2 - Une autre lecture
2-1 / Peut-on envisager un autre niveau de lecture moins substantielle et plus essentielle, plus intuitive ?
Il est possible d’envisager une autre classification qui surmonte les contradictions du sens (polysémie symbolique), grâce à la nature essentielle de l’œuvre du bâtisseur.
Pour cela il faut revenir sur la démarche fondatrice des mythes de la construction qui est issue du texte de l’Exode : « Et ils me construiront un sanctuaire pour que je sois au milieu d’eux. » La sédentarisation du peuple hébreu appela la construction d’un temple suivant le schéma du tabernacle de Moïse de la période nomade. Il y a deux notions qui s’entremêlent : la matière, la pierre et la Shekinah. Un contenant protecteur, le tabernacle, le temple qui font sens, et un contenu qui est « essentiel » la présence divine. Hiram est chargé de mettre en œuvre les plans davidiens sur la pierre de fondement choisi par Salomon au sommet du mont Moriah. Tous les éléments indispensables à l’exercice anagogique sont en place avec l’essence symbolique via la Shekinah[1].
L’œuvre est une construction autour d’une même essence[2] au même titre que la pierre ointe de Jacob. Hiram assassiné sera via ses reliques, porteur de l’essence qu’il a mise en œuvre à partir des plans divins d’origine divine jusqu’au Temple de nature substantielle. L’essence traverse l’ensemble et dépasse le sens
2-2 / Du raisonnement causal à l’intuition
Il y aurait donc plusieurs avantages à vouloir une distinction entre sens et essence. Notamment la possibilité d’étudier la voie intuitive que d’aucuns qualifient de cardiaque.
Le post-mortem symbolique issu de la mort de l’architecte et reposant sur ses reliques sera qualifié par nous d’essence symbolique. Dans la relique elle se manifeste par une trace appartenant au domaine du ressenti qui semble impérissable en l’homme. Exit la rationalité des causes : l’absence définitive d’Hiram se traduit par une « présence » transmissible moins par raisonnement (comment serait-ce possible ???) que par intuition, comme une évidence !
Mais cette intuition est tout de même liée à la représentation par l’image graphique et corporelle, par le verbe (légende et catéchisme), l’ensemble devenant concept vécu au concret dans ses effets psychiques et collectifs. On fait redescendre le concept du rituel initiatique dans le réel vécu c’est le rôle de l’essence symbolique au grade de maître. L’absence et le trauma en viennent à favoriser le ressenti essentiel.
Nous avons changé d’intelligence, celle-ci ne s’arrête plus à l’interprétation des sens et des signes. Elle outrepasse les sens successifs et graduels du symbole. Cette intelligence du signe est directement située dans un plus haut signifié.
2-3 / Le paradoxe des sens multiples résolus par l’essence
Le rituel bien joué, malgré ses éventuels contresens, serait potentiellement agissant en essence dans un signifié puissant. Il suffit de laisser l’intuition résoudre les apparents paradoxes de l’absence. Ici dans l'exemple de la filiation Hiramique on associe l’essence à une succession d'archétypes partageant un même schème de l’incarnation de l’esprit. Ainsi la structure cachée de l’homme et du temple serait reliquaire de la lumière.
L’intuition suit le chemin de l’essence symbolique dont la caractéristique principale est de ne pas se soumettre à une logique causale. Néanmoins elle s’inscrit dans l’ambiance du « ressenti » de quelque chose qui lui sert de point de départ.
Nous pressentons la persistance d’une sorte d’influx associé à une imagerie mentale qui valide cette intuition. Donc l’essence du symbole sort du cadre rationnel pour entrer dans l’intelligence intuitive de la trace et de l’incarnation lumineuse. L’initiatique est rejoint par le mystique, l’essence du symbole serait leur trait d’union !
Qu’importe la vérité historique ou la chronologie ou la logique vertueuse, ce qui compte, c’est ce que l’essence symbolique révèle en nous : une prédisposition à voir intuitivement dans un plus haut « essentiel ».
Conclusion, il est possible que l’intuition en sa qualité de connaissance instantanée fonctionne sur le registre de l’essence symbolique… le sens restant affecté à l’herméneutique.
