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15 novembre 2018 4 15 /11 /novembre /2018 23:37

"Plan d’exercice" maçonnique, "Anabase" et "Catabase" prométhéenne

 

Prométhée enchaîné par Gustave Moreau

La pierre ingérée par Chronos et vomi par lui donnera naissance au nouvel ordre cosmique sous l’empire de Zeus. Cet ordre n’attendait que l’intervention de Prométhée pour régénérer la pierre rejetée en pierre philosophale.

Cette pierre rejetée dans sa chute du monde divin au monde de la matière donna la race des hommes se transformera en pierre issue de "l’humeur divine" en pierre philosophale. Cette pierre sera riche de toutes les expériences divines et humaines et donnera chez l’homme la conscience éclairée.

Nous avons brossé précédemment le contexte qui a permis la première confrontation entre le représentant des hommes et l’univers Olympien. Cet état est ce que nous appellerons "le plan d’exercice", similaire au pavé mosaïque de nos loges ou au tableau de loge.

Il reste une montagne à conquérir, si Prométhée y parvient glorieusement alors ce sera l’anabase chère à Xénophon[1] avec au somment de la montagne le fameux plateau dit « plan de gloire » où le héros est couvert de gloire et s’empare de l’objet tant convoité. À cette montée victorieuse devrait suivre un retour au plateau - plan d’exercice et la diffusion du feu et des bienfaits de la conquête. À défaut de gloire du héros, dans l'éventualité d'un échec de la tentative, alors le retour au plan d’exercice se traduira classiquement par une catabase, une descente en déchéance, un retour dans les états inférieurs de l’être, une chute dans la matière.

 

I / ANABASE : la marche, l’ascension vers la lumière

 

 Le voyage ascensionnel de Prométhée – gravissement de la montagne sacrée.

Symboliquement, appartenant par sa lignée à l’Ancien Monde des vaincus et reclus, nous pouvons dire que Prométhée le fils de Titan est sorti des replis de la terre, de la grotte et du Chaos Ouranien. 

Son choix « humain » souligne la faiblesse constitutive de l’homme : la nature humaine est démunie de tout lorsqu’il s’agit de survivre. Son penchant en faveur de l’homme va bouleverser l’ordre établi. Il va franchir la frontière qui sépare l’homme du divin. Prométhée va incarner un démiurge de l’Ancien Monde qui va se battre pour l’homme nouveau.

Sa bienveillance envers les hommes légitimera son comportement démiurgique. Franchir cette frontière, c’est ni plus ni moins monter à l’assaut du domaine des dieux pour être leur égal. Prométhée dans ses actes ne représente pas que lui-même,  il est porteur des principes qui vont irriguer l’humanité de l’homme : le courage,  le dévouement,  la cause juste, le principe d’égalité et d’équité, de partage, etc, mais aussi la prétention d’être comme Dieu.

La sanction après la première confrontation à Mékoné

Le fait d’avoir la part du bœuf constituée de bonne chère fut sans lendemains favorables à cause du courroux de Zeus.

Afin de se venger de Prométhée, Zeus confisqua le feu de la foudre placé en haut des frênes ainsi que les graines céréalières dont les hommes se nourrissaient. Ainsi, les pauvres mortels étaient voués à mourir de faim, car ils ne mangeaient pas de chair crue.

 

La réponse à la sanction : 2eme confrontation, 2ème transgression, 2èm émancipation.

Nécessité fait loi, l’humanité naissante se meure.

Prométhée gravit la montagne sacrée pour s’emparer du feu et se confronter au divin. C’est le propre de tous les rites initiatiques que de faire le passage de la grotte de l’ère des titans vers le sommet de la montagne « éclairée ». Les Anciens devoirs maçonniques suggéraient qu’il fallait monter au sommet de l’échelle des arts, voir le visage du divin et redescendre pour partager cette vision comme une nourriture spirituelle[2]. Cet acte délibéré peut être vu de diverses façons : un sursaut d’orgueil du titan en lutte contre Zeus, ou plus simplement un acte de générosité et de sacrifice rendu nécessaire pour la survie de l’espèce humaine. Il fallut défier et escalader l’Olympe pour survivre.

 

A / Voir la lumière, sortir du monde ancien

L’homme avait perdu le feu confisqué par Zeus. Eschyle fait dire à Prométhée[3] : « J’ai libéré les hommes et fait qu’ils ne sont pas descendus dans l’Hadès »

 

Voler le feu pour achever l’œuvre !

 Prométhée s’aperçut que l’homme façonné par son frère Épiméthée n’avait pas, contrairement aux animaux, toutes les armes pour se défendre. Le frère de Prométhée, Épiméthée qui veut dire « celui qui pense après » était un artisan très habile chargé par Zeus de peupler la terre de toute sorte d’animaux ; il les rendit autonomes et aptes à se défendre, et quand il fallut créer l’homme, il le fabrique à base d’eau et de terre et le faisait sécher au soleil en lui donnant le souffle, c’est-à-dire la vie. Mais voyant le travail de son frère, Prométhée ne put que constater la faiblesse de cette créature humaine des premiers temps, il lui manquait le feu pour cuire les aliments et la graine de la cueillette, il lui manquait le feu pour transformer et inventer, il lui manquait la conscience et l’intelligence « éclairée ».

Cette dépendance au feu produit par Zeus remettait en cause le travail de création de son frère. Il semblait acquit que cette imperfection ferait dépendre l’homme de la Grande Nature et de celui qui faisait les orages et les éclairs, il fallut donc tenter de rééquilibrer une seconde fois l’ordre olympien en faveur de l’ordre humain.

 

À la rencontre du centre des centres

Prométhée escalada la montagne sacrée et s’empara d’une semence du feu au sommet de l’Olympe dans l’atelier d’Héphaïstos le forgeron gardien du feu. Ce feu est celui qui transforme qui réchauffe, qui cuit, qui éclaire le foyer et la conscience collective de la tribu. Le feu a donc une triple dimension : matérielle, humanisante et spirituelle.

