire (couleurs et sons sont des longueurs d’onde fonctionnant sur le principe harmonique cher à Pythagore).
- l’occupation de l’espace et du temps via la perspective et la profondeur du champ relativement au motif représenté, appelé modèle ou module d’architecture ou encore tracé régulateur
- la parenté entre la programmation de l’œuvre plastique fondée sur le nombre et la forme ou la couleur répétée et la partition musicale,
– rythmes : répétition, variation, développement, recherche d’équilibre
Tout se joue sur le mode de fonctionnement de notre perception (ambiguïtés et illusions perceptives, illusion de la proportion parfaite par le nombre d’or). L’art pictural devient programmable sous l’influence de Vasarely.
Selon Denise Demaret-Pranville professeur de mathématique et plasticienne : « Il y a deux façons différentes de rencontrer les mathématiques dans le domaine de l’art, soit comme un outil aidant à la création d’une œuvre, comme, par exemple avec l’utilisation de la perspective, soit, au contraire, lorsque l’artiste choisit de prendre des objets mathématiques comme sujet, ce qui est très présent dans l’art géométrique ou dans l’art fractal. On peut dire que, dans le premier cas, les mathématiques constituent un outil au service des artistes, et que, dans le second cas, les mathématiques deviennent un sujet de l’art. »
F.°.R.°.
2/ Du pavage au Module
Nous abordons l’art du pavage qui est par nature un art artisanal et non pas libéral.
Notre pavé mosaïque est un carré multiple et contrasté avec un effet dynamisant qui valorise une image centrale appelée Tableau ou Tapis de Loge. Vasarely va développer la technique du contraste pour en faire un art optique et géométrique. Le franc-maçon retiendra que l’effet optique donne à l’objet représenté une apparence de relief ou de mouvement. On peut donc trouver dans une image plane en 2 dimensions une « impression » optique d’une autre nature. Il y a donc plusieurs couches dans la représentation du monde : le réel simple (plan), le réel ressenti (effet relief) et le réel profond (effet mouvement). Le réel est donc un phénomène, c'est-à-dire un réel ressenti ou intuitif de ce qui est donné à voir…L’objet secret de l’œuvre d’art ultime est de dépasser les trois dimensions (Ligne, Plan, Volume) pour atteindre la fameuse profondeur du réel que recherchait Saint Bernard, c'est-à-dire la dimension qui dépasse la représentation même pour atteindre la fulgurance du Verbe originel. Cette tendance recoupe la notion de Chef d’œuvre qui donne à la forme une dimension qui dépasse ses simples contours, car ceux-ci sont dépassés ici par l’effet optique.
Qui dit optique dit miroir : les anciens disaient qu’on ne voit la totalité du Ciel que dans le reflet porté par un miroir. L’œuvre d’art optique est donc par sa nature même une représentation d’une réalité ayant plusieurs « point de vue » suivant notre capacité à voir le réel profond. On peut en dire autant de la lecture d’un texte sacré ou hermétique qui par sa nature même offre plusieurs niveaux de lecture.
Vasarely est un Grand Maitre dans l’art de donner à voir.
VASARELY fait largement usage de la géométrie par l’alternance du fond et de la forme en un jeu de combinatoire répétitive du pavage, et, par une perspective contradictoire liée à l’axonométrie, en travaillant sur l’axe vertical, horizontal ou diagonal (telle une croix « tridimensionnelle ») il crée un effet en 3D appelé « art optique ». Part la perspective dynamique d’une trajectoire, l’artiste crée l’effet, l’illusion de la 4ème dimension « l’art Cinétique ».
(Modélisation de l’auteur, le carré plan devient trapèze par effet relief inhérent au mouvement, au changement de « point de vue ».)
La notion de répétition est cousine de la notion mathématique de symétrie. « Le rythme est au temps ce que la symétrie est à l'espace », écrit Francis Warrain. Dans un tableau de Vasarely, la symétrie peut aussi prendre le visage des symétries propres à certaines figures géométriques, tels l'hexagone ou l'octogone.
(Modélisation en trompe-l’œil part l’auteure, il s’agit superposition du cube sur et dans l’hexagone, à partir des motifs Vasareliens. Ici on voit parfaitement que l’effet optique assimile le cube en perspective à l’hexagone et inversement. On ne serait dire si le petit cube est en relief ou en creux sur l’hexagone. La forme par effet d’optique est instable comme le vivant.)
