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Bord Gustave La Franc-maçonnerie en France de 1688 à 1815. Bibliothèque de la R.°.L.°. Les Ecossais de Saint Jean . Photo ER

Bord Gustave La Franc-maçonnerie en France de 1688 à 1815. Bibliothèque de la R.°.L.°. Les Ecossais de Saint Jean . Photo ER

Les précurseurs de la Franc maçonnerie par Gustave Bord.

 

Nous avons entamé un cycle d’étude des auteurs pré-maçonniques et des historiens de l’art Royal. Dans ce cadre, il nous semblait évident d’étudier le Tome I de « La Franc maçonnerie en France » écrit en 1908 par Gustave Bord.

Nos thèmes d’études utilisent le fond documentaire des loges composant le GLSREP. C’est une édition originale qui nous sert de support, nous avons aussi accès aux notes et instructions de Robert Ambelain sur l’histoire du Rite Ecossais primitif.

 

Etudié en tant qu’historien de la franc maçonnerie, Gustave Bord se situe à la croisée des deux siècles marquant l’âge d’or de la Franc maçonnerie spéculative. C’est en effet entre la fin du XIXème et le début du XXème que la société Française sera marquée par l’influence de la Franc maçonnerie spéculative.

Royaliste convaincu, attaché au fond traditionnel et religieux d’une France des siècles passés, pourfendeur de l’illusion égalitaire et de l’électoralisme à tout prix, notre historien prend ouvertement parti, sans faux semblant. C’est cette transparence que nous apprécions en le relisant, même si, sur de nombreux points, il nous semble difficile de le suivre.

Les références de ses sources sont rarement citées, ce qui nous laisse peut de marge d’appréciation. On pense qu’il travaillait à partir d’un fonds documentaire personnel ou appartenant à de vielles familles qu’il n’a pas voulu impliquer dans ses attaques.

Loin d’être un historien dépassé ou ringard, il rivalise dans ses exposés avec nos meilleurs contemporains qui ont l’avantage des outils numériques et universitaires. Sa proximité temporelle et son implication royaliste loin d’être des obstacles valorisent ses analyses, en lui donnant compétence certaine sur les thèmes traités.

Anti-révolutionnaire patenté, on imagine dans le début du XXème siècle les débats qui furent les siens, notamment sur la laïcité et sur la séparation de l’église et de l’état. Tenant d’un rétablissement de la monarchie en France, c’est en fin connaisseur de la chose royale qu’il abordera l’arrivée de la franc maçonnerie jacobite en France et donc du Rite Ecossais Primitif tel qu’il fut réveillé par Robert Ambelain.

Son abord négatif de la Franc Maçonnerie semble oublié, lorsqu’il se lance dans ses recherches sur les loges Jacobites. Son point de vue sur les auteurs pré maçonniques est plus assujetti à son parti pris mais réveille en nous un sens critique et salvateur qui nous permet de vérifier la solidité de nos analyses.

Avec Bord nous devons refaire notre parcours de conviction, et nous assurer à chaque fois de la rigueur de nos raisonnements.

Voilà donc un auteur anti-maçonnique honnête et bienveillant avec nos consciences de maçons. Il nous oblige à rester « à l’écoute » d’arguments qui ne sont pas toujours les nôtres.

On retiendra qu'il étudie les courants qui traversent la franc-maçonnerie et qu'il fait une distinction entre une franc-maçonnerie qui se réclame des bâtisseurs opératifs et une maçonnerie plus chevaleresque en droite ligne des Stuarts, ce qui nous donnera les rites dits "Écossais" ceux issus de l'exil à Saint Germain en Laye en 1688. Cette franc-maçonnerie de l'exil est une chevalerie en reconquête d'un trône perdu pour son Roi. Cette tension se traduira en apologie de l'Exil, du sacrifice et de la reconquête d'un centre politique qui deviendra plus spirituel et mythique. Selon Robert Ambelain, le Rite Ecossais Primitif se veut l'héritier de cette filiation stuart, qui tenter d'allier l'Hérédom et l'image du Temple.

Er :. R :.

 

 

CHAPITRE PREMIER ; LES PRÉCURSEURS

  

Le problème. — Les sources des doctrines maçonniques.— Les penseurs : les alchimistes. — La pierre philosophale. — L'Alcaest, la Palingénésie et l'Homunculus. — Les principaux alchimistes ; leurs protecteurs et leurs adversaires. — Les kabbalistes : Raymond Lulle ; Thomas Morus ; Paracelse ; les Socins ; Andréa ;  Robert Fludd ; le chancelier Bacon ; Pierre Bayle ; Swedenborg ; Willermoz.

 

Qu'est-ce que la franc-maçonnerie ? — Ce problème a été souvent posé ; presque toujours on y a répondu de façons différentes, et la multiplicité des solutions a fait la confusion et le mystère, au profit des maçons et au plus grand dommage de ceux qui les attaquent.  

On a voulu personnifier la maçonnerie dans une succession de grands maîtres inconnus, connaissant 

seuls le secret de l'Ordre et seuls le dirigeant. Cette société, d'après les uns, aurait eu le même but caché et la même organisation mystérieuse depuis son origine; d'après les autres, l'Ordre n'est qu'une société de  secours mutuels et de bienfaisance.

 

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Les deux affirmations sont également fausses lorsqu'on les rapporte à toutes les époques de la maçonnerie ; elles sont la source de multiples erreurs.  

Pour trouver la solution du problème, essayons d'abord de le poser. 

 N'y eut-il qu'une espèce de franc-maçonnerie ? Son but fut-il toujours le même ? A-t-elle eu successivement un ou quelques chefs connaissant seuls le secret du but de la société ?  

Nous démontrerons que deux maçonneries se succédèrent : l'une, la plus ancienne, composée de gens de métier, de constructeurs, et que nous appellerons corporative ; l'autre, celle qui la remplaça, composée d’amateurs de philosophie et de sciences, que nous appellerons spéculative (1). 

 La substitution ne se fit pas brusquement de la première à la seconde forme : pendant plusieurs années des hommes influents s'introduisirent dans la première pour s'y livrer avec sécurité à leurs études souvent entachées d'hérésies ; d'autres voulurent la dominer pour en faire profiter leur parti politique, qui fut pendant les premiers temps celui des Stuarts. Ces maçons, connus sous le nom de maçons acceptés, lorsque la substitution de l'ordre à la corporation aura lieu, donneront naissance à deux courants différents : la maçonnerie jacobite et la maçonnerie anglaise. Ces deux soeurs ennemies,  qui auraient dû représenter des adversaires irréconciliables, après avoir poursuivi des buts opposés, se  trouveront confondues, plus tard, par la puissance  du dogme fondamental de la Maçonnerie qui aura subsisté malgré eux, parce qu'une idée est plus forte que  

  1. Les Anglais appelle la première opérative. Nous avons adopté le mot corporative, qui nous paraît plus complet, car il suffit à exprimer que ces travailleurs opéraient en corporation.