 

 

B/ L’émergence de l’homme pensant, homme pensif.

Le feu comme la terre, l’air et l’eau sont les élémentaires de la vie. Pour penser, vouloir et agir, encore faut-il posséder les quatre éléments que l’apprenti franc-maçon réordonne en lui lors de son initiation. Ces quatre éléments peuvent être dans le réceptacle humain l’élan vital,  à condition qu’ils restent liés par un acte fusionnel. L’air du souffle d’Épiméthée, l’eau et la glaise vont se lier durablement par le feu dit «  élémentaire ».

 Mais ce feu est agissant dans d’autres dimensions. C’est notamment un feu qui en premier lie les éléments entre eux et qui à la suite relie cette « création » au sommet de l’Olympe.

Une fois cette opération élémentaire sur le contenant réalisée, l’opération alchimique suivra : le feu opère une transmutation de la matière, le contenant, le corps de glaise devient athanor ou vase qui accueille la lumière synonyme de l’esprit humain[4]. L’humanisation viendra de la part spirituelle du feu : Prométhée va implanter la lumière de la conscience dans un corps de matière, l'homme se pensera lui-même hors le divin dans un questionnement sans fin. Voilà les conséquences de l'action « démiurgique » et  humanisante du fils du Titan[5].

 

II/ L’apport du feu sur le plan d’exercice

Une fois redescendu de l’Olympe Prométhée s’empressa de diffuser le feu auprès des hommes. De quel feu et donc de quelle lumière parle-t-on ?

 

A/ Le feu des sciences et techniques

Platon dans Protagoras nous dit qu’il s’empara aussi des métiers artisanaux et des sciences techniques détenues par Athéna. Donc le secret du feu est lié à l’activité transformatrice de l’homme sur son milieu. C’est l’acte d’un quasi-dieu que de transformer le réel. C’est ici que se situe la concurrence entre l’homme et dieu : le feu est un attribut du dieu qui foudroie devenu feu vital et transformateur aux mains de Prométhée et des hommes. Il faut remarquer que ce feu transformateur n’est pas de même nature que le feu de Zeus, la foudre. Le feu volé avec les sciences et techniques va permettre une polytechnique du feu.

 Le feu fabriqué par l’homme est la conséquence du vol du feu et des techniques associées. Faire du feu, c’est faire comme Zeus et Héphaïstos avec la dimension spirituelle en moins. On conservera jalousement ces savoirs et techniques que l’on reliera à leur tour par la sagesse : ils deviendront connaissance.[6]

On pratiquera à la suite de cette conquête le devoir de mémoire technique qui justifie le savoir-faire de l’artisan.

Prométhée se résolut à prendre, à voler le feu au sommet de l’Olympe pour combler l’imperfection humaine. Il veut que l’homme ne soit pas qu’une simple créature, il la veut parfaite en lui donnant une semence de lumière. Prométhée à cet instant entre dans une quête et anime en lui un idéal chevaleresque fondée sur la nécessité humanisante et sur le ressentiment titanesque. La Nécessité humanisante liée à la survie et l’affirmation de la nature identitaire du titan entreront désormais dans le moteur hybrique de l’humanité en même temps que le feu-lumière volé.

 

Spiritualisation du feu

Le feu est symbole de destruction et de transformation, il agit tout autant sur les formes transformées que sur les esprits éclairés. S’emparer du feu, c’est détenir le pouvoir de transformation et d’évolution éclairée.

Au moment du vol le fils du Titan ne voit que l’utilité vitale du feu associé à la matière, il n’en conçoit nullement la dimension éclairante de l’esprit, ni la lumière illuminatrice qu’il pouvait porter en lui. Il n’est pas encore initié.

En fait Prométhée vola pour lui-même (ressentiment) et le compte d’une l’humanité à naître (nécessité) les savoirs de la transformation de la matière qui sont le premier stade qui mène vers la connaissance, vers la transformation de soi et de la perception d’une totalité harmonieuse.

Le tout constituera les bases incontournables de l’initiation dite « traditionnelle » fondée sur l’ascension et la transformation.

 

 

B  / Ce fut l’acte fondateur de la conscience.

La conscience « éclairée » serait par Prométhée une pensée prévoyante. La conscience de l’homme définit le sens de l’acte et de la vie. Prométhée nous a donné la conscience de notre être, la pensée éclairée, l’autonomie de la volonté et l’action transformatrice de soi et du monde. Cette conscience s’inscrira dans un double mouvement initiatique centripète et centrifuge : le premier est l’atteinte du centre des centres,  là où sont les secrets de la vie et du monde, le second est la parole et la lumière rependue chez les hommes permettant l’émergence de la conscience. Le feu ainsi dérobé est le moyen d’éclairer l’esprit en le libérant du principe d’utilité[7].

 

Conscience démiurgique et conscience du manque.

La conscience éclairée se « matérialise » avec un certain succès donnant à l’homme l’illusion d’être le maître de son environnement. Cependant ce feu lumière est plus au service de la matière que de l’esprit. L’acte démiurgique de type Prométhéen reste un acte matériel proche de la destruction.

Le feu est démiurgique par nature, car des quatre éléments il est celui qui a le pouvoir notamment de créer, de transformer et de détruire ou d’anéantir. L’hybris de Prométhée et sa volonté d’intervenir dans le sort de l’homme comme un démiurge « titanesque », se transmettra à l’homme nouvellement doté de ces sciences et techniques volées. Ce vol se fera sous couvert d’équité envers les hommes, même si les mobiles de la vengeance ou du ressentiment restent présents.

Ce feu « domestiqué » opère la transformation de la matière par l’homme qui sera comme un demi-dieu insensé, pesant sur son environnement, cédant à l’hybris prométhéen qui détruit l’harmonie du monde appelé dikè. Son hybris s’étendra jusqu'à vouloir détruire ou exterminer son frère et son semblable faisant de l’homme l’espèce la plus dangereuse pour lui-même et pour la Grande Nature représentée par Gaia.

