L’acclamation écossaise : Le souffle clanique et l’essence en partage
Bien des auteurs maçonniques ont écrit sur la signification de l’acclamation écossaise et ses différentes variantes. Leur démarche était de rechercher un sens lié à l’origine étymologique du mot. Nous constatons que ce mot est décliné en différentes écritures et prononciations dont personne ne peut garantir la conformité originelle. L’acclamation dite écossaise a de nombreuses variantes tant dans l’écriture que la prononciation.. Initialement rien ne garantissait la stabilité de la prononciation au sein du même rite, d’autant que le rituel était une notion non stable et orale. Notons que le rituel écrit de 1751 de la mère loge écossaise de Marseille adopta la rédaction « Huzzé »[1] ce qui ne garantit pas la prononciation d'origine. Ainsi on retrouve dans un « Lexique ou dictionnaire portatif des mots François » de 1750 la définition suivante : « UZZA ou HUZZA, adv, cri des Anglois qui répond au Vive le Roi des François. C’est un témoignage d’affection et d’applaudissement » .
Nous verrons que la figure centrale et axiale du Roi à une certaine importance dans l’acclamation, que le mot lui-même est l’expression d’un souffle vital originel et que la gestuelle associée vient confirmer le caractère ontologique et structurant de cette expression.
PREMIERE PARTIE :
I / Aperçu général
La transmission orale serait historiquement antérieure à l’écriture. La transcription d’un mot ou d’un son ou d’une onomatopée reste aléatoire et sujette à erreurs multiples.
L’expression traditionnelle ancienne est à l’évidence une expression typique avec son accent spécifique, appartenant à la tradition orale d'un terroir donné. Nous sommes alors face à une triple distorsion :
- celle de la transcription écrite d’un son initial,
- celle de la lecture et la prononciation de cette transcription conforme à l’originale,
- et enfin celle de la connaissance spécifique de l’accent primitif originel, celui de la tradition orale du terroir considéré.
Nous sommes ici confrontés au syndrome de la « parole perdue[2] », recomposée puis redécouverte éternellement… Il faut donc en revenir à l’intention que porte cette acclamation depuis toujours.
a/ L’impression phonétique « in illo tempore »
Cette expression doit être mise en rapport avec l’apparition du Verbe et la verbalisation chez l’homme. .
Notre recherche englobera à la fois l’expression et la geste associée, ce qui nous fera dépasser une simple recherche étymologique qui est trop limitée. De plus il convient de rappeler au spécialistes du langage que la franc-maçonnerie inclut dans sa démarche initiatique un accès aux « Mystères » et qu’à ce titre le réel de l’initié est toujours plus large et plus profond qu’une simple apparence. De notre point de vue, la franc-maçonnerie développe au-delà des sens multiples donnés aux mots et aux signes, l’accès à l’essence de ceux-ci par des techniques de représentation mentale. Plus que l’étymologie, c’est donc la mise en scène du mot qui orientera le sens du mot vers son essence originelle.
Le hou serait un « o » soufflé de l’intérieur de soi et le « zzé » ou « zza » serait une finale de l’onomatopée comme une virgule, une inflexion finale, une graine plantée. Il nous est dit dans notre transmission qu’il s’agirait un souffle imitant « le souffle vital » des origines. Évidemment l’analyse qui suit n’a pas la prétention d’être un travail de linguiste, il s’agit de relater ici une impression phonétique associée à une transmission.
Ce souffle serait à rapprocher de l’«AUM » bouddhiste : une onomatopée pourvue d’essence et dénuée de sens concret. Il s’agirait dans les deux cas (écossais et bouddhiste) d’un mantra répétitif qui met l’homme au centre du tout et/ou dans la proximité de l’origine des temps. Le Houzzé dans son expulsion de l’intérieur de soi fait rapport au souffle premier insufflé dans l’homme et commun à tous les membres du clan réunis autour d’un centre traditionnel. Sur un plan plus large, il est fait référence à l’acte de création soit la fameuse parole, le logos rayonnant et vital des origines. Le « Houzza(é) serait donc une onomatopée, une imitation de la naissance du langage chez l’homme mythiquement exprimé avec l’arrivée du souffle en l’homme. Nous verrons que cette idée se renforce par la gestuelle dynamique et concentrique.
