De la douleur à la souffrance initiatique
-Maîtrise de l’ego (1erDegré)
« L’homme est un apprenti, la douleur est son maître. Nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert » (Alfred de Musset – La nuit d’octobre)
La douleur n’est certes pas une fin en soi, mais il semble bien qu’elle fasse partie du parcours de l’homme dans la vie. La vie ressemble à un labyrinthe avec un début de parcours et une fin. À moins que la fin ne soit un début, il faut bien reconnaître à l’homme qui cherche depuis toujours la lumière, une forme d’endurance et d’opiniâtreté à vouloir lutter contre l’animal en lui.
De l’animal il a conservé la douleur, de son humanisation par les sens devenus sensations puis sentiments, il a découvert la souffrance.
Le franc-maçon connaît ce parcours labyrinthique par ses voyages : au contact des éléments, il a appris à redécouvrir ses sens /sensations/sentiments-émotions. S’il comprend fort bien la douleur, il s’interroge sur la nature réelle de la souffrance. Celle-ci n’aurait-elle pas un lien de cause à effet avec la perte, la privation, l’envie, l’insatisfaction, le désir inassouvi, etc.
Vaincre ses passions et faire des tombeaux pour les vices. Quelle est donc cette partie de nous même que nous cherchons à contenir ?
La souffrance est liée à la douleur c’est une évidence, comme l’âme est liée au corps. Mais il est aussi possible que la souffrance soit liée à la part insatisfaite de nous même en regard de ce que notre ego prétend nous faire paraître ou devenir. Se posera la question du rôle de l’ego mal contrôlé dans la naissance d’une souffrance qui nous éloigne de la liberté.
Nous vous invitons à découvrir cette approche de la douleur qui très vite aboutira à l’exploration de la souffrance et du rôle de l’ego.(E.°.R.°.)
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De la douleur
Dans la constitution d’un monde humain, c’est-à-dire un monde de signification et de valeurs accessibles à l’action de l’homme, la douleur est une donnée fondatrice. Elle est sans doute l’expérience la mieux partagée, avec celle de la mort.
Tout d’abord, il semble opportun de revoir quelques définitions de la douleur.
La douleur est la sensation ressentie par un organisme dont le système nerveux détecte un stimulus nociceptif. Habituellement, elle correspond à un signal d’alarme de l’organisme pour signifier une remise en cause, de son intégrité physique.
La douleur est une expérience sensorielle et psychologique déplaisante accompagnée de dommages réels ou potentiels. Elle peut être physique ou morale.
Impression de souffrance, état pénible produit par un mal physique mais aussi une peine de l’esprit ou du cœur.
Processus impliqué dans le traitement de l’information. La douleur correspondrait à la composante cognitive du processus de nociception tandis que la souffrance correspondrait à la composante affective.
Il en existe bien d’autres. Le mot douleur dans la langue française contient une ambiguïté sémantique. Il peut signifier non seulement un état physique, mais aussi un état psychologique. On lui reconnaît des synonymes comme : mal, affliction, calvaire, chagrin, déchirement, souffrance, peine, désespoir, désolation, tristesse, épreuve, misère, détresse, tourment (grand Larousse de la langue française).
Historique de la douleur
L’histoire de la douleur s’inscrit dans les grands courants de pensées rationalistes ou mystiques qui ont divisé les civilisations au cours des siècles. Au tout début, la médecine était imprégnée de pensée magique. La douleur était vue comme une malédiction, un être maléfique, un démon, un « djinn » qui s’emparait de notre corps et le détruisait. Cela pouvait également représenter une punition, un châtiment, une expiation.
Les premiers « soignants » étaient des sorciers, des magiciens, des guérisseurs de toutes sortes ou des prêtres qui servaient d’intermédiaires entre les malades et les puissances supérieures.
Puis vint le temps des philosophes médecins qui refusèrent d’associer la douleur à une quelconque intervention surnaturelle ou divine. Il faut donc l’étudier avec intelligence et raison.
