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18 mars 2012 7 18 /03 /mars /2012 10:45

La Houppe dentelée et la chaîne d'union

 

Il y a au sein de notre temple maçonnique des signes, des symboles qui nous parlent intuitivement, qui ont un fort pouvoir évocateur. Et d’autres qui nous semblent plus hermétiques et pour lesquels un travail de recherche est indispensable pour obtenir un début de résonance, une amorce de réflexion.

 

C’est sur un de ces mystérieux symboles et sur le rite qui y est attaché qu’il m’a été donné de travailler : la houppe dentelée et la Chaîne d’Union. Je vais modestement vous présenter une synthèse de mes lectures et vous faire part de mes réflexions et impressions sur ce sujet.

Il s’agit de ma première planche aussi j’en appelle à votre indulgence, mais je sais par avance que vous en ferez preuve.

 

Qu’appelle-t-on houppe dentelée et chaîne d’union ?

 

La houppe dentelée désigne les extrémités effilochées de la corde qui ceint le temple. Mais par extension, le terme de houppe dentelée s’applique aussi à la totalité de la corde, si bien que l’on parle aussi de corde à nœuds ou de cordeau. Cette houppe est également représentée sur le Tableau de Loge des Apprentis.

On y associe naturellement le geste de la chaîne d’union qui « consiste à former un cercle, une chaîne en se donnant mutuellement les mains, ayant préalablement croisé les bras » Jules Boucher dans La Symbolique maçonnique p.336. Avant d’étudier plus en détail la symbolique de la houppe dentelée et de la Chaîne d’Union, il convient d’en rappeler les fondements historiques et opératifs.

 

Houppe dentelée et Chaîne d’union à travers les âges :

 

La corde à nœuds est à l’origine un outil de mesure très ancien dont on retrouve des traces en Égypte.

A cette époque des tendeurs de cordeaux professionnels se servaient d’une corde à treize nœuds dite aussi corde d’arpenteur pour tracer des angles droits en vue d’implanter un temple ou délimiter les champs rectangulaires que les crues du Nil avaient recouverts.

 

 images[7]

 

 

Ils mettaient ainsi en pratique un principe géométrique qui ne sera énoncé que des siècles plus tard par Pythagore : la somme des carrés des côtés d’un angle droit est égale au carré de son hypoténuse (pour un triangle rectangle de côtés 3, 4, 5, au carré nous avons 9+16= 25).

En dépit de l’évolution des techniques de mesure et de construction, les compagnons opératifs utilisaient eux aussi la corde nouée. Les apprentis qui ne savaient ni lire, ni écrire l’utilisaient à la manière d’une règle graduée pour prendre des mesures, en reporter d’autres, trouver des rapports de proportion… Ils s’en servaient également tout comme les Égyptiens pour définir des angles droits afin de tracer les fondations des édifices.

Ainsi la corde a nœuds, outil grossier, rudimentaire à l’usage des apprentis n’en demeurait pas moins fiable et juste. C’est donc tout naturellement que cet outil prit sa place au côté de l’équerre et du compas dans la Maçonnerie symbolique.

En entrant dans le temple la corde d’arpenteur s’est au passage agrémentée de nœuds en huit (au lieu de nœuds simples) appelés Lacs d’Amour.

Certains auteurs y ont vu une référence héraldique. Ainsi Jules Boucher dans La Symbolique maçonnique p.173 rappelle que « La cordelière de soie noire et blanche dont les veuves entourent leur écu est faite de lacs d’amour ; de même, les armoiries des cardinaux, des évêques et des abbés comportent  en dessous d’un chapeau, une cordelière formée de lacs d’amour et terminée par des houppes ».

D’autres évoquent le désir des premiers maçon de représenter au travers les lacs d’amour, le rite de la « chaîne d’union ».

 

Quelles sont les origines de cette chaîne si étroitement liée à la houppe dentelée ?

 

Le rite de la chaîne d’union remonte à des temps immémoriaux. Il semble qu’elle soit liée aux prémisses du compagnonnage dans les civilisations sumérienne, babylonienne ou égyptienne.

Elle va ensuite s’enraciner chez les compagnons constructeurs du moyen âge qui la pratiquait sous l’appellation de « Chaîne d’alliance ». Ces chaînes permettaient d’échanger au sein d’un même corps de métier (maçon, tailleur de pierre, charpentier…) les techniques et savoirs.

