En entrant en loge, l’occasion nous est donnée de vivre et de faire vivre les symboles qui nous entourent.
Ce soir c’est à l’un des symboles ou plutôt à un couple de symboles que nous allons nous intéresser : Les deux colonnes maçonniques et en particulier la colonne du septentrion.
Puisque le terme Colonne revêt plusieurs acceptions en Franc-maçonnerie, il nous semble dés à présent important d’en rappeler les principales définitions en vue de préciser l’orientation de cette planche.
La colonne peut désigner l’ensemble des Sœurs et des Frères présents à la tenue se répartissant de part et d’autre du temple en fonction de leurs grades.
Ainsi la colonne du Nord (ou du Septentrion) est réservée aux apprentis alors que les Sœurs et Frères compagnons se placeront sur la colonne du Sud (ou du Midi).
Quant aux Sœurs et Frères Maîtres au Rite Ecossais Primitif, ils se positionneront préférentiellement sur la colonne du Midi bien qu’ils puissent se placer au nord afin d’équilibrer les colonnes.
Les colonnes désignent également les deux éléments architecturaux cylindriques placés de chaque côté de la porte d’occident, elles sont nommées Jakin et B.
C’est de ces derniers éléments dont nous allons traiter.
Nous verrons dans un premier temps les origines de ces colonnes.
Puis nous étudierons la portée symbolique du couple Jakin et B. tant ils sont complémentaires et indissociables l’un de l’autre.
Pour finir nous traiterons plus spécifiquement de la Colonne du Septentrion, la colonne Jakin.
- LES ORIGINES DE LA PRESENCE DES COLONNES AU SEIN DU TEMPLE MACONNIQUE
Afin de mesurer la portée symbolique des deux colonnes il nous a semblé intéressant de remonter aux origines de la présence des colonnes au sein du temple.
La première mention des colonnes nommées Jakin et B. dans un texte maçonnique apparait dans un ouvrage de 1723 « L’Examen d’un maçon ».
On en retrouve la trace quelques années plus tard dans l’ouvrage la « Maçonnerie disséquée » éditée en 1730.
Puis le « Recueil de maçonnerie adonhiramite » y fait à nouveau référence en apportant une précision intéressante « Jakin était le nom de la colonne du septentrion, située prés de la porte du temple où s’assemblaient les apprentis qui participaient à la construction du temple de Salomon ». (cf. « Les deux colonnes et la porte du temple » de François FIGEAC, édition Les Symboles Maçonniques, 2011).
Tous ces textes ont une origine commune, L’ancien testament et plus précisément un passage du 1er Livre des Rois chapitre 7, versets 13 à 22 (cf. « La Bible Ancien Testament », trad. E Dhorme, Gallimard 1956).
Dans ces versets, il est question du Roi Salomon qui pour la construction de son Temple requiert le concours d’un homme (dont nous tairons le nom) fort intelligent et fort habile.
Ce dernier avait une parfaite connaissance et une parfaite maîtrise de l’airain.
Raison pour laquelle Le Roi Salomon lui confia la fabrication de 2 colonnes de son Temple.
Le verset 15 et suivants nous donne les caractéristiques et des détails quant à ces fameuses colonnes. «Il fondit les deux colonnes en airain. L’une des colonnes avait dix huit coudées de hauteur et un fil de douze coudées en mesurait le tour. Elle était creuse et son épaisseur était de quatre doigts. Ainsi en était il aussi pour la deuxième colonne. Puis il fit deux chapiteaux en fonte d’airain pour les placer sur les sommets des colonnes.
L’un des chapiteaux avait cinq coudées de hauteur et le second chapiteau avait aussi cinq coudées de hauteurs (…). Puis il fit des grenades deux rangées tout autour de l’un des filets, pour cacher les chapiteaux qui étaient au sommet des colonnes. Il dressa ensuite les colonnes devant le vestibule du temple. Il dressa la colonne de droite qu’il appela du nom de Jakin, puis il dressa la colonne de gauche qu’il appela du nom de B. Ainsi fut terminé le travail des colonnes ».
Nous reviendrons point par point sur ces éléments ultérieurement.
Si les colonnes Jakin et B. de nos rituels, renvoient directement aux textes sacrés, les plus anciens documents maçonniques, tel le manuscrit Cooke, font déjà mention de deux colonnes sans qu’il s’agisse pour autant des colonnes du temple de Salomon.
