Le point, la règle et le Tout
« Le point est un cœur agissant. »
(ci-contre le point et sa manifestation dans un état donné )
Sa nature est indéfinissable. De ce que nous pouvons normalement appréhender, nous ne trouvons rien qui puisse se comparer à lui ; par analogie nous faisons habituellement un rapprochement avec le Un, l’unité. Tout comme l’unité fondatrice de la suite des nombres, le point n’existe à nos yeux que par ses développements et ses diverses manifestations qui dans un domaine géométrique nous donnent la droite puis le plan (par trois points) et enfin le volume (par trois axes). Toutes ces figures découlent de la duplication ordonnée du point.
La potentialité du point est totale, car par ses développements, il peut embrasser tout l’univers. Rien ne peut lui échapper. Il est à la fois le tout et le rien, l’alpha et l’oméga. Voilà donc que l’inexistence se confond avec la totalité. Le sujet est désarmant pour une rationalité constructiviste et c’est la raison pour laquelle il fut très tôt l’objet le plus convoité en métaphysique. Selon Euclide le point n’a pas de parties, c'est-à-dire qu’il n’entre en relation ni avec le temps, ni avec la matière. Sorti du temps et de l’espace, il échappe à l’usure, tout en symbolisant l’unité fondatrice du tout. Ce particularisme fait de lui le point fixe dans la mouvance, l’axis Mundi universel. Personne ne serait capable de le situer précisément. On sait seulement qu’on procède de lui et qu’on revient à lui. L’intuition nous amène à considérer sa présence en tout être et toutes choses. Son omniprésence et son invisibilité font de lui le plus habile magicien de la création.
On célèbre le point en loge en cultivant la part nécessaire de secret qui l’entoure. Comment parler de quelqu’un qu’on n’a jamais vu ? C’est l’allusion qui fonde son royaume. On le trouve au sommet de la pierre cubique à pointe, dissimulé derrière la lettre G, puisqu’il est le coeur pivot central du flamboiement de l’étoile. On le retrouve au cœur de la loge, au cœur de la croix tridimensionnelle formée par la question rituelle : quelle est la dimension de la loge ? La loge s’étend de l’Orient à l’Occident, du Septentrion au Midi, du Zénith au Nadir.
Ce fameux centre est donc virtuel, un non-lieu en quelque sorte. On peut tenter de le situer aux deux premiers grades, au milieu du pavé mosaïque, qui n’est autre que le monde d’ici bas. Il est le point de passage de l’axis Mundi. Le centre des centres vaut pour le centre du zénith, et le centre de la Terre. Par analogie le centre est au cœur[1] de chacun de nous.
La loge fait l’éloge du point sans jamais en parler. Il semblerait qu’il soit le secret le mieux gardé de la démarche initiatique. Le cosmogramme de la loge est un hymne au point. Quel objet aussi insaisissable et universel que le point peut unifier les maçons : Par son expression droite, il est la sagesse de la source divine, il est la force dans la volonté expressive de la manifestation et l’harmonie dans la beauté de son développement.
On lui doit tout, la ligne, le plan et le volume. Il offre la diversité par son rayonnement et l’unité par l’origine.
Le point agissant est donc le centre.
Le cercle et la droite
Le point est donc un centre sur lequel l’architecte applique la pointe du compas, défini un angle d’ouverture pour tracer un cercle expression de la manifestation du point central.
Le cercle ainsi tracé est une des expressions de la manifestation créatrice du centre, parmi d’autres. Ce centre omnipuissant est d’ordre divin. Au sens propre et au sens figuré, c’est le rayonnement du point qui produit la manifestation. Le cercle est un point central doté d’un rayon d’action. Le rayon d’un cercle n’est autre qu’une droite qui est avec un début et une fin (relative). Elle se gradue nécessairement par l’expression concrète non pas de ses limites (il n’y en a pas), mais de son étendue.
La contingence introduit la limite de perception. La vision totale est dégradée. Cela signifie que le cercle appartient à un milieu volontairement limité dans son action. La limite de son action est le fruit de la volonté de l’Architecte dans un univers considéré. L’architecte applique une ouverture d’angle, et donc d’esprit, à cette manifestation.
La manifestation du point, fait de celui-ci un centre qui rayonne dans une perspective circulaire. L’action du compas est libre autour du centre, elle peut être tridimensionnelle donnant naissance à la sphère.
Donnez-moi un point et un compas et je vous duplique l’Univers. Je ne ferais que le dupliquer, ce ne sera pas une création, car je m’appuierais sur un centre déjà créé.
La sphère et le cercle sont l’expression du centre et la droite en est le rayon. De cette constatation, nous déduisons que la "droite-rayon" s’assimile à la règle maçonnique. Elle est règle de construction de la sphère, car donne la mesure humaine de l’ouverture divine du compas. Elle est droiture de l’expression d’un monde conçu à un niveau supérieur.
Les trois termes sont ainsi réunis :
- Le point central, qui peut se voir attribuer la lettre G pour God, Gravitation, Géométrie, Génération.
