En loge, la Bible est placée sur le plateau du Vénérable, ouverte à la page du Prologue de Jean. L’équerre et le compas la recouvrent. Elle est le symbole d’une tradition immémoriale qui dicta nos règles de vie et notre morale collective.
La présence de la Bible est confirmée par les rituels les plus anciens. L’évangile de Jean est un livre capital de la spiritualité chrétienne. Le caractère ésotérique de ses écrits le distingue des évangiles dits synoptiques. Très tôt au sein de la première diaspora, les adeptes de Jean se voulaient les gardiens de la part cachée de la tradition par opposition aux tenants de l’Eglise de Pierre exotérique et dogmatique.
Si un certain nombre de loges maçonniques s’intitulent « Loges de St Jean », la raison est peut-être due à cette particularité. La F.M. se plaça sous le patronage des deux St Jean. Le baptiste est considéré comme le précurseur et l’initiateur, Jean l’évangéliste, lui, nous appelle à nous ouvrir aux mystères de la vie de l’Esprit.
Pour ma part, je remercie la franc-maçonnerie qui me l’a fait redécouvrir, car depuis de nombreuses années, Jean l'évangéliste est devenu mon « Maître ». Je prends donc le parti d'exprimer mon ressenti de franc-maçon-chrétien. Comme un viatique, ce prologue qui lui est attribué traduit l'essentiel de ma démarche maçonnique.
Par contre c'est une tâche délicate que d'aborder ces sujets devant des Sœurs et Frères de sensibilités hétérogènes.
Le Prologue - 1/18 - « Pro-logos » (avant le discours) ; c’est avant tout un hymne au LOGOS qui condense la pensée de Jean. Il emploie un langage poétique car il n’y a pas de mot qui sache exprimer de façon adéquate sa pensée. C’est un langage allusif qui indique quelques directions, quelques indices orientés pour qui a le désir de s’y aventurer. « La poésie n’est pas un jeu mais un moyen de haute connaissance » disait Henri Bosco.
Le cadre historique
En quelques versets (1/18), Jean nous plonge dans un espace-temps qui se contracte pour nous projeter dans la fulgurance d’une rencontre qui va changer le monde : nous sommes dans ces temps instables et anxiogènes où la culture vétérotestamentaire était battue en brèche par les occupations grecques puis romaines et les nombreuses invasions qui l’ont précédée.
De ce fait, au sein de ce peuple qui souffre et s’interroge, la résurgence de l’idée d’un sauveur que l’on pourrait dire « miraculeux », un Messie roi, « fils de David » qui viendrait libérer Israël du joug de l’occupant se fait de plus en plus prégnante. Mais le profil de cet envoyé de Dieu reste flou; en effet de qui parle-t-on ? D’un messie prêtre ? D’un messie chef des armées ?
L'évangile de Jean vient interrompre ce temps d'incertitude : il fallut l’apparition de Jésus/Yeshoua sur les bords du Jourdain pour que le rideau se lève dévoilant un paysage inattendu. En effet, comme le décrit Jean, il est au-delà des schémas habituels : ce n’est pas un messie davidique au sens où on l’entend, il fuit ceux qui veulent le faire roi et proclame devant Pilate que sa royauté est d’en haut... C'est évidemment incompréhensible pour qui l'entend.
Tel que je le perçois, Jean prend le prétexte de la rencontre de Jean Baptiste et de Jésus-Yeshoua qu’il décrit comme capitale, comme un basculement : nous sommes à la croisée des chemins, au point de jonction de la Première Alliance abrahamique, l’ancien monde et l'Avènement d'une Nouvelle Alliance qui porte en elle le concept d’Amour et de Vie éternelle et cette Nouvelle alliance, Jean va clairement l'identifier à une personne : Yeshoua, l'Unique de Dieu. Le Logos divin préexistant qui se manifeste au sein du monde.
Pour Jean, le message de Yechoua/Jésus, commence véritablement ce jour-là, au bord du Jourdain. Cette histoire s'inscrit dans l'histoire universelle... comme l'image d'un grouillement improbable et une Présence, une présence « discrète et irradiante ». Jean nous convie à nous approcher de ces textes avec audace, à les scruter, à nous ouvrir à l’appréhension des mystères, il nous fait entrer, en présence d’une « Altérité que ni l’intellect ni le cœur ne peut contenir ». Ces écrits sont, pour moi, comme une épiphanie...