Les philosophes grecs vont faire porter leurs efforts sur l’attitude mentale à adopter face à la douleur. L’homme devra donc rester stoïque. Pour les stoïciens, la douleur sera donc un mal que si celui qui l’éprouve la juge ainsi. L’homme doit se soumettre avec dignité à la douleur et de fait à la loi naturelle de la mort. Cicéron affirme le rôle de la volonté dans l’acceptation de la douleur : « Qu’y a-t-il qui vaille mieux pour éloigner la douleur que de comprendre qu’elle ne sert à rien et qu’il est vain de l’accueillir ».
Epictète prône l’entraînement du corps face à la douleur afin d’être indifférent aux sensations et aux instincts. Hippocrate affirme quand à lui que ni la magie, ni la philosophie, ni la religion n’ont leur place en médecine.
Cet ascétisme est cependant très loin des morales religieuses à venir.
La rédemption par la douleur
Au commencement de notre ère, le grand courant monothéiste influencera fortement l’approche, voire la définition de la douleur.
L’Ancien Testament, la Tora, est un récit plein de violences, et donc de fait, de douleurs.
Du péché originel, condamnant la femme à enfanter dans la douleur au Nouveau Testament et la crucifixion de Jésus se sacrifiant par amour pour effacer nos péchés, on retiendra que c’est Dieu qui envoie la douleur à l’homme pour l’éprouver ou le punir. Pour notre civilisation judéo-chrétienne, la douleur devient une fonction morale de signification ambivalente. Elle peut donc revêtir une forme salutaire permettant la rédemption de l’âme ou alors représenter un châtiment destiné à expier ses fautes. Cette notion de douleur rédemptrice restera bien ancrée dans les mentalités. Beaucoup l’accepteront et même s’en réjouiront, car elle donnera accès à la « vie éternelle ». S’infliger des douleurs pour plaire à Dieu tels les « flagellants » deviendra donc un nouveau phénomène. N’oublions pas le « cilice », un des principaux instruments des chrétiens des premiers siècles, tunique ou ceinture de crin, d’étoffe rude ou de métal portée sur la peau nue pour mortification. Le cilice est encore systématiquement porté par les membres de l’Opus Déï...
La douleur n’existe que de manière transitoire si elle aboutit au sacrifice. Pour de nombreuses religions, le sacrifice est une porte d’accès au divin. Elle est un préambule nécessaire pour un passage dans un ailleurs. C’est donc pas la douleur ni le passage qui sont initiatiques, mais ce qui se passe après.
Dans le sacrifice, on est heureux de se débarrasser de son corps enveloppe mortelle pour accéder au monde de l’esprit ou au paradis (Christ en croix, Saint-André en croix). La douleur est donc liée au corps et à sa disparition, à son souvenir. Ce n’est qu’un passage en regard de ce qu’il advient de l’âme et de l’esprit qui continuent leur chemin.
Le sentiment lié à la douleur est relatif à la perte de la vie ou à son amputation. Le samouraï, le kamikaze, les fous de Dieu du djihad sont dans cette mouvance. Le templier aussi ce qui explique son aveu pour mourir.
De la douleur rituélique
De nombreux autres exemples d’automutilations ou de douleurs auto-créées verront le jour.
Il faut également noter un grand nombre de pratiques « douloureuses » pratiquées par tradition religieuse ou pour marquer son appartenance à un groupe.
La plus connue est sans aucun doute la circoncision.
Des dessins rupestres datant du néolithique ainsi que des hiéroglyphes égyptiens décrivaient déjà la circoncision. Hérodote en attribue la paternité aux Égyptiens dès le Vème siècle av. J.-C. Elle représentait pour les pharaons un caractère initiatique.
La circoncision se justifie tour à tour par une prescription hygiénique, une renonciation symbolique au péché de chair, un rite de passage à l’âge adulte, un signe d’appartenance à une communauté religieuse.
L’on retrouve cette pratique dans le judaïsme, l’islam, certaines communautés chrétiennes ainsi que plusieurs religions animistes.
Dans le judaïsme, elle intervient au huitième jour du nouveau-né lors d’un rite fondateur, la « Brit milah » en présence de 10 hommes adultes.