On comprendra qu’ici le feu d’Héphaïstos et les savoirs volés à Athéna devrait mener, à l’issue d’un long parcours, à la conscience éclairée, à la sagesse et à la connaissance. Mais ni l’homme, ni Prométhée n’ont compris la dimension spirituelle d’un feu lumière, ils n’y ont vu que le feu qui brûle et transforme, réchauffe et cuit. Il reste du chemin à parcourir, c’est le chemin de l’évolution, ce chemin est une souffrance infligée à Prométhée. Nous en tirons la conclusion que la conscience née de l’évolution est démiurgique par son origine prométhéenne, et humaine par les épreuves qu’elle traverse.

Depuis la nuit des temps, on raconte cette histoire de la naissance et de la création de l’homme pensant. Ce récit se fait traditionnellement et depuis des millénaires autour du foyer central.

 

De la matérialisation démiurgique à la conscience en l’homme

L’activité transformatrice de l’homme préexistait à la maîtrise du feu ; mais la maîtrise technique du feu c'est-à-dire la capacité à faire du feu par friction et de l’utiliser pour la cuisson des viandes et la transformation de la matière sera une évolution aussi importante que la bipédie.

Le Paléolithique voit la fabrication des bifaces à froid pour la chasse et la séparation de la viande crue, à -6000 ans débute le néolithique et le travail efficace de la pierre pour la chasse s’associe à l’esthétique de la forme. C’est la découverte de la symétrie. Parallèlement survient le travail de la glaise pour faire des récipients. Ce travail de manufacture utilitaire et esthétisant passe par transformation de la matière par le feu : nous sommes dans une période typiquement prométhéenne.

Le feu est un bienfait, il transforme la matière. Déjà l’homme cuisait sa viande pour une meilleure digestion, mais désormais avec les récipients il peut faire des bouillons plus assimilables par les plus faibles, donnant des chances de survie à une population plus faible, diminuant la mortalité infantile et prolongeant la vie et l’activité réflexive.

Suivra l’intervention de l’homme sur son milieu par l’abattage des arbres, le défrichage, l’élevage et la culture, procédant ainsi à l’activité démiurgique sur l’espace clos terrestre, mais aussi par la fusion des minerais avec l’apparition des métaux et des alliages. C’est ici qu’Héphaïstos le fils de Zeus réapparaît avec le forgeron présent dans les sociétés primitives sous couvert des rites « magiques » relevants des puissances souterraines chtoniennes, c’est l’alliage avec les puissances infernales souterraines, puis dans la franc- maçonnerie du bois relatera le forgeron comme le charbonnier considéré comme des parias, vivant à l’extérieur du village et se réfugieront dans la foret ou la grotte, puis dans la franc-maçonnerie de la pierre avec le fameux Tubalcaïn. Ce forgeron « boiteux » comme son père sera accepté dans certaines loges ouverte à son évolution et refusée par d’autres, fermées à ses pouvoirs infernaux, mais toutes les loges feront de l’abandon des métaux un canon rituelique.

C’est ici que l’on retrouve loge reproduisant l’interdit Salomonien : Aucun bruit métallique ne fut entendu lors de la construction du Temple de Salomon[8]. Ce Temple serait donc moins un temple de matière qu’un temple de l’esprit en l’homme.

Nous voyons ici le feu évoluer dans son périmètre symbolique en direction d’une lumière illuminatrice de l’esprit en l’homme : de matériel, il devient symbolique et magique pour ne pas dire chamanique. C’est une étape intermédiaire, mais la nouvelle ère d’après le veau d’or et la descente du Sinaï par Moise va sanctionner l’interdit de l’alliance avec les puissances infernales et idolâtres. Le métal est un alliage et donc une alliance entre une puissance matérielle humaine et une puissance maléfique souterraine ou bénéfique car céleste. Le temple de Salomon fait place à la puissance spirituelle de l’alliance, et exclut la puissance maléfique de l’alliage chtonien. C’est donc un fondeur, maître en diverses sciences et techniques qui va diriger en expert les travaux de construction. Il veille à la conservation de la parole éclairante du divin chez les ouvriers et dans la pierre. C’est à lui qu’il revient de séparer ce qui est alliage de ce qui est alliance, conservant ainsi l’esprit d’alliance en chaque pierre et en chaque compagnon participant à l’édification de la maison de Dieu.

De cette troisième étape on aboutira à la construction du Temple intérieur en l’homme.

 

Le feu tribal

C’est pourtant autour de chaque foyer central que les familles et tribus vont commencer à se réunir, faisant naître dans le foyer commun la conscience collective de l’homme et les premiers récits fondateurs du monde et des hommes. Cette présence réconfortante du foyer central fera naître aussi une hiérarchisation des cercles réunis :

- Le premier cercle sera celui des privilégiés des plus forts, des chefs, des sorciers et chamans (Maîtres)

- le second sera celui des prétendants (Compagnons)

- le troisième sera celui des juvéniles impatients de transgresser à leur tour l’ordre concentrique du premier cercle. (Apprentis et mauvais compagnons ?) Ces derniers prendront la « tangente » de l’ordre établi, volant un brandon dans le foyer central afin de tenter d’établir plus loin un autre foyer. (Mouvement centrifuge)

Le vol du feu sacré ou la convoitise du Verbe est la base de tout parricide, c’est ce que réitère à la suite du mythe de Prométhée le mythe d’Hiram[9]. C’est le moteur prométhéen de l’évolution humaine.

Le feu crée un héliotropisme sur lequel l’hybris de l’homme se fixe. Être au centre, au plus proche du point central, c’est accéder à la mémoire vivante, à la parole des dieux par recréation tribale du Centre-sommet. (Mouvement centripète)

Gravir la montagne pour voir la lumière divine après s’être extrait de la caverne[10] sera désormais la tendance naturelle de l’homme et constituera la trame de toute initiation traditionnelle. L’initiation se distingue par sa dynamique et sa démarche dite « élémentaire » d’une simple démarche mystique. Derrière l’élément feu se cachent les trois dimensions initiatiques. La voie initiatique artisanale veut monter au ciel et fabriquer l’échelle ou la tour, la voie mystique veut recevoir le ciel et polir le réceptacle, la voie chevaleresque veut conquérir et protéger le centre des centres.

