Résumé :
La méthode maçonnique et une technique de plénitude du langage verbal et non verbal, basée sur les symboles qui donnent accès aux archétypes.
Ces archétypes sont les restes, les vestiges de la pensée universelle de nos anciens suivant la science traditionnelle. La science traditionnelle se rapporte à la vision totale.Cette vision est suggérée par notre intuition et constitue un métalangage. L'intuition est-elle même un rêve ou un songe qui veut s'exprimer.
Ce métalangage investi le monde ordinaire, l'infra monde et le monde supérieur. C'est la base d'une supraconscience.La supraconscience, c'est la fameuse lumière du franc-maçon. C'est une conscience individuelle et collective de la totalité et de l'unité. Elle est l'équivalent du terme "dieu" en dans le domaine exotérique.
C'est pour cette raison que le franc-maçon réapprend à voir et à parler dans un espace qui élargit sa perception du réel. Il n'est pas étonnant que l'initié donne au langage et à la perception du réel toute sa dimension. Le fondement même de l'initiation et de réactiver nos facultés oubliées.
Le franc-maçon bénéficie-t-il d’une vision de la réalité différente du commun des mortels ?
La question n’est pas nouvelle. À Édimbourg en 1638 le poète Adamson dans The Muse, fait référence à la vision particulière développée chez les francs-maçons et les rose-croix : « Car nous sommes des Frères de la Rose-Croix ; nous possédons le mot de Maçon et la double vue » Or ce qui réunit les francs-maçons et les roses croix en cette période c’est le désir de changer la société représentative du réel, en s’inspirant à la fois des sagesses anciennes et en proposant des sciences nouvelles.
La franc-maçonnerie va mettre en œuvre dans ses rituels des techniques symboliques de représentation du réel. Ces techniques reposent sur les symboles et les rituels, et surtout sur la loge elle-même qui devient un athanor de la représentation d’un réel apparent et caché. Les moyens sont donc divers pour rendre compte de l’étendue du réel, ce sont la polysémie étagée des symboles, la triangulation des symboles et le miroir des symboles. Ce qui est apparent et caché est perceptible par ce « don de double vue ».
Le franc-maçon restaure ce don de double vue et le mot de Maçon : le don de « double vue » est une vision profonde et élargie du réel, quant au « mot de Maçon » c’est un langage verbal et non verbal nécessaire à la représentation d’un réel global[1].
1/ La métamorphose du regard sur le réel
On dit que l’initiation aboutit à une métamorphose du regard sur le réel et à un développement des facultés cognitives.
Le passage d’Adamson ne peut se lire que sur la base d’une réalité réétudiée dans son sens profond et son essence. Le secret de l’initiation : « la première source du secret initiatique qui du fait de sa nature profonde, est toujours relatif au passage de l’inintelligible à l’intelligible, et donc relié à la notion de vision-perception ou, si on préfère, au don de double vision, celle du sensible et celle de l’intelligible[2]. ». L’intelligible profond fait apparaître l’image cachée ou enfouie, le mot secret ou sacré, comme le symbole, la hiérophanie, la théophanie, la hiérologie, etc. L’intelligible profond dépend directement des facultés interprétatives du réel, mobilisées par l’esprit humain[3].
Toute la littérature maçonnique nous parle d’une métamorphose du regard, d’un dessillement des yeux. Ce sont nos yeux qui perçoivent le réel et nous savons à la suite de Robert Ambelain « qu’il n’y a pas de plus grande initiation que la réalité ». Or l’initiation se déroule dans un réel séparé, celui de la loge afin de préserver toutes les dimensions du réel intégrant la valeur primitive d’un langage dit « sacré », car originel comme la parole perdue.
Le réel est lié à notre vision et à la représentation que chacun peut en avoir. La métamorphose du regard portera sur la portée de la vision et l’étendue de la représentation mentale.
La voie maçonnique est une voie initiatique basée sur le réel, celui de la pierre taillée par la main de l’homme, elle n’a d’autre ambition que de nous faire embrasser la réalité dans toute l’étendue du spectre lumineux et dans sa transparence. C’est donc des yeux symboliques qui scrutent la réalité avec une intelligence élargie qualifiée parfois d’intelligence du cœur ou de l’esprit. Le cœur étant le centre et l’origine de l’être de chair, c’est donc l’intelligence de l’origine, de la source première qui nous permet de mieux percevoir et de mieux entendre le monde.
Pour mieux percevoir le réel, il faut réactiver les facultés cognitives oubliées.
C’est ici que s’exercent les fonctions analogiques, anagogiques, herméneutiques et comparatistes qui donnent accès, par un certain cheminement graduel, à la fameuse représentation mentale universelle dont le fondement reste le symbole. Il y a donc une intention délibérée que de vouloir la vérité et la lumière au milieu du réel. Cette volonté de rend pas neutre le regard de l’initié. Nous pouvons dire que son regard est doté d’une intention que nous appellerons « intention initiatique[4] » qui replace le réel dans un vaste champ de perception.
2/ Relativité et Universalité du Réel
La réalité nous apparaît sous un angle plus subjectif qu’objectif. Cependant le regard de l’initié reste lié par une intention lumineuse[5] : l’objet ou le sujet sera mis sous un éclairage principiel.