Ce schéma qui suit est dédié à l’élaboration d’une spiritualité construite sur une pierre de fondement[3] à partir d'une perception aussi humaine que variable (Spiritualité construite).
Heuristique de la traversée axiale du Maître en fonction du contexte et du cotexte rituel et de sa compréhension en regard du sens symbolique perçu et de ses contresens et non sens(E.°.R.°.)
3 - La mort du Héros et ses conséquences
3-1 /Mort du sens et avènement de l’essence symbolique.
Il nous semble que ce grade se prête à une interprétation élevée en s’appuyant sur l’artifice de la substitution symbolique. Le rite nous invite à un travail de synthèse avec moins d’herméneutique[4] (explication de texte, apparence utile et causale du signifiant) pour tendre vers l’anagogie (élévation plus spirituelle et plus intuitive plus essentielle du signifié fondée ici sur l’absence du signifiant premier). Ce grade introduit une nouvelle expérience vécue qui outrepasse le sens symbolique de l’objet représenté. Ce « vécu » ou ressenti[5] est donc lié à « l’envol du sens » qui emporte le signifié dans un registre supérieur. Cette lecture du signifié supérieur s’appuie sur « l’essence symbolique ». Nous utiliserons le drame Hiramique pour tenter d’installer la notion d’essence symbolique, nous pourrions tout autant exploiter les diverses traductions du mot de maître (MB etc…) dans les différents rites. Si nous admettons que le symbole est une représentation mentale fondée sur une extrapolation de l’objet signifiant faisant sens, alors que serait l’essence symbolique ? De notre point de vue, l’essence symbolique est la valeur signifiée au plus haut d’un symbole, jusqu’au signifié « spiritualisé[6] ».
3-2 / Comment démontrer que l’essence symbolique s’associe à la notion de trace « ressentie » dans l’objet substitué ?
La particularité de l’essence symbolique est de traverser tous les sens cognitifs et réflexifs en y laissant une trace « ressentie », que l’objet signifiant soit présent, absent ou substitué. L’expression « ressenti » associée à l’essence exprime qu’il est possible de lire le réel dans une dimension qui ne se borne pas aux limites du sens discursif et de s’affranchir de l’inconstance du sens relatif.
Il n’est pas gênant que le Héros, signifiant premier (Hiram), ait disparu, car le signifiant substitué ou secondaire (l’os et son cortège symbolique contenant-contenu) est par son identité essentielle « imprégné » de la « trace » du signifiant premier. Cette trace participe du réel « ressenti » créant une impression qui affectera notre représentation mentale. Cette trace est supposée persister dans l’objet relique, ici l’os, mais ce pourrait être le mot de Maître « substitué ». Cette trace est un marqueur de l’essence, marqueur invisible et pourtant si intuitif. Ce constat de la trace se fait dans toutes les sociétés primitives et le culte des reliques du moyen-âge s'inscrit dans le réel « ressenti » aux plans individuel et collectif. La notion de trace reliquaire est si présente qu'elle s'est traduite par les pèlerinages qui ont financé la construction des cathédrales. Donc l’essence du symbole premier disparu, laisse une trace « ressentie », un marquage dans l’objet symbole substitué qui prend sa suite.
3-3 /Surdétermination de l’essence par le groupe, jusqu’à l’idéal.
Ce qui est partagé entre les hommes, c’est moins le sens toujours relatif que l’essence stable du symbole. Cette essence ne se délivre que dans un groupe constitué qui va la valider en fonction de l’inné instinctif et de l’acquis culturel. Cette validation est requise, car l’identité et l’appartenance de chacun audit groupe en dépendra. Inversement la survie de l’individu dépendra de sa capacité à assimiler la vision conforme du groupe ou de la tribu. Nous revenons ainsi à une notion bien connue des loges régimentaires Stuartistes « l’esprit de corps ». Cette notion implique le partage d’une vision en essence appelée « idéal » commun jusqu’au sacrifice issue d’une « veillée d’armes ». Cette vision concernait justement la structure cachée dans l’archétype de l’autorité surplombante[7] quel que soit son cadre. L’idéal collectif et le signifié essentiel trouvent à s’associer.