 

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les hommes et les conduit fatalement lorsque cette idée  est vraiment puissante. Or, on ne pourra pas nier que, si l'idée maçonnique de l'Egalité des hommes est socialement détestable, elle n'en est pas moins forte et que le maçon lui-même n'a souvent qu'un abri bien précaire lorsqu'il a déchaîné l'orgueil de l'homme sous prétexte d'égalité et que le cyclone passe sur l'humanité terrifiée. 

 Aussi bien, à celui qui les attaque, comme au maçon dont sa propre lumière a brouillé les yeux, je puis dire, après avoir étudié le problème sans haine pour les hommes : le dogme maçonnique est une chose grave, une pensée dangereuse, qui conduit les sociétés aux pires cataclysmes ; ne cherchez pas dans le maçon, tantôt un ennemi de caste ou de nationalité, tantôt un ennemi politique ou religieux, car il renferme en même temps tous ces dangers. La f :.m :. n'est pas représentée par un homme, ni une classe d'hommes, mais par une idée néfaste, la plus terrible qu'on puisse  imaginer : l'idée de l'égalité. Tuez l'idée ; tuez-la d'abord en vous où elle a pénétré, et vous serez surpris de voir le lendemain que la f :.-m :. n'existe plus.  

Les maçons furent au XVIIIème siècle les prêtres et les soldats du dogme égalitaire. Sous le souffle de cette idée ils ont exercé leur sacerdoce et livré leurs combats, pour la plupart inconsciemment. L'idée implacable les a entraînés jusqu'au bord de l'abîme où doivent succomber les sociétés modernes, car le dogme de l'égalité est par essence destructeur de toute idée sociale. Leurs adversaires, envahis eux-mêmes par cette idée, n'ont pas osé jusqu'ici les attaquer sur ce terrain, qui est le véritable terrain de lutte. Il faut le reconnaître nettement, franchement, il n'y a plus aujourd'hui que deux adversaires en présence : les anarchistes

 

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égalitaires et ceux qui veulent vivre en société avec les  hiérarchies nécessaires. Envisagée sous ce point de vue, l'idée égalitaire domine donc l'histoire de la f :.-m :.comme, elle domine les destinées des nations modernes.  

La f :.-m :. telle qu'elle fonctionna pendant les premières années du XVIIIème siècle, peut être considérée comme un équipage de savants, vrais ou faux, d'abstracteurs de quintessence, de kabbalistes et de  spirites, qui, s'étant réfugiés sur un navire dont l'équipage ancien ne trouvait plus à s'occuper, se firent accepter par le capitaine, peu à peu s'emparèrent de la  manoeuvre et se substituèrent à l'ancien équipage. Si les hommes disparurent, leurs usages persistèrent, le nom du navire ne fut pas changé, et de la sorte une f-m. de penseurs se substitua à une franc-maçonnerie de  constructeurs maçons. 

 Au moment du renouvellement de l'équipage, les nouveaux venus étaient les représentants des libres penseurs de l'époque, des empiriques, précurseurs des hommes de science et des kabbalistes précurseurs  des philosophes. Cette catégorie de curieux avait existé de tous temps, car à toutes les époques il y eut des hommes qui cherchèrent à expliquer les phénomènes de la nature et à deviner le secret de Dieu.  L'homme, dès son berceau, voulut connaître les causes de son origine, le but de son existence et sa destinée après sa mort. Il voulut goûter au fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, entrer en lutte avec la Divinité, et résoudre un problème dont il ne pouvait  poser l'équation. Si les sciences firent chaque jour des progrès, et si l'on parvint peu à peu à déchirer le voile

 

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mystérieux qui entourait certains phénomènes naturels, tels que nous les voyons, on peut dire que les mystères  qui enveloppent le berceau et la tombe de l'homme, sont encore aujourd'hui aussi cachés qu'à l'aurore de  l'humanité. 

 Des hommes luttèrent désespérément, à la recherche de la vérité intangible, s'exaspérèrent, blasphémèrent et se révoltèrent contre le Grand Inconnu, contre Celui qui est. Dans tous les temps il y eut des sectes secrètes, qui prétendirent comprendre les lois qui régissent l'univers ; les uns croyaient véritablement posséder le secret ineffable ; les autres, les habiles, faisaient  de leurs mystères un appât pour la foule, prétendant  ainsi la dominer et la conduire ; tout au moins avaient-  

ils trouvé le moyen de l'utiliser à leur profit.  

Cette lutte est, comme nous l'avons dit, vieille  comme le monde ; à travers le temps et à travers les  peuples, elle exista sans discontinuité ; pour nous en  tenir aux temps modernes, au XVIème siècle les lutteurs  s'appelèrent les réformés, fils des omniscients du moyen  âge. A ce titre ils furent les précurseurs de la f-m. On peut donc dire que la secte des francs-maçons incarne depuis le XVIIIème siècle les sectes recherchant le secret éternel de l'humanité, de ces gens qui, ne pouvant comprendre et définir Dieu, las de le chercher  en vain, trouvèrent plus commode de magnifier la  matière et de déifier l'homme. 

 Envisagée sous ce point de vue, la f-m est une secte fort ancienne, la plus ancienne même qui fût sur la terre ; sectaires en lutte acharnée avec l'homme résigné qui se contente du travail, de l'amour, de la foi et de la prière, les francs-maçons représentent, au  point de vue chrétien, l'orgueil de l'homme, l'esprit du  mal, la révolte contre Dieu.