On appelle « pavage du plan » l’ajustage de polygones de formes différentes couvrant une surface plane, sans interstice ni chevauchement. Ces arrangements sont périodiques ou non-périodiques, comme celui-ci, composés de deux polygones seulement : c’est un pavage de type Penrose, qui a ouvert la voie à la compréhension des substances appelées quasi-cristaux.
(Analyse structurelle d’un motif de pavage Vasarelien fondé sur le pavage de la surface avec deux types de trapèzes. On perçoit les variations de points de vue créant une vibration dans l’art optique)
À travers les siècles, des artistes du monde entier ont eu recours à la science du pavage pour réaliser de superbes assemblages décoratifs en forme de mosaïques, sur des parquets, des tableaux ou des panneaux muraux.
Aussi dans le monde naturel, le pavage apparaît sur toutes sortes de surfaces : la carapace d’une tortue, les écailles d’un poisson, les cellules de notre peau : « Le Grand Architecte de l’univers à tout réglé avec mesures, nombres et poids… »
Alors si les molécules d’un solide sont ordonnées ou cristallines (la glace, les diamants, le sel de table…) nous parlons de symétrie de la nature (symétrie du grec sumetria : avec mesure)
3/ Modélisation harmonique et la répétition à l’infini
Nous abordons la mathématique de la répétition qui est un art libéral au sens propre. Nous passons de l’aspect sensible du nombre et de la forme à la reproduction du motif modulaire, moins par la main de l’artisan (pavage reproduction exogène) que par le motif lui-même (reproduction endogène).
Notre vision se laisse entrainer par notre cerveau qui parfois suit une logique de l’apparence qui nous trompe. Nous avons du mal à définir ce qui sous-tend la représentation et nous laissons enfermer dans l’apparence. Ici la répétition est endogène et ne sort pas du cadre prescrit.
Ici le motif géométrique se reproduit sur lui-même en effet trompe-l’œil. Il s’agit du triangle de du mathématicien Penrose.
Autre effet trompe-l’œil bien connu est ce cube tel qu’exposé par Merleau-Ponty dans « Phénoménologie de la perception » édition Gallimard Paris 1976. Sur cette représentation d’un cube, on peut se demander qu’elle est le premier plan : le carré ABCD ou EFGH ?
Nous avons aussi une répétition séquencée dans l’art fractal, mathématique par sa nature. Le motif se reproduit par lui-même, il est donc endogène, mais se développe hors du cadre premier mais prenant "racine" sur son module de base.
Nous le retrouvons dans l’arbre de Pythagore qui est l’illustration du théorème de Pythagore sous forme géométrique. Il est composé uniquement de carrés (le nombre 4) et de triangles isocèles rectangles (le nombre 3), et sa construction se fait avec la règle graduée, l’équerre et le compas.
(Arbre développé à partir d'un triangle isocèle issu de la pierre cubique à pointe et arbre suivant triangle rectangle du VM en 3-4-5. On notera que tout part du triangle dit de Kepler : qui selon Sudarskis associe le théorème de Pythagore et le nombre d’or par la figure construite à partir du rectangle d’or (parfois appelé le visage de Dieu), où les dimensions respectives des côtés du triangle sont : Φ, 1 et racine de Φ.)
À travers cette stéréotomie (ou art du trait) on découvre que l’équerre du VM se reproduit à l’infini. Cette reproduction peut se faire aussi à partir de la pierre cubique à pointe projetée en deux dimensions, la différence portant sur les petits côtés du triangle qui seront égaux ou pas.
Le tracé du motif devient module ou tracé directeur « réplicable » par sa « théorie » c'est-à-dire par ce qu’il a de puissance divine (Theos) en lui. Pour le triangle rectangle, Theos se serait invité dans la deuxième clef de Pythagore : « Dans un triangle rectangle, le carré de la longueur de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés ». Le jour de cette découverte, la légende dit que Pythagore aurait offert un holocauste de 20 Bœufs à Zeus… Cette découverte est en réalité une reprise habilement formulée de connaissances égyptienne plus clairement formulées. Pour autant la main divine dans "ce qui sous-tend" le réel s'impose en transformant la différence apparente en complémentarité sous-jacente.
Ce "Theos" est dans l’hypoténuse comme dans le module réplicable en toute construction ! Serait-ce les prémices d'une analogie universelle fondée sur la proportion et sur "ce qui sous-tend"? Analogie fondée sur le non apparent, mais sur l'intelligible "mathématique" ou "géométrique"?
Ce mystère lié à la reproduction-réplication du motif, crée une relation harmonique en relation avec une dimension sacrée. La géométrisation de l’espace implique une relation harmonique entre la forme née de la matière et la Lumière venue du ciel: "point de forme nommée sans Lumière". Or le Nombre est Nom à part entière qui peut être démultiplié et demeure analogique par l’enveloppement de l’Un.