Cet ouvrage prend pour source une légende contée à l’origine dans « Les Antiquités Judaïques » de Flavius Joséphe (Livre I).
Dans cette légende, Dieu avait pour dessein de punir les hommes de leurs péchés par le feu ou par l’eau. « Les enfants de Lamech, Jabel, inventeur de la géométrie, Jubal, inventeur de la musique, Tubalcaïn, pére des forgerons et leur sœur Neema qui créa l’art du tissage, furent instruits du dessein dans lequel Dieu était de détruire toute l’humanité pour punir ses crimes » (René Désaguliers dans « Les deux grandes colonnes de la-franc-maçonnerie », éditon Dervy 2012, page 24). Ils eurent l’idée de sauver leurs sciences en utilisant deux types de pierre. L’une, le marbre, pourrait résister au feu, l’autre appelée Lacerus pourrait flotter sur l’eau.
Ces deux pierres servirent à l’édification de deux colonnes sur lesquelles furent gravées toutes les sciences et techniques inventées. Lorsque le déluge survint les colonnes permirent de sauver les sciences et les arts.
Pour René Désaguliers (Ibid., page 27), « cette ancienne légende est d’autant plus remarquable qu’elle figure dans les versions les plus anciennes des Anciens Devoirs, où le Temple de Salomon ne reçoit qu’une simple mention et que ses colonnes n’y sont pas citées… »
Enfin il nous paraît intéressant pour la suite de notre développement d’évoquer les colonnes d’Hercule auxquelles on peut apparenter les colonnes du temple.
La mythologie grecque rapporte que l’un des 12 travaux d’hercule lui imposer de chercher le troupeau de Géryon, le géant à trois têtes, et de le ramener à Eurysthée (commanditaire des douze travaux)
Le périple d’Hercule le mena si loin vers l’ouest, qu’il en érigea deux stèles pour marquer les limites les plus éloignées à jamais atteintes. Ces colonnes d’Hercule symbolisent donc la frontière entre le monde connu, civilisé et l’inconnu. Mais nous verrons plus en avant toute la symbolique que l’on peut y rattacher.
Nous le constatons donc bien les origines et parentés de nos colonnes sont nombreuses, ce qui en multiplie la richesse symbolique.
Il est d’ailleurs maintenant temps de se consacrer à l’étude de leur symbolique.
- LA SYMBOLIQUE DES DEUX COLONNES DU TEMPLE MACONNIQUE
Plusieurs éléments abordés précédemment donnent matière à des considérations d’ordre symbolique.
Nous allons les aborder un à un en commençant par celui qui pose sans doute le plus question : La place des colonnes dans le temple maçonnique
-La délicate question de la place des colonnes au sein du Temple maçonnique et sa portée symbolique.
Rappelons ce que nous avons vu précédemment au sujet du temple de Salomon :
« Il dressa la colonne de droite qu’il appela du nom de Jakin, puis il dressa la colonne de gauche qu’il appela du nom de B. » (cf. « L’ancien testament », 1er Livre des Rois chapitre 7, verset 21).
Encore faut-il avoir le bon référentiel pour déterminer avec certitude ou situe la droite et la gauche.
Le « Dictionnaire de la Bible » (Paris, 1926) de F Vigouroux nous en dit plus sur ce point.
L’occurrence « Orient » précise ainsi « Pour s’orienter les Israélites avaient coutume de se tourner du côté du soleil levant. Par suite l’Orient est désigné par des termes qui signifient : “ce qui est devant soi”, “en face” (…) pour le Nord celui de “à gauche” ».
Des éléments qui précédent nous pouvons conclure que Jakin est positionné au sud du temple de Salomon et B au nord de celui-ci.
Qu’en est-il maintenant pour le temple maçonnique ?
Précisons d’emblée que le temple maçonnique n’est pas une réplique à l’identique du temple de Salomon.
Comme le souligne E.°. R.°. (cf. site internet Les Ecossais de Saint Jean : www.ecossaisdesaintjean.org), il semble « logique que l’on considère un changement de plan entre la maison de Dieu qui fut le temple de Salomon et la maison des hommes marchant vers la lumière qui est le temple maçonnique ».
Ainsi une inversion au niveau de l’orientation de l’entrée de la porte va s’opérer.
