"3 pas m’ont amené jusqu’ici, cela aurait pu tarir ma curiosité, mais il n’en a rien été…Participer aux mystères de la franc-maçonnerie n'est pas un vain mot
Pour aller plus avant dans ma découverte de ces fameux secrets, il me fallait plancher sur le tableau de loge. Par mes lectures, j’ai voyagé dans le temps et l’espace, fleuretant entre la légende, l’ésotérisme et le réalisme. J’ai tenté de comprendre et apprendre à l’imitation de mes devanciers, mais également j’ai surtout tenté d’imaginer...
En effet si le tableau de loge possède une valeur évocatoire à un grade donné alors en sa qualité d’image il doit ouvrir l’imagination de celui qui l’observe.
Naissance du tableau de loge :
Dans le discours classique des maçons il apparaît que ceux-ci on voulu donner une dimension initiatique à leurs admissions en loge en recréant un univers pseudo opératif, calqué sur la voie artisanale et la légende de la construction du Temple de Salomon.
Ainsi le 1er de mes voyages m’amène au temps des constructions des cathédrales, j’en ai visité beaucoup, mais j’en avais un regard contemplatif. Je n’imaginais pas trouver adosser à l’un de ses murs en construction, un local de chantier appelé loge.
À l’intérieur de la loge, mais aussi sur le chantier, de jeunes ouvriers recevaient secrètement l’apprentissage des maîtres bâtisseurs et des architectes. Cela se faisait sous la forme verbale et graphique, car ils ne savaient ni lire ni écrire puis, apprenaient le maniement d’outils comme le niveau, le fil à plomb, la planche à tracer, la géométrie… Au fil du temps les plus doués et les plus persévérants deviendraient Maître bâtisseur et seraient à leurs tours dans la transmission d’un savoir-faire du maçon opératif et créateur de chefs d’œuvre. Ce modèle de transmission alliant savoir-faire et savoir-être inscrit chacun de nous dans une mouvance ancestrale qui nous rassure et nous conforte ; nous continuons l’œuvre de nos prédécesseurs, du moins en esprit.
Des siècles passent, ces transmissions à couvert ne se font plus qu’avec des maçons opératifs, mais intègrent des aristocrates, des hommes cultivés, des hommes de lumières, mais aussi des partisans de causes politiques : de l’opératif et du politique nous basculons sur le spéculatif. On dit aussi que les premières loges non opératives apparaissent en Écosse et en Angleterre dans la mouvance des Stuarts. Elles se réunissent sous le sceau du secret, ont des éléments de langages spécifiques et pratiquent des codes de reconnaissance. Ces loges seront implantées au royaume de France à Saint-Germain-en-Laye en 1689. Le modèle Stuartiste sera repris par les Hanovriens et développé dans un sens plus universel. Sur le continent les premières loges seront surtout régimentaires puis bourgeoises.
Leur regroupement se faisait dans des lieux secrets improvisés tels que je l’ai découvert lors d’une visite dans les souterrains de Provins (en Seine-et-Marne) et dont il ne reste comme stigmates de leur présence que la trace noire laissée par leurs flambeaux et quelques représentations d’équerres et de compas gravés dans la pierre. Mais je l’apprendrai que bien plus tard, le plus important avait disparu : le tableau de loge – soit notre planche à tracer- car elle se dessinait au sol à la craie pour la tenue, puis était effacée pour que toute l’information et les codes graphiques qu’elle contenait ne soient dévoilés à qui ne serait pas franc-maçon.
Puis la franc-maçonnerie s’est « institutionnalisée » les réunions se faisant dans des lieux dédiés appelés temple, le tableau de loge n’avait plus à être systématiquement détruit il s’est donc transformé en tapis de Loge
Le tableau de loge in situ :
Nous avons sous nos yeux cette représentation graphique, cette iconographie : le profane y voit des outils, des éléments d’architecture. Il imagine que l’ensemble de ses représentations exprime quelque chose à l’instar de ces vitraux, ces sculptures, dans les cathédrales racontant La bible à ceux qui ne savaient ni lire ni écrire.