L’acclamation relaterait ainsi le souffle qui est en tout homme.
b/ L’origine du Verbe
« in principio erat verbum ». Selon la tradition, et par la descente du Verbe en verbe, la verbalisation première de l’homme aurait un rapport direct avec le Principe et son dérivé spirituel, le divin.
On remarque l’association de la triple acclamation à l’ouverture et à la fermeture des travaux en loge pour mieux marquer l’arrivée de la lumière en loge et en l’homme. Ce qui est acclamé c’est aussi l’arrivée de la lumière en loge et au milieu des hommes. La lumière illuminatrice ayant une dimension essentielle, alors l’acclamation qui se rattache à cette lumière reflète aussi une dimension essentielle.
Il est acquis que le travail en loge se situe hors du temps et dans un lieu sacré, celui de l’origine des temps où la lumière surgit des ténèbres. Nous sommes dans l’avènement du Verbe et du Logos qui ordonne. L’acclamation ne ferait que marquer cette présence initiale du verbe comme la naissance au plan humain d’un langage premier dans la proximité du divin.
L’humanisation serait liée à la communication verbale et non verbale sur un registre autre que les sens contingents. Le geste et la parole échangée fut-elle rudimentaire, de type onomatopée, signifient ensemble la reconnaissance de l’homme par l’homme et donc par voie de conséquence son appartenance a une communauté de vie et d’expériences initiatiques qui le distingue de l’animal. L’homme identifié au groupe entre dans son humanité en même temps qu’il découvre la transcendance et que l’idée divine s’élabore autour du foyer central. La Parole commune, identitaire est donc née autour du foyer qui scelle la destinée tribale. Cette parole en partage ne se limite pas au sens immédiat et utile, elle porterait en elle cet étonnement face à l’immensité de la voûte étoilée, son attirance pour le feu. La parole porte les noms et les nombres, la survie du groupe, mais aussi la légende de l’origine.
Le verbe en partage se ritualise s’ordonne et se hiérarchise à la veillée depuis les temps anciens . Autour du foyer central primitif, n’y a pas de verbe sans lumière. Lumière et verbalisation semblent liées dans l'émergence la conscience humaine, donc la parole a toujours une dimension essentielle qui relève du double mystère de la création et de la vie.
L’acclamation par sa nature rituelique « orientée » ne peut se réduire à un sens[3] restreint, car elle porte l’essence de la reconnaissance de l’homme par lui-même, point de départ de l’humanisation. L’acclamation se situerait aux prémices du langage de l’homme, celui des origines de sa conscience naissante, l’essence commune d’un ancien pré-langage. Rituellement conservé et agissant comme un mantra, ce pré-langage de l’origine deviendra para langage d’appartenance au même titre que le tablier ou la gestuelle d’un langage non verbal et initiatique.
c/ « orientation » de l’acclamation.
L’acclamation semble converger vers un centre invisible et pourtant commun à toute l’assemblée présente. Ce centre n’est pas un homme couronné et de droit divin comme au temps des rois, ce n’est donc pas vers cet orient horizontal de la lumière naissante[4] que doit aller l’acclamation, mais vers l’orient essentiel et céleste qui est l’axe reliant la loge au ciel[5]. On l’appelle Orient vertical ou Zénith. Cette convergence se fait au milieu du Hékal qui est le lieu où descend de l’étoile Polaire, le fil à plomb, le milieu du carré long du pavé mosaïque et du tableau de loge. L’origine et la diversité du vocabulaire du maçon en loge est résumée dans les éléments de langage (objets-symboles, instruments et outils) du tableau de loge du grade considéré. Ce tableau mis en commun constitue, en regard de la naissance du verbe, une véritable combinatoire du langage symbolique « éclairé » par trois lumières d’ordre. Cette combinatoire des éléments symboliques ici présents, permettant l’analogie « en partage » puis l’anagogie collective aboutissant à l’essence, qui scelle l’appartenance au groupe. L’acclamation centrée sur le tableau de loge scellerait le langage en essence qui aurait un rapport direct avec cet orient vertical et axial qui nous relie à l’immensité du ciel. Sans le groupe ou la tribu et donc sans la loge "formée" ce langage en essence serait sans fondement.