 

C / Les trois feux et trois lieux

Zeus vainqueur en son Olympe est l’équilibre du monde. Il se métamorphose à volonté, il est magicien, il prend parfois forme humaine, il est divin, il est le sage, il possède par ses frères et sœurs et autres alliés toutes les facultés, tous les savoirs et la connaissance des secrets de l’harmonie du monde.

On a vu que le feu dérobé à Héphaïstos n’est qu’un feu transformateur de la matière, permettant à l’homme d’être « lié » au plan élémentaire en un corps transformé et animé, mais aussi d’être « relié » au plan divin par la caverne[11] dans l’Olympe. L’homme relève la tête regarde cette montagne sacrée comme un sommet de l’intelligence du monde, demeure de la présence divine « rayonnante » et unique.

Nous avons trois feux :

  • le feu matériel qui transforme (FORCE)
  • le feu sacré et spirituel qui permet la présence divine au milieu des hommes qui est littéralement le foyer (SAGESSE)
  • et le feu de Zeus, ordonnateur du chaos « révélateur » de l’harmonie. (BEAUTÉ)

L’homme connaît le feu matériel et conçoit dans un ailleurs les deux autres feux qu’il ne possède pas. Le feu matériel volé est un intellect qui a préféré la matière à l’esprit, au point de déchaîner les désirs terrestres et enchaîner l’homme tel Prométhée[12] à son rocher. Ce qu’il ne possède pas doit être imaginé. Cet ailleurs sera le monde divin, par nature surplombant, par essence ontologique, et dirimant dans la hiérarchisation chaotique. Il faut donc remonter auprès de dieu pour vivre la proximité du feu divin. Cette remontée se fera par les prières, les invocations, l’érection des Temples et l’interposition des médiateurs et messagers célestes. L’émergence de la conscience est associée aux deux feux que l’homme n’a pas volés et qu’il ne possède pas.

Il faut donc trouver un subterfuge pour combler ce manque spirituel dans le feu volé.

 

 On demandera à Hermès de faire le lien avec le divin par l’analogie symbolique. On utilisera aussi le langage de l’hiérophante qui permet la descente de l’esprit divin dans un médiateur humain. Ces deux langages nécessitent l’accouchement de l’esprit en l’homme. Le lieu de l’accouchement de l’esprit est un lieu privilégié et séparé du monde et du désordre profane. C’est un lieu ou l’on peut invoque et prier. C’est dans ce lieu séparé que se tiendra le feu sacré d’Hestia.

 

Il y aura deux lieux séparés  pour les hommes en regard de la nature chaotique de leur Hybris . Ces lieux appelés temple permettront de se relier au sommet ultime de l’harmonie, Olympienne en l’espèce :

  • le premier feu sacré sera celui de la tribu qui, dans l’enceinte où elle se réunit (la grotte ou la tente), recrée instinctivement le centre fondateur de l’humanité avec le feu central. Ce lieu sera sacré, séparé et protégé par des règles d’accès et d’entretien est sera sous la gouvernance du « maître » et l’action du « mage » .
  • Le second sera le lieu de la descente initiale et de la prière montante et "reliante", celui du Temple, lieu séparé du monde profane, lieu d’action du prêtre, recréant par la sacralisation, le feu d’Hestia. C’est la voie d’accès verticale qui sépare la caverne d’Héphaïstos le forgeron de la substance au feu ordonnateur et essentiel de Zeus. C’est sur cet axe que séjourne pensée "reliante" du Sage.

Ces deux feux ont pour vocation d’atteindre par leur centre symbolique le sommet olympien du feu « essentiel ». À défaut de l’atteindre réellement, on tente d’y être relié par l’acte magique et l’invocation ou par la prière. L’image de Zeus n’est là que pour mémoriser le schéma du sommet essentiel de la pensée et de l’acte.

 

Les trois feux sont les trois étapes de la conscience humaine :

  • celui d’Héphaïstos volé par Prométhée et mis en œuvre par Épiméthée, c’est la conscience éclairée de l’homme qui d’empirique évolue vers une pensée prévoyante et qui peut dégénérer en action démiurgique sur les choses,
  • le feu d’Hestia représente le foyer collectif et tribal sacré et le feu sacré du Temple, celui qui crée le sentiment d’appartenance à un centre et fait naître la conscience de l’autre, mais qui peut dégénérer en manipulation démiurgique de l’homme et des choses,
  •  celui de Zeus, l’éclair de la révélation et de l’essence qui peut aboutir en sagesse ou en destruction par foudroiement.

C’est tout un Nouveau Monde que fait apparaître cette pensée essentielle. Pour atteindre ce niveau de conscience, il faut continuer à cheminer vers l’essence, lâcher son rocher, rompre ses chaînes égotiques pour atteindre enfin le sommet olympien.

 

III / CATABASE

La catabase est une descente dans le subterrestre, ici cela prendra l'allure une chute dans la matière.

À l’évidence l’acte prométhéen fut louable, mais incomplet. Zeus n’était pas dupe de sa tromperie et sanctionna durement le représentant des hommes par un enchaînement au rocher symbolisant la matière brute. C’est sans doute pour cela que nous n’avons de cesse que de tailler cette fameuse pierre brute… De plus une fois libéré, Prométhée sera condamné à porter un anneau pris dans ses chaînes avec une pierre brute sertie, image de l'alliance entre l'homme démiurgique et la matière.

 

 A / La tare est transmise par absorption et incorporation. Hybris, anthropisme, claudication.