Ceci traduit ma quête essentielle, et tout ce vers quoi je tends. Jean me donne à entrevoir tout un contenu qui n’est pas explicitement signifié. Il m’apprend à voir « au-delà » et avec une plus juste mesure... C’est, pour moi, la mise en état de regard avec cette Présence qui rencontre mon désir de sens et m’invite à une aventure... comme Yeshoua le dit simplement à Jean et son ami André qui lui demandaient : « Où demeures-tu », ils voulaient dire « Dis-nous ta vraie nature ». Il répond simplement : « Venez et voyez... ».
Avant d'étudier ce message transmis par Jean:
Qui était-il ce Jean, ce « disciple bien-aimé » auteur du quatrième évangile ?
Un personnage historique : Johannes - homme savant du clan Cohen ? ou Jean, fils de Zébédée, l’Apôtre, frère de Jacques ? Ou une figure symbolique, l’archétype du disciple idéal ?
A-t-il été écrit en grec ou en araméen ? Les conjectures abondent et qu’importe de ne pas savoir exactement qui il était, cela nous montre d’ailleurs le degré d’humilité et de retrait qui l’habitait.
Innombrables sont les figures de Jean. L’Église chrétienne a remplacé le culte romain de Janus par celui des deux saints Jean en plaçant leurs fêtes aux dates des solstices. Jean le Baptiste ouvre la porte estivale et annonce le cycle d’obscuration. Jean l’Évangéliste ouvre la porte hivernale et annonce le cycle d’illumination. L’évangéliste rapporte lui-même dans son évangile les paroles du Baptiste « Il faut que lui grandisse et que je décroisse ». Elles croisent ces belles paroles de François Cheng : "Vraie Lumière, celle qui jaillit de la Nuit" ... "Vraie Nuit, celle d'où jaillit la Lumière".
Ces fêtes sont restées présentes dans l'univers de la franc-maçonnerie, comme lente et sage respiration que rythment nos banquets d’ordre, notre fête solsticiale et les rites de notre année maçonnique. J’aime la figure sur les tableaux des loges des deux tangentes de part et d'autre du cercle avec son point de centre : le dernier des prophètes de l'ancienne alliance et le premier des témoins de la nouvelle alliance qui touchent au plus près la "figure" du Logos.
Pour de nombreux francs-maçons (je cite Hubert Greven Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France), je cite « Jean fut un prodigieux médium, son évangile est essentiellement ésotérique... L’ésotérisme des écrits de Jean fait comprendre au mieux, en le faisant murir, le fond commun et traditionnel de toutes les religions... C’est un bâtisseur du Temple dont il présente les dimensions à l’échelle universelle, participant au Cosmos. L’Homme est comme un dieu en devenir. Son message a pour but de dégager l’homme de son état strictement humain, de rendre effective la capacité qu’il possède d’accéder aux états supérieurs. » Jean est le patron des francs-maçons et des Templiers.
Il poursuit : « Peut-on considérer que l’évangile de Jean n’est que réflexions analogiques, intuition et actions symboliques, attribuées à des personnes... on peut considérer que ces personnes ont existé, nier leur réalité historique ou les regarder comme des archétypes comportementaux, selon son intime conviction personnelle, et selon l’adage : « tout est symbole ? L’important est de s’attacher au cheminement initiatique évoqué par les textes »
Quant à René Guénon il suggère : « L’idée principale... est que l’Être a de multiples états dont l’espèce humaine ne fait qu’en occuper un, mais que de l’un à l’autre de ces états on peut s’élever par des actes volontaires de son esprit, par son activité psychique et intellectuelle jusqu’à parvenir sur ce plan à l’identité suprême... Pour cela il faut une initiation et des rites initiatiques. Dans les états mystiques au contraire, il est enseigné depuis Abraham, que l’on ne peut obtenir une certaine élévation que par la grâce de Dieu qui répond à un désir... ce qu’il appelle le mysticisme passif... ».
Mais pour un grand nombre d’exégètes, Jean était avant tout un théologien sublime à la fois gnostique et mystique. Toute son intelligence et son amour disent la manifestation de l’Être ; il s’est élevé très haut dans la contemplation de cette manifestation... son emblème est l’aigle qui, seul, s’élève, porté par le vent de l’esprit jusqu’au zénith.
La lecture que nous pouvons faire de ce prologue sera donc polysémique, elle peut être vue sous un angle ésotérique, théologique ou mystique. « Notre cerveau est un « organe de tâtonnements, ce serait lui faire injure que de lui imposer des certitudes ».
