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22 septembre 2013 7 22 /09 /septembre /2013 00:00

Le passage de la ligne...      

Tampon de bord attestant de mon passage de la ligne –

avec le soleil et la lune…       tampon-de-la-ligne-.jpg
     

Le passage de la ligne

 

Il y a 20 ans, j'effectuais mon service militaire dans la marine. En signant un engagement de deux ans, j'ai eu l'opportunité d'être embarqué outre-mer sur un aviso escorteur, le commandant Bory. Durant ce temps, j'ai par trois fois franchi l'équateur, la ligne mythique séparant les deux hémisphères.

 

Dans le sens nord-sud, ce moment a été à chaque fois l'occasion d'un rituel bien connu par tous les marins, appelé « passage de la ligne », ou encore « baptême de la ligne ». 

C'est ainsi que je suis passé de l'état de Néophyte, à celui de Chevalier de la ligne et enfin, lors de mon troisième franchissement, à celui de Dignitaire des mers du Sud.

 

J'avais vécu cet événement comme un bizutage éprouvant la vaillance des marins, voire une manière de souder l'équipage. Même si, comme vous allez vous en rendre compte, ce baptême n'était pas une partie de plaisir pour les néophytes, j'en ai tiré une certaine fierté, car par ce passage j’étais reconnu des anciens marins. Je faisais partie d'une confrérie de métier.

C'est le passage de jeune matelot à celui de marin, comme il existe le passage d'adolescent à celui d'homme. 

 

Bien plus tard, après mon entrée en F :.M :., ce baptême, ce passage de la ligne a eu un nouvel écho en moi. À travers le prisme du symbolisme, je me suis aperçu que ce que j'avais vécu n’était pas dénué de sens, et cela malgré les apparences. J’y ai retrouvé des similitudes avec l'univers maçonnique, même s’il s’agit d’un passage et non pas une initiation. *

*commentaires

 

Mise en condition

 

Impossible de passer à travers, tout marin qui franchit pour la première fois la ligne de l'équateur doit être « baptisé » afin d'expier tous ses péchés d'avant... Dans la marine Nationale, les festivités durent quatre ou cinq jours (dans la marine marchande un seul jour).

La hiérarchie à bord est chamboulée. Il n'y a plus de grades, il n'y a plus que deux catégories de marins, les néophytes et les dignitaires.

Il est très mal vu, et cela pourrait briser sa carrière, qu'un jeune officier essaie de se soustraire à ce rituel. Il en va de même pour d'anciens marins ayant effectué leur travail en métropole, se retrouvant en fin de carrière néophyte.

L'ordre établi n'a plus lieu et c'est un temps suspendu, inversé, qui débute ; un carnaval en pleine mer. Coupées du reste du monde, en vase clos total, les épreuves se déroulent 24 heures sur 24.

Il est possible de faire une comparaison avec les rituels de puberté des tribus primitives où les futurs hommes sont privés de nourriture, mis à l'écart de la tribu, et soumis à diverses brimades. Pour les religions non occidentales, la mort n’est pas une fin mais un rite de passage, selon Micéa Eliade : « La grande initiation ».

Durant quatre jours, les « néos » sont préparés psychologiquement à leur baptême. Malmenés, ils doivent manger à même le sol des repas immondes. Privés de nourritures saines, leurs sens sont altérés en étant bâillonnés, attachés, les yeux bandés des heures durant. Il leur est interdit de regarder ou même d'adresser la parole à un dignitaire sans son autorisation. Ils sont marqués sur le front d'un « N. » pour rappeler leur état.

J'y retrouve des similitudes avec le moment où, dans le cabinet de réflexion, le profane n’est plus rien, mis à l’écart, sous terre.

 

Cette mise au ban de la société est là pour signifier le passage du matelot à une partie du monde inconnue.

Tout comme certains peuples archaïques qui teintent leurs corps en blanc, les corps des matelots seront recouverts de farine à la fin de la cérémonie finale signifiant l'état cadavérique.

Pour s'élever, il faut toucher le fond, passer de l'immonde à la pureté.

Quatre jours à veiller sans fin, à répondre aux ordres les plus absurdes, et à connaître la souffrance qu'ont connue les vieux marins.

Le sentiment du moi, équivalent de la mort, s'efface devant le sentiment d'appartenir à une communauté, à un tout. L'espace temporel devient espace initiatique.

 

Cette épreuve d'avant baptême est à mettre en parallèle aux voyages de l'apprenti. Il nécessite une transformation du soi, une découverte de son moi profond. Ce chaos psychique symbolise le chaos précosmogonique avant la création du monde.