Appelée « Khitan, Touhour ou Tahara » dans l’islam elle est pratiquée dès le 7ème jour et jusqu’à l’âge de 13 ans.
On la retrouve également chez les Coptes d’Égypte aux Philippines et en Afrique.
Elle est présente dans de nombreux pays d’Afrique noire, en Polynésie et dans la plupart des tribus aborigènes.
Très répandue au Canada et aux États-Unis, une récente étude américaine à récemment classé les pays en voie de développement selon le taux de circoncision des hommes !
Une autre pratique malheureusement encore très ou trop répandue pour des pseudo motifs d’ordre religieux se nomme excision. Une étude parue en 2013 nous donne des chiffres révélateurs. Cette étude pratiquée ces vingt dernières années sur des femmes et des fillettes âgées de 15 à 49 ans, montre certes un recul de cette pratique, mais les chiffres restent impressionnants : 98% en Somalie, 96% en Guinée, 93% à Djibouti, 91% en Égypte soit près de 140 millions de personnes concernées dont la plupart ont subi cette pratique avant l’âge de cinq ans.
La douleur est-elle nécessaire, voire utile ?
Une chose est sûre. La douleur est inévitable, qu’elle soit physique (maladie, accident….) ou psychique (perte d’un être cher, déception amoureuse, échecs…….) chacun de nous aura à composer avec elle.
Dans certains cas, la douleur reste un baromètre indispensable aux soignants pour pouvoir adapter des traitements afin de la soulager sans danger d’excès médicamenteux.
« Il y a des maux qui sont absolument nécessaires pour savoir ce qui se passe exactement….On est plus capable de comprendre qu’il y a des souffrances utiles. On est des hêtres humains, on n’est pas encore des clones ….» La douleur a une utilité et « en insensibilisant la souffrance, on insensibilise le jeu des sens, on suspende le rapport au monde » (Le Breton, 1995).
Cette citation du professeur David Lebreton * se vérifie tout particulièrement dans le cas d’une femme sur le point d’accoucher.
Sous péridurale, le problème réside dans le fait que la femme ne ressent plus suffisamment les signes de son corps pour faire correspondre les poussées à bon escient. Il faudrait donc mieux doser les antalgiques de façon à rendre cette douleur plus acceptable sans pour autant totalement la faire disparaître.
La douleur est également un garde fou nous empêchant de nous exposer à certaines situations, car nous savons que nous aurons à payer en souffrance le prix de nos actions.
Dans certains cas également, la souffrance psychique se révèle tellement intense qu’elle débouche sur des douleurs physiques. Ici la souffrance créerait la douleur. Nous aurions ainsi une douleur suscitée par quelques mécanismes biochimiques ou psychologiques inconnus.
Citons le cas d’une pathologie qui prête à controverse dans le milieu médical, la fibromyalgie.
Après avoir été considérée comme un syndrome, cette maladie caractérisée par un état douloureux musculaire chronique (myalgies diffuses) étendu ou localisé à des régions du corps diverses se manifeste notamment par une allodynie tactile et une asthénie (fatigue) persistante et pouvant devenir invalidante.
Une moyenne mondiale de 2 à 10 % (selon les pays) de la population des « pays industrialisés » est touchée par cette maladie (2 % de la population américaine avec une prédominance féminine nette).
En France un rapport gouvernemental de 2007 donne une prévalence française estimée à 3,4 % chez la femme et à 0,5 % chez l’homme. Il y a enfin, en dehors de tout contexte médical, la douleur acceptée pour sa valeur initiatique.
La douleur initiatique
Toute initiation passe par un certain nombre de rites et d’épreuves qui rendent effective la dichotomie Douleur/Souffrance.
Ceux-ci se déclinent en enseignements, cérémonies et épreuves. De nombreux rites qui seront dans la grande majorité des cas des rites de passage imposeront aux impétrants des épreuves douloureuses.
