Lecture en essence du tableau de loge des Maîtres
(Absences, substitutions, traces reliquaires et essences. Plaidoyer pour l’essence symbolique.)
Le Maître, quelque soit son rite, pratique son art de bâtir en relation avec le ciel. Le Maître a pour mission de diriger les Apprentis et les Compagnons dans la construction d’un chef d’Œuvre commun. Il n’y a point de Chef d’Œuvre commun qui ne passe par la réalisation spirituelle de soi. C’est par la lecture des plans du Temple et leur réalisation sacrée que s’établira un lien entre le terrestre et le céleste. Ces plans seraient, d’après la Bible et la légende, d’origine divine et ne peuvent être lus que de manière royale. Cette lecture essentielle implique la présence de la dimension céleste et sacrée dans l’acte réalisateur. Cette dimension devrait reparaître dans le Tapis ou Tableau de la Loge, véritable compendium du grade. Ce réceptacle mémoriel d’aspect funèbre réunit l’ensemble des éléments de langage qui permettent à partir d’objets symboliques de passer d’une réalité substantielle à la dimension essentielle de l’Être. La lecture en essence sera renforcée par la légende du grade et par la geste du survol de la mort complétée du passage de l’équerre au compas.
La particularité de ce Tableau ou Tapis est de faire figurer une présence reliquaire de Maître Hiram. En effet, l’acte fondateur du grade découle d’un événement traumatique qui est un fratricide. Maître Hiram figure archétypale de l’architecte du Temple est tué par trois mauvais compagnons dans la maison de la reliance entre Dieu et les hommes. Cette maison censée héberger la présence divine est inachevée et la parole du Maître perdue. Ce fratricide nous renvoie au meurtre caïnite et nous interpelle sur le sens et l’essence de nos actes.
Ce crime ouvre la voie aux Maîtres secourables pour réinventer et s’approprier la relation au sacré et redessiner ou redécouvrir une relation transcendante. Les rituels étudiés relatent une méthode maçonnique d’élaboration d’une transmission à partir de la relique ou du souvenir du martyr. Le but de la méthode est de conserver la Tradition et d’éviter la confusion Babélienne qui guette tout groupe d’homme non relié à une influence spirituelle et non soumis au Devoir. Il s’agit à partir d’une représentation reliquaire d’établir une continuité spirituelle afin d’achever la construction.
L’étude comparée des tableaux de loge, en leurs natures de combinatoires de langages symboliques, peut nous permettre de dégager les points communs et le schéma secret de cette transmission. Notre travail collectif consistera, à partir d’une analyse comparée, d’établir une grille de lecture commune aux différents Tapis de loge en mettant en évidence, la portée essentielle du symbolisme reliquaire.
Nous espérons que cette approche, au-delà des convictions personnelles, permettra à chacun d’avancer dans la redécouverte de son propre rite.
Ce travail de recherche inter-rituélique est ici brillamment porté par les membres de la R.°.L.°. « Auld Alliance », à l’O.°. de Besançon-Courtefontaine, N°29 Grande Loge Symbolique travaillant au Rite Écossais Primitif.
Rappel: Un rite maçonnique s’organise sur deux échelles, la première est relative à sa activation « contextualisée » dans une époque et une culture, la seconde se veut initiatique « in illio tempore [1]», « conceptualisée » dans un non-temps et un non-lieu. Nous pouvons dire que le contexte temporel du récit vient s’adosser à la trame intemporelle du rite « initiatique », trame qui perdure quelque soit les circonstances et le contexte. Être initié aux mystères de la franc-maçonnerie c’est faire l’expérience renouvelée à chaque grade de la synchronicité[2] entre le temporel discursif et visible et la trame intemporelle essentielle intuitive et peu visible.
L’hypothèse anagogique au grade de Maître se fonde sur trois dynamiques autour de l’invisible : "L’absence constatée et la présence ressentie", "le contenant et le contenu", "non-sens ou contresens de l’usage meurtrier des outils", valorisant ensemble l’essence symbolique. Ces trois dynamiques créent l’intuition d’une transmission d’Hiram au nouveau Maître.
Le grade de Maître est fondé sur une double perte : celle de l’archétype de l’initié (Hiram) et celle de la Parole (parole perdue)[3]. Subitement le monde du symbolisme constructif se trouve bouleversé, privé de son architecte détenteur des secrets. La mort brutale d'Hiram[4] et la perte de la parole transportent la transmission initiatique sur un autre plan. Le secret du grade résiderait sans doute dans cette négation « apparente » du signifiant et de sa verbalisation. Pour le découvrir l’arcane du grade, il faut donc chercher l'ouverture secrète du symbole et sa clef hors du cadre ordinaire.
