Si nous avons choisi aujourd’hui de vous proposer une approche plus philosophique du « silence », c’est tout simplement pour que ce travail nous donne à réfléchir, à nous interroger, qu’il nous incite à questionner ce silence, non pas pour le démasquer mais pour écouter ce qu’il a, à nous dire, ce que nous avons à nous dire.
Mais comment, tout d’abord, pouvons-nous donner un sens au silence ?
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, pour donner un sens au silence, il nous faudra le faire parler, l’habiller de mots, lui donner un sens que l’on soupçonne, transformer l’interrogation qu’il présente en tentatives rhétoriques.
Mais qu’est-ce donc que le silence ?
Dans son sens originel, le silence est l'état de la personne qui s'abstient de parler ; dans son sens le plus courant, c'est l’absence de bruits, de sons indésirables, de tout ce qui est audible.
Il peut être également valorisé (comme étant parfois la meilleure réponse). « la parole est d'argent mais le silence est d'or » « parce que c’est aussi une forme de discrétion » ; il existe beaucoup d'expressions ou citations sur le silence.
Dans la vie profane, la société valorise la communication : le silence y est alors considéré par opposition comme nocif ( « on doit briser la loi du silence » .. une attitude silencieuse inquiète, intrigue ses interlocuteurs).
Mais encore !
Soulignons en premier lieu, le caractère décalé presque inaccessible du silence dans notre quotidien à travers nos comportements sociaux. Dans nos villes où nous sommes assaillis par la prolifération des bruits de toutes sortes, médias, sonneries de téléphones portables, klaxons, musique d’ambiance, le silence en devient presque inquiétant, étrange ou plutôt étranger à l’homme. Il fait figure d’exception dans notre quotidien et il est de plus en plus rare dans nos vies actives, il occupe de moins en moins de place.
Dans toutes les activités de l’homme, ne cherche-t-il pas justement à se projeter en dehors de lui-même, de façon à fuir ce silence intérieur qu’il sait présent mais oh combien inquiétant ? Quel est donc ce silence que l’homme cherche à fuir ?
Le silence semble être vécu comme un vide angoissant, un non être, comme si en faisant silence, on perdait la véritable notion des choses et l’on s’aventurait dans un monde inconnu, qui nous est fondamentalement étranger.
Il n’est effectivement pas facile d’appréhender le véritable silence, ce silence intérieur dont Pascal disait : « c’est dans le divertissement que l’homme se perd et dans le silence qu’il se trouve ». Au silence reviendrait donc, une épaisseur d’être, une valeur ontologique, une réalité qui serait constitutive de l’être spirituel que nous sommes.
Pourquoi devons-nous rechercher le silence ?
La première leçon du Boudha est « fais silence en toi et écoute ».
Comme il vient d’être dit, dans la vie profane, tout bouillonne : nos vies quotidiennes, les rythmes de travail (chronophages) , les idées , les ressentis , les projets , les déceptions…...aussi il est nécessaire de temps en temps de faire silence …..afin de percevoir ce qui se passe vraiment en nous , au delà de tout ce brouhaha ambiant …..faire silence pour se dégager de ces choses futiles et bien souvent superficielles qui nous envahissent au quotidien.
Aussi, lorsque reçue A. : il m'a été imposé le silence , je ne l'ai pas vécu comme une brimade , bien au contraire !!
Médusée par tout ce que je voyais et entendais lors des premières tenues, le silence m’est rapidement apparu comme un refuge salvateur, une manière de me mettre en capacité d'appréhender peu à peu mes premiers pas d'A.°. En toute sérénité, au calme... il me permettrait de m’imprégner de mon rite et de m'isoler mais pas dans la solitude.
Peu à peu, je comprenais que le silence allait me permettre d'accéder à une plus grande conscience, qu'il était une invitation à prendre le temps , non seulement d'écouter mais surtout d'entendre ce que mes F. : et S. : , l'Autre , avait à nous dire .
Puis le silence s’imposât comme un outil supplémentaire dans mon chemin maçonnique, outil qui allait m’être fort utile par la suite et encore aujourd’hui ..tel une mise en pratique du célèbre « connais-toi toi-même de Socrate ».
Mais quelle réalité exprime-t-il ? Peut-on seulement la nommer ?
Revenons un instant dans les couloirs du temps.
Le silence est immatériel, il est le temps du recueillement, de la réalisation morale de l’action, du constat de l’instant.
Dans la Genèse, Dieu crée le monde en six jours en le nommant « Aux premiers temps était le Verbe et le Verbe était Dieu ». Le Silence du 7ème jour correspond donc à une période de repos, un temps consacré à la contemplation de la réalisation.
Tout instant de silence semble donc bien donner au Temps sa pleine densité ainsi que son envergure temporelle. La minute de silence lors d’une cérémonie de commémoration ne semble-t-elle pas longue, ne perçoit-on pas comme une espèce de soulagement dans l’assemblée lorsqu’elle se termine ?
Le Silence nous fait il peur ?
Assurément oui je pense, car chacun redoute qu'avec lui, l'armure puisse se fendre, face au miroir , face à nous même ...