 

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 Un f-m homme d'esprit, de science et de bonne foi, car je prétends qu'il en existe, avec lequel je discutais ces problèmes décevants, en matière de conclusions,  me tint le discours suivant :  

— Je ne discute ni ne critique vos dogmes et vos croyances de catholique ; ils me sont indifférents. Que ceux qui y croient les pratiquent, c'est ce qu'ils ont de  mieux à faire ; ils ne viendront jamais parmi nous ; ils  s'imaginent être avec les bons anges, soumis à la grande  force de l'Architecte de l'Univers que vous appelez Dieu ;  ils sont convaincus que nous sommes les adeptes des  démons, Lucifer, Asmodée ou Belphégor ; soit, je l'ad-  mets et je prendrai les arguments qui vont suivre dans  vos propres croyances, dans vos livres saints. Or qu'enseignez-vous ? que les démons sont des anges  déchus et qu'au jugement dernier ils seront vaincus  par les bons anges, milice de votre divinité. Ce jour- là, ils redeviendront de bons anges et votre Dieu, que vous dites magnifique et plein de miséricorde, leur pardonnera leurs méfaits passés ; il pardonnera également, sans cela il serait injuste, à tous ceux qui auront été  entraînés par les démons ; donc le résultat sera le  même pour nous que pour vous ; nous jouirons de la  gloire éternelle et de la contemplation de Dieu ! Seulement vous aurez joué un métier de dupes, et nous aurons été des gens avisés. 

 Alors que vos bons anges vous enseignent la résignation et l'humilité, la sanctification de la bonne souffrance pour mériter de franchir la porte de votre Paradis des petits et des humbles, nos démons nous  conduisent au même séjour de délice, par des chemins  jonchés de roses sans épines, la tête haute ; c'est après  une lutte d'égal à égal que nous prenons d'assaut votre  Paradis. Tout au plus serons-nous obligés d'attendre

 

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pour y entrer le jour du grand jugement; mais d'ici là,  il est à croire que le démon qui nous aura conduits  dans ce monde nous protégera dans l'autre. Et, si la mort terrestre est l'anéantissement de l'être humain, comme beaucoup le croient, nous aurons été plus habiles que vous en évitant des souffrances inutiles. 

 Aussi, ne cherchons-nous pas à recruter parmi vous des adeptes ; impassibles, nous attendons que ceux qui n'ont pas trouvé dans la pratique de vos croyances le bonheur, la consolation, la paix ou la satisfaction, viennent à nous. Ceux-là, laissez-les-nous ; ils nous appartiennent ; nous n'en ferons pas des humbles, mais des hommes libres, heureux à notre façon qui deviendra la leur. Quel droit oserez-vous invoquer pour y mettre obstacle ? 

-Je conviens, lui répondis-je, que le problème ainsi posé peut convaincre ceux qui ne croient pas et les entraîner dans votre sillage ; mais pour cela il faudrait nous entendre sur ce que nous appelons Dieu ; pour vous, c'est un simple Architecte de l'Univers ; pour moi, c'est le Créateur de toute chose. Votre Dieu, par définition, est la négation du mien. La puissance du vôtre est limitée puisqu'il se borne à utiliser la matière qu'il n'a pas créée, qu'il est même impuissant à créer. Enfin, puisque vous invoquez les textes des livres saints, ou avez-vous lu que, après avoir été terrassé, le démon  deviendra un bon ange ? Vous le déduisez par un raisonnement spécieux, en invoquant l'esprit de miséricorde d'un Dieu auquel vous ne croyez pas, oubliant ainsi qu'il est aussi un Dieu de justice. Je préfère demeurer avec le poète, ce devin de l'au-delà, qui fait gémir sa lyre en nous enseignant qu'on n'est un homme  que lorsqu'on a souffert et lorsqu'on a pleuré. Pour concevoir le bonheur il faut pouvoir le comparer à ce

 

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qui n'est pas le bonheur, et ne le supprimerait-on pas  en supprimant la souffrance ? Enfin, il resterait à prouver qu'il suffit d'être initié pour ne connaître ni les peines ni les larmes.  

Voilà ce que pensent encore de nos jours les f.m. qui ont gardé les traditions du passé de leur ordre. Je conviens que le plus grand nombre ne soulève plus le  problème de l'humanité primitive et des destinées  d'outre-tombe, que ses soucis se bornent à assurer le  présent et, en agissant ainsi, il croit faire preuve de la  sagesse d'un homme raisonnable et pratique. La plupart voient dans la maçonnerie une société d'admiration mutuelle, susceptible de favoriser avec sécurité l’épanouissement de leurs ambitions politiques, littéraires ou commerciales. En cela ils sont différents de leurs ancêtres, qui, eux, avaient souvent pour excuse la sincérité et le désintéressement de leurs convictions.  

C'est la mentalité de ces derniers que je me bornerai à étudier, et l'on pourra comprendre, je l'espère, et  excuser dans une certaine mesure,les hommes de bonne  foi et d'intelligence plus qu'ordinaire qui se passionnèrent pour l'Art Royal. En dehors des dupes, il y eut des coupables, et souvent même en faveur de ces derniers on peut invoquer les circonstances atténuantes.  

Pour comprendre clairement ce qu'était la secte philosophique des f.-m. à son origine, il nous faudra remonter quelque peu en arrière, et étudier les divers savants empiriques qui eurent la faveur des premiers  maçons non constructeurs.  

Si l'on examine les discours, les formules, les adages et les doctrines des initiés du XVIIIème siècle,

 

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on  arrive à déterminer assez facilement à quelles écoles ils ont façonné leurs mentalités, car, tout au moins au  début, tous n'eurent pas les mêmes convictions, très  peu poursuivant le même but.  

Suivant leur tournure d'esprit, leurs aptitudes et leurs aspirations, les uns furent des penseurs, kabbalistes ou théosophes, les autres des savants, alchimistes ou astrologues ; ceux-ci furent des artistes, ceux-là des politiciens.  

En analysant les correspondances maçonniques et les travaux de loge, voici quels sont les principaux ancêtres qu'on peut leur attribuer.  

Les précurseurs intellectuels directs de la f-m furent les alchimistes et les kabbalistes, en donnant à  ce premier mot son sens le plus complet. Pendant le XVIème siècle, en effet, le maçon cherche, comme l'alchimiste, la pierre philosophale, la panacée universelle, et l'arbre de la science du bien et du mal révélant le mystère de la création : c'est à eux aussi bien qu'à Bacon qu'il emprunte la légende symbolique du Temple de  Salomon et celle d'Hiram ; les allures des plus fameux  d'entre eux, Saint-Germain et Cagliostro, ressemblent singulièrement à celles du Cosmopolite, du Philalèthe et de Lascaris. 