Présente dans les rites initiatiques de nombreuses sociétés traditionnelles, cette douleur est une mémoire d’autant plus chevillée dans la chair qu’une marque désormais bien visible signe l’apparence physique de l’initié. Subincision, limage ou arrachage des dents, amputation d’un doigt ou d’un membre, scarifications, excoriations, brûlures, tatouages, etc. sont autant de pratiques douloureuses qui laisseront des traces indélébiles sur les corps, mais aussi dans les esprits. L’épreuve marque et « transforme » littéralement l’être. À la modification extérieure de l’apparence correspondent un prise de conscience et une métamorphose du regard.
Cette douleur est l’encre de la loi commune écrite directement sur le corps de l’initié. Elle atteste la mutation ontologique de ce dernier, le passage par exemple d’un univers social à un autre. Elle bouleverse d’un trait l’ancien rapport au monde et la trace corporelle avec la douleur qui l’enracine signifiera la gravité de l’engagement.
La douleur devient alors source d’honneur. En surmontant la part physique et sa conséquence psychique appelée souffrance, le nouvel initié démontra son courage, sa virilité et la force de son engagement. Mais il restera toujours un enseignement discret dans toute épreuve vécue.
Pour être vrai, il faut avoir subi une épreuve initiatique
Comment ne pas parler de ces rites de passage plus communément connus sous les termes de « bizutage, bachotage (ou bahutage), usinage » ou autres.
Que se soit dans les armées, dans certaines administrations, dans des corporations ou dans les grandes écoles, ces rituels ont pour but de faire adhérer le futur initié à des valeurs communes à cette catégorie de personnels. Cela va les conforter dans ce sentiment d’appartenance à une collectivité. Après une période d’apprentissage, de tests et d’évaluation, ils sont prêts à franchir le pas et passent donc de l’état « d’apprenti » à celui d’initié.
Il va de soi que certaines pratiques dégradantes ainsi que des traitements sexistes ou cruels doivent être bannis de ces rituels. Malgré que la loi interdise ce type de rituel, il est évident qu’un grand nombre subsiste après avoir fait cependant l’objet de modifications tendant à les rendre plus acceptables.
À la différence d’un bizutage subit et exagéré qui humilie et avilie la confiance en soi, un rite de passage bien ordonné et bien compris ne sera plus une épreuve douloureuse pour le candidat. Au contraire cette épreuve renforcera son identité et l’ancrera dans sa culture. Elle lui donnera un sentiment de fierté d’appartenance au groupe et lui offrira la reconnaissance du groupe. Elle viendra enrichir son estime de soi. Mais ici on perçoit que le rite de passage strictement social ne débouche que sur la reconnaissance des autres où l’ego reste dominant. Ce n’est pas une véritable initiation lumineuse, c’est un passage sociétal.
De l’initiation
Selon Mircea Eliade, historien des religions.
On comprend généralement par initiation un ensemble de rites et d’enseignements oraux, qui poursuit la modification radicale du statut religieux et/ou social du sujet à initier. Au-delà de ce but général, il est possible d’identifier des fonctions plus spécifiques. On peut ainsi distinguer trois types d’initiations traditionnelles : les initiations tribales (ou de puberté) qui permettent le passage de l’enfance à l’âge adulte ; les initiations religieuses qui ouvrent l’accès à des sociétés secrètes ou à des confréries fermées ; les initiations magiques qui font abandonner la condition humaine pour accéder à la possession de pouvoirs surnaturels. Bien que toutes appartiennent à la catégorie générale des rites de passage, on doit éviter de les confondre avec n’importe lequel de ces rites.
En effet, l’initiation présente la spécificité de rendre possible un double passage : il s’agit d’une part de faire passer le néophyte de la vie infantile à la société des hommes, et, d’autre part, de le faire passer de la vie profane à la vie sacrée. Alors que la première transition peut être l’objet des rites de passage, la seconde est propre à l’initiation, donc on peut dire qu’elle est plus qu’un rite de passage. Plus qu’un changement de statut social, elle représente en effet une nouvelle naissance par le passage à une ontologie transcendante.
Encore faut-il comprendre cette transcendance de façon assez large puisque l’initiation est un acte qui n’engage pas seulement la vie religieuse de l’individu, dans le sens moderne du terme « religion » - il engage sa vie totale.
Il me paraît intéressant de dire quelques mots sur une initiation ritualiste très explicite : la danse de soleil.