 

C'est ainsi que j'ai vu des « grandes gueules » s'effondrer devant ces brimades, des colosses pleurer la nuit leurs mamans, et d'autres à l'allure fragile supporter les épreuves sans faillir.

 

Dans l'histoire

 

Le rituel du passage de la ligne remonte aux premières traversées de la marine à voiles. En ce temps-là, en plus de donner un nouvel état aux jeunes matelots, cela venait exorciser les peurs du franchissement de la limite d'un monde totalement inconnu. Un inconnu bien réel, déboussolant car les marins perdaient leurs repères d'étoiles et leur nord. La peur de tomber dans le néant était réelle ; un monde inversé avive les plus grands fantasmes.

À cette époque, il semble que le rituel était limité à l'immersion par des seaux d'eau de mer.

Une purification par l'eau dont le principe est bien connu, l'eau, unique élément et seul horizon pour les marins pendant des semaines.

 

Ce passage devait leur faire prendre conscience d'un ailleurs, d'un Nouveau Monde. Ce rituel était certainement la réponse au mythe universel de la fin du monde qui n’est jamais définitive, elle est généralement suivie d’un Nouveau Monde régénéré. Et pour marquer les esprits, il faut bien signifier ce passage. Pour que le marin soit imprégné de ce passage, il va devoir endurer mille épreuves. Dans la marine de tourisme, parfois il existe une petite cérémonie de passage de l'équateur où l'on propose aux passagers de boire une gorgée d'eau de mer... Il est évident que cela devient du folklore et n'a plus aucun sens.

Peu à peu, dans la « royale » ce rituel s'est apparenté à un Carnaval, sans pour autant en perdre son sens initial.

Le rituel que j'ai vécu a été peu à peu codifié dans la marine française sur les premiers navires modernes. J'ai retrouvé le texte du discours de Neptune reproduit par le magazine officiel de la Marine nationale, Col Bleu.

Je suis sûr que certains éléments ont perduré depuis le XVe siècle, âge d'or de la marine à voiles et de la découverte du Nouveau Monde. L'élément principal conservé est la présence de Neptune et Amphitrite dans le rituel.

La réactualisation d'un mythe, nous retrouvons là un thème que nous avons abordé précédemment dans le texte intitulé « le sacré et le profane ». (voir Revue Du Maçon n° 5)

 

La convocation

 

La cérémonie du passage de la ligne est largement théâtralisée. Quelques marins hors cérémonie assurent la sécurité minimale, mais le pouvoir est confié aux anciens suivant leur expérience dans les mers du Sud. C'est ainsi qu'un vieux bosco prendra la place du commandant, le maître d'armes se travestira en Amphitrite, un timonier deviendra Neptune, etc.

Car pour avoir le droit de franchir la ligne il faut en demander l'autorisation au Dieu des mers Neptune (Poséidon).

 

Une nouvelle épreuve attend les néophytes.

Un jour avant le passage, ils doivent venir chercher leur convocation pour se présenter devant Neptune.

Cette convocation, un bout de papier de quelques centimètres, est placée entre les fesses d'un facteur, rôle joué généralement par un homme d'équipage bien charnu, lesquelles fesses ont été au préalable enduites d'aliments dont les dates de consommation ont été largement dépassées. Pour compliquer la tâche, la missive doit être collectée, les mains attachées dans le dos, comprenez avec la bouche et les dents.

 

Jour du passage

 

Le réveil se fait avec un cinglant « Tremblez, Néophytes... ». L'ensemble des « néos » se retrouvent à l'avant du navire où ils doivent essuyer des heures durant un grain, annonçant l'entrée dans le royaume de Neptune et de son épouse Amphitrite. Ce « grain » est symbolisé par des jets d'eau de mer bien réels déversés sur les matelots à l'aide de lances à incendies.

Au point de passage exact de l'équateur, le bateau s'arrête et le plus jeune néophyte aidé d'une gaffe soulève la ligne imaginaire afin que le bateau puisse passer dessous et verser dans l'autre hémisphère.

Puis Neptune et Amphitrite montent à bord pour vérifier que tous les marins sont bien des dignitaires. Il est facile d’y  voir la similitude avec la couverture d'un temple maçonnique.

Neptune lit alors le discours suivant :

 

« En ce... jour de l'an de grâce..., moi, Neptune qui suscite les tempêtes et commande les flots, je vous souhaite la bienvenue, o fiers navigateurs. Vous ayant aperçus dans la flamboyante ondée du majestueux Phoebus, "Mercure", rapide messager m'annonce l'audacieuse intrusion de votre nef aux confins de mon royaume. Et la fidèle Iris m'informe que vous êtes l'équipage de... et que vous venez de France. Soyez mes hôtes d'un jour ». (du Commandant au matelot, Neptune saluera toutes les catégories de personnel du navire).