L’acte transgressif de Prométhée, son hybris démontrée à la fois par le partage rompant l’harmonie du monde, mais aussi sa volonté de faire comme les dieux en gravissant et en volant le feu, ne restera pas impuni dans l’ordre moral.

Le feu volé porte en lui une tare associée à son gardien et il faut être dieu pour ne pas la subir :

Héphaïstos est un cyclope boiteux, affecté d’une tare physique comme tous ceux qui sont gardiens d’un art artisanal « matériel » (dans la mythologie grecque). Comme tous les cyclopes, il a fait allégeance à Zeus maître de la foudre qui est l’arme céleste par nature celle qui réduisit les titans coupables du désordre dans l’Ancien Monde. L’homme qui hérite du feu d’un boiteux sera à son tour boiteux dans son comportement en regard de l’ordonnancement des dieux. L’homme par sa transgression démiurgique ne sera plus en accord harmonieux avec les dieux, ni même avec la nature. Il tentera tel le boiteux de marcher droit, symbolisant la marche de l’homme en déséquilibre permanent vers son initiation[13]. Il ne pourra compenser cette tare que par un travail sur lui-même. Ce travail sera initiatique ou mystique.

Un rapport de force permanent s’engage désormais. Cette situation de crise n’est pas nouvelle toutes les traditions en parlent. C’est la chute de l’homme premier la perte de la proximité divine, le paradis perdu. Comme l’Adam Premier de la cabale qui chuta dans la matière, ou l’Adam et l’Ève qui furent chassés du paradis, c’est la transgression de l’ordre divin qui leur donna la conscience d’eux-mêmes et de leur potentiel au point de couvrir leur nudité originelle. Ce rapport à la conscience de soi fait surgir la différence entre soi et l’autre, traduisant la concurrence des pouvoirs, le jeu des séductions et des influences. La lumière-conscience devient alors elle aussi démiurgique dans la manipulation de l’autre et dans l’autosuggestion. De fait l’homme boiteux devient à son tour son propre démiurge via sa psyché, ne faisant que soigner et compenser sa tare originale.

Mais un boiteux peut-il guérir un boiteux ?

 

 

Anthropisme et supplice

Cette tare doit être interprétée au sens de l’anthropisme[14] qui caractérise le comportement humain à courte vue[15] ;

L’acte est fait sans vision du tout. La courte vue a des conséquences écologiques. L’homme ira jusqu'à modifier les facteurs endogènes[16] de sa propre évolution génétique. La conjugaison de l’anthropisme interne et externe à l’homme sont dus la transmission de l’hybris démiurgique.

L’homme prométhéen est confronté à une lutte entre sa conscience issue de la lumière prométhéenne pour l’équité et son hybris issue de la chute du porteur de lumière.

La transmission prométhéenne sera complète et contradictoire, entraînant la souffrance de l’homme marquée par le supplice de Prométhée.

 

L’échec de Prométhée- La chute dans la matière- la chute de Lucifer -la chute de l’Adam- avènement du vrai porteur de lumière.

Quelle est la sanction divine : L’enchaînement du démiurge au rocher du Caucase symbole de la chute dans la matière et la dévoration journalière du foie[17] par l’aigle pendant 30 000 ans. Le foie, considéré comme l’organe des émotions et surtout de la vengeance chez les Grecs, souligne la contradiction émotionnelle interne de l’homme avec le céleste[18] représenté par l’aigle. Mais le foie est aussi un miroir sur soi-même, un révélateur de qui nous sommes et de notre destinée.

 Prométhée fut libéré à la demande d’Atlas, il fut condamné à porter un anneau dans lequel était enchâssée une fraction de la pierre du supplice. Les chaînes brisées seront le symbole de l’homme qui libère sa conscience de l’arbitraire ou plus précisément de l’emprise de son ego.

L’homme héritier d’un partage déséquilibrant l’harmonie universelle et d’un feu volé, reste donc enchaîné à la matière. Le fait que les francs-maçons travaillent sur la pierre n’est pas sans lien avec la destinée de Prométhée.

On assimile en partie la chute de Prométhée à la chute du porteur de lumière « Lucifer » l’ange rebelle à la mission confiée par Dieu : Livre d'Isaïe, 14, 12-15 « Te voilà tombé du ciel, Astre brillant, fils de l'aurore ! Tu es abattu à terre, Toi, le vainqueur des nations ! Tu disais en ton cœur : Je monterai au ciel, J'élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu ; Je m'assiérai sur la montagne de l'assemblée, A l'extrémité du septentrion ; Je monterai sur le sommet des nues, Je serai semblable au Très Haut. Mais tu as été précipité dans le séjour des morts, dans les profondeurs de la fosse »

Le livre d'Hénoch voit le porteur de lumière « Lucifer » comme un  archange déchu à l'origine des temps  pour avoir défié Dieu et ayant entraîné les autres anges rebelles dans sa chute. C’est donc à partir d’un ressentiment titanesque ou d’un désir démiurgique que Prométhée à chuté, il devint le faux porteur de lumière qui tombe en matérialité. Il ne sera jamais le porteur d’une lumière en accord avec la Diké.

La chute ne fait qu’exprimer la descente sur terre que le christianisme va reprendre au profit du Christ qui fut « Christus verus Lucifer », signifiant : « Christ véritable porteur de lumière » : par la Lumière il relève l'homme, sa conscience et sa reliance au divin.

Prométhée porte une lumière incomplète, celle d’Héphaïstos.

 

 

Au-delà du mythe, le dogme religieux récupéra la figure de Prométhée dans le Christ qui apporte la lumière de l’esprit. Mais ce point de vue ne s’associe au vol du feu que sous couvert de la chute et de la sortie du Paradis terrestre.

C’est le martyr sur le rocher du Caucase qui rapprochera son image de celle du Christ supplicié sur la croix. Tous les deux seront martyrs d’avoir porté la lumière chez les hommes, l’un transpercé par le bec de l’aigle et enchaîné à la terre et l’autre par la lance au sommet de la montagne. On voit nettement une gradation entre les deux figures. Prométhée sous cet aspect serait l’annonciateur du Christ ?