Ce rituel (de type chamanique) est pratiqué par plusieurs tribus indiennes d’Amérique du Nord et dans certaines traditions mexicaines. Il représente un moment très important dans le parcours initiatique des chamanes.
Chaque participant se présente devant « l’homme médecine » qui lui pince une partie de la peau de sa poitrine, lui pratique une incision de façon à pouvoir lui glisser une baguette en bois ou en os qui sera reliée à l’aide d’une lanière en cuir à un mât.
Le participant doit ensuite se libérer en tirant sur cette lanière en courant vers le poteau puis se jetant en arrière avec « la rapidité d’un cheval de guerre et la férocité d’un lion » dans une tentative d’arracher les broches de sa chaire.
Ces lanières représentent les rayons de lumière émanant du Grand Esprit. Le mât est le grand esprit, ce que nous interpréterons de manière initiatique comme « l’axis mundi » qui relie le haut et le bas.
Simplement, l’initiation chamanique reste dans un ordre inférieur et touche uniquement aux moyens d’action sur les êtres et les choses (magie cérémonielle) et aux communications avec un ailleurs fait d’esprits et d’ancêtres intercesseurs.
L’initiation chamanique et l’initiation maçonnique ne sont pas de même nature.
La démarche chamanique repose sur une communication interprétative avec la grande nature, d’un certain point de vue sa technique est proche du Mage… Ce n’est pas ici la préoccupation de la franc-maçonnerie qui s’occupe des progrès de l’humanisation de l’homme et de la découverte de l’unité principielle pour certains ou de la recherche de la vérité pour d’autres.
Les deux lanières sont la droite et la gauche en toutes choses et particulièrement dans le chemin horizontal de tout homme, doit-il aller à droite ou à gauche ?
La libération des deux lanières fait que l’homme échappe au choix binaire pour être homme libre sur le chemin. L’homme n’est plus la marionnette suspendue au bon vouloir des esprits et démons.
En général, en deux ou trois heures, le participant parvient à se libérer, mais il existe de nombreux cas où il est nécessaire de doubler, et même de tripler ce temps.
Comment doit-on appeler dans ce cas précis les ressentis de cet «exercice » ? Douleur, car physique ou souffrance, car il n’est pas impossible que cela soit accompli en état de transe ?
En tout état de cause, ces douleurs ou souffrances sont assumées comme des épreuves indispensables à la transformation mystique qui n’est pas obligatoirement initiatique.
Les autorités américaines interdirent la Danse du Soleil et autres rites tribaux en 1881. La pratique continua cependant dans la clandestinité jusqu’en 1934, date à laquelle l’interdiction fut levée par « l’Indien Reorganization Act ».
Nous en venons à considérer que l’animation des sens par les épreuves de types initiatiques animent les sens et donc les sensations dans un sens remontant jusqu’au cerveau. Un état d’épreuve corporelle produisant la douleur physique crée un état d’âme et un état d’esprit. À partir d’un simple état d’âme naît la souffrance psychique qui dans le sens descendant se transforme en une douleur physique.
Il s’agit maintenant d’étudier le sens descendant de la souffrance, de l’âme à la douleur physique.
Approche Maçonnique du sujet
Avons-nous, nous francs-maçons soufferts, avons-nous aussi ressenti des douleurs, des souffrances, et aujourd’hui, souffrons-nous encore ?
Pour répondre dans un ordre chronologique, il nous faut tout d’abord nous replonger dans notre cérémonie d’initiation.
Nous avons été introduits les yeux bandés dans une petite pièce, puis notre accompagnant, après avoir fermé la porte nous a autorisés à enlever ce bandeau Il faut garder en mémoire que le but de l’initiation par l’épreuve est de plonger l’impétrant dans un certain état corporel, puis dans un état d’âme et pour finir dans un état d’esprit. C’est la perception de ces trois états qui donne à l’homme la conscience de son unité en rapport d’une totalité.
Souvenons-nous, comme nous étions seuls dans ce cabinet noir éclairé par une faible lumière.
Souvenons-nous également de ce crâne, ces ossements, ce morceau de pain, ce sel, ce mercure et ce « V.I.T.R.I.O.L. ».