C’est notre vision de la réalité qui est aujourd’hui polluée par une représentation superficielle, consumériste et fragmentée du réel ; il existe plusieurs façons de voir le réel. Le réel a un sens « commun » d’autant plus réduit que le l’interprétation doit être partagée et comprise par le plus grand nombre. C’est ainsi que le réel donne une réalité de surface qui peut devenir déprimante et perdre de sa saveur et de sa profondeur. Ce regard de surface sur le réel est lourd de conséquences. Il implique ce qu’on appelle le désenchantement du monde[6] qu’a très bien décrit Max Weber[7].
Face à la relativité profane du réel, les sciences traditionnelles vont donner une relation unifiée du réel en mettant au grand jour la partie ésotérique ou hermétique de celui-ci.
Par sa mutation, le regard de l’initié doit apporter un « éclairage » et une mise en perspective d’un réel universel et englobant.
3/ L’apparence et la manifestation, le sentiment d’impermanence
La réalité sous l’angle de l’apparence semble peu stable et changeante contrairement à la cause qui l’a généré. L’initié s’attache à la recherche de la cause première stable et originelle, à l’image de la lumière qui luit dans les ténèbres, donnant un relief particulier au monde des formes.
La tradition initiatique nous enseigne que le réel recouvre une dimension qui dépasse les seuls éléments discursifs et apparents que l’on nomme communément réalité. La réalité profane ou commune est impermanente et changeante dans ses aspects les plus apparents.
Il convient de dépasser l’instabilité de l’apparence pour se diriger vers le principe stable qui en amont la sous-tend. Le réel par le biais des apparences n’est alors qu’une gestion de l’éphémère de l’apparent et du hasard, des causes incertaines et du dirimant[8], autant de caractéristiques qui ne rendent pas compte de l’insertion de la vie dans un ensemble plus universel et cohérent[9].
L’initié doit repenser le réel à l’aune de sa capacité à voir au-delà des apparences et à concevoir dans une vision symboliste une universalité dans laquelle s’insère l’existence. L’existence[10] est aussi une conséquence de cette chaîne de causalité qui remonte suivant la Tradition à un fait fondateur et originel. En dépassant les apparences, le réel n’est pas enfermé dans une notion existentielle restreinte et impermanente, mais au contraire bénéficie de champs et de perspectives étendus et stables.
Pour accéder à ces champs et perspectives, il faut avoir dépassé un certain état d’intégration à soi du réel qu’on appelle "réalisation de soi", soit un état de conscience supérieur par l’intégration de la réalité et de l’universel en soi. C’est la connaissance de soi[11] qui permet la réalisation de soi, facteur d’unité, de stabilité et de continuité. Ainsi conçoit-on l’unité avec un réel « éternel » centré autour de la lumière : le monde et l’homme sont traversés par la même lumière originelle qui représente l’Unité ; la Stabilité[12] des lois organisant le cosmos ; la Continuité caractérisée par la mémoire des cycles sans cesse renouvelés et l’harmonie des sphères.
4/ Les 7 conditions à l’extension du domaine du réel en franc-maçonnerie
« La double vue » et le « mot de Maçon » supposent un développement des facultés cognitives.
a / Réalisation de soi : intégration d’un réel riche et essentiel en-soi
C’est la condition préalable à l’extension du domaine du réel.
Replacer en soi, l’existence, le réel et la réalité dans une perspective plus large permettent de réenchanter, de réharmoniser la vision du monde. Cet autre regard sur le réel passe obligatoirement par la connaissance de soi, des autres et du Monde.
La connaissance du réel est littéralement « une réalisation » en soi de la connaissance et par voie de conséquence, oblige l’initié à aborder et vivre le réel en y percevant des notions éthiques, mais aussi métaphysiques[13]. C’est par le biais de la connaissance de soi que le réel se rattache à une vision globalisante et métaphysique. Cette idée, loin de plaire aux rationalistes et individualistes modernes, est pourtant un puissant moteur « traditionnel » pour la recherche en matière scientifique et en sciences humaines[14]. En effet, le réel ne peut se limiter pour un esprit sérieux, au simple constat des apparences et de la nécessité, mais va plus loin en investissant le domaine du possible par l’analogie. La réalité est un potentiel à découvrir par un observateur averti et formé. L’initié se reconnaît à cette aptitude.
La « réalisation » de soi, qui est liée à une prise de conscience de la totalité ontologique du réel, est promue dans les mouvements initiatiques depuis la nuit des temps. L’objectif de la connaissance de soi est d’intégrer le réel dans une dimension plus grande que la simple démarche existentielle fondée sur une vision individuelle. La vision qui est ici promue est celle qui confond l’individu avec l’universel. Le réel de surface est donc qu’un aspect d’une réalité universelle que l’on appréhende partiellement par la seule apparence. À l’inverse nous dirons que le réel est plus large et plus profond que nous l’imaginions et cela suppose un développement des facultés cognitives et la récupération de notre mémoire archétypale[15].
L’initiation maçonnique par son orthopraxie nous oriente vers la lumière synonyme de conscience éclairée et vers le développement de nos facultés cognitives endormies. Chacun devra exprimer son étendue du réel en fonction de son avancement initiatique. L’avancement initiatique s’apprécie relativement à l’acquisition du langage lumineux qui l’accompagne, ce sont les mots de passe et les mots « sacrés » dont le sens profond est acquis, mais aussi tout l’univers du langage non verbal qui accompagne la représentation mentale du réel vers les frontières du sacré.