Il y aurait donc un triple aspect dans l’acclamation 1/ l’origine de la verbalisation, avec l'idée d'essence et de conscience, 2/ communication langagière d’appartenance à une même origine, 3/ la facilitation cognitive liée au geste qui vient renforcer l’essence du « Houzza »en indiquant un point de convergence en partage.
II/ Approche étymologique, historique et herméneutique.
Il nous semble que l’acclamation rituelle porte en elle une dimension qui dépasse les tentatives de traduction. Le parallèle qui peut être tenté se réfère à la langue hébraïque qui pour chacune des lettres attribue un nombre, un nom, et une image, les trois sens réunis constituant l’essence de la lettre. On nous dit[6] que HUZZA aurait un rapport avec l’élan vital collectivement partagé, car toute acclamation est une manifestation collective du souffle vital.
a/ La puissance de la vie
L’acclamation serait alors l’expression communautaire assortie d’une puissance évocatoire faisant référence à l’élan vital que nous avons en partage[7]. Cette fois ci le double Z de la transcription serait une césure dans le mot avec un suffixe ZE et une racine O’Z à rapprocher de ‘’Oza’’ signifiant ‘’force’’ et ‘’puissance’’, que l’on retrouvera dans la phonétique du mot BOOZ ou BOAZ[8] de la fameuse colonne qui veut dire au REP « persévérance dans le bien » ou « dans la force » et qui vient en réponse à JAKIN « ma force est en Dieu » ou « il établira ». L’idée de force, de puissance, et de persévérance dans le beau et le bien s’associent au plan humain et clanique comme l’élan vital en partage. Cet élan vital proviendrait du souffle divin.
b/ Le Sauveur
Alors cette acclamation serait un cri de l’âme individuelle propre à chacun, mais c'est aussi une croyance commune en la parole annonciatrice du « sauveur », fut-il Roi ou Roi en devenir. Ce Roi de la définition de 1750[9], incarne la dévolution divine de « l’élan vital » qui persiste dans la communauté des hommes quelque soit la fin individuelle et corporelle à venir. C’est ainsi que, partant au combat avant de rentrer dans la mêlée, les clans écossais invoquaient et appelaient leurs glorieux ancêtres à se joindre à eux dans la bataille. L’élan vital par ce cri de l’âme en partage, se faisant avec ceux qui étaient présents physiquement et les morts toujours présents « en esprit »[10].
On le retrouve exprimé en amont comme un cri d’appartenance, de liesse commune en ce jour des rameaux[11], lorsque Jésus pénètre en Jérusalem. C’est le Hochée dédoublé en Hosanna[12] qui incarne l’élan vital victorieux du « sauveur » ou du « messie ». Le Tuileur Delaunay de 1813 transforme le Uzza en Hochéa qui veut dire « Sauveur ».
c/ Le Roi
Dans le même sens, cet élan vital est signe d’appartenance commune à une même source : nous avons l’interprétation bien connue d’Albert Lantoine souvent cité par Robert Ambelain pour qui l’acclamation HUZZA par trois fois signifiait pour les Anglais « Vive le Roi » confirmant nos recherches dans le lexique de 1750 cité en introduction. Notons que le Roi est le sommet hiérarchique territorial humain, impliquant l’appartenance de ses "sujets" à un territoire. Sa couronne et son pouvoir sont de droit divin. L’acclamation au roi est donc une façon d’identifier l’appartenance de chacun à un groupe légitime et légal dans l’ordonnancement divin, garantissant a chacun sa dévolution vitale et son origine première, son récit commun. L’identification et l’individu n’existaient que reliés a un territoire et a son souverain. L’autonomie individuelle n’était que relative au groupe, à la caste, etc. Le Roi incarne la légende qui fonde « la vitalité » du groupe, l’histoire commune, les couleurs et marques d’appartenance. C’est encore l’aspect vital que nous retrouvons dans la traduction qui est faite dans le Vivat, Vivat Semper Vivat de certains rites et le rite français notamment.
d / La pratique Stuartiste.