Et « Jean le Baptiste » : Qui était Iohanân ?
Il a été dit que Jean Baptiste avait été un adepte des communautés esséniennes. C’est une hypothèse plausible. Cette secte juive de stricte observance prêchait l’ascétisme et la repentance, l'immersion quotidienne et même le célibat.
Leur théologie était une gnose-dualiste et eschatologique, elle attendait et se préparait pour la fin des temps lors d'événements apocalyptiques décrits comme un gigantesque combat opposant les Fils de Lumière aux Fils de Ténèbres.
Deux Figures eschatologiques étaient donc attendues intensément par cette communauté : un Prophète qui devait annoncer la venue d’un Messie, et ce Messie à la fois sacerdotal et royal. « Mashia’h » en araméen, c’est celui qui a reçu l’onction (Samuel a consacré David). Mais en élargissant cette fonction à l’image du « Parakletos grec », c’est celui qui intercède, vient en aide ou console.
Jean le Baptiste semble s'inscrire dans cette mouvance. Il va se retirer dans le désert. Il prophétise et baptise. Il prêche le renoncement et la conversion, la redécouverte des fondamentaux de la religion... et devient Jean le Précurseur, une « figure » dans la vie religieuse et politique de ce pays, et les gens viennent à lui en grand nombre. Il est la voie qui crie : "Dans le désert déblayez, frayez les chemins du Seigneur ».
Appelé par Yeshoua « le plus grand parmi les fils de la femme », Fils de ce terreau qu’est notre humanité, il clôt le cycle des prophètes de la première Alliance. Il prêche la Téchouva... le retournement. Il est, pour nous francs-maçons, un initiateur. Cette figure est essentielle, elle nous incite au grand déblaiement de notre "moi", avant tout choix de vie pour cheminer vers la Lumière, car il s'agit bien là de traversée du désert, de dépouillement, d'abandon, de dé-sécurisation.
A ce vide nécessaire, comme la « table d’attente » en héraldique, répond, le « lâché prise », la vacuité totale d'esprit, d'âme et de corps qui nous est nécessaire pour accueillir l'Infini/ la conscience du « Soi », l'Axe de notre condition humaine.
En une longue suite de mutations Mort/résurrection/ Mort/résurrection, nous devons petit à petit nous détacher, mourir à nos attachements, accepter parfois de ne plus rien comprendre, comme notre père Abraham, mort à lui-même, devant son fils Isaac qu’il croyait devoir immoler. Longue et périlleuse est la route qui nous conduit à notre verticalisation.
Jean le baptiste est le Précurseur, témoin de la Lumière. Notre mission d’initiés est d’être nous-même des témoins de la Lumière.
Alors entrons dans le texte : nous avons parlé de Jean l'évangéliste, et nous avons évoqué sa rencontre avec Jésus / Yeschoua.
Verset 1 : Ce premier verset, on peut l’énoncer de différentes façons, issues de traducteurs, tous théologiens : « Au commencement était le verbe » , « Au commencement, le Logos, Le Logos est vers Dieu/Le Logos est Dieu », «Entête lui le Logos/ et le logos, lui pour Elohîms / et le logos, lui, Elohîms », « D'abord il y avait le Langage... », « Dans le principe, le verbe... » Enfin, "Au commencement était la Parole, la Parole était en compagnie de la Lumière, la Parole était la Lumière », cette dernière traduction de Hubert Greven pour qui « ces écrits sont essentiellement un message ésotérique qu’il faut décrypter ».
Nous pouvons en effet l’interpréter selon ce point de vue car « tout est symbole » et Jean, le poète, l’ami fidèle de Yeshoua, nous y invite, son évangile et particulièrement le prologue est, pour moi, un rougeoiement qui attend notre désir mêlé au souffle divin pour nous illuminer. Sa lecture nous demande de rester ouverts ... « le vent, on ne sait d’où il vient, ni où il va... » comme une parole lancée, on ne sait pas où elle va aboutir.
Ce n’est donc pas à proprement parler de la « lecture comparée », mais plutôt une approche collégiale. C’est mon choix, mon interprétation en est une parmi d’autres. Il n’y a pas d’interprétation unique. Nous verrons que plus on approche et plus le sens se révèle infini en tant qu’il est inépuisable.