Les bâtisseurs disséminés dans toute l’Europe demeuraient ainsi en contact les uns avec les autres et se transmettaient, au gré de leurs rencontres et chantiers, leurs arts.

Ce qui explique que les monuments édifiés en Europe aient une certaine unité.

 

Ce rite s’est ensuite perpétué au sein des premières loges maçonniques spéculatives. Il semble que la première description maçonnique de la chaîne d’union apparaisse dans un manuscrit des archives d’Édimbourg en 1696. Elle est également évoquée en 1723 dans une chanson maçonnique imprimée à la fin des Constitutions d’Anderson.

 

Essayons maintenant de dégager les symbolismes de ces deux éléments.

 

 

Tentatives d’interprétation symbolique de la houppe dentelée et de la Chaîne d’Union

Une première interprétation symbolique nous est fournie par le Dictionnaire des Symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, la corde nouée « symbolise toute forme de lien et possède des vertus secrètes ou magiques » p.287. Attardons-nous dans un premier temps sur la structure même de la corde. La corde est composée d’un assemblage de brins en textile qui lui confère une grande robustesse. Par analogie on peut voir en ces brins la représentation de chacun d’entre nous, la corde étant la manifestation de la fraternité qui nous unit les uns aux autres. Par ailleurs on remarque que la structure de cet objet se confond avec sa principale fonction : la corde constituée de l’union d’une multitude de brins sert essentiellement à lier des éléments entre eux.

Ces filaments, ou maçons, sont non seulement unis entre eux de façon parfaitement solidaire, mais la force de leur cohésion permet de lier des éléments qui sont « au-delà d’eux ».

La corde à nœuds évoque également le déroulement de l’existence, les deux extrémités en figurant les deux moments clés : la naissance et la mort.

Cette corde n’est pas linéaire, les nœuds disposés à intervalles réguliers en compliquent le dessin et nous rappellent que notre vie est jalonnée par de nombreux obstacles.

La forme si particulière de ces nœuds : la corde décrit une courbe puis une seconde, vient se lover autour d’elle- même pour ensuite reprendre sa course . Elle semble nous indiquer que nous devons parfois emprunter des chemins sinueux, prendre du recul et s’appuyer sur les fondements de son passé pour mieux aller de l’avant et surmonter ces épreuves. Ce n’est qu’alors que la vie pourra reprendre son cours.

Intéressons-nous maintenant au positionnement dans le temple de cette corde à nœuds ou plutôt de ces cordes à nœuds.

La houppe dentelée est située en hauteur légèrement en dessous de la voute étoilée.

Elle court sur presque tous les murs du temple : au septentrion à l’orient et au Midi. Elle orne également l’occident, mais elle y demeure entrecoupée, ouverte. On peut y voir le signe d’une profonde ouverture au monde profane.

Les deux extrémités du cordeau, là où se forment les houppes, se trouvent derrière les colonnes Jakin et Boaz. Ainsi quand nous passons entre les colonnes du temple nous faisons le lien entre les deux extrémités de cette corde. Nous faisons alors partie intégrante de celle-ci et de tout ce qu’elle symbolise.

La houppe dentelée est également figurée sur le tapis de loge des apprentis. Le tableau de loge est lui-même situé sur le pavé mosaïque symbolisant la terre. Le regard du maçon pourra dans un mouvement ascendant aller de la terre vers le ciel sans perdre ce repère des yeux. Il semble dès lors que cette corde agisse comme un lien entre le matériel et le spirituel.

 Elle n’est plus là pour délimiter un espace (comme pouvait le faire l’outil opératif), mais pour nous servir de fil conducteur, de guide pour nous élever.

 

Étudions maintenant la forme si particulière de cette houppe dentelée et notamment les lacs d’amour qui la composent.