Au bout du compte la pratique Stuartiste déclinera cette "appartenance commune" « acclamative » signifiée par l’élan vital du clan, en une "cause commune" de type « exclamatoire », puis une espérance commune de type « incantatoire ». Pour les Stuarts en exil, la polysémie de l’acclamation à pour centre de gravité la restauration du pouvoir légitime du roi sur son trône. Or nous sommes d’accord pour constater que le trône du roi se trouve au centre du palais. Le centre temporel issu d’un centre essentiel règne et gouverne sur l’ensemble des sujets soumis à son rayon (puissance) et qui se reconnaissent dans sa couronne. Un roi en exil a besoin de conforter sa légitimité par l’acclamation, le clan a besoin plus que jamais, de se raffermir avant le combat. Les Stuarts en exil vont entretenir l’esprit de corps propres aux loges régimentaires par l’acclamation. Il est bien connu que l’esprit de corps d’un groupe rejaillit sur l’état d’âme et l’état d’esprit de chacun ; l’acclamation joue un rôle majeur dans la cohésion du groupe. L’acclamation écossaise serait donc une technique ancestrale d’identification au groupe, portant dans une expression un condensé culturel et d'appartenance à un centre symbolique.
Tous les rituels du REP auront durablement une triple lecture ontologique, politique et chevaleresque. La voie initiatique reste l’école de la "connaissance" de soi, des origines, de la mémoire dans un cadre collectif. La Loge organise une représentation du réel et du contingent sur un plan symbolique. C'est cette représentation collective qui fait sens pour atteindre l'essence en partage par le symbole, c'est du moins l'hypothèse que nous voulons évaluer à travers notre approche de l'acclamation.
Nous y reviendrons dans une seconde partie.
(...)
Er.°. Rom.°.
[1] Les sept grades de la mère loge écossaise de Marseille, 1751. Ed Abatos-2008, préf Michel Iafelice.
[2] La parole est perdue si elle perd son essence sacrée. Une parole qui perd son essence ne relate plus l’origine de celle-ci, elle n’est que déformation et perte de reliance. La parole devient profane, elle est désacralisée, mais non dénuée de sens.
[3] Il nous semble que le sens qu’on veut bien lui trouver et que nous faisons l’effort de relater ne fait qu’amoindrir sa dimension essentielle, fondatrice et ontologique.
[4] Le midi plein de la conscience éclairée, ce qui indique "le sens" de "l’orientation" sur le plan.
[5] Le minuit plein de l’illumination intérieure qui révèlerait « l’essence » en vertu de l’axe et de l’étoile.
[6] Ceci résulte de nos transmissions.
[7] Cet élan vital en partage, est de même nature que la parcelle de lumière originelle que nous avons en nous.
[8] On remarquera que le O et le OA se confondent à nouveau dans la prononciation suivant les rites et les transcriptions dans les différents rituels. Il y a donc lieu dans ne pas s’arrêter au sens littéral de la transcription, mais de tenter de remonter à la source et de se rappeler qu’aucun mot sacré ou d’appartenance au sein de l’échelle initiatique de la franc-maçonnerie ne s’éloigne d’une dénomination du divin.
[9] Voir notre introduction.
[10] Nous retrouvons cet appel aux présents « en esprit » par l’invocation du nom de ceux qui sont passés à l’O.°. éternel, lors de la chaîne d’union.
[11] Il commémore deux événements : d'une part, l'entrée solennelle de Jésus à Jérusalem où il fut acclamé par une foule agitant des palmes et déposant des manteaux sur son passage, narrée par les quatre Évangiles ; d'autre part, la Passion du Christ et sa mort sur la croix. La foule en l’acclamant le reconnaissait comme « messie ».
[12] On remarque à nouveau la confusion potentielle du O et du A.