Cela nous effrayait quelque peut, mais ce n’était pas fini ! Le but sous-jacent de cet effraiement était d’affecter la partie secrète qui motive nos agissements et nos comportements. Cette partie secrète de nous-mêmes est appelée « l’ego ». L’homme est prisonnier de son ego comme le guerrier de ses deux lanières qui font de lui une marionnette. Dans le cabinet de réflexion, nous devons piéger notre ego, le rendre secondaire et servile à notre volonté, pour enfin trouver notre liberté. C’est ici le tombeau de nos vices et de notre prétention à paraître.
Plusieurs fois, cette voie devant la porte nous invective, nous parle de ces objets qui doivent « nous suggérer des réflexions sérieuses sur le néant des choses d’ici bas ».
Elle nous parle de résolutions, de penchants (égotiques), d’Ordre, de ténèbres et pour finir elle nous annonce « Monsieur, on vient vous chercher pour vous faire subir de violentes épreuves, physiques et morales. Êtes-vous encore disposé à les subir ? » (C’est ici que l’ego devrait vouloir fuir l’épreuve, mais un sentiment intuitif nous pousse à vouloir nous libérer de nos liens et déterminismes égotiques).
Prenant notre courage (libératoire) à deux mains nous répondons que oui et la cérémonie continue.
Après avoir juré de garder le silence, s’être rebandé les yeux, notre accompagnant va nous faire enlever nos emblèmes égotiques ; montre, gourmette, chaîne, mais aussi notre veste, fait enlever un bras de la chemise, relever une jambe du pantalon, ébouriffer les cheveux, et même chausser je ne sais quelle pantoufle ! Notre ego est mis en situation de défaite et de résorption laissant la place au « je » dégagé du « je suis ».
Puis viendront les questionnements, les trois voyages, l’eau, l’air et le feu, une pointe d’acier sur le cœur.
Le serment ensuite, à genoux la main sur le Livre, la pointe d’un compas sur la mamelle gauche suivi des trois coups de maillet sur l’œil du compas.
Cette pointe transpercera la carapace de l’ego pour inonder notre cœur de lumière, c’est la sortie de la caverne socratique.
Et c’est seulement à ce moment que le Vénérable nous donnera la Lumière libératrice du « Je » et qu’enfin notre appréhension va laisser place à notre renaissance à une nouvelle vie. « Je suis » est mort ou maîtrisé, que vive le « Je »libre !
Bien évidemment nous n’avons pas, à proprement parler, souffert de cette cérémonie. Peut être pouvons nous reconnaître que certes nous avons été déboussolés, que nous avons perdu nos repères, peut être même que nous avons eu peur, mais c’est suite à cette initiation que nous allons comprendre que pourtant nous sommes des souffrants. C’est la part parasitaire et égotique du « je » qui fut impacté.
Nous sommes des souffrants
Nous sommes des souffrants, car il nous faut maintenant faire table rase de ce que nous ou plus précisément notre égo, pensions juste. Il va nous falloir faire sacrifice de notre amour-propre (ego), de nos préjugés (ego), de nos quêtes individuelles des choses matérielles au détriment de l’autre (ego). Il va falloir œuvrer sans fin afin de trouver la vraie Lumière sans se décourager par les obstacles (mis en place par notre ego), car, si l’homme a perdu la Lumière par l’abus de sa liberté (égotique), il peut la recouvrer par une volonté ferme et inébranlable dans la pratique du bien (sans ego). Il faudra pour cela réprimer nos passions et réfréner nos désirs (qui dans les deux cas sont égotiques). Il va nous falloir unir l’esprit, l’âme et le corps pour être à la hauteur de toute chose et ainsi espérer parvenir à la Lumière du vrai Orient, car, jusqu'à présent, notre ego nous voilait la vraie lumière.