Si j’avais à le décrire, je dirais qu’il n’est que la projection au sol de la représentation de la loge : j’y retrouve les deux colonnes qui flanquent l’entrée, les colonnettes, les outils, les deux astres, les fenêtres…. Le centre de la loge où il se tient « concentre l’ensemble du volume de la loge. Cette image est donc une synthèse qui s’organise avec sa propre logique et reste facile à mémoriser. On peut dire que c’est une image mémorielle de mon grade.
Le tapis de loge participe à la finalité du rituel d’ouverture de la loge, comme une projection d’un plan de construction, celui du Temple de Salomon du moins en partie. C’est la valeur symbolique et surtout fondatrice du Temple qui est représentée et son impacte dans l’histoire du monothéisme de la formation du sacré en l’homme. C’est pourquoi nous y retrouvons les colonnes J et B représentant celles en airain du temple de Salomon : une entrée vers un autre monde, hors de l’espace et du temps, dûment séparé du monde profane.
Bien entendu pour le maçon spéculatif (qui analyse le réel au moyen d’un miroir) toutes ces représentations deviennent des représentations mentales. Très vite elles recouvrent un sens anagogique , dépassant le sens commun profane pour atteindre une forme spirituelle, car il n’est plus question ici de bâtir une cathédrale ou autre monument, mais, la réalisation d’un temple intérieur idéal, et de rendre visible l’invisible en soi.
Le cadre sacré et séparé de la loge donne a son image mémorielle une dimension initiatique.
Les outils :
Notre désir d’avoir des ancêtres glorieux reconnus pour leurs réalisations exceptionnelles nous a fait emprunter la fonction symbolique de leurs outils. Ces outils symboliques vont nous permettre de réaliser cette construction intérieure.
Nous pouvons tenter une classification : nous avons représenté sur le tapis de loge les instruments et outils actifs (qui relève de l’esprit) et passifs (de la matière)
Il ressort une cohésion de lecture par l’interprétation philosophique et éthique de ceux-ci (une forme d’antanaclase) évoquant : l’équilibre, la droiture, l’équité, l’égalité sociale, la rectitude de jugement, le perfectionnement, la moralité, le devoir et la connaissance. Ces qualités permettant à tous francs-maçons de se construire.
Le maillet et le ciseau sont les seuls outils liés par l’usage opératif sur la matière « brute ». Lors de mon initiation, ils m’ont permis, par le geste et la symbolique qu’il représente, de commencer à tailler ma pierre. Le maillet symbole de l’intelligence agissant sur la matière et la pensée : ma volonté ne peut agir directement sans le ciseau qui est alors un intermédiaire passif. Ces deux outils associés permettent la création, la transformation ou la destruction s’ils sont mal utilisés. Le premier geste de l’apprenti consistant à percuter la pierre brute va faire appel les trois états qui font notre être : l’état corporel , l’état d’âme, l’état d’esprit ; le retour d’expérience du geste de transformation atteindra le centre de soi, comme le tapis de loge occupe de centre de la loge et de soi en traversant nos trois états.
Le décor aux moult détails :
Les décors de la loge se retrouvent en partie sur le tapis.
La scène est délimitée par une houppe dentelée comme lors d’un spectacle de rue ou la scène éphémère sépare le spectateur de l’acteur, comme le cordeau du maçon opératif qui délimite l’emprise au sol, l’intérieur de l’extérieur.
Elle indique l’orientation de la loge avec ses 4 points cardinaux, les nœuds au nombre de trois sont ici des liens : ils représentent la fraternité, l’attachement que l’on trouve entre francs-maçons. Elle est rompue au niveau des marches m’indiquant le passage comme celui que tout homme fait à sa naissance : je nais très exactement à cet endroit. Il ne me reste plus qu’à gravir ces 3 marches pour passer ensuite entre ses 2 colonnes J et B réalisant une naissance spirituelle et fragile puisque ces colonnes semblent poser en équilibre sur la dernière marche du tableau.