Cette relation harmonique entre la forme et la Lumière est issue du savoir-faire d'Épiméthée. Ce savoir-faire est un « tour de main », autrement dit c’est « une clef » de lecture et « une clef » de réalisation. La réalisation consiste à faire entrer le concevable dans le construit. Le réel n’existe à nos yeux que par la Lumière. Le profane ne connait ni la clef de lecture (clef d’Or) ni la clef de réalisation (clef d’Argent). Cette clef est l’apanage de l’initié qui d’une part maitrise « ce qui sous-tend » (l’hypoténuse) et d’autre part ont le « tour de main »,. Ce tour de main est un secret de fabrication né de l’imitation, de la captation du secret du Theos. C’est une approche clairement démiurgique.
Donc la géométrie et l’arithmétique qui font naitre formes et proportions « analogiques » sont de nature sacrée. Le 5em Art libéral est alors une science du sacré, car la géométrie est née du rapport entre les nombres eux-même nés de la Monade pythagoricienne et de la Terre productrice des formes. Cette divine naissance donne à l’image l'harmonie et la beauté qui fascine comme elle le fait pour le temple ou la cathédrale. La géométrie sacrée est fondée sur l’arithmétique modulaire qui induit une réplication à différentes échelles et plans, d’un tracé directeur ou proportion cachée. Le module « cage dorée du Theos » devient « théorie » c'est-à-dire « contemplation du divin et agencement du monde » repris par le Tableau de Loge éclairé par la lumière d’ordre « Beauté ». La Beauté est appelée aussi « Harmonie » lorsqu’elle sert la réplication des formes et leurs interactions, la répétition des sons, des mots, des gestes et des couleurs, ce qui est le cas en Loge ...
F.°.R.°. et E.°.R.°. - R.°.L.°. « Les Écossais de Saint-Jean »
(L’arbre de Pythagore, ou fractale du Theos fondée sur un module née d’un théorème)
Les illustrations numériques sur les arborescences pythagoriciennes sont tirées de l’article d’Étienne Ghys, Jos Leys — «Un arbre pythagoricien» — Images des Mathématiques, CNRS, 2013
4/ Modélisation harmonique et la Tetractys en loge : de l’Un au Tout en passant par l’Être.
La Tetractys est une grille de lecture du réel qui trouve sa première clef de lecture dans la puissance quasi métaphysique du point.
Nous disions précédemment que la Tetractys fondée sur le Nombre dont on tire la proportion et qui s'associe à une Tetrade (1+2+3+4) serait une "analogie universelle". On pourrait donc en retrouver la trace symbolique dans la structure même du réel. Voyons si la Loge maçonnique, lieu symbolique par nature , mais bien réel par son agencement, se prête à l’application plastique de la Tetractys en l'associant à l'hypoténuse issue du théorème de Pythagore. Notre objectif est d'établir un lien symbolique et analogique entre une tétrade élémentaire chère aux franc-maçons, les 3 styles des colonnettes ou piliers disposées en triangle rectangle est le dispositif ternaire de la lumière orientale.
Quoi de plus remarquable en loge que le carré long sous tendu par le pavé mosaïque qui répète à l’infini le déterminisme d'une dyade (case noire et case blanche). La représentation géométrique de notre Temple serait née du Théorème de Pythagore, car la dimension de la diagonale de ce triangle rectangle résulte toujours de la racine carrée issue de l’addition des carrés de ses côtés. Ce triangle rectangle est marqué aux 3 angles par les colonnes « Sagesse de style corinthien, Force de style dorique et Beauté de style ionique » (nombre 3 ou ternaire dans le Hekal au REP).
Donc la figure dite du « carré long » en damier, « triangule par trois vertus » donc à l'aune d'une éthique, la "révélation" d’une image du monde, représentée symboliquement par le Tableau de Loge du grade concerné. Cette « imago mundi » est le point central de notre circumambulation dans les trois plans relevant de la connaissance de soi et du monde à savoir : le plan physique, psychique et intelligible. C’est la superposition des trois plans parfaitement alignés qui produira cette fameuse résonnance spirituelle qui est véritablement l’aspiration de l’Homme.
Si on en croit les méthodes ancestrales de création et de fondation des bâtiments sacrés, le carré long serait une image synthétique du plan solaro-terrestre, une table de projection du Ciel sur Terre. C’est aussi un Mundus mémoriel, qui selon la Genèse et les anciennes sagesses, serait né de la combinaison des quatre éléments. Eau, Terre, Air et Feu (nombre 4) sont associées aux trois vertus architecturantes ou « formatrices » : Force, Sagesse et Beauté, associées aux styles des colonnes de l’art antique.