 

B / Du feu spirituel au feu banal

Diffusion et banalisation matérialiste.

 Humanisation, domestication, dispersion du feu (mouvement centrifuge)

Prométhée s’empara frauduleusement du feu d’un boiteux qu’il protégea dans le but de transmettre.

 

Protection et diffusion

Il  transporta le feu en le domestiquant dans une férule, sorte de fenouil pour le protéger et le conserver. Le feu caché et secret fut protégé et diffusé. Le vol eut lieu dans une forge dont le Tubalcaïn des francs-maçons sera issu, la forge est l’endroit de la conservation et de l’entretien du feu. Il se situe à l’écart du sommet olympien, plus bas dans une cavité creusée dans la montagne

Quoiqu’il en soi, Prométhée protège le feu transformateur comme un bien précieux dans une concavité végétale protectrice, substitut de la cavité de la forge. En effet ce légume, sec de l’intérieur l’isolait de l’humidité. Néanmoins, ce feu qui jadis était éternel au sommet de l’Olympe n’était désormais que superficiel et périssable aux mains des hommes.

La descente du feu de l’Olympe l’exposa à son extinction, il devient aussi fragile que la lueur d’une bougie dans la nuit. Il fallut le répandre auprès d’hommes, le transmettre pour qu’il ne s’éteigne pas : le parcours de la montée comme celui de la descente de l’Olympe sont initiatiques.

De l’unité originelle, nous passons à la dispersion et la dissipation. Cette dispersion serait de même nature que la dispersion des langues dans le mythe babélien, ce qui nous incite à penser que la lumière issue du feu divin est de même origine que le verbe profané par l’hybris babélien. Au bout de la chaîne de transmission et malgré le temps, les conditions du transport, les aléas de sa conservation, le feu conserve une trace de son origine olympienne.

Domestiquer le feu de l’’Olympe, tel est le pouvoir de l’homme, donnant au feu un aspect hybride divin par son origine et profane par son usage.

 

 

Les trois règnes[19]

Le feu s’associa à la matière (four-creuset-forge-minerai), au végétal (férule) et à l’animal (cuisson de la viande) et à l’homme prométhéen, pour ses fonctions utiles et universelles. Cependant, par analogie les hommes découvriront la dimension spirituelle du feu devenu lumière. Une lumière spirituelle est présente dans les trois règnes, une lumière de sagesse qui ici bas ne serait visible que pour le sage qui ne céderait pas au monde des apparences.

C’est cette part cachée de la lumière que les francs-maçons recherchent, contribuant ainsi à l’harmonie du monde.

 

Les quatre âges[20]

La confiscation du feu divin par Zeus en représailles de l’épisode du partage bœuf, installa chez l’Homme la notion de travail, car, à défaut de viande cuite ou bouillie pour survivre, il devait cultiver des céréales. Le travail pour survivre fit sortir l’homme de l’âge d’or, et de l’âge d’argent sortes de paradis où tout lui était donné. C’est ainsi, comme le souligne la Bible, que l’homme ne devrait sa survie qu’à la sueur de son front.

L’homme entra dans l’âge de fer, celui que l’on produit à partir d’un minerai extrait des entrailles de la Terre et que l’on fait fondre et transformer avec le feu volé d’Héphaïstos. En souvenir de cet épisode le franc-maçon abandonne ses métaux à l’entrée du la loge, sur les parvis, afin de rétablir une relation apaisée, un dialogue, une reliance entre le ciel et la terre et pouvoir faire briller la parcelle de lumière qui est en nous.

 

 

C/ Les chemins de l’Olympe

 Tradition et transmission initiatique : feu sacré et feu secret, chemin de mémoire.

Le mythe prométhéen inaugure secrètement une autre dimension signifiante et agissante. Au-delà de l’aspect moral et de la connaissance de la diké et de l’hybris, se dissimule un aspect plus initiatique.

 

Transgression et reliance

Il y a clairement une « reliance »[21] établie entre la chose ou l’être constitué gardien du feu et la lumière divine. C’est une reliance de nature transgressive. Le fait qu’il y ait eu vol ne change rien à l’origine du lien. Nous pensons d’ailleurs que la transgression est un élément de l’initiation et donc conforte la transmission initiatique sans la vicier[22]. La tradition est transgressive et la transgression régénère la loi divine, c’est ce que nous apprend la lutte des Anciens dieux grecs et des Nouveaux, mais aussi le mythe Prométhéen et celui de la parole perdue chez les francs-maçons. Le « Nouveau » celui qui monte au sommet est toujours un démiurge potentiel pour l’Ancien. L’homme grâce à Prométhée vient prendre sa place dans ce concert céleste, il veut remplacer Zeus.

On notera que le feu prométhéen permet de créer comme dieu « dans la matière », c’est la voie de l’artisan.

Les trois voies d’accès au sommet

Par sa descente du sommet de l’Olympe, le feu sacré conserve intacte, ses potentialités originelles pour qui sait les lire et les mettre en œuvre. La mise en œuvre est cette fois-ci tout intérieure et nous permet d’agir selon les principes de sagesse en l’absence d’hybris. Ce feu est, sous cette condition,  lumière spirituelle et vient créer les trois voies initiatiques que nous pratiquons depuis. Ces trois voies permettent à tout initié de retrouver le chemin du sommet de la montagne sacrée :

 

  • La voie artisanale d’un Épiméthée plus éclairé sur son acte et sa finalité en regard de l’esprit qui réside dans la matière. La Lumière est dans l’acte transformateur, c’est l’équerre sur le compas, ou la pierre cubique
  • La voie chevaleresque donnant au type de l’homme prométhéen une quête vers un idéal lumineux jusqu’au sacrifice. C’est l’Équerre entrelacée au Compas ou la truelle et l’épée.
  • La voie sacerdotale donnant au porteur de lumière une délégation divine pour accueillir la parole divine, parler aux hommes et recevoir leurs prières. C’est le Compas sur l’Équerre, ou le bâton d’Hermès.