 L'alchimie était, suivant l'alchimiste, une science, un art ou une supercherie. Son objet était d'opérer la transmutation des métaux vils en métaux nobles. Lorsque cette science prit naissance, vers le VIème siècle, à Byzance, l'état des connaissances chimiques pouvait permettre de poursuivre de semblables recherches. L'alchimiste supposait que les métaux étaient formés des mêmes éléments, étaient, comme aurait dit un chimiste du XIXème siècle, des corps

 

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 isomères et que, par conséquent, des manipulations  physiques pouvaient changer leur état chimique. La grande erreur des alchimistes fut d'affirmer que la chose était possible parce qu'il n'était pas déraisonnable d'admettre qu'elle pouvait être. C'est ainsi qu'ils emprisonnèrent leur science et qu'après avoir donné à la chimie un essor incontestable, ils la paralysèrent en la  spécialisant. Si, en cherchant une chose, ils en trouvèrent une autre et firent en quelque sorte malgré eux  et au hasard progresser la chimie, il n'en est pas moins  vrai qu'ils furent un obstacle sérieux au développe-  ment rapide et méthodique de cette branche des  sciences. 

 Vers le VIIème siècle, de Grèce l'alchimie fit des adeptes en Egypte et, de là, les Arabes la transportèrent en Espagne, où elle fut longtemps en honneur. Peu à peu cette science avait envahi l'Occident, et au XVème siècle elle était cultivée dans toute la chrétienté. Au XVIème et au XVIIème, c'était une véritable folie; il y avait des souffleurs dans toutes les classes de la société, et la  légende de la fortune fantastique de Nicolas Flamel  avait bouleversé toutes les cervelles. 

 Aux recherches matérielles on avait joint bientôt des combinaisons métaphysiques, et alors un philosophe était aussi bien celui qui recherchait la pierre philosophale que celui qui étudiait l'âme humaine. Le langage de ces fous qui, par hasard, trouvaient des choses raisonnables, était composé d'allégories et de paraboles ne voulant rien dire ou simplement ineptes, ou de logogriphes qui ne cachaient pas de mots.  

Cependant les plus remarquables d'entre les abstracteurs de quintessence s'expriment plus clairement, tels  Salmon et Philalèthe.  De leurs théories il ressort qu'ils considéraient les

 

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 métaux comme des corps composés des mêmes éléments, dans des proportions et des conditions de formation différentes. Ils naissent, disent-ils, comme des êtres organisés, par la conjonction des semences mâles et femelles. L'or pur absolu est la semence mâle; le mercure des philosophes est la semence femelle. L'alchimiste réunit ses produits dans un récipient nommé Athanor, maison du poulet des sages ou oeuf philosophique, et au bout de six mois de chauffage intense il obtient la poudre noire qu'il nomme Saturne, tête de corbeau, ténèbres cimmériennes... En continuant à souffler, la poudre devient blanche ; c'est avec celle-ci, qu’on appelle petite pierre philosophale, petit magistère ou teinture blanche, qu'on obtient l'argent. En chauffant encore, la matière devient verte et enfin rouge ; c'est la véritable pierre philosophale, grand magistère ou grand élixir', transformant immédiatement en or pur, quelque faible que soit la dose employée, des volumes considérables de tout vil métal en fusion sur lequel on la  projette.  

Et il ne faut pas se tromper sur la signification des mots, sous peine de rencontrer des contradictions inadmissibles. Ainsi, ces mêmes alchimistes qui donnent la recette que nous venons de décrire pour faire de l'or, prétendent d'autre part que tous les métaux sont un composé de mercure et de soufre, ce qui ne concorde  pas en apparence avec les recettes qu'ils donnent ; il  faut ajouter que le soufre et le mercure des alchimistes  n'ont aucun rapport avec ces corps tels qu'on les définit  vulgairement. Le mercure est la métalléité, l'éclat, la ductilité des métaux, et le soufre leur élément combustible. 

 Plus tard les astrologues introduisent leur science dans l'alchimie, et les principaux métaux se sont

 

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 trouvés sous des influences planétaires. Les médecins se mettent aussi de la partie et la pierre philosophale transmute les métaux, dirige les destinées, guérit les maladies et prolonge la vie. 

 Pour que rien n'y manquât, les alchimistes firent intervenir la magie blanche ou la magie noire dans  leurs opérations : Dieu ou le Diable. 

 Pour l'alchimiste cherchant la transmutation des métaux, la difficulté est de se procurer le mercure des philosophes, qu'on ne peut avoir que par révélation divine ; ils l'appellent : mercure double, lion vert, serpent, eau pontique, lait de vierge, etc. 

 Aussi ne l'ont-ils jamais trouvé, et cependant ils l'ont cherché partout :  

Dans les métaux : arsenic, étain, antimoine, mercure vulgaire, etc. 

 Arnauld de Villeneuve recommande de triturer trois parties de limaille de fer avec une partie de mercure et  d'y ajouter du vinaigre et du sel. 

 Trismosin conseille de sublimer du mercure avec de l'alun et du salpêtre, puis de distiller le mélange avec de  l'esprit de vin « en mangeant des tartines de beurre  très épaisses ».  

L'un et l'autre ne parvinrent qu'à fabriquer du sublimé corrosif et à calmer leur appétit. 

 Puis, sous prétexte que saint Luc avait dit que le sel était une bonne chose, on abandonna les métaux pour  les sels : le sel marin, le salpêtre et surtout le vitriol,  vitriolum, dont les propriétés étaient établies par la  phrase suivante : 

Visitando 

Interiora 

Terrae, 

Rectificandoque,

 

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            Invenies 

Occultum 

Lapidem, 

Ueram 

Médicinam.

 

 Plus tard on essaya des substances végétales : suc de chélidoine, primevère, rhubarbe, lunaria.  

Distillations de vers de fumier, de crapauds, de lézards, de serpents. Produits du corps humain : sang, salive, poils, semence, menstrues, matières fécales, organes génitaux.  

Terre vierge, vitraux rouges des anciennes églises et enfin l'esprit du monde, spiritus mundi, matière  qui se rencontrait dans l'air, l'eau de pluie, la neige,  et surtout dans la rosée du mois de mai. 

 Trois choses sont ainsi recherchées par les alchimistes : l'Alcaest, la Palingénésie et l'Homunculus.  

L'Alcaest, Esprit universel (ail Geist), dissolvant de tous les corps, est l'idéal des menstrues. On le cherche dans le tartre, l'alcali (alcali est), la potasse, l'acide muriatique. 

 Kunckel ayant fait remarquer que s'il dissolvait toutes choses, il devait dissoudre le vase dans lequel on le renfermait, il n'en fallut pas plus pour discréditer l'Alcaest.  

La Palingénésie était l'art de faire renaître les plantes de leurs cendres. 

 L'Homunculus était un homme en miniature fabriqué par des procédés hermétiques. Il se formait dans l'urine des enfants. D'abord invisible, il fallait le nourrir avec du vin et de l'eau de rose.  