Des trois marches nous pouvons parler de la trinité, les 3 stades de la vie, les 3 pas, le trépas, la tripartition : corps -âme-esprit. Ces trois marches que je dois gravir, pour m’élever je les retrouve au pied du plateau du vénérable.
Mon parcours est ponctué par trois fenêtres qui laissent entrevoir le parcours du soleil du matin jusqu’au soir : un symbole temporel, le midi du minuit. Elles laissent pénétrer la lumière divine tels les vitraux dans les lieux sacrés. Ces fenêtres sont grillagées afin de nous préserver du regard des profanes et donc de leur intrusion, à moins que cela ne permette une projection d’une trame sur le sol de la loge...
Mon regard passe entre les trois colonnettes : sagesse, force et beauté une correspondance se fait entre elles et les 3 principaux officiers de la Loge. Ces colonnettes apparaissent ici comme des bornes jalonnant les angles d’un parcours initiatique géo-centré par le tapis. Selon la position que l’on tient dans la loge, elles me sont apparues soit formant un angle droit, puis formant un alignement (tel un marin tenant un cap), puis une voie séparant les deux parties du tableau me faisant penser à Moïse séparant la mer et montrant le chemin.
Pour le profane 3 colonnes ne suffisent pas à soutenir un toit (celui d’un temple par exemple), pour l’apprenti que je suis je dois comprendre que la 4ème existe, mais n’apparaît pas à nos yeux, car elle relie à l’invisible, au grand architecte de l’univers. Les récits les transmissions sont les fondations de ce pilier absent. Il est l’invisible de l’objectif commun : la construction idéale du Soi.
Au point central sous le tapis, le pavé mosaïque symbole de la dualité qui fait naître une tension créatrice, comme si l’image du tapis et du temple de Salomon étaient nés de la tension entre le bien et du mal. On dit qu’il représente les hommes dans leurs complémentarités et oppositions. De fait il est central et vital car sans hommes point de Loge.
Pourrait-il être à l’image du labyrinthe des cathédrales : métaphore d’un chemin d’embûche ou bien se pourrait- il que ce soit une tombe comme ces stèles que l’on découvre parfois sous nos pieds dans les églises ? Et puisqu’il est central et en imaginant une manipulation centrifuge le blanc et le noir se mélange à nos yeux pour crée le gris, seule synthèse possible dans notre perception du réel.
Mon parcourt visuel s’achève sur 3 « astres » : Le soleil et la lune qui rythment la vie, qui apportent lumière et pénombre, rayonnement et réflexion, et l’hexagramme au REP symbole du grand architecte de l’univers, l’étoile à 6 branches un double triangle inversé superposé et entrelacé, tout un programme…
Conclusion :
Le tableau de loge est un langage commun à presque tous les francs-maçons permettant la transmission, mais il laisse la libre vision à chacun, sa propre perspective du manifesté au non manifesté.
Il fait partie intégrante de notre rite et de nos cérémonies : il est l’objet d’un même partage qui nous relie tous à quelque chose de plus grand que soi.
Il fait que ce qui est en dedans est au-dehors et au-dehors en dedans : l’interaction entre moi dans ma dimension éthique et l’univers dans une dimension métaphysique.
L’image mémorielle du tableau se tient a la croisé des chemins de la loge, du subterrestre et du céleste, organisant ainsi une transcendance dans un espace séparé et sacré."
F.°.R.°. R.°.L.°. « Les Écossais de saint Jean »
avec ajouts E.°.R.°.
Liste des lectures :
La franc-maçonnerie pour les nuls 2015
Voyages dans les tableaux de loge de Dominique JARDIN 2015
Livre de l’apprenti Editions du maçon de Ér.°. ROM.°. 2014
La symbolique maçonnique de Jules Boucher 2015
Détours en France : Le monde secret des cathédrales.