Bien entendu cette dimension[23] n’est perceptible qu’à la condition d’interpréter le mythe dans la fonction qui lui est réservée : il s’agit d’un niveau de langage qui parle à l’être moral lié au logos et à sa logique démonstrative, mais aussi à l’être spirituel qui est en nous, relevant cette fois-ci du muthos[24] et des représentations mentales qu'il génère.

Les mythes par défaut ne sont interprétés qu’au premier stade celui de l’aspect moral, il faudrait tenter de pousser un peu plus loin nos approches et dépasser le point de vue académique pour entrer dans la vision initiatique.

(…)

E.°.R.°.    RL « Les Écossais de Saint Jean » A l’O.°. de Hyères

 

[1] L’Anabase (anábasis, « l'ascension, la montée [vers le Haut Pays] ») est une des plus célèbres œuvres de l'auteur grec Xenophon. Le parcours réussi du contingent grec dite armée des 10 000 à travers l'empire perse a frappé les contemporains de Xénophon. Après une marche de 1.400 kilomètres, ses troupes rencontrèrent celles d'Artaxerxès — environ 40.000 hommes, ou près d'un million selon Xénophon à Counaxa sur la rive gauche de l'Euphrate, à environ 70 km au nord de Babylone. La bataille était gagnée grâce aux mercenaires grecs jusqu'au moment où Cyrus fut tué d'un coup de lance à l'œil alors qu'il allait lui-même tuer Artaxerxès, ce qui donna de fait la victoire à ce dernier sur une armée désemparée par la perte de son chef.(WP 2018) L’anabase est l’histoire d’un victoire difficile sur un plan de gloire éloigné du plan originel.

[2] Les Anciens devoirs établissent une communauté de métier autour de règles comportementales et la connaissance de la géométrie opérative dont l’objectif reste la connaissance de l’art de bâtir le temple. Ainsi la part initiatique de ces manuscrits ressort à la « connaissance » de l’échelle des arts libéraux qu’il faut gravir progressivement comme une montée à l’échelle « qui s’en sert correctement peut gagner le ciel » Régius n°576.

[3] « Prométhée enchaîné » ed Charpentier, Paris, 1870.

[4] Le Temple que bâtissent les francs-maçons est un contenant destiné à recevoir la Shekinah, la présence divine. Il n’est pas inutile d’envisager l’acte de bâtir la maison de Dieu sur terre comme un acte prométhéen au sens ou l’homme maîtrise et s’approprie la dimension divine. Tout résulte de l’intention qui précède l’acte. Pour éviter cette dérive, l’homme affirmera sa grande dépendance a l’égard de son dieu par des offrandes et prières notamment. Cependant cette déviation fut rompue par l’épisode du partage équitable, permettant, et ceci de manière définitive la qualification de l’acte prométhéen de démiurgique car opérant sur le microcosme.

[5] Se pose alors la qualité de la transmission spirituelle du Titan. Lui-même soumis à l’hybris titanesque, il ne peut faire autrement que d’implanter par son acte transgressif l’hybris en l’homme.

[6] Voir à ce sujet la tradition maçonnique des colonnes antédiluviennes où sont gravées les connaissances de Pythagore et d’Hermès Trismégiste

[7] Point de vue développé par Gaston Bachelard dans la « psychanalyse du feu »

[8] 1 Roi 6-7 : « Lorsqu'on bâtit la maison, on se servit de pierres toutes taillées, et ni marteau, ni hache, ni aucun instrument de fer, ne furent entendus dans la maison pendant qu'on la construisait. »

[9] 1 Roi 6-7&nbs

En relisant ces textes on comprendra pourquoi l’homme en général et l’habile artisan en particulier, peuvent être considérés comme des démiurges.

Extrait de la Théogonie d’Hésiode  (http://remacle.org/bloodwolf/poetes/falc/hesiode/theogonie)