- Un cercle ou sphère qui exprime l’univers microcosmique ou macrocosmique par une multitude de points périphériques qui sont des univers à l’identique du centre.
- Enfin le rayon qui anime l’intervalle.
La ternarité se décrit comme le « commencement » de la droite, « la fin » de sa perception et son « milieu ». C’est aussi le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou d’une manière exotérique : l’esprit divin, le corps de matière et l’âme ou souffle divin qui l’anime.
Nous en venons à l’idée divine qui sous-tend le centre absolu et ses manifestations : « Dieu est une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part » et inversement « Dieu est une sphère dont la circonférence est partout et le centre nulle part ».
Pour le franc-maçon sur le chemin, nous utiliserons le concept de lumière absolue en lieu et place du centre primordial.
La lumière absolue et son émanation
Elle se définit pour elle-même comme le point central et extérieurement à elle pour son rayonnement. Deux notions en découlent. La première centripète qui a le pouvoir d’être le tout en un point central, la seconde centrifuge se traduisant par la peau de la sphère, son émanation, qui est à l’image du point lui-même.
Le centre siège de la lumière est un point qui rayonne, occupant ainsi une volumétrie éclairée au milieu des ténèbres.
L’Homme sur son radeau flotte au bout d’un rayon de lumière. Il est créé à l’image de Dieu. Il est donc le 2 qui procède du UN. C’est la règle qui mesure la distance entre l’Homme et son créateur. Lorsque l’homme initié désire rejoindre sa source, il s’engage sur un chemin de lumière.
Ce chemin de lumière est un gravissement. C’est l’échelle de Jacob, et les échelons de celle-ci sont des grades d’accomplissement et de perfection, unités symboliques de la Connaissance.
Enfin le secret maçonnique de la règle graduée nous est révélé : la règle à 24 pouces dissimule une échelle !
Le propre d’une échelle est d’être gravie. L’ascension qu’entreprend l’initié permet de reconquérir la distance qui sépare l’Homme de son créateur. Ce voyage vers la lumière est celui du maître qui va de l’Occident vers l’Orient. L’Occident est un lieu périphérique, l’Orient est la source lumineuse radiante. L’inversion du sens de la marche du Maître, indique que cette lumière « solaire » devient « stellaire ». C’est un retournement de « point de vue » des petits mystères aux grands mystères[2].
Ses pas lui font passer la mort d’Hiram, en volant vers la lumière. Débarrassé des outils, du tracé linéaire, de la matière et de son corps en décomposition, il quitte la contingence solaire. Son âme portée par la parole sacrée tend vers l’étoile.
Ayant vue le visage de Dieu, il devra redescendre l’échelle et témoigner, en transmettant les pas à l’apprenti. Ainsi le cycle recommence.
Comment gravir cette échelle symbolique et en redescendre ?
On a vu précédemment que l’hexagramme est la figure associée à la règle à 24 pouces. Pour résumer, l’usage terrestre et compagnonnique de la règle infère le 4 terrestre qui divise les heures du jour et de la nuit. Chacune des quatre périodes est composée de six fractions horaires d’origines célestes. En référence céleste, donc appliqué sur le cercle, on doit retrouver notre référentiel associé. Pour diviser le cercle en 6 arcs, on divise la circonférence par le report du rayon. En six fois on fait le tour complet du cercle.
Cette manipulation permet de passer du domaine terrestre au domaine céleste et le compagnon doit être capable de le tracer pour accéder à la maîtrise.
Ainsi divisé, notre cercle produit l’hexagone qui révèle l’hexagramme.
Les deux triangles superposés indiquent un sens montant et un sens descendant recherché, soit l’expire du centre c'est-à-dire sa capacité à s’étendre et l’inspire, sa capacité à se résorber. On devine que c’est avec la figure du Sceau de Salomon et toutes ses implications, que le Maître pourra rejoindre son centre principiel et regagner sa périphérie. Pour ce faire il ne sera pas utile de passer par des grades dits supérieurs du moins au Rite Ecossais Primitif. S’agissant des autres rites, le simple triangle ou même le pentagramme microcosmique, représentés à l’Orient, ne peuvent suffire. Il faudra alors entamer un cycle supérieur afin de trouver une échelle montante et descendante...
Tout est dans la figure de la règle à 24 pouces et son report dans le Sceau de Salomon.
Le centre est notre totalité. Pour se réconcilier avec lui, quel que soit son nom, encore faut-il connaître le bon usage de l’outil. C’est ainsi que nous pourrons reconquérir l’espace qui nous en sépare.
(…)
Eric R\
[1] Le cœur en temps que centre corporel n’est en aucun cas l’organe cardiaque. Il s’agit du for intérieur, soit notre centralité psychique. Cette centralité psychique dépend de notre reliance à notre matrice maternelle au droit du cordon ombilical. Par conséquent le centre corporel ontologique est le nombril, point de passage de l’axis Mundi dans la figure du pentagramme humanisé.
[2] Nous expliquions les deux faces de la règle, graduée d’un côté et sans graduation de l’autre. Ces deux faces correspondent au point de vue contingent pour l’un et métaphysique pour l’autre.