En dehors de toutes ces folies, certains se livrèrent à des recherches plus sérieuses, et nombre d'alchimistes ne furent ni des sots, ni des ignorants,

 

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 ni des hommes de mauvaise foi. Vu l'état de la science, on ne peut s'étonner que les décompositions chimiques aient été prises pour des transmutations.  

« Si vous projetez sur du cuivre de l'arsenic blanc  sublimé, dit saint Thomas d'Aquin, vous verrez le  cuivre blanchir ; si vous ajoutez alors moitié argent  pur, vous transformerez tout le cuivre en véritable  argent »  

Plus tard, par l'expérience, on reconnut que ce changement de couleur n'était pas une transmutation, mais une simple superposition.  

Comme on ignorait également que les sels liquides pouvaient contenir des métaux, les précipitations étaient prises aussi pour des transmutations.  

D'autre part, on avait des moyens imparfaits pour contrôler la présence de l'argent dans un alliage de ce métal avec l'or (cément royal, sulfure d'antimoine, eau forte). La chimie analytique n'existait pas, on ne faisait pas d'expériences de densité précises (1).  Mais à toutes ces recherches, la véritable science trouvait parfois son compte. Si les explications étaient erronées, les faits étaient réels.  

 A côté des prestidigitateurs pipant le creuset (2), il y avait les gens de bonne foi introduisant dans les expériences des éléments aurifères ignorés, tels que le chlorure d'or.  

(1) Voy. Berthelot : Les Origines de l'Alchimie.  

(2) Dans un remarquable mémoire lu à l'Académie des sciences  de Paris le 15 avril 1722, Geoffroy l'aîné dévoile les supercheries  les plus usitées :  

Creusets doublés, garnis dans le fond de chaux gommée, d'or et d'argent qui sous l'influence de la chaleur se désagrégeaient et séparaient leurs éléments ;  

Parcelles d'or ou d'argent introduites dans des charbons creux ;  

Baguettes de bois creusées contenant à leur extrémité le métal.

 précieux qu'on déposait dans le creuset en agitant le métal en  fusion ; 

 Petites quantités de métal précieux mêlé au métal vif qu'on travaillait ;  

L'or coloré par le mercure, mêlé aux métaux blancs ;  

Liquides comme le chlorure d'or et l'azotate d'argent contenant des métaux en dissolution ; 

 Métaux précieux dissimulés dans une gangue de métaux vils. 

 

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Malgré toutes leurs erreurs leurs insanités ou leurs  duperies, les alchimistes n'en ont pas moins préparé  ]a méthode expérimentale : l'observation et l'induction,  que Galilée, François Bacon et Descartes ont codifiées.  Il faut reconnaître que si les alchimistes n'avaient pas  amoncelé de nombreuses expériences, les créateurs  de la science moderne n'auraient pas pu avoir même  l'idée de chercher règles, formules et lois. 

 Si les alchimistes furent interdits au XIVème et au  commencement du XVème siècle par le pape Jean XXII à  Avignon, Charles V en France, Henri IV en Angleterre  et le conseil de Venise, du XVIèmee au XVIIIème siècle ils  étaient protégés dans l'Europe entière par les empereurs  Rodolphe II, Ferdinand III et Léopold Ier, par Frédéric Ier et Frédéric II de Prusse, par l'électeur Auguste  de Saxe, par Charles IX et Marie de Médicis en France,  par Edouard III, Henri VI et Elisabeth en Angleterre,  par Christian IV et Frédéric III en Danemark et Charles XII en Suède. 

 Si quelques-uns d'entre eux sont pendus de temps en temps par des princes allemands, c'est comme imposteurs, ou parce qu'ils ne veulent pas livrer les secrets  dont on les croit détenteurs.    

La liste des alchimistes contient, il faut le recon-

 

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  naître, des noms illustres et vénérés à côté de faux savants et de filous :  

S. Thomas, Arnauld de Villeneuve, Albert le Grand,  Alain de Lisle, Raymond Lulle, Paracelse, Nicolas  Flamel, Talbot, Van Helmont dont le fils convertit  Leibnitz à l'alchimie, Sweitzer (Helvetius) qui compta  Spinosa parmi ses adeptes,Te Cosmopolite, le Philalèthe, Lascaris, Botticher, Braun, Martin, Schmolz de  Dierbach, Delisle, Gaetano comte de Ruggiero, Saint-  Germain , Cagliostro, James Price qui en 1783, à Londres, acculé à une expérience de transmutation, s'empoisonna,  Guyton de Morveau qui, en 1786, confirmant l'assertion  d'un médecin de Cassel, annonça que l'argent fondu  avec l'arsenic se changeait en or. 

 Voyons maintenant les kabbalistes, qui sont tous quelque peu alchimistes :  

 

Parmi les meilleurs, les plus sincères, il faut nous  arrêter à Raymond Lulle(l), à cet homme singulier qui  fut canonisé par l'Eglise alors que ses adeptes étaient  déclarés hérétiques. Le maçon lulliste, ainsi que son  chef d'école dans son Grand Art, joue à la roulette avec  les facultés de l'entendement humain ; comme lui, en  faisant tourner trois roues concentriques, il pose des  problèmes et les résoud. Et cependant Raymond Lulle ne manqua parfois ni d'originalité, ni même de grandeur dans ses combinaisons naïves et bizarres, habilement appropriées aux habitudes ergoteuses de la  scolastique. Auxvnc siècle, le jésuite Kircher le préconisait encore et Leibnitz en fit l'éloge.  

Il est un autre écrivain auquel il est étonnant que  

(1) Né à Palma de Majorque en 1235, il fut martyrisé à Bougie  en 1315.

 

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 personne n'ait encore songé, c'est Thomas Morus (1486- 1535). Dans son fameux ouvrage : Utopia, sive de  optimo reipublicae statu (1518), on a voulu bien à tort ne  voir qu'un badinage, qui aurait servi seulement à créer  le mot utopie. Bien peu, il faut le reconnaître, ont entrepris de le lire, car après l'avoir étudié, on ne pourrait  plus donner au mot utopie le sens de rêve irréalisable.  En effet, de nos jours, ce rêve a été réalisé presque complètement. Pour le reste, on le trouve dans les programmes des partis politiques de l'extrême avant-garde socialiste et collectiviste. 

 Thomas Morus, dès le début, se pose en réformateur, voulant, sauf une exception que nous signalerons plus loin, supprimer la peine de mort et abolir la propriété  pour constituer le bonheur de l'humanité.  