Ainsi Verset 1) : La première question qu’on ne peut éviter : « Au commencement... » Jean Yves Leloup (philosophe et théologien) nous invite à poser cette question fondamentale : « Au commencement de quoi ? et quel commencement ? Le commencement du monde, de cet espace-temps. Mais avant ce commencement ?... De rien, rien ne peut sortir ».
On se souvient du premier mot de la Genèse : Bereshit. André Chouraqui en bon exégète bibliste nous fait signe : avant le « beth » il y a « l'aleph », ce mystère qui est et qui nous dit qu'il y a quelque chose plutôt que rien.
Jean-Yves Leloup précise : « Il faut garder cette question ouverte car elle est fondamentale dans notre démarche de maçon : Connaître son origine, c'est connaître sa fin... ce pourquoi nous sommes faits. Elle me force à m'identifier : quel est le lieu d'où je viens ?... Car le commencement n'est pas à chercher hier, autrefois, mais ici et maintenant ». Qu'y a-t-il à l'origine de mes actes, à la source de mes pensées, de mes émotions, de mes sentiments ? A la source d'une pulsion, d'un cri, d'une angoisse ? ».
On rejoint la question de Jean et André : « Maître, d’où est-tu ?». On rejoint aussi, nous le verrons plus loin, l’analyse d’Annick de Souzenelle.
Si nous revenons au texte, en tout premier lieu, Jean nous invite à une réflexion : pour le premier verset, nous avons plusieurs traductions possibles.
Mais avant tout, première digression :
On parle là de Dieu, ou plutôt des noms des dieux, tous improbables ...car comme le dit Sylvie Germain : « On a tous une certaine conception de Dieu, et selon le nom qu’on lui octroie, cela peut déterminer le sens d’une croyance ou d’un comportement ».
Il faut rappeler que, pour les croyants « Dieu n'existe pas, il n'est rien de ce qui existe, Il est Incréé... il n'appartient pas au règne des Etants... il n'est pas du monde. Il est "l'Incréé" d'où vient toute créature ».
Et les francs-maçons précisent que « Dieu n’a rien à voir avec les religieux, dieu est un nom qui s’applique à aucune chose en particulier, bien qu’il les concerne toutes singulièrement. Du fond de leur réalité finie, exprime leur commune appartenance à une totalité infinie. »
C’est ainsi que dans beaucoup d’ateliers il est nommé « Grand Architecte De L’Univers », (pour moi, c’est un vocable « technique ») c’est la « Sagesse divine ».
Au REP nous disons « Dieu » et parfois le « GADLU », les Juifs ne le prononcent pas, il est יהוה, ils l’appellent « Chaddaï » ou « Adonaï » ou « Eloïms ».
D’autres le nomment « l’Être », «la Lumière », « le Soi », « la Conscience ».
Les chrétiens disent « Yahvé » (c’est à mon avis une traduction hasardeuse), ou « Abbah /Père » comme l’appelle le Fils. D’autres enfin ne veulent pas nommer ce qu’ils rejettent comme irrecevable.
Quelques précisions : Quand Jean parle du « Père », c’est l’origine, le fondement...
Pour Hubert Greven, c’est le père spirituel, l’initiateur, le Maître.
Le Fils : "Être fils", c’est entretenir une relation d'intimité avec ce qui sans cesse nous fonde et nous "origine". Pour Hubert Greven : « fils » c’est le disciple privilégié, l’Initié, le fils spirituel.
Et « l’Esprit » est la relation (pneuma / souffle) spirituelle. Relation de Présence-à-présence, présence du souffle humain au Souffle qui anime « tout ce qui vit et respire ».
Nous le voyons, autant de lectures et de sensibilités intéressantes. C’est la pluralité des lectures et leurs interprétations qui nous ouvrent à la connaissance de ce texte. Quant au LOGOS, j’ai retenu en premier lieu ce vocable pour la richesse d'interprétations qu'il offre :
« Logos », selon un helléniste italien, le professeur Morani, est un mot clé qui pourrait résumer à lui tout seul l’expérience culturelle des grecs anciens : « LOGOS signifie parole, pensée, rationalité, capacité de l’être humain de relier et développer ses propres pensées ». Il note que la signification originelle de Logos est le fait de parler, d’être en capacité de communiquer quelque chose de rationnel. Logos n’est pas simplement la parole, mais un mot qui exprime l’intelligibilité (intelligence, parole, verbe, information créatrice...).
Ainsi nous parlons du Logos qui est « Parole créatrice ». Pour les sémites, parole et évènement sont liés ; c'est la Parole (Dabar en hébreu) de Dieu qui crée. C'est le concept d’information : pour qu'une chose existe, elle a besoin d'être informée.