« Mais que vois-je?

Quel est cet infâme troupeau de bestiaux !! Sont-ce des néophytes que vous m'offrez donc là? Oh !! Vile multitude, craint mon regard divin, Craint mon juste courroux ! Infâmes pourceaux, inclinez-vous devant ma majesté !
Abjecte engeance qui ose souiller ces lieux sacrés et en cet état paraître
Tremblez ! Tremblez Néophytes 

Vous allez subir un baptême purificateur qui permettra peut-être de passer de l'état de non-être à celui de Chevalier des Mouillés, Colorés et Enfarinés. Gendarmes, veillez que pas un n'en réchappe. Juges soyez implacables, faites passer ma justice sans faiblesse. Cireurs et infirmiers mettez de la couleur et appliquez les potions. Fiers sauvages de la tribu des Oula Oula Sa Fait Bobo, noyez-les tous, je reconnaîtrai peut-être les miens. Boulangers, appliquez la blanche pulvérence et humectez-la bien de l'ovoïde produit de nos sociétés aviaires. Il faut que ça colle.
Quant à vous, heureux mortels, profitez pleinement de ce jour de liesse. Je vous souhaite agréable compagnie et plaisirs raffinés. Ma divine protection vous accompagnera jusqu'au terme du voyage. Et peut-être même qu'il fera beau le jour de l'arrivée.
Bonne mer et bon vent !
Venez, chère Amphitrite, que vos chastes paupières dévoilent vos beaux yeux afin qu'ils se réjouissent de cette intronisation salée.
Et maintenant que la fête commence, car tel est notre bon plaisir ! »

 

Le baptême

 

L'un après l'autre, les matelots vont passer devant plusieurs ateliers symboliques encadrés par les gendarmes.

Le Juge qui va signifier une sentence suivant les fautes à expier de sa vie d'avant.

L'avocat, pas toujours de bonne foi, viendra amoindrir ou alourdir la sentence.

Les néophytes devront baiser les pieds de la belle Amphitrite.

L'évêque aidé des enfants de chœur viendra en aide aux condamnés en leur donnant la communion et l'absolution.

L'infirmier procédera à la visite médicale et à l'ingurgitation des potions nécessaires à l'entrée dans les mers du Sud.

Les barbiers raseront les « néos » de très près.

Les mécanos et les cireurs enduiront les corps des infâmes de graisse et de cirage.

La tribu des sauvages installés dans une piscine d'eau de mer a pour mission de faire boire la tasse par trois fois aux matelots en les immergeant, longtemps, longtemps.

Le néophyte sorti de la piscine est confié aux boulangers qui l'enduisent copieusement de farine.

 

Je vous l'accorde, on est loin d'une spiritualité d'élévation, et pourtant...

Je suppose que de telles pratiques existent dans tous les corps militaires.

Là encore, on peut voir une légère similitude avec une loge maçonnique et ses postes  d’officiers.

Je ne suis pas ici pour dire si un bizutage est bon ou mauvais, mais pour faire partager mon vécu.

Ce moment a compté pour moi, je pense en avoir retiré le bon message.

Par la suite, cela a soudé l'équipage, et quelques brebis galeuses ont été découvertes. Nous avons été confrontés, durant cinq jours, à des conditions difficilement acceptables dans un autre contexte, mais nous étions fiers d'être Chevaliers des mers. Pouvoir compter sur l'autre, c'est une nécessité en mer ; en cas d'incendie ou d'avarie, rien ne sert de composer le 18 ou le 112 pour appeler les secours, l'équipage ne peut compter que sur lui-même. 

 

Après mon entrée en F :. M :., ces instants enfouis dans ma mémoire ont resurgi sous un nouvel angle. 

 

Le passage – limite

En ritualisant le passage de l'équateur, les marins ont sacralisé ce moment. En revivant les mêmes brimades que leurs aînés, les jeunes matelots entrent ainsi dans la grande lignée des marins qui sont allés au-delà des mers, vers l'autre monde. C'est ainsi pour toutes les fêtes annuelles, elles réactualisent un mythe et ainsi nous plongent dans un temps suspendu. La question qui se pose est celle de la ligne et de la limite…Que se passe-t-il au-delà ?

 

  Chr.°.Mart.°.   

 

 

 

Commentaires (premiere partie) :

 

Le rite est l’indispensable vecteur de la transmission de la tradition ésotérique ou exotérique.

 

Un rite à pour fonction de révéler au cherchant, une voiesacrée s’il est initiatique ou de rendre compte d’un certain état humain s’il est profane. Il implique un ordonnancement, un processus dramatique précis,  pourvu de sens. Sa fonction consiste à faire voir ou ressentir les chemins qui conduisent aux états supérieurs de l’être. Ainsi il est recherché le dépassement des limites strictement humaines individuelles ou égotiques.