La réalisation de soi intégrera des notions liées à l’immanence et à la transcendance qui caractérisent le réel de l’homme. L’homme a en lui le souvenir des trois ères qu’il a traversé, l’ère chamanique et magique, l’ère transcendante et spirituelle et l’ère rationnelle et positiviste. L’initié réalise en conscience ces trois visions unifiées dans la langue des Sages. Le langage de l’initié est "magique" au sens ou il produit des images mentales agissantes, "spirituel" car il conjoint la terre et le ciel par l’esprit, et "rationnel" car il applique la rigueur de la raison à l’analyse d’un réel élargi.
Ce développement du vocabulaire et des moyens d’expression n’est qu’une restauration du potentiel cognitif oublié ou réservé. On peut ainsi corriger l’affirmation relativiste de Protagoras : « l’homme est la mesure de toute chose » où chacun dispose de sa vérité, sous la condition expresse d’avoir les moyens de voir et d’entendre le réel. Chacun peut avoir sa vision du réel, mais l’initié se donne les moyens de voir et d’entendre la structure universelle afin de se soustraire au relativisme et à la superficialité. L’aboutissement de cette réalisation est de même nature que l’aboutissement du langage : il se résume jusqu'à se rétracter dans un silence « essentiel » qui précède la parole originelle.
C’est ici que la richesse du réel de l’initié devient comme l’épure du schéma premier du Grand Architecte.
b/ Le « point de vue » de l’observateur et de l’initié :
La deuxième condition : prendre en compte tous les points de vue.
Le réel est accessible à tous de manière variable, en fonction de la situation de l’observateur et de sa profondeur d’analyse.
La loi du nombre appauvrit le réel dans une vision réductrice et sans autre profondeur que le « lieu commun ». La phase finale de la rhétorique profane du réel, abouti à une tautologie du réel : « le réel c’est le réel » il n’y a rien d’autre que le réel ! Il faut échapper aux topiques des rhétoriques matérialistes et aller chercher plus en amont la structure universelle du réel. Cette recherche emporte avec elle les dimensions éthiques, humanistes et métaphysiques.
L’initié prend ce chemin armé d’un regard sur la réalité, plus riche et plus profond. Il répondra à cette tautologie d’un réel réduit à son écorce[16] par l’affirmation : le réel est plus que son apparence ! Ce qui est apparent devient un reste signifiant, mais devient transparent aux yeux du franc-maçon. Ce qui est vrai pour l’image l’est aussi pour la parole. L’apprentissage de l’image profonde est liée à l’apprentissage du mot essentiel et du signe symbolique qui le représente.
En faisant cette réponse l’initié n’est ni victime d’hallucinations ni empreint d’un imaginaire romantique débordant, il conçoit simplement le réel comme l’aboutissement d’une chaîne de relation de cause à effet[17] dotée d’un sens générique dont il recherche la structure « universelle » et l’étendue véritable. L’initié considère que si le réel n’est que le réel comme l’arbre n’est qu’un arbre, il assortit sa considération d’un point de vue plus étendu : l’arbre à une partie supérieure qui semble toucher le ciel et l’autre partie reste invisible et sous terre et seul le tronc médiateur entre la terre et le ciel reste accessible à l’homme. Donc l’arbre, dont on ne peut toucher que l’écorce, se prolonge réellement en direction du ciel par sa couronne et sous terre par ses racines. De cet ensemble nous ne percevons, suivant le modèle de réalité apparente ou restreinte, qu’une fraction limitée. L’apparence se limite à ce qui nous est accessible au regard et à nos sens et plus nous sommes prés du tronc moins nous voyons le faîtage. Les racines resterons invisibles à tous les observateurs quelque soient leur distance au sujet ou à l’objet.
Le réel apparent est une affaire de point de vue et de situation de l’observateur en regard de l’objet. Face à l’apparence formant le réel restreint, l’initié « réalisera » le sujet observé « en lui », assimilant tous les points de vue extérieurs et intérieurs. Cette aptitude donne la vision de ce qui est vrai, analogiquement apparenté, probable et caché. La réalisation de l’image d’un réel projeté « en soi »[18] amorce une infinité de "possibles" qui posent le problème de l’interprétation de l’image[19] et l’apprentissage d’un langage adapté qui tend vers l’essence.
Face au signifiant matériel du signe, il faut aller chercher le signifié essentiel.[20] On peut admettre qu’une partie du réel n’est pas de prime-abord visible.
c/ La représentation mentale des réalités : du possible au réel.
La troisième condition porte sur l’apprentissage de la représentation de la réalité élargie.
Chacun peut avoir sa propre représentation du réel manifesté, mais une formation traditionnelle aux symboles, mythes et archétypes permet d’unifier la vision, de la rendre claire dans son expression intérieure.
Cette pédagogie permet en définitive de traverser les différents plans superposés des différents grades maçonniques. Ces plans sont représentés par les tableaux de loge qui seront incorporés comme éléments de langage dans le monde de l’apprenti, du compagnon et enfin du maître. Ces mondes sont des « possibles » graduels que l’initié va parcourir dans sa vie maçonnique. On est bien d’accord pour considérer que ces traversées sont à la fois réelles et symboliques. Réelles, car réellement vécues comme expériences initiatiques par l’initié et symboliques, car ouvrant le champ des possibles par le truchement des analogies.