« Japet épousa Clymène, cette jeune Océanide aux pieds charmants ; tous deux montèrent sur la même couche, et Clymène enfanta le magnanime Atlas, l'orgueilleux Ménétius, l'adroit et astucieux Prométhée et l'imprudent Epiméthée, qui dès le principe causa tant de mal aux industrieux habitants de la terre, car c'est lui qui le premier accepta pour épouse une vierge formée par l'ordre de Jupiter. Jupiter à la large vue, furieux contre l'insolent Ménétius, le plongea dans l'Érèbe, après l'avoir frappé de son brillant tonnerre, pour châtier sa méchanceté et son audace sans mesure. Vaincu par la dure nécessité, Atlas, aux bornes de la terre, debout devant les Hespérides à la voix sonore, soutient le vaste ciel de sa tête et de ses mains infatigables. Tel est l'emploi que lui imposa le prudent Jupiter. Quant au rusé Prométhée, il l'attacha par des noeuds indissolubles autour d'une colonne ; puis il envoya contre lui un aigle aux ailes étendues qui rongeait son foie immortel ; il en renaissait autant durant la nuit que l'oiseau aux larges ailes en avait dévoré pendant le jour. Mais le courageux rejeton d'Alcmène aux pieds charmants, Hercule tua cet aigle, repoussa un si cruel fléau loin du fils de Japet et le délivra de ses tourments : le puissant monarque du haut Olympe, Jupiter, y avait consenti, afin que la gloire de l'Hercule thébain se répandît plus que jamais sur la terre fertile. Dans cette idée, il honora son illustre enfant et abjura son ancienne colère contre Prométhée, qui avait lutté de ruse avec le puissant fils de Saturne. En effet, lorsque les dieux et les hommes se disputaient dans Mécone, Prométhée, pour tromper la sagesse de Jupiter, exposa à tous les yeux un boeuf énorme qu'il avait divisé à dessein. D'un côté, il renferma dans la peau les chairs, les intestins et les morceaux les plus gras, en les enveloppant du ventre de la victime ; de l'autre, il disposa avec une perfide adresse les os blancs qu'il recouvrit de graisse luisante. Le père des dieux et des hommes lui dit alors : "Fils de Japet, ô le plus illustre de tous les rois , ami ! avec quelle inégalité tu as divisé les parts !"
Quand Jupiter, doué d'une sagesse impérissable, lui eut adressé ce reproche, l'astucieux Prométhée répondit en souriant au fond de lui-même (car il n'avait pas oublié sa ruse ingénieuse) : "Glorieux Jupiter ! ô le plus grand des dieux immortels, choisis entre ces deux portions celle que ton coeur préfère."
A ce discours trompeur, Jupiter, doué d'une sagesse impérissable, ne méconnut point l'artifice ; il le devina  et dans son esprit forma contre les humains de sinistres projets qui devaient s'accomplir. Bientôt de ses deux mains il écarta la graisse éclatante de blancheur ; il devint furieux, et la colère s'empara de son âme tout entière quand, trompé par un art perfide, il aperçut les os blancs de l'animal. Depuis ce temps, la terre voit les tribus des hommes brûler en l'honneur des dieux les blancs ossements des victimes sur les autels parfumés. Jupiter qui rassemble les nuages, s'écria enflammé d'une violente colère ; "Fils de Japet, ô toi que nul n'égale en adresse, ami ! tu n'as pas oublié tes habiles artifices." Ainsi, dans son courroux, parla Jupiter, doué d'une sagesse impérissable. Dès ce moment, se rappelant sans cesse la ruse de Prométhée, il n'accorda plus le feu inextinguible aux hommes infortunés qui vivent sur la terre. Mais le noble fils de Japet, habile à le tromper, déroba un étincelant rayon de ce feu et le cacha dans la tige d'une férule. Jupiter qui tonne dans les cieux, blessé jusqu'au fond de l'âme, conçut une nouvelle colère lorsqu'il vit parmi les hommes la lueur prolongée de la flamme, et voilà pourquoi il leur suscita soudain une grande infortune. D'après la volonté du fils de Saturne, le boiteux Vulcain, ce dieu illustre, forma avec de la terre une image semblable à une chaste vierge
 … »

 

Platon, Protagoras, 320c-321d :

« C'était le temps où les dieux existaient déjà, mais où les races mortelles n'existaient pas encore. Quand vint le moment marqué par le destin pour la naissance de celles-ci, voici que les dieux les façonnent à l'intérieur de la terre avec un mélange de terre et de feu et de toutes les substances qui se peuvent combiner avec le feu et la terre. Au moment de les produire à la lumière, les dieux ordonnèrent à Prométhée et à Epiméthée de distribuer convenablement entre elles toutes les qualités dont elles avaient à être pourvues. Epiméthée demanda à Prométhée de lui laisser le soin de faire lui-même la distribution: " Quand elle sera faite, dit-il, tu inspecteras mon œuvre." La permission accordée, il se met au travail.

Dans cette distribution, ils donnent aux uns la force sans la vitesse ; aux plus faibles, il attribue le privilège de la rapidité; à certains il accorde des armes; pour ceux dont la nature est désarmée, il invente quelque autre qualité qui puisse assurer leur salut. A ceux qu'il revêt de petitesse, il attribue la fuite ailée ou l'habitation souterraine. Ceux qu'il grandit en taille, il les sauve par là même. Bref, entre toutes les qualités, il maintient un équilibre. En ces diverses inventions, il se préoccupait d'empêcher aucune race de disparaître.

Après qu'il les eut prémunis suffisamment contre les destructions réciproques, il s'occupa de les défendre contre les intempéries qui viennent de Zeus, les revêtant de poils touffus et de peaux épaisses, abris contre le froid, abris aussi contre la chaleur, et en outre, quand ils iraient dormir, couvertures naturelles et propres à chacun. Il chaussa les uns de sabots, les autres de cuirs massifs et vides de sang. Ensuite, il s'occupa de procurer à chacun une nourriture distincte, aux uns les herbes de la terre, aux autres les fruits des arbres, aux autres leurs racines; à quelques-uns il attribua pour aliment la chair des autres. A ceux-là, il donna une postérité peu nombreuse; leurs victimes eurent en partage la fécondité, salut de leur espèce.

Or Epiméthée, dont la sagesse était imparfaite, avait déjà dépensé, sans y prendre garde, toutes les facultés en faveur des animaux, et il lui restait encore à pourvoir l'espèce humaine, pour laquelle, faute d'équipement, il ne savait que faire. Dans cet embarras, survient Prométhée pour inspecter le travail. Celui-ci voit toutes les autres races harmonieusement équipées, et l'homme nu, sans chaussures, sans couvertures, sans armes. Et le jour marqué par le destin était venu, où il fallait que l'homme sortît de la terre pour paraître à la lumière.

 Prométhée, devant dette difficulté, ne sachant quel moyen de salut trouver pour l'homme, se décide à dérober l'habileté artiste d'Héphaïstos et d'Athéna, et en même temps le feu, - car, sans le feu il était impossible que cette habileté fût acquise par personne ou rendît aucun service, - puis, cela fait, il en fit présent à l'homme.

C'est ainsi que l'homme fut mis en possession des arts utiles à la vie, mais la politique lui échappa: celle-ci en effet était auprès de Zeus; or Prométhée n'avait plus le temps de pénétrer dans l'acropole qui est la demeure de Zeus: en outre il y avait aux portes de Zeus des sentinelles redoutables. Mais il put pénétrer sans être vu dans l'atelier où Héphaïstos et Athéna pratiquaient ensemble les arts qu'ils aiment, si bien qu'ayant volé à la fois les arts du feu qui appartiennent à Héphaïstos et les autres qui appartiennent à Athéna, il put les donner à l'homme. C'est ainsi que l'homme se trouve avoir en sa possession toutes les ressources nécessaires à la vie, et que Prométhée, par la suite, fut, dit-on, accusé de vol ».

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