RASSEMBLER CE QUI EST ÉPARS
(...) Le but de chaque F.°. au Rite Ecossais Primitif est de se perfectionner spirituellement dans la droiture morale en utilisant la méthode offerte par la FM, à savoir l’apprentissage et l’utilisation d’outils symboliques empruntés à la maçonnerie opérative.
Par son initiation, l’étude des symboles et des textes des anciennes traditions au sein de l’espace sacré qu’est la loge le tout exalté par le rituel, le profane devenu franc-maçon, s’initie en travaillant sur ce merveilleux chantier qui est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de lui-même. Sur ce long chemin de travail et d’apprentissage (le maçon reste un éternel apprenti dans la voie de l’initiation), chaque FF devra, afin de ne pas se trouver dans une impasse horizontale, voir au-delà des apparences et cultiver la faculté de double vue. Grâce au changement opéré au sein de sa conscience par l’étude des symboles, il sera à même de concilier les contraires et surtout de rassembler ce qui est épars afin de remonter vers sa vérité principielle. Bien sûr, pour nos FF et SS qui ont choisi une voie humaniste, le chemin sera différent, mais le but non moins louable: faire progresser l’humanité au plan sociétal.
Quoiqu’il en soit, les démarches spirituelles et humanistes se compléteront merveilleusement dans un grand rassemblement unitaire d’une véritable franc-maçonnerie Universelle, celle qui poursuit un seul but : unir le principe et l’Homme dans un grand mouvement pour faire progresser l’humanisation de l’Homme. Or nous savons que l’humanisation repose sur l’analogie symbolique et l’harmonie sociétale.
Mais avant d’en arriver à ce grand dessin symbolique et humaniste, il convient de revenir aux voyages de l’apprenti. Ce dernier est mobilisé par l’assemblage ritualisé des éléments qui le constituent : la terre, l’air l’eau et le feu. Il s’agira de prendre conscience par ses sens sollicités ou obérés de l’existence constitutionnelle du corps. Le corps sera le premier lieu du rassemblement de l’épar pour l’apprenti entrant faisant suite à l’état profane, disloqué et dissous dans le cabinet de réflexion.
Ainsi, pour rassembler ce qui est épars, chaque FF devra lui-même être réassemblé en un être spirituel apte à entamer le chemin de lumière. Nous décrirons donc les différentes étapes de ce réassemblage en étudiant le processus alchimique de décomposition-recomposition lors de l’initiation d’un profane, processus faisant partie des multiples méthodes de transformation de l’être qui ont façonné la Franc Maçonnerie. Enfin, nous nous interrogerons après ce premier travail sur ce qu'il reste à rassembler : si des éléments sont épars, c’est qu’ils étaient constitutifs à l’origine d’une unité qui s’est fragmentée.
La recomposition de l’être au sein de la loge, véritable matrice initiatique et athanor philosophique
Comme je l’ai dit précédemment, chaque profane est un être ontologiquement désassemblé, fragmenté. De sa source primitive, de cet être primordial, il n’en conserve rien si ce n’est pour les plus chanceux une faible trace imprimée dans leur subconscient. Couvert d’une multitude de bas instincts liés le plus souvent à la nécessité de survie de l’espèce ou encore d’ego surdimensionné et de vices liés à la compétition en société, le profane erre dans les ténèbres, prisonnier de lui-même. Il s’est non seulement sédimenté de couches successives d’impuretés, mais il s’est en plus, avec l’avènement du monde moderne, coupé de sa spiritualité et de la nature envers qui il est devenu hostile, polluant et saccageant les ressources naturelles, dont il a pourtant tant besoin, tout ceci sur l’autel du profit et de l’amas de richesses ; d’un être, il est devenu avoir.
Le profane, qui a gardé en lui quelque part l’intuition de ce qui a été perdu, s’interrogera sur le sens de sa vie et désirera plus ou moins consciemment la lumière. Alors, devenu cherchant et impétrant, il pourra par son initiation rassembler ce qui est épars en lui afin de, dès qu’il aura reçu la lumière, devenir ce pèlerin, cherchant et travailleur infatigable sur la voie de la vérité.
Lors de son initiation, le profane va mourir symboliquement, non pour naître, mais pour renaître à la condition de franc-maçon ayant vocation à l’initiation. Cette initiation va se faire en deux parties :
Premièrement dans le cabinet de réflexion, il va vivre sa première épreuve initiatique celle de la terre, materia prima de tout ce qui vit et de tout ce qui est. Selon notre grand maître ERI :.ROM :., « le cabinet examine les éléments constitutifs de l’être dans l’oubli testamentaire du vieil homme » « Le cabinet de réflexion est donc le terreau, le substrat obscur de l’Arbre ».
