Dep uis Adam et Eve nous savons que les paires d’opposées sont des complémentarités irréductibles à leur seul état et porteuses de fondations aux innombrables modalités de fonctionnement dans l’ordre humain et bien plus au-delà. C’est donc un état d’esprit novateur et universel dépassant la vision microcosmique qui doit guider nos pas.
En effet, par excès de prudence, les points de vue développés sont bien souvent parcellaires et insuffisants dans leurs propres domaines d’investigation.
Nous tenterons délibérément de nous affranchir d’une réserve et prendrons volontairement la voie la plus difficile qui, de l’interprétation des symboles, peut nous mener sur les terres de la métaphysique.
Symboles omniprésents avec l’équerre et le compas dans la Franc-Maçonnerie spéculative, le pavé mosaïque mérite des explications graduées et progressives pour en comprendre le sens ésotérique et initiatique. C’est avant tout un symbole architectural de la loge. Associé au ciel et à la corde à nœuds, le pavé mosaïque définit les contours d’une loge qui pour respecter les abaques doit avoir la forme d’un carré long, socle de fondation de la loge, au sens propre comme au sens figuré.
C’est probablement le symbole qui recoupe le mieux la totalité des autres symboles présents sur le tableau de loges et dans la loge elle-même.
Compte tenu de sa situation, nous pouvons dire qu’il est le lieu de la création et de la différenciation, ce qui confirme sa dimension universelle. Il assume à lui seul le passage de la potentialité à la réalisation devenant ainsi réceptacle symbolique de l’espace manifesté.
Pour l’Occident, il est porteur par sa forme et sa construction de la presque totalité du symbolisme ésotérique chrétien et au-delà encore. Le pavé mosaïque se campe en générateur de vie par le jeu actif et dynamisant des polarités. Il offre un troisième terme unificateur et probablement ontologique, l’idée de ternaire justifiant le principe de fraternité ou si on préfère d’altérité
.
Étudier le pavé mosaïque oblige a un large balayage que nous ne pouvons entreprendre à titre exhaustif, assurés que nous sommes que le défi sera relevé par d’autres cherchant, pour lesquels notre action se bornera à indiquer le chemin et accessoirement à offrir les précieux secrets qu’il recèle.
Tout commence par le refus des apparences profanes. C’est ici que doit porter l’essentiel de l’effort de compréhension, jusqu'à produire les fruits qui, nous le souhaitons, mûriront dans l’intimité réflexive de chacun. Plus loin que l’apparence trompeuse, sans nier l’évidence pour autant, telle doit être la devise du « cherchant ». Pour reprendre la fameuse remarque de René Guénon sur la méthode d’approche et d’interprétation des figures symboliques, « il est à peine besoin de rappeler que ce qui est opposition à un certain niveau devient complémentaire à un autre niveau, de sorte que le même symbolisme est également applicable à l'une et à l'autre ». Pour aller plus loin, au-delà des apparences, il est important de pouvoir démontrer le caractère universel d’un symbole et de pousser les investigations et les rapprochements hors le monde Occidental, étant persuadé que l’universalité découle d’une tradition primordiale réelle ou légendaire. Les notions de juxtaposition et d’enchevêtrement nous rapprochement de l’Orient.
Il convient de comparer le pavé mosaïque aux cases juxtaposées, avec son grand frère Oriental, la figure du Yin-yang où le noir et le blanc sont enchevêtrés. C’est une ligne sinueuse qui semble séparer les valeurs et chacune d’elle héberge une partie de l’autre comme dans un îlot circulaire.
C’est ici que l’enchevêtrement par interpénétration se distingue de la juxtaposition des deux carrés blanc et noir. La juxtaposition occidentale ne devient inséparable que par la cohérence harmonieuse de l’ensemble du pavé, construit sur des bases symboliques qu’il conviendra d’étudier. On peut considérer toutefois que l’enchevêtrement se fait par bandes qui tout en étant juxtaposées, se superposent alternativement au point de former un tressage ou une trame. Ce qui suppose que sous chaque case réside une autre case de valeur complémentaire.
Nous démontrons qu’il n’est point besoin d’accentuer la dualité dans l’interprétation de la figure au risque de faire fausse route, l’antagone n’étant pas l’opposition, mais la complémentarité créatrice.
Pour autant nous n’écartons pas le point de vue manichéen et ses développements, mais nous expliquerons les limites de ce type de raisonnement.
La juxtaposition du blanc et du noir représente naturellement la lumière et les ténèbres, le jour et la nuit, et par suite, toutes les paires d'opposés ou de complémentaires. Un exact équivalent du symbole extrême-oriental du Yin et du Yang. Un rapprochement sera tenté en faisant un parallèle entre Orient et Occident et les points respectifs d’inflexion dans la pensée symbolique. L’universalisme du pavé mosaïque est parfaitement résumé par ce passage du Tao to King : « Accorder le corps et l’âme afin qu’ils voguent à l’unisson et ne se séparent pas. Tel est le chemin de la mystérieuse perfection. »
Le corps et l’âme se retrouvent dans un même voyage, une barque solaire perdue sur
les eaux du Nil où la seule certitude est de se jeter dans une grande mer intérieure, dont les limites extrêmes, sont les colonnes d’Hercules dont on sait qu’au-delà règne le chaos et l’inconnu.
Des replis de la croûte terrestre surgissent les monstres qui peuplent notre intériorité et que l’initié muni de sa lumière va tenter de combattre. Seul face au dragon intérieur que d'aucuns ont
qualifié de Minotaure il vaincra tel Saint Georges terrassant le dragon.
Le pavé mosaïque est l’un des symboles qui permet à l’apprenti au compagnon et au maître de se construire et de comprendre le sens initiatique de leur démarche. Son universalité explique sa présence sur les trois tableaux de loges dans la plupart des rites. Une place de choix lui est réservée au centre du temple maçonnique ; elle se justifie moins par les sens linguistiques de son nom que par sa construction même : il s’agit d’une part d’un assemblage d'équerres qui implique ainsi la multiplication des angles droits et d’autre part l’illustration de l’ambivalence du maçon par l’alternance du blanc et du noir.
La question de l’origine sémitique du pavé mosaïque et la référence "Hiramique" qui remonte aux constitutions d’Anderson restent discutées quant à leur légitimité et à leur sens premier. Pour autant il semble évident que le pavé du temple est depuis toujours un socle d’élévation et en tant que tel, de nature sacrée. Cette idée est corroborée par le manuscrit Dunfries 4 de 1710 qui institue dans ses obligations générales : « Primo, vous servirez le vrai Dieu et observerez ses préceptes en général et particulièrement les dix commandements remis à Moise sur le mont Sinaï ainsi que vous les trouvez exposés en entier sur le pavé du temple. » On peut légitimement s’interroger sur l’assimilation qui est faite entre le pavé du temple et une éventuelle planche à tracer ! Idée que nous reprendrons dans nos développements ultérieurs.
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