On le redoute car on craint qu'il ne nous renvoie à notre propre solitude et c'est une erreur car selon moi, le silence est un véritable compagnon de route maçonnique :
En faisant l'effort de chercher pourquoi il est imposé aux A. : on en comprend mieux la valeur et les enseignements.
Que nous apporte-t-il en réalité ?
Savoir se taire, ce sont les premiers pas vers la sagesse ; on apprend le silence et notre esprit se transforme petit à petit.
Parler pour parler demande peu d'efforts mais écouter l'autre demande une grande attention (voire de gros efforts pour certains ou certaines); aussi le silence devient un nouvel outil permettant de se construire et pour apprendre à écouter.
Au grade d'A.°., il est donc primordial car l'apprentissage se fait essentiellement par l'observation et l'écoute .
Il y a donc bien un temps pour se taire et un autre temps pour parler.
A l’intérieur du Temple, le silence du Rituel permet l’extension de la temporalité, il ne tient aucunement compte de l’écoulement du temps profane car le maçon travaille de midi à minuit. Le silence prend ainsi toute sa signification, toute sa place dans cet espace où règne l’intemporalité.
Pour le Maçon, le Silence revêt plusieurs niveaux de sens.
Il constitue, en premier lieu, le creuset du rapport à lui-même à travers la symbolique qui lui est proposée lors de son séjour dans le cabinet de réflexion. Le silence qui y règne est propice à l’interprétation des symboles présents. Le silence prend ici, ses racines dans une tradition initiatique qui remonte à une époque où les livres étaient rares, voire inexistants. Qui voulait s’instruire devait, avant tout, observer, méditer et se taire. L’usage de la parole se voulait révérencieuse. La seule attitude de l’apprenti, du néophyte ou de l’apprenant, était la pratique du silence, pour pouvoir entendre l’enseignement du Maître.
« S’interdire de parler pour s’astreindre à écouter est une excellent discipline intellectuelle lorsque l’on veut apprendre à penser ».
Le Silence pourrait donc se définir comme outil de maîtrise de l’impulsivité verbale.
Il n’est pas nécessaire d’user de la parole pour travailler et mériter salaire : voilà un des enseignements ce que j’ai retiré après deux ans passés sur la Colonne du Nord.
Pour l’A. : (comme pour encore le C.°. ) le silence doit lui permettre de freiner ses impulsions , sa bouillonnante et première envie d’intervenir et de prendre la parole en Loge .
Il bride son égo.
Loin de nous priver de nos autres sens, le silence bien au contraire les renforce, pour une meilleure réflexion .
le Silence est une véritable discipline spirituelle : « se taire et écouter « puis « écouter et se taire « :
Voilà deux étapes successives que j’ai appréhendé au cours de mon apprentissage : dans un 1er temps, on se tait pour pouvoir écouter au mieux ; dans un 2nd temps, on a bien entendu mais on se tait, on n’intervient pas, car ce n’est pas encore le moment.
Le silence réduit l’impulsivité verbale parce qu’au-delà de la tranquillité et de la concentration nécessaire à la compréhension de ce qui se passe en tenue, il permet de se contrôler, de faire preuve d’humilité et de tempérance.
Il permet, comme le professait SENEQUE, d’imposer le silence à ses passions……et pas seulement lorsque l’on est apprenti.
Pendant tout le cheminement initiatique du franc-Maçon, ce rapport au silence sera la condition de sa maturation de sa pensée. Toute parole qui prend son sens au sein du rituel porte en elle ce souffle du silence que l’on perçoit à travers le temps que l’on prend pour le dire.
Pour le Franc-Maçon, faire silence n’est pas une invitation mais son devoir, cela devient le silence de l’écoute et de l’humilité. Le silence est également celui du Frère ou de la Sœur qui n’interrompt pas celui qui après l’avoir demandé, a obtenu la parole. Dans le Temple, l’on demande la parole alors que l’on garde le silence. Le silence reste donc la règle, le recours à la parole, l’exception.
Le Silence est donc l’outil de maîtrise de l’impulsivité verbale avant de devenir celui qui permettra l’éveil de l’Initié.
le Silence de l’Eveil :
Le Silence crée les conditions propices à une transformation intérieure et ce, dès le Cabinet de Réflexion ..
Le Rituel et ses silences ouvrent la voie au calme intérieur :
Ainsi, avant d’entrer dans le Temple ,le Maitre des Cérémonies nous appelle au silence sur les parvis. puis le VM. Le silence nous aide à faire le vide et à chasser de nos esprits les 1000 et une choses qui bouillonnaient quelques minutes encore avant que nous n’entrions …
De même, le silence prend une forme physique en ce que nos gestes sont mesurés, la déambulation rythmée , la parole contrôlée .. tout y contribue.
Puis arrive le silence que je qualifierai de mental : le corps au repos à l’écoute de ses F et S.°. , les capacités d’analyse se mettent en éveil .
Accéder au silence, c’est aller au plus profond de soi, un long travail d’alchimiste ; il permet d’atteindre des profondeurs insoupçonnées de l’être et nous conditionne pour devenir partie de l’Egrégore de la Loge.