Tel celui qui tourne le dos à la lumière dans la caverne socratique, il va descendre dans les tréfonds de lui-même à la recherche de sa propre essence, faire le tri de ce qui est de « l’être » et de « l’avoir » aidé en cela par les différents symboles (et principes) présents comme le Sel, le Soufre et le Mercure. C’est donc la phase de décomposition, de désassemblage dans la souffrance et l’isolement. Il va ainsi sortir de la caverne ni nu ni vêtu, mais dépourvu de tous les éléments métalliques et est ainsi débarrassé de ses attributs profanes : « soit libéré de l’ego profane ».
Il est désormais prêt à être « réassemblé » (ou réordonné). Toujours désireux de recevoir la lumière, il va frapper à la porte du temple par Trois Grands Coups.
Ainsi va commencer la seconde phase du processus d’initiation, la recomposition des éléments constitutifs de l’être avec les voyages de l’eau, de l’air et du feu. Cette recomposition se fera donc dans l’assemblage des contraires que seule la loge, véritable athanor, peut opérer. Par l’eau il va connaître une purification de l’âme et du corps, par l’air il va être mis en relation avec « l’esprit » et par le feu il va fusionner avec le TOUT. Bien sûr, pour nos FF et SS qui ont emprunté une voie moins spirituelle que le rite écossais primitif, on pourra y voir la resynchronisation de l’homme avec la « grande nature élémentaire ».
Comme je l’ai déjà évoqué déjà lors d’un précédent travail, le profane est comme le germe de blé : il va avoir besoin du bon dosage de terre, d’eau et de feu pour se développer sur le lit de la décomposition du précédent épi de blé : c’est là un des principes cycliques, régénérateurs et ordonnateurs inclus dans la transmission initiatique.
Ainsi débarrassé de ses vils métaux, mort à sa condition de profane égotique et remis en ordre, devenu un être spirituel (ou du moins spiritualisable), il va, comme le germe de blé, recevoir le dernier élément nécessaire à sa sortie de terre et primordial quant à son élévation axiale : la lumière.
Nouvel initié et donc nouvel apprenti, il va maintenant s’inscrire dans le Grand Œuvre rejoué en loge, en étant plongé dans le silenceet l’écoute active jusqu’à la prochaine étape graduelle, son passage au grade de compagnon. S’il a accédé à son étincelle spirituelle, cette dernière est une pâle lueur bien fragile ; seuls le travail sur lui-même, le partage des travaux en miroir avec ses frères feront qu’il progressera ou pas sur la voie initiatique. Car s’il est initié, encore faut-il qu’il travaille encore et encore comme l’ouvrier opératif devait le faire pour acquérir un savoir-faire et accéder à la maîtrise de son art. Mais dans notre voie spirituelle et spéculative, il s’agira d’accéder à un « savoir-faire », celui du réfléchir et de l’agir en franc-maçon « libre » qui aboutira naturellement par la connaissance lumineuse de soi et de ses Frères à un « un savoir-être ». Comme chez nos cousins opératifs le « savoir-faire élémentaire» ici ritualisé aboutira à « un savoir-être ». Autrement dit nous passerons d’un état corporel recomposé et réordonné, à un état d’âme puis plus tard à un état d’esprit. Ces trois états « rassemblés » dans un individu conscient feront l’initié. Néanmoins le maçon doit dans son parcours se départir ou à tout le moins dompter son ego. Cet ego parasite la progression dans l’éveil et va fausser la perception du chemin. Dans cette volonté de recomposition, il faudra être conscient de ce parasitage de l’ego de sorte que le savoir-être ne soit pas un détournement ou un simple paraître.
Mais même si cette étape de décomposition/recomposition de l’être à travers le processus initiatique est primordiale dans la vie spirituelle du maçon, elle ne saurait suffire pour que ce dernier puisse aller jusqu’au bout du chemin. En effet, tout un travail reste à accomplir et le but de l’élévation spirituelle est encore de rassembler nombre d’éléments qui restent épars.
Rassembler ce qui est épars ou du ternaire à l’unité
Dans les trois premiers degrés, nous travaillons et spéculons autour d’une spiritualité « construite » de type monumentale. Il s’agit d’un Temple considéré comme un idéal d’union qualifié de « tri unitaire », entre l’homme, la dimension principielle et la création.
La loge est la représentation du temple de Salomon qui a été détruit et qui est à reconstruire. Chaque FF travaille sur lui-même et représente une pierre brute à tailler. Il doit arriver, à terme, à dégager la pierre philosophale, à extraire l’esprit de la matière, donc par le biais de son travail à changer le vil métal en or. Rassembler ce qui est épars c’est reconstruire le temple dont chaque FF est une pierre taillée qui doit s’inscrire dans un TOUT cohérent afin de redonner du sens à l’édifice ! Rassembler ce qui est épars, c’est encore faire en sorte que les hommes qui, à l’image d’Adam, ont chuté dans l’avoir et le paraître, puissent réintégrer le TOUT. Le monde des apparences, des contraires binaires qui mènent à une impasse existentielle, chaque FF va devoir passer au ternaire, la troisième voie, celle de la sagesse miroir de l’unité.