Le changement de grade et de tableau de loge est un possible qui se réalise à l’intérieur du franc-maçon par la voie intérieure agissant comme un miroir de la réalité extérieure. Donc la voie initiatique permet la réalisation « en soi » de ce qui était possible et non apparent. Notre sortie du cabinet de réflexion, les trois premiers pas, la mort à soi et la renaissance à la lumière sont bien des instants doublement vécus « en soi », « incorporant » une réalité. Nous sommes bien dans ce cas en présence d’une réalité vécue de nature augmentée, car rendant apparent un possible par la voie extérieure et la voie intérieure.
C’est ici que le poète, l’esprit romantique et l’artiste se distinguent de l’initié. Le poète ressent et reçoit l’image visible et invisible par le filtre du sensible lié à certains « états d’âme » alors que l’initié reçoit l’image visible et invisible par le filtre du langage symbolique et un certain « état d’esprit » lié à une vision globale. C’est cette vision qui nécessite de remettre dans un même axe l’état corporel, l’état d’âme et l’état d’esprit. À l’alignement par l’âme du poète, répond l’alignement par l’esprit du sage.
Il y a donc une étape à franchir, celle de la représentation mentale de l’objet ou signe observé non plus au niveau de l’affect, mais au niveau de l’esprit. Le signifiant (représentation mentale de la forme) est vu en 3 temps : 1/ l’objet ou le signe concret pour son apparence, 2/ puis le schéma symbolique qu’il porte en lui. 3/ et enfin le sens supérieur qu’on veut lui donner en regard de l’Être ou du Principe. D’une représentation mentale objective, on passe à une représentation mentale qui dépasse le concept[21] pour atteindre l’essence[22].
Cette étape est le point de bifurcation entre ceux qui ne voient que le réel manifesté dans son apparence et ceux qui l’envisagent dans une totalité intégrant le domaine non manifesté. C’est le champ des possibles[23] qui s’ouvre devant nous grace à la reliance. Ce possible peut se réaliser et devenir apparent si on détient le langage et la vision pour le faire éclore, c’est l’objet de la pratique initiatique graduelle du franc-maçon. Ce système est aussi opérant en matière scientifique.
Un réel peut donc générer plusieurs réalités qui se définissent et s’associent à l’aune de la sensibilité de l’homme en regard de son environnement et de son apprentissage. Ces réalités élargies, « sensibles » générées par l’objet observé ou la situation sont des possibles.
Ces possibles ne sont pas tous manifestés, mais l’apparence manifestée résulte de l’extériorisation d’un possible. Une forme apparente est donc polysémique en fonction de l’état d’âme ou de l’état d’esprit et du vocabulaire analogique et symbolique de chacun. Nous comprenons que la vision d'un "réel élargi" dépend de la connaissance des clefs symboliques de la représentation mentale et du langage. C’est la connaissance intime de ces clefs issues des anciennes sagesses qui permettra d’intérioriser le réel et ainsi d’exceller dans la perception des problèmes éthiques et sociétaux, mais aussi métaphysiques. C’est l’apprentissage du symbole qui donne à la fois accès aux idéaux et utopies humaines, mais aussi aux valeurs principielles et ontologiques.
Le franc-maçon pour appréhender le réel dans tous ses possibles, ne peut donc faire l’économie de l’apprentissage des symboles, de la géométrie, de l’analogie, de la synthèse, de l’exégèse, de l’herméneutique et de l’anagogie, de l’alchimie spirituelle et autres sciences traditionnelles (et de leurs langages) qui élargissent le domaine du réel « apparent » et substantiel, en direction du « sensible » du subtil et de l’essence.
d/ Du réel invisible au Principe :
La quatrième condition suppose une remontée analogique et symbolique vers le principe. Le signifiant se dédouble en signifiant symbolique qui donne le signifié ontologique ou principiel.
L’apparence est ce qui apparaît « extérieurement », c’est donc qu’il existe une dimension intérieure[24] qui permet de ressentir (sensible) ce qui n’est pas substance (essence). Le réel porte en lui un exotérisme et un ésotérisme. L’apparence ne relate pas la totalité du réel. Nous pourrions dire que dans la voie initiatique, l’apparent se « dédouble » en non apparent par le biais de la traduction symbolique.
Donc la réalité a deux versants : le visible et l’invisible. Le réel ne serait que la partie visible du non manifesté. C’est au nom de l’invisible, mais néanmoins réel que l’initié démarre sa quête d’une vision profonde qui le conduira à la vision du non manifesté et du principiel.
Poursuivons nos investigations sur la profondeur du réel. L’arbre se situe entre ciel et terre comme un trait d’union entre ce qui est en haut et ce qui est en bas.
L’arbre se nourrit tout autant du ciel que de la terre. Partant de ce constat bien réel, notre vision se porte sur les potentialités lumineuses qui « tombées du ciel » animent la vie sur terre et en conséquence l’arbre nous conduit dans un symbolisme lumineux et axial puis ontologique, voir cosmologique. C’est toute la chaîne des causalités successives qui peut ainsi se remonter jusqu'à l’origine principielle[25] du réel. Le réel et sa réalité apparaissent alors comme une forme visible et donc « manifestée » subséquente parmi d’autres potentialités non manifestées, ou non visibles. Nous pourrions tenir le même raisonnement avec les outils-symboles présents en loge (Niveau, perpendiculaire, maillet-ciseau, équerre-compas, ou avec le dispositif général de la loge et ses meubles, etc. Ils disposent tous d’une clef axiale).