Nous allons voir que ces vertus sont pour l’homme des hypostases du Divin. Ces vertus nous relient au Divin.
En effet, si nous mettons en scène le 4 (éléments) et le 3 (lumières d’ordonnancement Sagesse, Force et Beauté) sur le plan de circumambulation de la loge, nous devons rechercher leur source "éclairante" sur un autre plan moins accessible. Nous cherchons alors la monade ou l’unité principielle. Pour cela nous devons nous poser la question d’où vient la Lumière qui illumine en Sagesse, en Force et en Beauté notre vision du monde (résumée dans le Tableau de loge) ? D’où vient cette lumière qui inspire notre maillet qui agit sur le ciseau et donne forme harmonieuse aux 4 éléments combinés ?
Elle vient de l’Orient pour descendre jusque dans la matière, puis pour faire le chemin du retour ascensionnel dans sa source. Cet aller-retour nous le retrouvons dans le rituel "vibratoire" à trois voix des trois porteurs de maillet. Cette réversibilité (descente et remontée) est une des constantes du système analogique introduisant une descente en soi ou dans la matière puis une remontée, suivant en cela les lois de correspondance.
L’aboutissement dans la remontée est un sommet qui comme tous les sommets faisant axe, se prête à l’interprétation anagogique. Ici, le centre de soi, le centre du Hékal, le centre du monde s'alignent dans un même axe "vibratoire". Nous verrons plus loin que le chemin de l'axe est généré par la progression axiale qui résulte d'une triangulation née de la transformation d’opposés en complémentaires dans chaque niveau. La Tetractys qui repose sur l’harmonie des proportions et des rythmes est un modèle parfait de triangulation axiale, car son sommet est l'Un d’une décade de base quatre. Par sa représentation la Tetractys est une combinatoire nombrée et proportionnée, fondée sur la triangulation axiale bien présente en loge.
Le Principe produit l’Un, la philosophie de l’Un sera développée avec succès par les néo-platoniciens : les nombres et les choses sont issus de l’Un qui se démultiplie. Les nombres sont issus de la monade qui se duplique en une dyade polarisante qui détermine la succession. Le réel harmonieux est dérivé d'un Principe unique. Tout part de l'Un jusqu'à la multiplicité du réel, puis par le jeu de l’analogie réversible, la totalité remonte à sa source première.
La Monade est donc à l’Orient, lieu sacré de naissance de la Lumière appelée aussi "porte des Dieux".
Cette Lumière est représentée, selon les rites maçonniques, par un Triangle plus flamboyant que rayonnant, équilatéral représentatif d'une trinité, parfois centrée du Nom divin (RER), ou d’un Œil au centre d’un triangle (REAA), d’une Étoile à 6 branches dite Hexagramme (REP)... L'hexagramme reprend clairement une double Tetractys superposée et inversée. C'est un signifié géométrique portant le principe de réversibilité anagogique versus littéral : ce qui est en haut (sens anagogique) et comme ce qui est en bas (sens littéral), etc. Peut-on dire dans ce cas que la loge organise par son cheminement symbolique réversible, les structures cachées de l’hermétisme ?
Précisons que cette Étoile orientale, représentée dans « l'essence » de son flamboiement (et non pas dans « le sens » du son rayonnement); cette source primordiale, est relayée par l’épée flamboyante du VM médiateur céleste. Le VM s'exprime par son maillet et sa parole. C’est donc que l’Étoile, la Lumière, le Fiat Lux, le Verbe, la vibration au sens premier, seraient « la » ou « les » sources de la manifestation et de la vie. Voilà donc l’attribut, le prédicat du Nombre pythagoricien en loge : c’est le symbole en correspondance "vibratoire" dans les 4 plans analogiques de la Tétractys.
Pas plus que l’Un, aucune Étoile n’est accessible directement aux Hommes si ce n'est par la vibration qu'elle diffuse (longueur d'onde lumineuse). Chaque étoile à sa longueur d'onde qui symboliquement dépend du nombre...de ses branches et donc son niveau d'intervention vibratoire dans le spectre visible du réel . Le symbole de l'Etoile en correspondance des 4 plans est un médiateur reprenant la puissance harmonique propre au Nombre. Ce médiateur harmonique porté ontologiquement par la monade (alias l'Etoile), s’établit pour la première fois dans le passage de la monade à la dyade, l’ensemble créant évidemment un triangle équilatéral "axial".