« Au commencement, à l'origine, » il y a donc cette Intelligence, cette « Parole créatrice » qui informe toutes choses, elle est « agir et réalisation ». Plus généralement la parole est « créatrice » au sens où elle donne du sens et crée de la relation.
Osons aller au-delà, « la Parole » engendre « l’écoute, le lien », elle donne vie à « la relation ». Dire (en 1) : « Au commencement : le Logos / Le logos est vers Dieu », c'est admettre et dire que ce qui est premier est de l'ordre de la « Relation » et qu’il y a « mouvement et orientation ». Et Jean ajoute que ce « Logos est Dieu », en nous disant cela, il nous informe que ce Logos contient tout Dieu. Et comme nous le dit Jean Grosjean : « Il contient la totalité de sa source. Il ne fait qu'un avec la lumière qu'il donne à contempler ». Il évoque là, en particulier « le mystère divin personnifié ». Je le cite : « Le Logos et le Théos sont distincts. Ils ne sont pas séparés. Ils ne sont pas confondus ou mélangés : ils sont Un... Entre l'aleph, l'inconnaissable et la création, il y a ce Logos ce "dialogue", qui pose la dualité et dans le même mouvement appelle et rend possible l'Unité... non l'unité indifférenciée ou fusionnelle, mais l'unité de relation. L'Unité n'est pas détruite par l'Altérité, l'Altérité n'est pas anéantie par l'Unité ».
Avec Jean, le regard plonge donc dans l'intime de l’Être. Nous entrons dans le mystère trinitaire.
Hubert Greven, lui parle de fusion : « La Parole était en compagnie de la Lumière, la Parole était la Lumière" Ceci revient à dire que la parole existe depuis l’origine du monde créé et accompagnait la Lumière. Tout a donc été fait par la Parole et par la Lumière... "la fusion de ces deux concepts implique un seul principe créateur qui est à la fois Parole et Lumière. » Ailleurs, il dit : La parole est dans la Lumière, et la Lumière se manifeste par la Parole, celle de la sagesse suprême, envoyée sur la terre pour y révéler les secrets de la volonté divine et c’est ce postulat, cette espérance qui fonde la quête du F.M. »
Annick de Souzenelle a une vision toute différente et passionnante que je tente de résumer : elle rejette le terme « au commencement » pour « Dans le Principe, le Verbe ». Cette traduction nous projette dans ce qu’Annick de Souzenelle appelle « le temps ontologique », qui n’est plus « le temps historique » composé du passé, présent et futur, c’est au contraire « l’instant » Hic et Nunc, qui nous relie au divin, c’est le « non temps » de l’éternité.
Dans le Principe est le Verbe qui nous habite, ici et maintenant : c’est le temps et le lieu de l’accompli et du non-accompli. Cet inaccompli qui verra son accomplissement au fur et à mesure des dimensions de conscience successives qui nous habitent et nous habiteront. C’est une réflexion fondamentale qui nous met, non pas au pied du mur, mais aux pieds de l’échelle de Jacob et des nombreux paliers qui nous attendent.
Puis Jean précise, il répète, et c’est un indice (en 2) : « Il est au commencement avec Dieu ». C'est la révélation que Jean nous livre : le dévoilement de l'Uni /Trinité de l’Être. Quand j’ai pris conscience de cela, ce fut, pour moi, libérateur, car cette unité n’a rien de statique. Tout est Mouvement / Relation et Vie...
Si l’on adopte cette révélation, il n’est plus question d’un Être solitaire et Omnipotent, mais d’une relation d’Amour. Pour Jean, l’Amour est avant tout le cœur et l’ADN de chaque chose. Il le dit plus loin (en 4) : « de tout être il est la vie... ». Lorsque rien n’existait à part l'Uni /Trinité de l’Être, il y avait donc l’Amour. Tout est contenu dans ce mot : mouvement/relation /vie.
Fidèle de Jean, j’ai donc cette intuition toute personnelle, que ma vie, ici et maintenant, est pétrie de cet Eternel qui me fait.... Il me constitue, il me structure. Il est "L'AMOUR qui tient toutes choses ensemble. Inouï et Irreprésentable ». Le Logos n’est plus un "objet de connaissance", "quelque chose à comprendre", mais le dévoilement d'une Présence qui s'offre à mon intuition, à ma liberté et m'introduit dans son mouvement "vers l’Infini / l'Altérité absolue et l'Inconnu d'où nous venons ».