La représentation mentale du franc maçon est essentiellement basée sur l’image-mémoire, dirimante et inductive. Le tableau de loge est une image-mémoire contenant une combinatoire de symboles que chacun intériorise suivant la méthode maçonnique. Nous pensons que ce tableau contient une heuristique traversée par l’essence symbolique au même titre que la geste, le catéchisme et la légende du grade. L’image-mémoire deviendra image-miroir par ses effets induits au plan psychique. Mais il existe des miroirs déformants, comme la mémoire ! Il existe autant de miroirs que de regard sur la chose.
Comment éviter cet écueil du sens déformé, ou du sens relatif ?
La polysémie intrinsèque du symbole crée une difficulté d’interprétation constante. On s’accorde à dire que la moyenne générale des sens multiples concorde vers un sens commun. Or parler de sens commun comme une moyenne générale du sens c’est abandonner le symbole à la masse commune des sens et contresens ! Nous pouvons faire mieux en échappant aux variations discursives. La rituélie comparée démontre que l’objet symbolique est plongé dans un univers des sens cognitifs et réflexifs parfois confus et contradictoires. Il faut donc extraire de cet objet son essence pour percevoir sa reliance archétypale. Il est entendu que le réel est une perception, une représentation mentale de l’homme qui brille par sa variété. Si nous escamotons le sens toujours polémique au profit de l’essence c’est que nous recherchons dans cette étude ce qui est constant. Le sens finit par créer un obstacle épistémologique que l’on dépassera par l’essence.
L’appartenance à une société de tradition implique si possible de conserver la variable du sens, mais surtout de déterminer l’invariable essence symbolique. Ainsi il sera indifférent que le sens, simple artefact contextualisé[5], puisse entraîner un non-sens ou un contresens.
La question qui se pose et celle du niveau d’interprétation symbolique du rébus du Tableau de Maître : on ne peut en rester à la détermination d’un sens discursif fondé sur un enchaînement logique de causes comme au premier et second degré, avec toutes les variations interprétatives déformantes des différentes rituélies. Si l’apprenti découvre la lumière dans l’espace sacré de la loge et y progresse en ligne droite, le compagnon par son pas de côté découvre le plan d’exercice de la loge, le champ des possibles, les différentes trajectoires et surtout l’idée d’une possible transgression. Le Maître enfin est issu de cette transgression qui le fait défaillir dans ses certitudes et chuter dans un plan inférieur pour se relever dans l’axe et atteindre « en pensée » la chambre du milieu dans un plan supérieur.
On suivra donc un axe d’élévation (anabase) pour échapper aux variables du sens et des contresens situées sur un même plan (plan d’exercice subjectif) et aux dilemmes du non-sens et de la chute (catabase). Dans la chute nous abandonnons la forme, il ne reste que la relique, son souvenir et son essence supposée.
voir illustration en bas de page ...
(Dans une prochaine parution nous tenterons une autre lecture, plus essentielle du tableau de loge des Maîtres. )
E.°.R.°.
[1] « En ces temps là » ce qui nous renvoi dans un temps mythique, au temps sacré, celui des débuts. « ab origine » selon Eliade Mircea. Le sacré et le profane, page 61 Paris Gallimard réédition 1983.
[2] C’est dans un temps long que s’installe l’analyse diachronique et dans l’instant présent contextualisé que nous abordons la synchronicité. Néanmoins l’une et l’autre approche utilise les fragments du passé pour en faire un réel vécu. Pour aller plus loin : Ferdinand de Saussure œuvre postume Cours de linguistique générale, Paris, Payot, coll. « Grande bibliothèque Payot », 1995 première édition 1916
[3] Il serait facile de démontrer l’association entre le dévoiement des outils par les 3 mauvais compagnons et la perte de la voie « Orientation » et de la voix « Parole » car l’outil et son usage sont corrélatifs de l’évolution de l’homme et de l’apparition du langage. Polarité du double couple : Main-outil/Face-langage. Dans ce sens Leroi-Gourhan, André, Le geste et la parole I Technique et langage. Paris, Albin Michel 2014. Page 262 et suivantes. Par extrapolation la voie est la voix, elles concourent à l’initiation et à l’évolution de la conscience éclairée.
[4] Il nous semble que la figure du roi Charles 1er et de son martyr est représentée par la figure substituée d’Hiram.
[5] En introduction nous avons souligné que le rite maçonnique avait une double dimension temporelle et donc contextualisée et de l’autre coté « in illo tempore» conceptuelle.