Rappelons que la lumière venue de l’Orient est principielle et à ce titre venu d’en haut. C’est cette lumière qui vient éclairer la réalité apparente et déjà symbolique de la loge. Cet éclairage est d’une autre dimension lorsque les colonnettes Sagesse Force et Beauté sont « allumées » : elles éclairent une autre réalité plus étendue.
C’est autour de ce versant du réel « invisible » et surplombant que les grands progrès de la science se font et que le symbolisme et l’analogie se développent. L’homme est capable de représentation mentale du réel et de mise en perspective de celui-ci dans des mondes non visibles, mais qui sont aussi réels que sensibles ou subtils. Le réel et son observateur restent ainsi reliés à une relation de causes et d’effets dont le sommet ou l’origine réside dans une lumière initiale ou dans une puissance surplombante qui se décline en autorité surplombante.
Le Grand Architecte de l’Univers (ou des Mondes suivant les rites) fait fonction d’autorité surplombante détenant les plans de la construction du Temple et donc l’image construite née du « Principe » créateur. En gravissant la chaîne des causalités et des grades par le biais de l’analogie, le franc-maçon remonte[26] progressivement vers le Principe.
Cette remontée vers le Principe est favorisée par la reliance[27] à plus haut qui anime la voie initiatique.
e/ Une vision intégrale et globale du réel
La cinquième condition est d’intégrer et d’incorporer l’invisible sensible ou subtil et l’intuition de l’être. Cette démarche d’absorption ne doit pas nous faire tomber dans l’illusion en niant l’importance de l’expérience vécue en loge et l’importance du phénomène et de la phénoménologie liée à la théâtralisation du rituel et à son heuristique[28]. La dimension « théurgique » du rituel favorise souvent ce développement de la vision.
De ce qui précède nous concluons que la vision de l’initié n’est pas seulement une vision globale, mais aussi une vision qui « intègre » et « incorpore » en lui l’invisible sensible et subtil « vécu » comme une expérience. L’initié est témoin de l’intégralité d’une vision. La conséquence de cette intégration-incorporation, est de rendre opérant le visible et le non visible en soi, c’est la phase ultime de la réalisation.
L’initié en loge, vit et relate dans sa vision, la terre, le ciel, l’apparent et le caché, le plan terrestre dans le plan céleste, la loi des cycles, etc. Outre la dimension manifestée, il incorpore en lui la dimension des possibles et s’oblige à en rechercher la cause.
C’est une dimension de la vision de « midi à minuit », qui n’est ni romantique ni productiviste : c’est une vision que l’on veut globale qui va du zénith au nadir, réaliste traditionnelle et globale. La vision du réel par le franc-maçon reste réaliste parce quelle se fonde sur la réalité intégrée, incorporée et sédimentée depuis la nuit des temps. Cette réalité, on veut la garder en mémoire et la transmettre en lui donnant une profondeur particulière. C’est cette cause « traditionnelle » incluse dans le Devoir de mémoire qu’entretient le franc-maçon[29].
Le réel élargi s’inscrit dans un réel toujours plus fort et plus vrai que la simple apparence, il ne peut être réduit à une simple écorce[30]. C’est le registre des possibles qui fait naître l’universel. C’est ainsi que les catéchismes des grades qui sont le témoignage d’une certaine mémoire ont deux aspects, l’un apparent et discursif, et l’autre réservé et intérieur qui demande à être découvert.
f/ La méthode maçonnique de réinitialisation du réel par le langage et l’image.
La sixième condition repose sur la mise en pratique des moyens permettant de découvrir cette réalité augmentée. Les moyens mis en œuvre sont relatifs à la notion de reliance à plus haut, en pratiquant la discipline de la réinitialisation du langage et de l’image.
L’initié ne joue qu’un rôle de lecteur interprète. Ce qu’il voit, en plus du commun extérieur, doit relever de la permanence qu’il réalise en lui. C’est par analogie et par le jeu des symboles et les lois de correspondances que la vision s’exerce à dépasser l’apparence souvent trompeuse et réductrice dans un seul niveau. Il faut donc passer les niveaux supérieurs. La proximité de la dimension mythique et divine est à intégrer dans notre vision comme éléments autonomes et significatifs de la conscience humaine. Ainsi l’initié incorpore une réalité globale, voire sacrée qui lui était autrefois étrangère. La transcendance liée au sacré permet d’échapper à la dialectique d’un réel limité.
Jamais la vision symbolique ni l’analogie ne s’éloignent du réel. Le point d’appui d’une image symbolique est la réalité « manifestée » de l’objet, du sujet ou de la situation. Néanmoins tous ses éléments objectifs vont s’affirmer dans une relation d’apparentement des signifiés et des signifiants, suivant les lois de l’analogie. L’analogie « axiale » va mettre en perspective l’objet le sujet ou la situation en fonction d’un modèle caché, mais considéré comme universel. C’est ainsi que les mythes, les légendes, les clefs symboliques et les archétypes vont structurer une causalité du réel, reliant ce réel contingent à une réalité originelle souvent de nature transcendante.