Il expose son programme et le met en pratique dans l'île imaginaire d'Utopie, dans laquelle les habitants vivent sous une forme sociale nouvelle.  

Là, le premier souci du gouvernement est de fournir aux besoins matériels de la consommation publique et individuelle; tous les citoyens ont droit au gîte, à la nourriture et aux vêtements. On laisse à chacun le plus de temps possible pour s'affranchir de la servitude du corps, cultiver librement son esprit et développer ses facultés intellectuelles par l'étude des sciences et des lettres, qui constitue le vrai bonheur des Utopiens. 

 Tout vient du peuple, tout y remonte : les magistrats comme les prêtres sont élus au scrutin secret.  

L'organisation civile est républicaine.  

Les fonctions sont annuelles, excepté celle du chef  de la nation qui est nommé à vie. 

 Tout, sauf les femmes, appartient à tous ! Le mariage ne peut se contracter que lorsque les fiancés se sont vus  sans aucun voile; par contre, il peut être dissous par  

 

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simple consentement mutuel ; aussi l'adultère est-il  puni de mort.  

On tolère toutes les religions.  

Chacun est tenu de connaître l'agriculture et un autre métier, mais il n'est pas obligé de travailler plus de 6 heures par jour.  

On mange en commun dans des salles parfumées, au son de la musique. 

 Il est un point cependant en désaccord, tout au moins apparent, avec les programmes modernes : dans la  république d'Utopie, il y a des esclaves ! 

 Un grand nombre de f.-m. se sont aussi inspirés  de la philosophie de Philippe-Aurèle Bombast de  Hohenheim, connu sous le nom de Théophraste Paracelse (1493-1541), dont la doctrine était puisée à la  kabbale, à la philosophie hermétique et à l'alchimie,  Paracelse a la « prétention de connaître et d'exposer tout le système des forces mystérieuses qui agissent, soit dans la nature, soit dans l'homme, et qui échappent à la timidité de la philosophie et aux lenteurs de  la science ».  

Entre Dieu, la nature et l'homme, il y a des forces opératives qui produisent les phénomènes que nous percevons. Il s'agit pour l'homme de s'unir aux forces qui conviennent pour produire, soit des phénomènes physiques, soit des phénomènes intellectuels.  

Paracelse admet implicitement l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et les principes de la morale dont il est impie de vouloir faire la preuve.  

La création est divisée en macrocosme (l'univers) et en microcosme (l'homme) qui sont semblables ; au-

 

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dessus trône Dieu, centre et circonférence de tout. 

 Les germes de toutes choses possèdent en eux une force qui les rend capables d'agir et de se mouvoir, secondés par les influences d'agents extérieurs : lumière, chaleur, air, etc. Ces germes, il les appelle astres, aussi bien dans les parties de l'être humain que dans l'univers, où le vulgaire leur donne le même nom.  Les astres de l'univers sont en rapport avec les astres de l'homme et ont une influence sur les cerveaux de ces derniers, sans toutefois paralyser leur volonté. Au contraire, l'homme, par l'énergie, de son imagination, peut s'identifier les propriétés des astres. 

 C'est la puissance magique. 

 Paracelse développe la théorie des quatre éléments de la philosophie grecque: le feu, l'air, l'eau et la  terre, qu'il réduit ensuite à trois, attendu que le feu  est un agent donnant naissance aux astres avec sa  propre substance. 

 C'est, en résumé, la théorie d'Empédocle dont  l'alchimie s'était servie depuis longtemps en substi-  tuant aux éléments le sel, le soufre et le mercure ;

 

Le sel étant le fondement de la substance des corps ; 

Le soufre celui de leur croissance et de leur combustion ;  

Le mercure, leur liquidité et l'évaporation.

  

Mais il ne faut prendre ces corps que comme des symboles, avec leurs propriétés astrales et non avec leurs propriétés terrestres.  

Le feu est la source de la sagesse et de la sensibilité des pensées ; c'est à lui que l'homme doit le développement de son intelligence.  

Paracelse, malgré tout, est spiritualiste et il admet le principe de l'antériorité du principe spirituel sur le principe matériel ; il est même chrétien : « Il y

 

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a, dit-il, trinité et unité dans l'homme ainsi que dans  Dieu ; l'homme est un en personne, il est triple en  essence : il a le souffle de Dieu ou l'âme, l'esprit sidéré  et le corps. » 

 Quelque invraisemblable que cela puisse paraître, ces questions sont encore agitées, discutées, appréciées et  préconisées par des f.-m. contemporains (1) dans  des formes analogues.  

Si Lulle est catholique jusqu'à souffrir le martyre ; si, avant de mourir pour avoir résisté à Henri VIII,  Thomas Morus, dans Utopia, est indifférent en matière  de religion ; si Paracelse est vaguement chrétien, avec  Socinus nous voyons apparaître le philosophe athée  dont le rôle a une importance capitale, attendu que  les f.-m. le reconnaissent comme leur grand ancêtre.  

Adriano Lemini, l'avant-dernier grand maître du Grand-Orient d'Italie, n'a t-il pas affirmé, il ya quelques années, que « le gouverneur suprême de l'art » d'un  bout du monde à l'autre était Lelio Sozzini, connu en  France sous le nom de Socinus. En effet, le lendemain de son élection, le 29 septembre 1893, dans une lettre encyclique, il déclare : « Nous lie pouvons pas oublier que - l'Italie a été le véritable berceau de la f.-m. et que Sozzini fut son véritable père ; c'est pour cela que  dans la direction des combats décisifs, par lesquels  nous allons assurer notre victoire, il faut rester jus-  qu'à la fin en Italie » (2). 

 Lelio Sozzini naquit à Sienne en 1525 et mourut à 

 (1) Oswald Wirth, la Médecine philosophale. 

 (2) Gowan. The X Rays. 

 

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 Zurich le 16 mai 1562 ; il était fils d'un habile jurisconsulte, Mariano Sozzini, dit le jeune. Dès 1545, Lelio,  fonda à Vicence une société qui avait pour objet la  destruction du christianisme, qu'il voulait remplacer  par le rationalisme pur. Cette société recruta des adhérents surtout parmi les partisans de l'hérésie arienne. En 1547 fut tenue, également à Vicence, une conférence à laquelle assistèrent des délégués venus  de tous les points de l'Europe : si tous les assistants  n'avaient pas les mêmes croyances, ils étaient tous unis  par leur haine commune du catholicisme et même du  christianisme, car Lelio s'attira la haine dés réformés  aussi bien que celle des catholiques. Sa doctrine repousse, en effet, les dogmes de la Trinité (1), delà consubstantialité du Verbe, delà divinité de Jésus, delà satisfaction et de l'expiation, qu'il attribue à l'influence de la philosophie païenne sur l'Eglise chrétienne. 