Les deux termes constituant la dyade (Lune et Soleil, ou Équerre et Compas), créent une dynamique, un contraste par une opposition devenue complémentaire, mais toujours harmonique, susceptible de générer à son tour dans un plan inférieur. Cette harmonie « apparente » sera qualifiée « d’harmonie des sphères » fondatrice d’un Cosmos au milieu du Chaos. Par déclinaisons successives et compte tenu de son caractère générateur et universel, le principe harmonique est susceptible de donner la vie et les formes géométriques parfaites, le beau et le bien.
Sur ce fameux plan solaro-terrestre, nous constatons les jeux cycliques du Soleil en son rythme solsticial et de la Lune en son rythme sélénaire. C’est pourquoi nous travaillons de Midi à Minuit sur deux fréquences qui dicte l'émergence de la vie. Cette émergence correspond au caractère déterminant de la diade. La dyade céleste constituée par le Soleil et la Lune, trouve son pendant, sa correspondance dynamisante avec la case Blanche et la case Noire du plan solaro-terreste, ou la lettre J et B des colonnes humaines. Cette géométrie binaire « dynamisante » sera un véritable crible nécessaire à l’élaboration des tracés directeurs fondés sur l’harmonie géométrique du théorème de Pythagore.
(Dans ce schéma tiré des archives de la R.°.L.°. La Lumière Ecossaise, on remarque une possible permutation dans deux niveaux, celui des éléments entre eux et des vertus, la variabilité des permutations est fonction des complémentaires dirimantes choisies dans la dyade et donc implique des correspondances dans les niveaux inférieurs. On remarquera que si la Monade est indéterminée par sa nature enveloppante du Tout, la Dyade est une traduction d’un point de vue, d’un parti pris fondateur. La dyade est toujours « déterminante ».)
Ainsi et pour conclure, l’adaptation du schéma de la « sainte Tetractys » par le franc-maçon est une combinatoire analogique des 4 éléments sous couvert de trois vertus (3) dynamisées par l’opposition devenue complémentaire de la Lune et du Soleil (2). Cette combinatoire nous montre le chemin de la source « flamboyante » principielle et harmonique des formes et de la vie (1). Cette source enveloppante porte en elle une analogie universelle réplicable en bien des domaines. C’est cette source originelle et universelle qui donne à l’agencement harmonique de l’ennéade issue de la monade sa dimension sacrée. Ainsi le franc-maçon en interposant l’homme armé de ses vertus, en médiation entre les 4 éléments et le Principe, réussit à allier la puissance de l’Un et la puissance de l’Être en une seule grille de lecture.
Dans une belle combinatoire, le franc-maçon résout la disputatio philosophique de la prééminence du Principe ou de l’Être dans le Réel. Il opère un réalignement des trois plans (ou Tableaux de loge) correspondant aux trois initiations qui mènent des Petits Mystères aux Grands Mystères.
Ce schéma d'une triangulation axiale de la Tetractys reformulée, réadapté par la franc-maçonnerie à des fins symboliques, mariant l’Un et l’Etre, est insuffisant à rendre compte des liens connexes existant entre les éléments et les vertus situées aux bords de la figure.
Cette carence peut être compensée par une autre présentation. Il s’agira donc d’une décade à trois cercles nés d’un Centre ontologique. Elle s’applique au centre du Hekal et exprime la superposition des 3 grades « bleus » de la franc-maçonnerie. Elle emporte les trois termes de projection de la monade dans 3 cercles : L’Un (1) génère la dyade (2) du premier cercle, qui diffuse dans le triangle (3) du second cercle pour finir dans le carré (4) du troisième cercle. Ainsi chaque constituant d’une table supérieure entre en contact avec la totalité des constituants de la table inférieure et par le cercle.
Le schéma provisoire ainsi posé nous renvoie à une autre question toute aussi passionnante, portant sur la quadrature du cercle; mais ceci est une autre aventure...
(Ci-dessous variante de la représentation de la Tetractys en décade concentrique, permutations possibles de B et F et des éléments suivants le rituel. On notera que le carré peut être "orienté" de manière cardinale avec par exemple la Terre en noir à l'Occident, le feu en jaune à l'Orient, l'Eau en vert au Septentrion et l'Air en bleu au Midi. On trouve cette autre "orientation" : l'Air en jaune à l'Est, le Feu en rouge au Sud, l'Eau en bleu à l'Ouest et la Terre en noir au Nord.)
E.°.R.°. R.°.L.°. "Ecossais de Saint Jean"