Théorie du symbole appliquée au Tableau de Loge.
Le symbole aurait deux parties issues d’une tesselle originelle : une première partie qui reste en notre pouvoir, c’est l’objet lui-même et une deuxième partie hors de notre vue, en possession d’une personne tierce : c’est la contrepartie qui ne réapparaît qu’à l’issue d’un périple.Cette contrepartie va se réunir à la première pour reformer le tout originel.
Cette reformation est la « formation originale », celle de l’intégrité première du symbole. Donc nous avons une part invisible qui est associée à la part visible du symbole.
La représentation mentale va compenser l’invisible seconde partie de l’objet vecteur (signifiant symbolique) afin que celui-ci conserve sa puissance symbolisante (signifié-sens, et signifié-essence). Ceci impose que les porteurs de tesselles aient conservé par différents moyens narratifs ou substitutifs ou mimétiques, la mémoire de ce qui est invisible. Si le chemin mémoriel de cette partie invisible est perdu, alors la tesselle devient vile et profane. C'est donc au groupe et au moyen d'une mémoire et une orthopraxie commune qu'il appartient de conserver la représentation symbolique dans toute sa puissance.
Cette conservation repose sur la confiance que chacun attribue au groupe auquel il appartient (tribu, clan, loge, etc.). C'est un aspect fondamental de la Tradition. Il y a donc un contrat tacite reposant sur la confiance entre l'apprenti et le groupe au sein duquel il s'initie. Le groupe ne doit pas feindre de posséder une transmission qu'il n'a pas eu, et de plus, il se doit de respecter l'ordonnancement du rituel qui met en scène la puissance invisible du symbole. Ici pour que les choses soit claires, nous ne sommes pas dans l'invisible "magico-burlesque" du charlatanisme, nous abordons les ressorts puissants de la représentation mentale, issus des archétypes et schèmes directeurs déjà bien documentés par la recherche universitaire.
Que fait le maçon en loge : il reconstitue au sol sur le tableau de loge la tesselle originale en associant savamment les objets symboliques (rassembler ce qui est épars). Ce tracé se fait sous l’empire de l’invisible, car il demeure inaccessible aux profanes et sera effacé à la fin des travaux. J’en veux pour preuve que les premières divulgations énonçaient clairement que l’on dessinait le Tapis de Loge sur le sol ou le plancher de l’auberge à l’aide du charbon et de la craie pour lui donner une « réalité séparée » du monde profane. L’art du tracé est l’art de réunir ce qui est épars en fonction d’un schéma directeur original.
Ce que je vous propose c’est de retrouver le secret du symbole par sa corrélation avec le schéma secret du Tableau de loge. Ceci reste mon approche théorique en fonction de mes transmissions, et n'engage que moi. Je résume: nous tentons l'élaboration d'une théorie de l'essence symbolique, car l'essence est invisible et dépasse le domaine strict du sensible pour atteindre la frontière de l'intelligible.
Mais avant d’aborder la finalité de notre recherche, à savoir « Les mystères de la partie invisible du symbole », il nous faut aborder préalablement les ressorts du symbolisme maçonnique et le système de référence et de combinatoire auquel nous renvoie le Tableau de Loge.
I - Cadre collectif de l’interprétation symbolique
Nous retiendrons trois caractéristiques principales qui sont aussi le cadre collectif de l’interprétation du « symbolisme constructif »:
1 / la mise en scène lumineuse. L’objet symbolique est mis en valeur de telle sorte que son sens soit associé à 3 éléments fondamentaux de la scénographie qui sont :
► Une relation particulière avec la Lumière qui peut être comprise dans un sens matériel (pour éclairer le travail sur la matière), dans un sens éthique (Lumière intérieure, conscience de soi et des autres, aspect "cardiaque") ou métaphysique (Fiat Lux - dimension ontologique, origine céleste de la Lumière).
►Une relation particulière avec le lieu même de la loge qui est une espace séparé du monde profane. C'est le système primitif du territoire interdit aux non initiés où se délivrent les secrets et rituels de passage. Ici le secret est celui lié à la Lumière et l'intemporalité d'un certain "ailleurs".
►Une relation particulière avec le temps sacré caractérisé par les horaires symboliques et le rituel d'allumage des feux in illio temporé, (et suivant les rites un illud tempus)...