 Après sa mort, il trouva un continuateur zélé dans son neveu Fausto Sozzini (1539-1604). Comme son oncle, Fausto reniait la divinité de Jésus-Christ, la rédemption, le péché originel et la doctrine de la grâce. Son catéchisme, connu sous le nom de catéchisme de Racow, rejette également la résurrection universelle ; le bon seulement doit revivre, pendant que le méchant met fin à son existence.  

Il ne croyait donc ni au châtiment universel, ni à l'Enfer. 

 Sur sa tombe, à Luctavie, on grava ces deux vers : Tota licet Babulon destruxit lecla Luiherus,  Mnros, Calvinus ; sed fundamenta Socinus. 

 L'ambition, de Sozzini était de construire sur les 

  1. Il reconnaissait seulement Dieu le père; le Fils était simplement un homme doué particulièrement ; dans le Saint-Esprit, il  ne voyait qu'une force de la divinité

 

.  

 

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ruines de l'Église un temple qui aurait renfermé l'exercice de toutes les croyances, depuis la libre pensée  sans dogmes jusqu'au culte de Lucifer. 

 Tous les précurseurs de la f.-m. n'avaient cependant pas des théories philosophiques aussi perverses que celle de Socinus. 

 Si, dans une certaine mesure, on peut considérer Paracelse comme le successeur de Lulle, Jacob Boehm  fut l'héritier de Paracelse. 

 Son influence fut considérable en Allemagne, qu'il imprégna pendant le XVIIIème siècle et une grande partie du XIXème. Le personnage est du reste intéressant. Né près de Gorlitz en 1575, il était fils de pauvres paysans ; pendant sa jeunesse il était d'une dévotion exaltée, sans instruction générale, il exerça le métier de cordonnier pendant toute sa vie. 

 Connu sous le nom de Philosophe Teutonique, c'était, au résumé, un mystique, un théosophe et un halluciné.  Il se voyait, par un effet de la grâce, au comble de toutes les grandeurs. Ce fut sous l'influence de la philosophie de Paracelse qu'il fut entraîné au mysticisme. Il croyait sincèrement avoir reçu de Dieu la mission de dévoiler les mystères inconnus avant lui. Il eut à diverses époques trois extases qu'il a racontées. Il se sentait ravi dans le centre de la nature invisible, ayant une vue  intérieure qui lui permettait de lire dans le coeur de  chaque créature. Il était convaincu qu'il tenait de  Dieu, par grâce spéciale, la science universelle . et absolue, et cette science, il la communiquait à ses lecteurs, sans ordre et sans preuves, dans un langage  emprunté à l'Apocalypse et à l'alchimie.   

 

 

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 Après avoir déblayé tout ce mysticisme de ses exagérations, on trouve dans Boehm.un.vaste système de métaphysique dont un panthéisme effréné fait le fond. 

 Dieu est le principe, la substance et la fin de toutes choses, et voici comment il explique le mystère delà Trinité : 

 1° Dieu considéré en lui-même ne peut être défini ; il n'est ni bon ni méchant ; n'a ni volonté, ni amour, ni haine. Son sein renferme le mal et le bien ; il est tout et rien. C'est Dieu le Père.  

2° Dieu, tel qu'il se manifeste et tel qu'on peut le comprendre, est la lumière dans les ténèbres ; il a une volonté : c'est Dieu le Fils.  

3° L'expansion de la lumière, l'expression de la sagesse par la volonté, l'exercice des facultés divines, c'est le Saint-Esprit.  

Boehm prend l'âme humaine pour exemple de sa théorie :

  

1° L'esprit par où tu penses, cela signifie Dieu le  Père.  

2° La lumière qui brille dans ton âme afin que tu puisses connaître ta puissance et te conduire, cela  signifie Dieu le Fils.  

3° La base affective qui est la puissance de la lumière, l'expansion de cette lumière par laquelle tu régis ton corps, c'est Dieu l'Esprit-Saint.

  

Il y a deux natures sorties de la même source : l'une éternelle, invisible, directement émanée de Dieu l'autre, la nature visible et créée, l'univers proprement dit. 

 L'homme contient en lui une image et un résumé de toutes choses ; il tient à Dieu par son âme, dont le principe se confond avec l'essence divine. Par l'essence de son corps, il tient à la nature éternelle, cause et siège de

 

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toutes les essences ; par son corps proprement dit, il  appartient à la nature visible. 

 Avec une semblable philosophie, toute morale est forcément un non-sens : le but de la vie est de ne s'attacher à rien dans ce monde, de dépouiller sa volonté, s'efforcer de ne pas être et de hâter par la prière contemplative l'instant où l'âme doit se réunir à Dieu. 

 Parmi les membres de la Stricte Observance templière d'Allemagne, nous trouverons de nombreux disciples de la philosophie de Boehm ; par Strasbourg et  Lyon elle eut aussi de nombreux adeptes en France.

 

Un autre écrivain, qu'on ne peut à proprement dire être un véritable philosophe, eut une influence également considérable sur la f. m.. C'est en effet sur ses indications que se formèrent des groupements de penseurs qui plus tard s'introduiront dans la f. m. et  se substitueront à l'organisation corporative. 

 JeanValentin Andréa (1), abbéd'Adelsberg, fut, sans  le vouloir,. le fondateur de l'ordre des Rose-Croix.  

En 1610, Andréa publiait une oeuvre toute d'imagination, ayant pour titre : Fama fratemitaiis, ou découverte de l'ordre honorable des Rose-Croix Dans cette  fiction, il racontait l'histoire fabuleuse d'un certain  Christian Rose-Croix qui aurait trouvé un secret, enfoui  depuis des siècles, pouvant faire le bonheur de l'huma-  nité. Pour assurer le succès de sa propagande, il aurait fondé un collège secret (loge) ayant pour but la bienfaisance, l'internationalisme, l'avancement de la vraie  

  1. Né à Herremberg (Wurtemberg) le 17 août 1586, mort le  27 luin 1654.

 

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 morale et de la vraie religion. Les membres dé cette société devaient s'engager à la plus sévère discrétion. 