(En verset 3) – « Tout existe par Lui - Sans Lui : rien ». Traduction au plus près : « Le tout, en Lui, sa genèse et rien n'a de genèse en dehors de lui ». Pour Jean-Yves Leloup : « Il importe de s'éprouver sans cesse en genèse, en voie de création. Nous ne sommes pas faits une fois pour toute. Le Logos est sans cesse à l'œuvre pour nous tenir hors du Néant ».
Et pour Jean Grosjean, je cite : « L'univers est tramé, tout le temps, par le mouvement même de la parole. Et comme on ne sait jamais où va aboutir une phrase, on ne sait pas non plus où va l'histoire du monde... » question !!
(En verset 4) - « De tout être, Il est la vie. La vie est la lumière des hommes. »
(En verset 5) - « La lumière luit dans les ténèbres, les ténèbres ne peuvent l'atteindre ».
Jean proclame que Logos est la vie de nos vies. Il contient l'univers et tous les univers possibles... tout être vivant est « demeure de l’infini/Réel ».
La lumière est par elle-même invisible, invisible au cœur même de tout ce qu'elle donne à voir ; cette Lumière incréée qui habite dans les profondeurs de l'être n'est pas accessible à l'esprit « sec », elle est d'une autre nature.
Cette gnose, ce Souffle, nous donne à voir le Logos dans tous les êtres. C'est faire l'expérience de la Transfiguration, c’est le symbole du mont Thabor. Nous devons donc tenter de percevoir le Logos qui anime toutes choses : si nous l’oublions, le monde devient profane à nos yeux, « profané », vidé de la présence qui l'habite, vidé de sa Lumière.
Pour Hubert Greven : « De même que le soleil illumine la route, de même la lumière (c’est-à-dire illumination) est ce qui éclaire le chemin divin : c’est le principe même de l’initiation. La lumière est symbole de vie aux ténèbres de la captivité (le profane prisonnier de ses passions) s’opposant à la lumière de la libération et du savoir. »
« La vie de l’Esprit fait sortir l’homme des ténèbres. La lumière de l’Esprit va lui permettre de s’ouvrir pour avoir la vision d’une autre réalité. C’est la source et le fondement de la Connaissance qui est symbole de ce qui éclaire la vie intérieure, de ce qui oriente. La véritable Lumière, c’est la Parole, l’ultime réalité qui est en « tout homme venant dans ce monde ». C’est un message qui demeure éternellement en accomplissement. »
(En verset 6) – « Paraît un homme, envoyé de Dieu - Iohanan est son nom ».
(En verset 7) – « Il vient comme Témoin pour rendre témoignage à la Lumière afin que tous y adhèrent »
(En verset 8) – « Il n'est pas la Lumière mais témoin de la lumière ».
Jean le Baptiseur est l'archétype de l'envoyé, l’apôtre, « l’Ad Verbum ». Il porte la Lumière et sa présence est pure capacité de l'Autre.
Jean le baptiste est nommé, il est l’envoyé de Dieu : être appelé par notre nom, est fondamental, au sens strict du terme. Quand Socrate nous dit : « Connais-toi toi-même », il nous invite à une introspection, soit, mais se « connaître soi-même », c'est se connaître comme individu, quand le soi est pris comme objet de connaissance ou d’investigation, on s’aperçoit qu'en vérité, on ne sait rien de soi, l'essentiel nous échappe. Mais si cette connaissance est vécue en une lente maturation, en toute humilité, par une attention toute intérieure à chacune de nos pensées, de nos silences, comme notre initiation doit être vécue et continue de l’être, on devient de plus en plus conscient de son souffle, de son axe et de ce qui nous entoure, conscient du Soi qui nous crée et constitue à chaque instant.
Car notre nom usuel n'est que nom substitué ; cette exigence d’identité demeure notre démarche fondamentale : rejoindre le tréfonds de nous-même pour nous placer dans l'axe du Très-Haut.
Exigence constante, comme l’est l’exigence de la transmission qui rejaillit à chaque étape de notre existence de Maître Maçon. A l’instar de Jean le Baptiste, notre mission d’initiés n’est-elle pas d’être nous-même des témoins de la Lumière pour que nos Frères humains soient eux-mêmes illuminés.