Les images archétypales sont à la disposition des cherchants dans une immense bibliothèque ancestrale commune à tous les hommes. C’est une mémoire universelle, soit le strict équivalent de la conscience universelle. C’est donc par le Devoir de mémoire et l’usage des moyens traditionnels de la reliance que le franc-maçon prône le centre de l’union. Elles sont des témoins d’une réalité qui perdure dans les relations entre le l’homme et la nature ou entre l’homme et ses semblables depuis toujours. Elles structurent le réel de façon permanente de même que les clefs symboliques et les mythes. Les images archétypales, les symboles et les mythes sont des éléments stables, continus et unifiants dans un monde contingent. Il faut donc rechercher la permanence dans l’impermanence d’un monde apparent, c’est le meilleur moyen d’entrer dans cette vision élargie du réel
Déjà le langage, et particulièrement celui des francs-maçons, nous fait pressentir cet accès possible par les divers sens qu’on accorde au mot, seulement un seul sens domine dans une situation donnée, mais les autres sens sont sous-jacents comme des rivières souterraines. L’image est symbole potentiel, dès lors qu’on l’intériorise par représentation mentale, ceci confirme la potentialité polysémique du réel. S’élabore alors un langage adapté à l’expression de cette « réalité augmentée » qui n’appartient pas à l’individu discursif prisonnier de la raison dialectique, un langage qui ne se satisfait pas du verbe commun parfois trop limité pour exprimer cette réalité ouverte. Ce sera un nouveau langage fait de silences, un langage non verbal et plus englobant qui viendra appuyer cette réalité profonde. Ce langage appartient à l’histoire de l’humanité et à la naissance de la conscience universelle.
Le travail d’apprentissage consistera à étirer le réel jusqu'à dépasser l’apparence et entrer de plain-pied dans le symbole. Le symbole est le passeport qui permet le franchissement de la contingence et de l’impermanence pour atteindre le permanent et le principiel.
La méthode[31] repose sur la communication et donc sur l’incorporation « à soi » de l’image symbolique, dans le but d’une réalisation « en soi » du symbole par projection mentale. Pour le mot verbalisé, ce sont les épellations qui réalisent « en soi » le sens caché (notamment par le silence interlettré). Pour le geste-signe qui est un langage non verbal, c’est le mime, l’imitation qui donne la profondeur de son vécu intime et incorpore le sens. C’est ainsi que la méthode maçonnique permet de « réaliser en soi », de représenter le sens et l’essence en notre for intérieur. Ainsi ce qui n’est pas apparent ou ce qui est absent est « incorporé » par représentation mentale.
L’initiation donne une vision progressive et universelle à partir d’éléments relevant d’un réel aux apparences limitées. L’initié, par la lumière qu’il est supposé recevoir lors de son initiation, ne peut se limiter à une vision étriquée. La vision personnelle de soi est un moyen pour faire apparaître une dimension supérieure. C’est alors qu’apparaît la notion d’Être qui loin d’être une notion purement individuelle se rapproche d’une dimension totalisante.
g/ Un métalangage :
La septième condition est de pratiquer et vivre le langage « séparé » en un lieu « séparé », le métalangage de l’unité. Ce langage initiatique qui découle de la vision initiatique, réuni les cherchants dans un lieu représentant la « connaissance »[32] à savoir la loge ou le temple maçonnique.
Si le réel est universel et non limité à l’apparence de sa manifestation et de ses phénomènes, il doit alors s’exprimer par un langage qui rend compte de son étendue et de son rattachement au Principe. Ce langage symbolique et souvent non verbal, est nullement engagé dans la voie religieuse, mais est, et restera « relié » à l’idée principielle. C’est la démarche intentionnelle de reliance de l’initié[33].
Ce rattachement ontologique emporte le langage dans le domaine du sacré qui ménage a l’intérieur de l’espace réel, mais « séparé » du profane, un « non-espace » dans un « non-temps » plus à même à rendre compte de la permanence du principe. Cet espace est le Temple ou la Loge. Le principe y brille et rayonne, mais est absent au plan concret il est présent dans un réel invisible : la dichotomie Présence-absence fonde la base du métalangage et la réalité élargie.
Dans le cadre particulier du sacré qui est « un sacré–réel [34]», le réel discursif et apparent devrait disparaître pour une mise en scène visible de ce qui est invisible. Précisons toutefois que l’invisible sera invoqué et mimé, par un langage verbal et non verbal de reliance. La scène sacrée est aussi réelle que la scène profane, elle est vécue et ressentie, mais en éliminant le temporel, elle installe l’intemporel associé à la lumière de l’initiation. Une reliance[35] se crée par cette mise en scène séparée du profane, et permet à chacun d’être participant l’espace d’un instant du Principe. La reliance permet la continuité de la relation de cause à effet, mais aussi la « réalisation » en soi du principe qui fait écho à la « réalisation » en soi du monde apparent et non apparent. Cette double réalisation devient axiale, c’est l’homme qui fait le trait d’union entre la terre et le ciel, prenant la place du tronc de l’arbre qui nous a servi d’illustration pour définir la vision de l’apparent et du non apparent dans le réel. Cette substitution de l’homme au tronc de l’arbre[36] illustre parfaitement la transparence de la méthode initiatique qui intègre les possibles dans le réel.
Cette réalisation en-soi d’un espace de reliance séparé du profane implique un nouveau langage, comme dans le cas de la légende d’Hiram.
En franc-maçonnerie la base du langage initiatique s’élabore sur le voile de fond du silence que l’on impose à l’apprenti, par l’abandon symbolique des métaux et la séparation du tumulte profane. Ce retour à l’origine, c’est la page vierge qui permet le réapprentissage élémentaire du langage loin des bruits parasites. Émergent alors les premières lettres qu’on ne peut qu’épeler à deux, en miroir. Mais avant d’entamer le processus acquisitif du langage verbal, on donne à l’apprenti la dimension du langage non verbal fait de signes (les lettres sont d’abord des signes) de gestes et de postures. Les signes, gestes et postures son adressés à la communauté de la loge comme langage non verbal fédérateur, car commun, partagé, signifiant et intemporel.