Ainsi l’initié ne tombera pas dans le piège du pavé mosaïque, véritable labyrinthe, mais au contraire sera à même d’y déceler une troisième voie en rendant complémentaires les oppositions.
Car tel est le but du chemin initiatique: ce n’est pas une fuite en avant, mais justement un retour vers l’unité primordiale, cette vérité perdue.
Ce qui est vrai au plan initiatique l’est également au plan humain et sociétal. Ainsi l’ensemble des êtres humains seraient issus d’une souche commune se situant en Afrique. Les races et les civilisations seraient le résultat d’adaptations particulières de groupes humains en fonction de l’environnement où ils se sont installés; les guerres ethniques et de civilisations, les préjugés sur la couleur de peau font alors que l’humanité est morcelée. Ainsi là encore, les maçons ont bien compris qu’il fallait concilier tous ces éléments épars et œuvrent pour l’unité de l’humanité.
Sur un plan plus spirituel et social, faut-il souligner que, les Constitutions d’Anderson qui ont été rédigées en pleins affrontements d’ordre religieux et de lutte de classes, il est précisé que la FM est destinée à rassembler ceux qui sans elle ne se seraient jamais rencontrés. Effectivement, et c’est là une des forces d’une voie spirituelle comme celle du REP, on peut, venant de tous horizons sociaux, au sein de ce rite, étudier toutes les traditions en effectuant un travail de synthèse et de sagesse sans tomber dans un syncrétisme nivelant de type « new âge ». Bien des hommes s’entretuent pour établir la suprématie de leur religion sur celle des autres, le maçon du REP en étudiant tous les textes sacrés de quelque culte que ce soit y décèlera, comme une évidence, une sagesse commune.
Ainsi, rassembler ce qui est épars semble être le dessein « premier » de notre ordre.
Ce travail est réalisé du point de vue du premier degré soit comme une approche ou plus précisément une entrée en (la) matière par l’esprit. La progression initiatique fait que chaque étape graduelle voit sa sphère de réflexion de plus en plus élargie ; du même centre l’écartement du compas devient de plus en plus conséquent: il sera intéressant d’envisager ce travail aux autres grades.
Pour finir, une dernière réflexion me vient à l’esprit. Notre ordre traverse depuis sa création des divisions et tensions stériles; les anciens contre les modernes, les voies humanistes opposées aux voies spirituelles, la course à la régularité et à la suprématie de telle obédience sur telle autre. Ainsi la Franc-maçonnerie ne semble parfois pas elle-même échapper aux dérives qu’elle combat. Mais voyant ce soir la diversité des rites et obédiences représentés par nos FF et SS présents ce soir sur nos colonnes, je pense que nous avons réussi, à notre humble niveau, à rassembler ce qui est épars.
(…)
Dav.°.Dub.°. R.°.L.°. « Les Écossais de Saint-Jean »
En effet rassembler ce qui est épars revient tout bonnement à analyser et synthétiser une situation ou une diversité de position, à la lumière de l’esprit avec une incommensurable bienveillance et un amour de la vie.
La vie elle-même n’est-elle pas le fruit d’un rassemblement d’éléments épars dont l’assemblage quasi miraculeux et la synthèse harmonieuse deviennent un « corps » vivant et pensant?
Ce corps ne devient-il pas « homme » lorsqu’il reçoit le souffle de l’âme ?
Ce corps animé et sensible ne devient-il pas « homme conscient » ou « Homme éveillé » ou encore « initié », lorsqu’il réveille en lui la parcelle de lumière spirituelle ?
Ainsi l’unité de l’homme dans son retour à sa source primordiale fait que racines et fruits de l’arbre de la connaissance et de l’arbre de vie seront réunis dans un seul tronc synonyme du corps ; les racines iront chercher les éléments et nutriments épars dans le subterrestre. Par la grâce de la lumière et par la photosynthèse, seront réunis ces éléments épars dans un élan vertical. C’est ici que l’arbre de la connaissance ésotérique devient l’arbre de vie maçonnique.
Je conclurais donc en disant que rassembler ce qui est épars c’est être tout entier conscient de son appartenance à un Tout d’une complexité aussi ordonnée qu’harmonieuse. Ce rassemblement se fera sans orgueil ni prétention égotique à peine de babélisation de l’Œuvre…
Pour l’apprenti libéré le compagnon libre ou le maître libre, le Tout sera dévoilé progressivement et graduellement et sous une forme symbolique dans les diagrammes symboliques des tableaux de loge successifs.
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E.°.R.°.
http://www.ecossaisdesaintjean.org/article-les-trois-grands-coups-ou-le-retour-au-centre-117963058.html .
« Le silence contribue à éteindre les dernières cendres de l’ego profane. À cet ego profane se substitue un jeu de rôle maçonnique dont l’objectif et d’occuper le terrain laissé libre. Le but de l’initiation consiste à la domestication et la résorption de l’ego.»E.°.R.°. Sur l’ego, je conseille la lecture de Rabi Zied Odnil : Conversations avec Marih, Rites et symboles, Tome 1. Shekinah Editions .