(En verset 9) – « Le Logos est Lumière véritable qui éclaire tout homme. »
(En verset 10) – « Il est dans le monde, le monde existe par lui, le monde ne le connaît pas. »
(En verset 11) – « Il vient chez les siens, les siens ne le reçoivent pas. »
Traduction de Hubert Greven : « La Parole était lumière, la vraie, celle à laquelle il appartient d’éclairer tout homme ; elle fit à ce moment son entrée dans le monde. »
Toute parole de vérité, quelle que soit son origine, est inspirée de l'Esprit.
Jean le baptiseur disait : « Il y a au milieu de vous quelqu'un que vous ne connaissez pas ».
Le monde est l'histoire des hommes, c'est ce que l'homme fait de l'Univers pour le meilleur et pour le pire, en harmonie avec le Logos qui l'anime ou au contraire contre Lui. Et Jean comprend qu’il n'y a pas de place pour l’Éternel dans notre temps, pas de place pour l'infini dans notre finitude.
Annick de Souzenelle nous le dit : « Le monde est comme dans un état "d'ignorance" (de non vision) qui n'est pas manque de savoir, mais oubli de l'Être, l’ignorance du Soi, à côté de ce qu'on est et de ce pour quoi on est fait vraiment, histoire purement horizontale, oublieuse de notre verticalité, de notre ouverture à la transcendance ». « Le monde extérieur est fait de compensations. Nous sommes dans l’archaïsme. Nous pratiquons un humanisme à l’horizontal avec les valeurs de l’exil. Adam se croit devenir Dieu, il se croit accompli. Il a perdu conscience de son être intérieur. Nous n’avons que notre identité biologique. » Il s’agit alors de retrouver notre dimension ontologique : « Être dans le monde, sans être du monde ».
Le LOGOS s'incarne toujours aussi difficilement. L'homme n'est jamais "forcé" de croire ou d’accepter l’amour qui le constitue et qui lui offre une absolue liberté... C’est certainement un concept des plus difficiles à accepter, difficile à y adhérer.
(En verset 12) – « A tous ceux qui le reçoivent, à ceux qui croient en son Nom, Il donne d'être Enfants de Dieu ».
(En verset 13) – « Engendrés ni du sang, ni de la chair, ni d'un vouloir d'homme mais de Dieu ».
De verset en verset, Jean nous conduits à nous ouvrir à cet exhaussement, ceux qui se font « capacité », le Logos les investit « Shema Israël... ». L'Ecoute conduit à la « fiance ». Croire en son Nom, c'est adhérer au dynamisme de vie, d'intelligence et d'Amour qu'il signifie, c'est devenir « enfant de Dieu » et ceux-là entrent dans une nouvelle dimension. Ils sont « d'ailleurs », ils sont « nés d'en haut, ainsi nait l'homme nouveau ! ».
Et comme le suggère Hubert Greven : « Lorsqu’il reçoit la lumière, l’Apprenti, mort aux séductions du monde phénoménal et des « demeures » profanes, entre dans la demeure initiatique, dans la voie de la Connaissance. De profane (hors de Temple), il devient initié (celui qui commence). Pénétrant dans le sanctuaire, il voit se dévoiler les mystères sacrés, s’ouvrir les seuils jadis interdits, éblouissants de lumière ». Nous sommes à la recherche de la Parole perdue, c’est une aventure (intérieure) spirituelle initiatique. La quête de perfectionnement ».
(En verset 14) – « Le Logos a pris chair. Il a fait sa demeure parmi nous ». Le logos a fait sa genèse dans la chair (humanité corps et âme). « Et nous avons contemplé sa gloire, la gloire de l'Unique du Père, plein de grâce et de vérité. »
Le Logos nous a rejoints dans notre « histoire » en venant nous dire Dieu dans une « vie humaine ». L'Eternel est entré dans le temps. La matière est ici sanctifiée comme demeure du Logos/ Dieu.
Ce corps humain fragile abrite la Présence Divine et l'information qu'elle contient. Comme le dit Jean Grosjean, le poète : « Il a dressé sa tente de nomade parmi nous. Il campe, il est de passage, le temps de dire et de manifester aux hommes l'Amour dont ils sont aimés dès l'Origine. Depuis Abraham l'installation n'est pas notre nature, nous sommes des passants, nous sommes tissés de temps, notre vie est un mouvement imprévisible, le mouvement même du langage qui est venu en personne partager nos déplacements incertains ».