Ce langage non verbal dépasse ce simple apprentissage et permet d'accéder à la notion de réalité élargie. Il vient enrichir et conforter le langage symbolique qui permet l'analogie, en enclenchant un processus sensible « d’incorporation ». Le processus de métamorphose du regard suit le même parcours « d’incorporation ».
Le cas de la légende d’Hiram illustre par la parole perdue la découverte d’un langage plus élaboré fondé sur l’absence[37]. Le réel de la scène du meurtre d’Hiram exprime l’insuffisance du langage ordinaire pour un réel simple décrit par « mack-benah» pour accéder aux vérités supérieures de l’essence du mot (la chair quitte les os). Ces vérités supérieures sont exprimées par un métalangage de l’esprit qui marque la reliance au Principe. Donc la scène du crime et de la découverte du corps comme le mot prononcé ont deux versants, celui d’un réel basique et discursif, sans doute moralisateur, et un autre plus puissant et évidemment caché qui nous met sur la voie du langage principiel.
Le franc-maçon peut donc bénéficier d’une formation à la perception étendue de la réalité.
La vision de l’initié est d’abord une représentation mentale formulée suivant des clefs symboliques traditionnelles. Les niveaux de représentation mentale et de langage en franc-maçonnerie ne peuvent se détacher de la réalité, car l'initiation est une mise en pratique des lois du langage, des images et symboles fondés sur la vision du réel, sur l'altérité et la reliance à plus haut.
L'initiation étant un apprentissage de la vision élevée, devient par ce fait une "orthopraxie" des niveaux de langages et de représentation du réel dans des mondes graduels. Le but et la fonction de cette vision élevée et progressive sont de dépasser la simple description, pour relater une perception élargie et approfondie de la réalité intégrant l’observateur et l’universel.
La réalité vécue du franc-maçon est aussi une réalité de l’absence, une réalité augmentée du sensible non visible, du subtil, de l’essence, et du silence.
Nous pouvons affirmer que la voie initiatique, par la vision et le langage qu’elle procure, permet une extension du domaine du réel.
E.°. R.°. Conférence de Turin 12 mars 2016.
[1] Il est entendu que les francs-maçons utilisent ce langage commun, en mot ou signe de reconnaissance.
[2] Voir en ce sens RDM 5 « pourquoi rester en franc-maçonnerie ? Où il est question de la métamorphose du regard. Le monde sensible est le domaine des éléments corporels, soit le côté substantiel de la manifestation. Le « monde intelligible » est, pour Platon, le domaine des « idées » ou des « archétypes » qui sont effectivement les essences au sens propre de ce mot,
[3] Cette mobilisation de nos facultés n’est pas que culturelle, elle passe aussi par l’état de songe, par le lâcher-prise, par l’effacement de soi, afin de faire naître l’image, le sens ou la « présence » du tout autre en soi. L’échelle de Jacob est une bonne synthèse de ces facultés interprétatives de l’esprit humain qui donne au réel une dimension principielle étayée par la rétractation de la conscience discursive, et l’affirmation de la conscience essentielle.
[4] L’intention initiatique favorise la lecture d’un réel élargi qui dépasse la simple apparence. Cette intention consiste à faire entrer la lumière dans la matière donnant ainsi au réel sa transparence.
[5] Voir notre article sur l’intention et la reliance dans RDM 10 Le secret initiatique: de la divulgation à la révélation, notion de reliance .
[6] Pour l’initié il ne s’agit pas de restaurer la période obscurantiste du monde d’avant la modernité, mais il est certain que l’initié veut par sa recherche retrouver cet âge d’or de l’humanité, ce paradis perdu, ce monde de l’harmonie universelle. La recherche de cette harmonie d’essence divine est marquée par l’allumage des feux de la manifestation initiale au moyen des colonnettes Sagesse Force et Beauté synonyme d’harmonie.
[7] Ce réel de surface donne un existentialisme sans autre relief que le phénomène perçu du seul point de vue individuel.
[8] Impliquant la nullité de tout raisonnement globalisant.
[9] Toute manifestation ne serait que la résultante de relation de cause à effet que l’on peut étudier d’un point de vue scientifique et métaphysique. La manifestation du réel tel qu’il nous apparaît ne serait qu’une possibilité parmi d’autres non manifestées.
[10] Le terme exister suppose que l’objet ou l’être en question sort littéralement du giron qui l’a généré. L’être qui existe procède d’une puissance génératrice qui ne procéderait que d’elle-même.
[11] Il s’agit du « Gnôthi seauton » socratique que l’on trouvait grave au fronton du temple de Delphes annonçant un regard intérieur sur soi pour y découvrir au sein même de l’homme le siège de l’Esprit. Cette découverte de l’esprit en l’homme annonce les premiers pas de l’humanisme et la singularité du rapport de l’homme au divin.
[12] Notons que la RAPMM utilise le triptyque Unité Continuité Stabilité comme devise qui correspondent aux idées éternelles de Platon.
[13] On retrouve ici la grande division entre les Petits Mystères et les Grands Mystères.
[14] On utilise de plus en plus la vision transversale qui permet de relier les secteurs de la science autrefois cloisonnés. En reliant les fractions des savoirs épars en une vision globale, on voit au-delà du système sectorisé, on perçoit alors une dimension cachée plus originelle, plus essentielle.