Nous avons coutume de dire que, d’un rite à l’autre, nous tendons vers le même objectif qui est celui de l’exemplarité, du respect du devoir et de la transmission ritualisée. Le rituel collectif donne à voir, il est phénoménal au sens littéral et son mode de représentation collectif dépasse le sens pour valider l’essence du symbole[8].
3-4 / L’intuition identitaire
L’intuition déclenchée par le trauma de la disparition d’Hiram n’a d’autre fondement que l’expérience commune de la survie.
La causalité mentale et l’intuition viennent renforcer la force du groupe réuni pour constater et mimer une transmission reliquaire. La raison d’être d’un groupe qui transmet est de se perpétuer. L’image du tableau de loge est alors dirimante, elle chasse la rationalité profane du pourquoi et comment et fait oublier l’absence de l’objet symbolique premier (Hiram) pour installer une causalité phénoménale irrationnelle, perçue et validée par tous comme réelle grâce au schème sous-jacent intuitivement reconnu.
La surdétermination de l’essence par le groupe sera, pour nous, le point sommital et unificateur de toutes les diversités polysémiques des différents rites pour un même objet symbolique. Ainsi nous éviterons l’écueil du non-sens et du contresens que l’on retrouve dans l’interprétation relative propre au rite et à sa pratique contemporaine ou à l’interprétation politique désacralisée d’une obédience.
E.°.R.°.
[1] La Shekinah est l’illustration parfaite du caractère irrationnel d’une présence signifiée « essentielle » en l’absence de signifiant « substantiel »autre qu’un réceptacle concret supposé en recevoir l’influx…
[2] Dans le registre de la transposition symbolique peut dire que la pierre est essence, que le temple devient essence, qu’Hiram lui-même est essence et que ses reliques sont essence.
[3] Il est aussi valable pour l’interprétation « essentielle » de tous les symboles de « reliance à plus haut », tel que la pierre dressée et ointe de Jacob. Ce symbole porte la représentation archétypale de « l’esprit dans la matière ». Il s’adosse à la vision du schéma de reliance par la vision du Temple de David, ou la vision de l’échelle de Jacob. Les 2 visions se font entre la terre qui porte l'homme qui songe et le ciel qui illumine sa pensée. À l’issue de cette vision et après le combat avec l’ange, Jacob deviendra Israël, porteur d’une Alliance…Quant à Salomon fils de David il retrouvera la pierre de fondement du futur Temple…(retour à la source, au Pardes)
[4] Aux deux grades précédents signifiants et signifiés étaient en corrélation parfaite : les éléments nous étaient connus et l’autre soi-même accessible et mesurable. Désormais la disparition traumatique du signifiant détruit la relation sensuelle, cognitive et rationnelle signifiant – signifié. Une relation irrationnelle s’installe entre un signifiant substitué et un signifié en essence.
[5] Bien entendu nous n’affirmons aucune vérité scientifique, mais nous constatons un état d’un point de vue humain.
[6] Ceci n’implique pas une croyance religieuse, mais il semble probable que cette technique de l’essence symbolique soit couramment utilisée en matière de croyances et très certainement dans la voie mystique. L’essence symbolique serait une des bases de la transmission sacerdotale. Elle est associée aux signifiés des Grands mystères.
[7] Cette autorité surplombante est identique pour le mythe de la construction sacrée, et pour les mythes de la Connaissance dans les trois voies, artisanale, royale et sacerdotale : il s’agit d’une relation géométrique de l’individu au tout avec un plus haut (plan de gloire) et un ici-bas (plan d’exercice).
[8] C’est ainsi que le respect de l’autorité surplombante est certes dicté par des notions liées à la survie de l’individu identifié à un groupe, à la survie du groupe lui-même, mais plus encore à la représentation essentielle de cette autorité. Cette représentation archétypale est en partage entre chaque membre du groupe. Lorsque le groupe veut se donner des éléments identifiables d’appartenance qui font sens, il exprime des symboles visuels d’appartenance reprenant consciemment ou non, l’archétype dans sa structure secrète : peinture sur la peau des Pictes, spécifique d’une tribu à l’autre, tatouages identitaires, tartans écossais claniques, couleur d’uniforme, mot de passe, accent linguistique, etc. Ces signes extérieurs ont en partage l’essence symbolique commune relative à leur communauté.