Les 3 mises en scène reposent sur le contraste qui fait naître la forme et le verbe. Dans ce lieu séparé et sacré, la Lumière et le Verbe sont corrélés:
Point de forme sans ombre et lumière ! Et s'il n'y a pas de forme, on ne peut rien distinguer et nommer, donc il n'y a pas de Parole, ceci explique la corrélation entre le premier travail de l'apprenti et l'épellation. Ces deux aspects (formation et épellation) renvoient à l'activité démiurgique de l'homme qui doit travailler son environnement et "nommer" les choses pour qu'elles puissent exister dans une relation Terre-Ciel. En effet à l'issue de ce travail sur la matière et le verbe, l'ouvrier reçoit son "sel-salaire" venu d'un plus haut hiérarchique relié à l'Orient (2nd surveillant), au pied d'une colonne axiale. C'est bien ici le fondement humain de l'ordonnancement hiérarchisé du chaos et de la verticalisation du langage sacré.
2 / Intentionnalité ritualisée ou contexte et cotexte du symbole : le lieu ne suffit pas il y a aussi les hommes. L’objet support symbolique n’a de valeur que relativement à l’homme qui le met en scène dans le but qu’un autre homme l’observe comme « chargé de sens (et d'essence) ».
Le sens d’un objet support est souvent donné par le cadre et particulièrement par la façon dont il est éclairé et mis en scène.
3 / Surdétermination du groupe : Le groupe et la mémoire collective jouent un rôle majeur pour la compréhension du sens symbolique.
Le sens du symbole le reste globalement libre, car il s'agit d'un cheminement personnel. Cependant, étant intégré à un groupe, on ne peut dire n’importe quoi sur un objet symbolique. On reste à l’écoute de ce qui est transmis par le rituel et par le catéchisme dans un souci de langage communautaire. C’est ainsi que le franc- maçon est « reconnu comme tel » par la Loge, du fait de sa capacité à lire la dimension hiérologique de l'objet.
II – Références tripartites et combinatoires triangulées du Tableau de Loge
Le Tableau de Loge est une base référentielle ordonnée par des règles traditionnelles de composition et d’assemblage. Ces règles ont la même valeur pour les langages graphiques, verbaux[1], gestuels [2], car elles s’appuient sur une gradualité structurelle (1), des constantes opératives et « opérantes » qui sont liées à la transformation d’une opposition binaire en complémentarité ternaire (2).
1 / Règles de composition : double tripartion du Tableau de Loge
Nous avons un Tableau composé de 9 cases (A) issues de la combinaison d’une tripartition horizontale représentant des « plans » superposés (B) et d’une tripartition verticale représentant les « voies » de progression et d’action(C).
En sa qualité d’Imago Mundi, le Tableau de loge comprend les trois Plans de la manifestation (subterrestre ou profane, solaro-terrestre, céleste). Mais le Tableau est aussi un miroir pour l’Homme qui ne sait pas décrire le monde en dehors de ses propres proportions (anthropisme). On trouvera donc le tronc, voie centrale de l’Homme de ses pieds à son cœur et à son esprit, puis les voies d’actions, sa droite et sa gauche. Au total trois colonnes et trois plans soit 9 cases.
A / Partition en 9 cases du Tableau
Un Tableau suit des règles que l’on a coutume de définir de la manière suivante : une rangée haute pour le ciel, une rangée basse pour la terre, une rangée centrale pour la médiation, une colonne latérale droite, une colonne latérale gauche et une colonne centrale (les 3 voies). Cette représentation en 9 cases (c’est un carré de neuf pour les spécialistes…), permet de superposer des symboles avec une perspective visionnaire impliquant 3 approches: l'approche reliante, l'approche opérative (sur la matière) et l'approche opérante (sur soi). Ces 3 approches sont nées :
- d’une relation axiale Terre /Homme/Ciel (polarisation),
- de la progression, d’un cheminement mental fondé sur la construction sacrée (de "tailler sa Pierre" on passe à construire un Temple pour la Lumière),
- de la construction de soi ("tailler sa Pierre" c’est se construire soi).
B / Notion de plans superposés et de cheminement.
La lecture des combinatoires symboliques résulte d'un cheminement.
►Premier Plan : le plan de « plein exercice » - Plan solaro-terrestre.
Le premier Plan du Tableau de Loge est marqué par le passage des colonnes ou du portique pour effectuer le "premier exercice" : on met en scène, une Pierre à tailler par le Maillet et le Ciseau entrecroisés. Suivra le "plein exercice" consistant à faire intervenir à la suite les instruments de mesure et vérification. Ce plan d'exercice est solaro-terrestre car baigné d'une lumière cyclique qui éclaire l'exercice. Un autre Lumière provenant du plan céleste est à considérer séparément.