[15] Au RAPMM, lors de l’initiation est donnée au futur initié le breuvage de l’oubli représentatif du réel profane et contingent, puis à la fin des épreuves le breuvage de la mémoire des origines. Il est donc évident que toute initiation a vocation à retrouver la mémoire des origines.
[16] René Guénon, L’écorce et le noyau ; Le Voile d’Isis, mars 1931, p.145 – 150. « On pourra remarquer que le rôle des formes extérieures est en rapport avec le double sens du mot « révélation », puisqu’elles manifestent et voilent en même temps la doctrine essentielle, la vérité une, comme la parole le fait d’ailleurs inévitablement pour la pensée qu’elle exprime ; et ce qui est vrai de la parole, à cet égard, l’est aussi de toute autre expression formelle ».
[17] Dans le Timée (28a) de Platon on peut lire : « Sans l'intervention d'une cause, rien ne peut être engendré » ce qui nous renvoi à la cause première celle de la manifestation du monde et de la vie accompagnés par la naissance de l’espace et du temps. L’expression maçonnique ordo ab chaos participe de la connaissance de cette notion.
[18] Sur la différence entre l’en soi et l’à soi lire notre article dans RDM 10
[19] Pour interpréter le réel et en voir les éléments cachés, les hermétistes utilisaient un jeu de miroir et la notion de « reflet ». Voir notre étude en RDM 10.
[20] Le signifié désigne la représentation mentale du concept associé au signe, tandis que le signifiant désigne la représentation mentale de la forme via l’image sonore du mot qui représente la chose et de l'aspect matériel du signe. Le signe et sa reconnaissance font partie de l’apprentissage dans la méthode maçonnique. Voir Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1972,
[21] Un concept est une idée abstraite, donc séparée de la réalité d'une chose, d'une situation, d'un phénomène. Ce n’est pas ce que l’initié recherche dans sa vision profonde du réel.
[22] Nous reprenons la corrélation guénonienne entre essence et substance « le végétal est pour ainsi dire la « mère » du fruit qui sort de lui et qu’il nourrit de sa substance, mais qui ne se développe et mûrit que sous l’influence vivifiante du soleil, lequel en est ainsi en quelque sorte le « père » ; et par suite, le fruit lui-même s’assimile symboliquement au soleil par « coessentialité », (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, page 29, René Guénon, éd. Gallimard). Cette corrélation souligne un double étagement éthique et métaphysique de l’essence, c'est-à-dire une représentation de l’essence dans sa version éthique, celle des Petits Mystères bien connus des francs-maçons et relatifs à l’étoile à cinq branches du compagnon (ici le fruit dans l’ordre terrestre), mais aussi celle de l’étage métaphysique, celle des Grands Mystères relatifs à l’étoile à six branches des Maîtres (ici le soleil dans l’ordre céleste).
[23] Le champ du possible est toujours plus large que celui du réel apparent. Ce qui peut-être est par définition plus vaste que ce qui est déjà apparu ou manifesté. Les possibles non manifestés sont infinis et participent de l’ordonnancement du réel élargi, ou de la réalité augmentée.
[24] Cette dimension est intérieure à l’objet observé comme intérieur à soi.
[25] Comprendre le Principe comme l’origine de la chaîne des causalités, Voir René Guénon Le Règne de la quantité et le signe des temps (1945)
[26] L’analogie permet de passer d’un monde à l’autre. La chaîne des causalités implique parfois la superposition des mondes. Notons que la remontée fait sans doute suite à une chute.
[27] Nous avons développé le concept de reliance à plus haut comme une condition préalable du symbolisme axial et de la spiritualité construite des trois premiers degrés de la franc-maçonnerie. Cette reliance suppose une autorité surplombante incarnée par le GADLU, un religare doublé d’un tradere.
[28] L’heuristique consiste ici en une réinvention de la manière de regarder un monde qui dépasse l’apparence.
[29] Les statuts de Schaw de 1598 faisaient obligation aux loges Écossaises de maintenir le devoir de mémoire ancestral, qui permettait de passer du savoir-faire au savoir-être.
[30] L’écorce sur la périphérie fait obstacle à la vision du centre qui est le noyau. Il n’y aurait pas d’écorce s’il n’y avait à l’origine le noyau. Le même raisonnement peut être tenu pour le cercle et son point originaire. Voir en ce sens : René Guénon, L’écorce et le noyau : Le Voile d’Isis, mars 1931, p.145 – 150.
[31] Cette méthode ne concerne que les rites qui ont conservé la mise en pratique des symboles, des mots de passe et mots sacrés, ainsi que les légendes et les catéchismes de grade.
[32] « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre » a pour corollaire « connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux »
[33] Un initié qui fait le vide en lui voit ce vide se remplir de lumière. L’intention lumineuse c’est avoir la vue pleinement consciente d’une totalité. Le vide se remplit de lumière.
[34] Voir notre étude en RDM 10
[35] Sur la « reliance » en matière initiatique, voir notre étude parue dans la Revue du Maçon n°10
[36] On parlera alors de l’arbre de vie maçonnique dont la loge maçonnique serait à son tour une illustration, rendant apparent un possible symbolique.
[37] Il s’agit du métalangage, voir notre étude parue dans la Revue du Maçon n° 10 « Parole perdue clefs de lectures et perspectives » et les notions de sacré-réel et de sacré-divin.