 Le livre eut un grand succès et, en Angleterre en particulier, on crut à l'existence réelle de l'ordre des Rose-Croix. , 

 Andréa donna des suites à son premier roman. En 1614, il publiait la Réformation universelle du monde  entier avec la Fama fraternitatis de l'ordre respectable  de la Rose-Croix ; en 1616 paraissait la Noce chimique  de Christian Rose-Croix ; en 1617, Rosa florescens,  contra Menapii calumnias, dans laquelle il fait l'apologie des Rose Croix, sous la signature de Florentinus  de Valentia.  

Le clergé catholique aussi bien que le clergé protestant s'émurent du succès de ces ouvrages, qui pouvaient entraîner les gens de bonne foi, firent avertir Andréa d'avoir à cesser ses publications et à les désavouer.  

Andréa se retira à Strasbourg où il fit imprimer en 1619 : Turris Babel, judiciorum de fraternitate Roseae Crucis chaos. Dans cet ouvrage Andréa proteste contre l'existence de la société des Rose-Croix, qui s'était réellement formée pour mettre sa fiction en pratique, déclare  qu'il n'avait écrit qu'une série de romans dans ses  oeuvres précédentes et qu'il avait choisi le nom de Rose-Croix en s'inspirant du cachet de sa famille : une croix de saint André avec une rose entre chaque  branche ; il se moquait des gens qui avaient cru à la réalité de son conte, qui avait assez duré, puisqu'il  était parvenu à mystifier ses lecteurs. 

 Andréa eut beau protester ; on ne voulut pas croire ses affirmations, et des sociétés inspirées de ses ouvrages se formèrent en Allemagne. Cependant les R.'.-C.'. ne

 

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devaient être ni très nombreux ni très connus, car  Descartes les chercha dans toute l'Allemagne sans  pouvoir les rencontrer. 

 La France aurait eu aussi sa société de R. C.  sous Louis XIII.  

On ne sait s'il faut prendre au sérieux les affiches que des R. C., ou des mystificateurs firent placarder, en 1622, dans les rues de Paris :  

« Nous, députés du collège principal des frères de la Rose-Croix, faisons séjour visible et invisible en cette ville, par la grâce du Très Haut, vers lequel se tourne  le coeur des justes. Nous montrons et enseignons, sans livres ni marques, à parler toutes sortes de langues des pays où nous voulons être, pour tirer les hommes, nos semblables, d'erreur et de mort. »  

Après leur échec, la même année, ils auraient fait placarder de nouvelles convocations : 

 « S'il prend envie à quelqu'un de nous voir, par curiosité seulement, il ne communiquera jamais avec  nous ; mais si la volonté le porte réellement et de fait  à s'inscrire sur le registre de notre confraternité, nous  qui jugeons des pensées, lui ferons voir la vérité de nos  promesses ; tellement que nous ne mettons point le  lieu de notre demeure, puisque les pensées, jointes à  la volonté réelle du lecteur, seront capables de nous  faire connaître à lui et lui à nous. » 

 En Angleterre, Robert Fludd (1) se posa en défenseur de l'ordre des Rose-Croix, en le regardant comme  

(1) Né à Milgate (Kent) en 1574, mort à Londres le 8 septembre  1637.

 

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 l'antique symbole de la croix teinte du sang de Jésus-Christ. En 1617, sous le pseudonyme de Robertus de  Fluctibus, il publie successivement à Leyde : Apologia  compendiaria, fralernitatem de Rosea Cruce, suspicionis et infamise maculis aspersam abluens et Tractatus apologeticus integritatem societatis de Rosea Cruce defendens contra Libanium et alios. Ces ouvrages eurent un  succès considérable ; des sociétés de Rose-Croix se formèrent à Londres, sous l'influence de Fludd, dont  elles adoptèrent les doctrines philosophiques. L'on peut même dire que ce furent aussi bien les théories de Fludd qui furent adoptées par les maçons philosophes,  lors de la réformation de 1717, que la méthode de  Bacon.

 

Fludd vaut du reste la peine qu'on étudie sa personne et ses écrits, fort peu connus en France. 

 D'abord militaire, il abandonna bientôt le métier des armes pour les sciences, les lettres, l'alchimie et la théosophie. Après avoir visité l'Allemagne, la France et l'Italie, il revint en Angleterre et se fit recevoir médecin. 

 Comme celle de Boehm, sa philosophie est inspirée de celle de Paracelse et de Cornélius Agrippa de Nettesheim ; c'est un mélange des chimères de l'alchimie,  des idées kabbalistiques et des traditions néo-platoniciennes et hébraïques recueillies dans les prétendus  écrits de Mercure Trismégiste, mêlées aux ambitions et  aux rêveries, des Rose-Croix. C'est le panthéisme le moins déguisé, presque le matérialisme, présenté sous le masque du mysticisme et avec le secours de l'interprétation allégorique avec laquelle il prétend donner le véritable sens de la révélation chrétienne. 

 Dieu est le principe, la fin et la somme de tout ce qui existe. Tous les êtres et l'univers lui-même

 

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sont sortis de son sein, formés de sa substance et retourneront en lui, quand le temps et le but de leur existence seront accomplis. A proprement parler, la création n'a jamais commencé. C'est l'Ensoph de la kabbale, l'unité ineffable de l'école d'Alexandrie, le Père inconnu du gnostici sixte. 

 L'être et le non-être, la lumière et les ténèbres,  l'activité et l'inertie, la contraction et l'expansion, le  bien et le mal, sont effacés et anéantis dans la plus  parfaite identité. La volonté et la nolonté par leurs actions simultanées et leur combinaison ont créé les éléments et les qualités dont l'univers se compose.  

On le voit, son panthéisme incline bien plus vers la matière que Arers l'esprit. 

 Comme les philosophes de l'antiquité, il adopte la théorie des quatre éléments, dont il explique la formation et la succession. L'air refroidi est devenu l'eau; celle-ci, condensée, est devenue la terre, et cette dernière, sous l'influence delà lumière, est devenue le feu. 

 C'est à la kabbale qu'il emprunte le mode de formation des êtres et ses quatre mondes étroitement unis et subordonnés l'un à l'autre : 

 

1° Le monde archétypique, où Dieu se révèle à lui-même et qu'il remplit de sa substance sous la forme la  plus élevée ; 

2° Le monde angélique, habité par les anges et les purs esprits, agents immédiats de sa volonté divine.  

3° Le monde stellaire formé par les étoiles, par les planètes et par tous les grands corps dont l'ensemble est nommé le ciel ;  

4° Le inonde sublunaire, c'est-à-dire la terre et les créations dont elle est peuplée.

 

 En fait, il réduit ses quatre mondes à trois : Dieu, la nature, l'homme.

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