►Deuxième Plan : Plan de lecture et d’épellation
Toujours sur ce plan de plein exercice « en élévation » arrive le deuxième groupe dans la colonne centrale qui est le VLS surmonté d’une Équerre dominant le Compas. L’enjeu est celui de la lecture des mots sacrés en fonction des instruments du symbolisme constructif entre Terre et Ciel. Le VLS est instrument d'intermédiation "relié" à la Terre et au Ciel par le l'Équerre et le Compas, mais aussi par les deux colonnes axiales B et J porteuses de l'épellation précédant la Parole. La progression verbale s'associe à la maitrise de la forme parfaite.
►Troisième Plan : Plan lumineux diffusé par le Triangle
Le plan lumineux reprend la lumière dans ses aspects liés à la conscience "éclairée" mais aussi dans sa dimension spirituelle. Le troisième motif de la colonne centrale du Tableau est pour le REAA, le Triangle rayonnant centré d’un œil omniscient et omnipotent (celui d'Horus) qui résout les oppositions binaires. On trouve au REP l'hexagramme qui, très symboliquement, met en relation le Haut et le Bas dans une homothétie parfaite issue de la Table d'Émeraude. Passé ce Plan , nous sommes dans le surcéleste apanage de "l'au-delà" des religions et de "l'infini" des physiciens. Cette limite céleste / surcéleste est "formée" par la corde à 12 espaces en haut des murailles du Temple qui relate des 12 signes du Zodiaque ou les 12 portes de la Jérusalem céleste. Cette corde à 12 espaces correspond aux 12 côtés limitrophes des 9 cases du Tableau de loge. Cette limite ne peut être franchie en loge bleue si ce n'est par la pointe supérieure du triangle.
Ainsi la Formation, la Verbalisation et la Conscience éclairée sont liées dans nos Tableaux de Loge.
2 / La Triangulation s’appuie sur une opposition dynamisantes ou « polarisante ».
L’opposition apparente doit aboutir à un ternaire « réalisateur ».Nous pouvons désormais résoudre les apparentes oppositions en complémentarité verticalisantes.
Les oppositions apparentes sont au nombre de 7 pour le Tableau de Loge du REAA GLDF et REP GLSREP, elles sont triangulées dans un plus haut "essentiel" :
1/ la colonne B et la colonne J: ▲verticalisation de la Parole,
2/ le noir et le blanc du pavé: ▼travail de formation l’objet sur le pavé,
3/ la Lune et le Soleil: ▲▼synthèse dépassement par le triangle « rayonnant », conscience éclairée, spiritualité.
4/ l’Équerre et le Compas qui ne font pas la même figure: ►quadrature du cercle et centre commun,
5/ le Niveau et la Perpendiculaire qui n’agissent pas dans la même direction: ►▲▼croix tridimensionnelle, plan et axe,
6/ le Maillet qui frappe et le Ciseau qui taille:▲▼►trans-formation par l'association de la pensée de la volonté et de l'action.
7/ la Corde qui est tantôt lisse tantôt avec nœuds: ▲graduation de l’horizon céleste vu du plan solaro-terrestre, ouverture sur l'infini.
Dans le schéma ci-joint les oppositions binaires sont triangulées par un troisième terme "constructif" ou "réalisateur". NB : la pointe descendante du triangle bleu renvoie au passage de l’objet symbolique au sujet symbolique ; la pointe du triangle rouge vers le haut envoie au changement de plan (transposition) et donc à la dimension théiste ou métaphysique. (Voir schéma N°2 : le passage du binaire au ternaire constructif dans le Tableau de loge.)
3 / La triangulation s’appuie sur la « pratique » du miroir
Nous voyons le processus de triangulation pour le premier travail de l’apprenti. Le monde sensible doit résonner aux frontières du monde intelligible. L'interaction s'établie entre la Pensée, la volonté et l'action entraînant la transformation de la matière et de soi.
La geste de l’apprenti met en relation axiale un plus bas sur le pavé mosaïque binaire, à savoir une pierre brute et un plus haut qui est la conscience de l’Homme. Ainsi la correspondance entre le plus haut et le plus bas, résulte d’un ternaire symétrique « en miroir ». Cette double action maillet / ciseau sur une pierre qui est miroir de soi, entraîne une prise de conscience de la relation axiale entre matière et esprit. C’est la conscience de la dimension symbolique de l’objet associée au travail sur soi. Le ternaire fait émerger la conscience de soi et du tout. (Voir schéma n°3 Transformation et « réalisation » en miroir).
A suivre...
E.°.R.°.