On peut donc dire que la Franc-maçonnerie, et ce, quel que soit l’obédience ou le rite, est une certaine forme d’antalgique aux turpitudes de la vie moderne (l’initiation par l’épreuve permet d’endormir les puissances de l’ego). La vie maçonnique correspond à mon sens, à une certaine forme de thérapie plus que jamais nécessaire aux hommes minés par la douleur de vivre, la peur de vivre, du lendemain , de la maladie, de l’angoisse, de cette peur existentielle, de cette « longue maladie » comme le disait Platon.
Notre quête initiatique va nous permettre de s’affranchir des passions en suivant un cheminement intérieur même s’il est semé d’embûches. En « visitant l’intérieur de la terre » et en pratiquant le rituel, nous allons nous ouvrir à la Lumière de l’ici-maintenant, dégagée de la gangue égotique. Suivre le rituel va nous permettre d’en comprendre les symboles qui vont nous parler directement au cœur sans intermédiaire parasite et favoriser le silence intérieur.
La mort initiatique et bien sûr la renaissance qui en découle, nous permet de dépasser notre « petit moi » et c’est notre travail intérieur qui nous permettra de réaliser l’interdépendance de tous les phénomènes et ainsi donc de nous unir à tous les êtres et à tout l’univers.
C’est tout le travail accompli pour équarrir cette pierre brute qui transformera ce monde de souffrance en un asile de paix, de bonheur et de fraternité, grâce à la culture de l’amour et de la connaissance, représentées par les deux colonnes du Temple. L’épreuve la douleur et la souffrance vont exiler l’ego dans un rôle subalterne. Le maçon sait désormais que l’ego existe et qu’il doit le contenir, car il ne pourra jamais le faire disparaître. Au final c’est un maçon libre qui persévère dans sa marche vers l’Orient et c’est son ego qui souffre de ne plus être aux commandes.
Véritable science de l’esprit, la Franc-maçonnerie, universelle, n’impose aucune conversion et respecte toutes les croyances. En s’appuyant sur la tradition, la transmission, la connaissance de soi, l’initiation et la recherche dans la vérité dans une approche non dogmatique, elle n’a pour but que la perfectibilité et la liberté de l’homme.
On pourrait faire un parallèle avec le Bouddhisme, car de nombreux points communs les rapprochent. Si le Bouddhisme dit qu’intérieurement l’homme a la nature de Bouddha et qu’il peut la réaliser en la débarrassant de ses différents voiles (égotiques) et ainsi se libérer progressivement de l’illusion (égotique), la Franc-maçonnerie fait référence à la pierre brute qu’il convient de tailler, de dégrossir, de travailler afin de la rendre cubique ou parfaite. Cependant, cette perfection n’est pas celle du « je suis », mais celle du « Je »
Une chose est sûre, cette quête de la Lumière nous permet de soigner cette maladie de l’ignorance pour trouver la réponse à la question de Socrate « Connais-toi toi-même ».
Encore faut-il admettre qu’être Maçon en Loge, c’est aussi l’être en son Temple intérieur et dans tous les actes de la vie quotidienne. La métamorphose de la substance purifiée est révélatrice de l’essence...
Luc Seb.°. R.°.L.°. "Ecossais de la sainte Beaume"
Sources : *Wikipédia Wiktionary – David Lebreton Anthropologie de la douleur, Paris, Métailié, 1995 – De la violence II, F. Héritier, éditions Odile JACOB, 1999 – Halshs-00119421, version 1, 9 dec2006 – Configurations relationnelles de la douleur, Michel Houseman CNRS – Fabrice Hervieu-Wane, une boussole pour la vie, les nouveaux rites de passage, Albin Michel 2005 – Mistral soignant n°22 – François Saint Pierre, chef de projet à l’agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la Santé – hemato-icl.fr – psychobiologie.ouvaton.org –
* David Le Breton (né le 26 octobre 1953) est professeur à l'Université de Strasbourg, membre de l'Institut universitaire de France et chercheur au laboratoire Cultures et Sociétés en Europe. Anthropologue et sociologue français, il est spécialiste des représentations et des mises en jeu du corps humain qu'il a notamment étudiées en analysant les conduites à risque.
*A noter l’excellent passage sur la question de l’ego en franc-maçonnerie dans « L’arbre séphirotique maçonnique » par Rabi Zied Odnil éd Shekinah (ER°).