(En verset 15) – « Iohanan lui rend témoignage. Il crie : Voici celui dont j'ai dit : lui qui vient derrière moi est passé devant moi, parce qu'avant moi, Il était ».
Nous connaissons bien cet appel en Franc-Maçonnerie : « Il faut que je décroisse pour que lui grandisse ». Qui a des oreilles, entende !
(En verset 16) - « De sa Plénitude, nous avons tout reçu, et grâce sur grâce ».
(En verset 17) – « La Thora nous a été donnée par Moshé. La Grâce et la Vérité nous sont venues par Ieschoua, le Messie. »
On peut avancer cette explication : la grâce de la création en genèse, puis la grâce de la Thora par Moïse, enfin la grâce de la filiation.
Jésus incarne la Thora, l'éclaire du dedans en la vivant comme une expression de l'Amour. Il nous révèle que nos actes n'ont de valeur que par la liberté et l'amour qu'on y introduit. C'est ce qui leur donne leur « poids » de gloire.
Leloup : (En verset 18) – « Nul n'a jamais vu Dieu. Le Fils unique qui demeure au sein du Père, Lui, nous le fait connaître ». On ne connaît Dieu que par son Logos. Personne n'a jamais vu Dieu. Le propre de Dieu est d’être inconnaissable. Le Logos est son Unique, ce Fils est le seul à connaître sa source. Cet Unique est entièrement dans le secret du Père puisqu'il en est l'expression parfaite.
Ieshoua ne dit pas : « J'ai la vérité », mais « Je suis la vérité ». Par-là, Jean affirme que Jésus est Vérité de Dieu et Vérité de l’homme, sans confusion, sans séparation. Il nous invite à changer de regard, à voir toutes choses enveloppées d'Invisible. Il nous montre que la moindre virgule d'humanité contient en secret le Nom Divin, fait à la fois d'intériorité et d’extériorité. Il nous oriente avec Lui sur le chemin de l'existence vers « le Père ».
Voilà, avec Jean, je vous ai dit mon angle de lecture. Je suis sur le chemin... un chemin initiatique que je découvre à chaque instant. Tout l'évangile de Jean dira que l’œuvre du Logos dans le monde sera de rendre à l'homme Son Esprit (pneuma), son BON sens, tourné vers le Père/Origine et le restituer dans sa dimension de Fils. Ce sera en soi une invitation au retour dans cette intimité, qui est participation à la vie Trinitaire, à la vie intérieure de Dieu.
« Présence de l'infini dans les corps et le souffle fragile que nous sommes ».
« Que demandez-vous, mon frère ? La Lumière ! »
M.°.L.°. - R.°.L.°. « Le Chardon Ecossais » à l’O.°. de Besançon.
Auteurs cités :
Hubert GREVEN - Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France.
ORDO AB CHAO : Réflexions dur l’enseignement de St Jean.
Allocations faites en qualité de Ministre d’Etat, Grand Orateur du Suprême Conseil de France à l’occasion de la St Jean d’hiver de décembre 1989.
Jean-Yves LELOUP : Ecrivain, psychologue et philosophe, théologien orthodoxe. Fondateur de l’Institut pour la rencontre et l’étude des civilisations et du Collège international des thérapeutes. Il a donné des traductions et des interprétations innovantes de l’évangile, des Épitres et de l’apocalypse de Jean, ainsi que des évangiles considérés comme apocryphes (Philippe, Marie, Thomas).
André CHOURAQUI : (1917 en Algérie /+ 2007 à Jérusalem) Ecrivain, penseur, homme politique, traducteur et commentateur de la Bible, (hébraïque et évangiles).
Jean GROJEAN (1912 / +2006) Ecrivain, poète, philosophe et exégète . Traducteur et commentateur de la Bible, de l’évangile et de l’Apocalypse de Jean et du Coran.
Ami de Malraux, Jean Grosjean participa à l'aventure NRF (éditions et revue) en tant que lecteur et éditeur, aux côtés de Claude Gallimard, Raymond Queneau et J.M.G. Le Clézio notamment.
Annick de SOUZENELLE : née le 4 Novembre 1922. Infirmière anesthésiste pendant 15 ans, elle a suivi une formation Jungienne de psychothérapeute puis fait des études de théologie chrétienne orthodoxe et d'Hébreu biblique. Depuis 40 ans elle est écrivain et conférencière. Elle est l'auteur de nombreux ouvrages de spiritualité. Sa recherche s'inspire de la spiritualité cabaliste. Citons « Le symbolisme du corps humain ».