 

On peut dénombrer douze lacs d’amour (bien que certains auteurs évoquent des nombres différents). Ce nombre est d’une grande force symbolique :

Selon de nombreux auteurs, dont Oswald Wirth, le nombre de nœuds trouve une correspondance dans les douze signes du Zodiaque (Le Livre de l’Apprenti p 178). Il peut également faire référence aux douze heures symboliques de nos travaux (de midi à minuit), aux douze mois de l’année, aux douze arrêtes d’une pierre cubique…

Il s’agit également du résultat du produit de 3X4, soit le carré multiplié par le triangle. Le trois et le quatre que nous retrouvons aussi dans la proportion des branches de l’Équerre du Vénérable. Pour terminer sur ce point on peut citer Jean Chevalier et Alain Gheerbrant dans le « Dictionnaire des symboles », « le 12 symbolise l’univers dans son déroulement cyclique spatio-temporel ». Concernant les lacs d’amour, il est aisé de voir dans ces nœuds en huit le symbole mathématique de l’infini. Mais la succession de ces symboles n’a d’un point de vue purement mathématique que peu de sens. L’infini ne peut être précédé ni suivi d’un autre infini. Il ne peut donc s’agir d’une représentation de l’infini, mais plutôt, de « l’indéfini, de l’incommensurable ».

Notons encore que ces nœuds sont représentés desserrés. On peut de nouveau y voir le signe d’une profonde ouverture d’esprit, ouverture aux autres.

En revanche ils se resserrent lorsqu’on tire dessus ce qui nous renvoie au symbole de la fraternité et de la solidarité entre maçons, dans l’adversité les liens qui nous unissent se renforcent.

 

 

L’une des manifestations les plus fortes de cette fraternité se déroule à chaque fin de tenue, il s’agit de la Chaîne d’Union. Lorsque vient le temps de la fin des travaux chaque Maçon se lève, retire ses gants et fait cercle autour du tableau de loge. Alors chacun de nous croise les bras (le bras droit au dessus du bras gauche) devant lui pour serrer la main de son frère.

Ce geste est en soi très émouvant à vivre. Une observation plus fine nous en révèle toute sa beauté et sa grande force symbolique. A commencer par la manière dont est composée cette chaîne. Elle ne se fait pas simplement les bras le long du corps en tenant la main de son frère. Formée ainsi la chaîne manquerait de tenue, les liens entre frères en seraient lâches voire fragiles.

Composée bras croisés la chaîne acquiert une certaine solidité et rapproche les frères au plus prés les uns des autres. Le lien physique en devient plus important, il s’établit non seulement par les mains (dégantées pour l’occasion rappelons le), mais également par les épaules, les bras…

Nous prenons alors pleinement conscience de la profonde solidarité qui nous unit et du lien spirituel créé.

Pour autant cette union n’estompe en rien les individualités. La position des bras qui enserrent son propre corps permet aussi de se recentrer sur soi, de faire le tour de son être tout en étant relié à l’autre. Observons maintenant l’ordonnancement des bras. L’enlacement des bras rappelle évidemment les lacs d’amour de la houppe dentelée, mais ce n’est pas tout. Comme dit précédemment le bras droit est positionné au-dessus du bras gauche.

La main droite se place naturellement près du cœur. Elle est orientée paume vers le bas et évoque le don. La main gauche paume vers le ciel forme avec les doigts une coupe, prête à recevoir. Dans la chaîne d’union chaque Maçon, dans un même mouvement, donne et reçoit, il prend ce que son frère de droite lui offre et le transmet à son tour à son frère situé à gauche.

 

C’est une véritable circulation d’énergie qui est alors créée.

 

C’est dans ce moment si particulier que l’égrégore semble prendre toute sa dimension. Plantagenet, dans les « Causeries en Loge d’Apprenti » p. 85-86 écrit : « Cette chaîne symbolise l’universalité de l’Ordre et rappelle à chacun que tous les maçons quelle que soit leur Patrie ne forme qu’une seule famille de frères, répandus sur la surface de la Terre ». On pourrait ajouter que tous les maçons, quelle que soit leur époque ne forment qu’une seule famille de frères. Il est en effet très touchant de penser que des générations de maçons ont accompli ce rite, avec sans doute le même désir, la même intensité, la même émotion et la même chaleur. Cette chaîne nous relie tous, les présents et les absents ceux qui sont passés à l’Orient éternel et ceux qui viennent d’être initiés. Elle est donc sans fin.

Cette chaîne nous incite enfin, à poursuivre dans le monde profane, cet idéal de fraternité. C’est donc avec une grande émotion qu’à chaque tenue je me joins à vous pour composer cette Chaîne.

 

Chr\ Chi\

 

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