Le maçon entre à l’occident, Porte des Hommes, pour se diriger vers ce qu’il est venu chercher, la Lumière, à l’Orient.
Ce changement de plan ouvre le champ à interprétation quant à la place de Jakin et B au sein du temple maçonnique.
Le positionnement des colonnes fut d’ailleurs prétexte à de profondes dissensions entre Grandes Loges.
La première, constituée en 1717, connut un essor rapide. Elle adopta au fil des années un système dans lequel le mot Jakin était attribué aux apprentis et la lettre B aux compagnons.
En réaction à certains écarts avec les usages anciens, un ensemble de loges se constituèrent, en 1753, en une nouvelle Grande Loge et se qualifièrent d’ « Anciens ».
Prônant un retour et un respect aux usages anciens, ils attribuèrent à la colonne des Apprentis la lettre B et aux compagnons le mot Jakin.
La polémique entre « Modernes » et « Anciens » s’est aujourd’hui éteinte.
Mais certains marqueurs tels que la différence de position des colonnes perdurent, chaque rite ayant au final adopté un système avec une cohérence qui lui est propre.
Au Rite Ecossais Primitif (R.E.P), la colonne Jakin est placée au Sud alors que le Nord accueille la colonne B. Les apprentis prennent place au Nord, tandis que le Second Surveillant tient son plateau au sud-ouest, à l’aune de la colonne Jakin.
Les Compagnons quant à eux se tiennent sur la colonne du Sud, sous l’autorité du 1er Surveillant (au nord-ouest) et les hospices de la colonne B.
Cette configuration en croisement permet de protéger l’apprenti à la fois d’une lumière trop intense et trop longue :
-Sa position au septentrion lui permet d’être préservé d’une lumière trop vive qu’il ne pourrait soutenir.
-Le vis-à-vis avec le second surveillant lui permet de voir le solstice d’Hiver qui représente le jour le plus court de l’année.
Et notre Vénérable Grand Maître de résumer : « En étant placés au Nord moins lumineux au plan stellaire, [les apprentis] sont affectés au paiement de leur salaire, par le second surveillant, à la colonne Jakin positionnée au jour le plus court au plan solaire.
Le R.E.P combine ainsi parfaitement la théorie de la lumière à l’intérieur de la loge par le croisement horizontal du monde stellaire et du monde solaire » (ibid.).
Il s’agit donc d’un rite « solsticial avec croisement « intérieur » des colonnes » (ibid.).
(Voir dans ce sens le Livre de l'Apprenti, Éditions du Maçon p 205-230.)
-Approche symbolique des deux colonnes
Commençons tout d’abord par quelques considérations nées de la simple observation.
Ces colonnes marquent avec la porte, l’entrée du Temple. Elles soulignent notre passage du monde profane au monde sacré. Elles agissent autant comme des remparts, susceptibles de nous protéger des agressions extérieures, que comme des bornes délimitant un espace consacré.
En cela elles se rapprochent de la Légende d’Hercule que nous avons vu plus haut.
Autre observation, ces colonnes sont les premiers éléments verticaux auxquels nous sommes confrontés quand nous pénétrons dans le temple.
Le fait qu’elles ne soutiennent aucun éléments nous donne une impression d’élévation, un élancement vers la voute étoilée.
Elles annoncent et renforcent l’ensemble des axes allant du nadir au zénith.
De plus les colonnes se situent de part et d’autre de la Porte à l’entrée du Temple. Elles semblent délimitées, encadrées la voie qui nous conduit vers la lumière. On peut dés lors projeter un axe horizontal entre ces colonnes qui va de l’occident vers l’orient.
A chaque fois que nous nous situons entre les colonnes nous sommes donc au point d’intersection entre le plan vertical et le plan horizontal.
Intéressons nous maintenant à la description des colonnes faites par les Ecritures Saintes.
Il est dit que les colonnes sont creuses…mais elles n’en sont pas pour autant vides.
A la question de savoir pourquoi ces colonnes sont creuses, Le catéchisme de l’apprenti du R.E.P nous apprend : « Pour enfermer les outils des Compagnons et des Apprentis ; ainsi que le trésor destiné à payer leurs salaires ».
Le trésor en question n'a, bien entendu, rien de matériel, puisqu’il s’agit de la connaissance des mystères.