Mais de quelle façon ?
Le principe même de l’égrégore maçonnique se manifeste par ce silence durant la chaîne d’union, chaîne qui rassemble les esprits et les cœurs. Il unit, bien plus que tout discours, l’intime adhésion de chacun et fait vivre intensément les préceptes de Solidarité et de Fraternité. C’est dans ce silence qui magnifie la symbolique des mains jointes que se révèle la communion des cœurs et des esprits.
En pénétrant dans le temple, c’est bien dans un espace-temps différent que nous entrons, un espace dans lequel le silence, la renonciation au langage donnent au rituel et à la symbolique toute sa force.
Il existe, nous l’avons compris des « temps de silence » comme il existe des « lieux de silence.
Les lieux de culte, quels qu’ils soient, imposent le silence. Dans ces enceintes sacrées, le silence exprime à la fois le rapport au Divin ainsi que « ce qui ne peut pas se dire » devant ce qui nous dépasse. En s’imposant ce silence, nous reconnaissons notre petitesse, face à ce qui nous dépasse, que nous soyons croyants ou non.
Dans un musée, le silence est celui du rapport esthétique à l’œuvre. En faisant silence, nous nous laissons envahir par sa présence, nous en comprenons le sens, le message. Il n’y a que le silence qui nous permet de ressentir l’intégralité du message. La parole est alors hors de propos, incongrue, seul le silence révèle la subjugation des sens devant la beauté.
C’est le lieu, la situation, qui donne pour une grande part le sens à ce que les paroles ne peuvent exprimer. Le silence dévoilé recouvre alors et tait aux yeux du monde, ce que l’âme crie en secret.
Outre le rapport au temps et à l’espace, le silence établit également un rapport à autrui. Il devient alors ce miroir que l’on tend à l’autre afin qu’il contemple lui-même sa colère ou son injustice.
Le silence bénéficie de cette force, de cette particularité qui lui permet, comme une onde, d’absorber et d’annihiler le coup porté. Il n’y a, dans le langage, aucune force brute qui ne se dilue dans le silence de l’interlocuteur.
Mais garder le silence, rester sans voix devant la personne aimée, révèle l’intensité des sentiments portés à la personne. C’est lorsque l’on est éperdument amoureux que l’on perd ses moyens, que l’on ne trouve plus ses mots.
Enfin, par-delà le rapport au temps, à l’espace et à autrui, le silence est ce qui permet la rencontre avec soi-même.
L’absence de mots ébranle notre forteresse intérieure, bouscule nos certitudes et montre la voie pour poursuivre cette quête de ce silence qui nous apaise.
C’est d’ailleurs dans cette « rencontre intérieure » qu’est le silence du méditant qu’apparaît pleinement notre condition d’éternel cherchant. La difficulté « à rester dans le silence » est toujours renouvelée et les enseignements que cela nous apporte toujours différents.
Dans ce silence intérieur, nous écoutons non ce que nous disons, mais ce qui SE dit.
Le silence fait donc partie intégrante du parcours du FM. :
Le silence maçonnique n’est pas seulement imposé à l’intérieur du temple mais aussi à l’extérieur ;
Il y a le silence intérieur auquel nous appelle le VM. : mais aussi le silence qui règne sur les colonnes lors de la fermeture des travaux ; on le retrouve encore pendant la chaine d’union lorsque nos pensées s’unissent pour un F.°. ou une S.°. ou encore un proche qui sont dans la douleur, confrontés à la maladie ( c’est un peu la « minute de silence citoyenne « )
La position à l’ordre est un rappel de l’interdiction de trahir les secrets qui nous été révélés : le silence est donc bien en étroite relation avec le secret, nous ne devons rien révéler de nos travaux, une fois à l’extérieur.
Enfin tout maçon a un devoir de silence et de discrétion concernant la qualité maçonnique d’une S. : ou d’un F. :
Je ne résiste pas à l’envie de vous citer cette phrase de LAO TSEU ( issue du Tao te King ) , qui donne une haute valeur au silence et à sa portée :
« ceux qui connaissent ne parlent pas, ceux qui parlent ne connaissent pas » .
Terminons si vous le voulez bien mes TTCCFF, mes TTCCSS, par une leçon d’humilité. Le paradoxe que nous avions posé au début de ces travaux, nous le retrouvons à la fin de cette planche : pour dire le Silence, il faut l’habiller de mots. Nous sommes donc condamnés à préjuger plus qu’à exposer ce que le silence nous invite à découvrir.
Car il est lieu d’expérience, expérience personnelle s’il en est et indicible par principe, tel est notre secret.
Ainsi, « si le langage est le propre de l’homme », c’est le silence qui figure le lieu de sa plus grande humanité, puisque c’est celui de sa spiritualité.
Le Silence ne se dit pas.
Il est un lieu de découverte et de rencontre de nul autre que soi-même.
Ne plus dire : « Je Pense donc je Suis », mais,
« Je ne suis vraiment ce que je suis que lorsque le « JE » se tait enfin ».
R.°.L.°. Lune et Soleil d’Écosse
O.°. d’Aix En Provence
LS&ML