Guy-Pierre Genueil dans son ouvrage (« La Symbolique Gitane », Dervy, Paris, 1993, page 46) précise que les colonnes du temple de Salomon étaient creuses pour abriter à tout jamais le Livre Sacré, le tracé du temple et ses symboles.
De la légende antédiluvienne retranscrite dans le manuscrit Cooke, évoqué plus haut, on retiendra l’importance de la transmission par l’écrit, fixé dans la pierre, des sciences et des arts.
Charge à nous de rechercher ces plans et symboles pour ériger notre temple intérieur.
-Rapide aperçu du symbolisme des grenades surmontant les colonnes
L’étude de la symbolique des grenades pourrait faire l’objet d’une planche à elle seule.
Aussi, nous n’envisagerons son étude qu’au regard de sa présence au sommet des colonnes du temple.
Nous l’avons vu précédemment les colonnes ne soutiennent aucun élément architectural massif ou structurel. Elles ne sont ornées que de ces fruits rouges et ronds aux multiples graines.
Peut être est-ce un indice pour nous indiquer que, malgré les apparences, les grenades font preuve d’une grande charge…tout du moins sur le plan symbolique.
De nombreux mythes confèrent à la grenade un pouvoir de régénération et de fécondité. Pour François Figeac, ce fruit « a la faculté de faire descendre les âmes dans la chair, autrement dit d’animer la création » (cf. « Les deux colonnes et la porte du temple » de François FIGEAC, édition Les Symboles Maçonniques, 2011, page 69)
La multitude des graines que ce fruit renferme évoque la profusion, la richesse notamment spirituelle. Mais ces richesses sont latentes, potentielles, cachées, protégées derrière une écorce qui n’attend que le bon moment pour murir et enfin les libérer et les répandre.
Il en est de même pour les colonnes qui contiennent les arts et techniques sacrés.
Complétant et accentuant la symbolique des colonnes, les grenades évoquent les connaissances enfermées qui ne demandent qu’à être transmises à ceux qui le souhaitent.
-La place de l’initié entre les colonnes
Ce n’est pas un hasard si le profane sur le chemin de l’initiation est placé entre les colonnes.
Il va ainsi expérimenter l’apparente dualité de certains symboles, notamment la « fausse » opposition entre colonne du nord, colonne du sud…
Plus tard il tentera de dépasser cette vaine dualité.
Cette dualisation ou dédoublement de l’Unité pourra devenir constructrice avec le troisième terme unificateur incarné par l’initié. Ainsi de binaire les colonnes vont devenir ternaire grâce à la présence du Frére ou de la sœur, au milieu des colonnes.
- LE SYMBOLISME DE LA COLONNE JAKIN
Il est maintenant temps de s’intéresser spécifiquement à la Colonne Jakin.
Rappelons tout d’abord que c’est la colonne J dite Jakin que le Maître ouvrier érigea en premier. Ce n’est qu’après qu’il dressa la colonne B.
Cet ordre n’est pas sans rapport avec l’étymologie même de Jakin qui signifie en Hébreu « il établira » ou « il affermira ».
Il faut sans doute y voir pour l’apprenti une méthode. Ce dernier devant, avant d’élever son temple intérieur, s’assurer de la solidité et de l’équilibre de ses bases.
Les qualificatifs de stable, ferme, d’aplomb que l’on attribue également à Jakin vont dans le même sens : pour que l’édifice soit pérenne et se développe harmonieusement il faut au préalable le doter d’une structure résistante.
On trouve un autre élément important lié à la colonne J dans le Catéchisme de l’Apprenti.
A la question : « Donnez-moi la parole »
L’apprenti répond : « Je ne dois ni lire, ni écrire; je ne puis qu’épeler, dites-moi la première lettre, je vous dirai la seconde…..J…A…. »
C’est auprès de cette colonne que l’apprenti va ainsi acquérir la connaissance de la « science du verbe » qui va lui permettre de progresser sur son chemin initiatique.
(...)
Pour conclure, nous nous sommes attachés dans cette étude à relever les différentes références auxquelles on peut relier les colonnes maçonniques. Cela nous a permis de dégager la symbolique de ces deux colonnes intimement liées. Pour finir nous avons axé notre étude sur le symbolisme de la Colonne Jakin.
J’espère de tout cœur maintenant que les colonnes ne seront pas muettes.
Chr.°. Ch.°. R.°.L.°. "Les Écossais de saint Jean" à l'O.°. de Hyères- GLSREP