Un rite peut entraîner la mise en œuvre de plusieurs rituels (D’ouverture des travaux, de fermeture des travaux, de tenue funèbre, de tenue solsticiale, d’augmentation de salaire, d’exaltation, etc.), Les rituels peuvent se décomposer en rithèmes (baptême par l’eau, ou par le feu, recomposition élémentaire, mort-renaissance, ingestion, transpercement, marche, envol, descente, etc.). L’ensemble mis en œuvre agit sur des leviers subtils conscients ou inconscients qui selon René Guenon sont susceptibles de transmettre une influence spirituelle.

Un rite initiatique se fonde sur une expérience, un vécu in situ, induisant une métamorphose du regard associé à un recommencement, mais le rituel est dit « de passage » s’il y a un vécu commun d’intégration et le sentiment d’appartenance  à un groupe ou à une classe sociale. Le rite réduit à un rituel de passage correspond généralement à un continuum sociétal et profane.

Le rite initiatique infère un ou plusieurs rituels de passage, mais un rituel de passage isolé n’est pas nécessairement initiatique.

Le rite comprend une succession de rituels qui se jouent en fonction d’une période de l’année et/ou en fonction d’un lieu approprié. La période et le lieu ont pour but de faire revivre un processus ontologique pour l’initiatique, ou une mise en situation ad hoc pour le rituel de passage. Ainsi le rituel de la Saint Jean d’été est un rituel de passage de la lumière solsticiale strictement initiatique pour les francs-maçons qui l’intègre dans un rite maçonnique des loges de Saint Jean. Ce rituel de la Saint Jean est alors une partie du rite maçonnique qui va justifier l’orientation de la Loge calculée en interdépendance avec la place des colonnes marquant le couché du soleil au solstice d’été et d’hiver. Vécu dans les campagnes et particulièrement en Provence ce rituel bien que traditionnel et ancestral n’était pas initiatique pour ceux qui le vivaient. Il n’est alors qu’un vestige fragmentaire de rituels initiatiques antiques bien plus vastes. Il est rendu à une dimension sociétale intégratrice ou l’on démontrait la bravoure des jeunes gens en sautant au-dessus du feu. Il était un repère traditionnel coutumier de type « ritus » pour le basculement des saisons et en ce sens porte un message exotérique de première importance.

 

Le rituel de passage s’attachera à faire passer l’individu d’une rive à l’autre. Il y aura donc un avant, et un après.

Assister ou être acteur d’un rite c’est participer activement à la transmission de celui-ci. Son but est le réveil ou l’éveil d’une conscience individuelle dans un rapport au collectif. La participation collective à un rite d’éveil de la conscience crée un phénomène de cohérence et d’osmose entre les individus.

De cette participation collective, née ou émane un égrégore, c'est-à-dire une entité mentale consistant en une mise en commun d’un ressenti fondé sur l’expérience individuelle partagée.

Ainsi l’individuel intègre le collectif. Par voie de conséquence l’expérience devient collective.

 

L’expérience commune et corporatiste d’un rite de passage est la signature de l’adhésion de l’individu au groupe et de l’acceptation de ce dernier par l’institution. Cette expérience d’adhésion mutuelle se fait par une ou plusieurs épreuves ritualisées, institutionnelles et ancestrales, et constitue un rite de passage essentiellement corporel. Son but est d’intégrer l’individu dans une chaîne de transmission.

Ainsi l’intégration au collectif se fait à deux niveaux : horizontale en intégrant l’individu au groupe ici présent,  verticale en intégrant l’individu à ceux qui ont précédés dans le temps et à ceux qui suivront.

L’intégration se fera par l’élément qui caractérise le groupe, ici l’eau de mer considérée comme le « vêtement » de la sphère maritime. L’aspersion par l’eau salée remplit une double fonction d'enveloppement et de coagulation.

C’est en éprouvant le corps par ses sens  et par voie de conséquence son « état d’âme » que l’on imprime au plus profond de soi la notion d’appartenance et de conscience partagée. Nous savons que le passage de l'experience à la conscience se fait par les sens qui activent l'âme.  De l’expérience partagée par l’eau de mer on passe à la conscience partagée qui est symbolisée par le sel qui va cristalliser. La cristallisation représentant un état de conscience commun.

L’épreuve « sabre » l’innocence des « Néos-néophytes »représentée par l’eau douce du Jourdain (d’où l’expression marin d’eau douce ???).

On fait appel aux Dieux représentatifs de cet élément (Neptune et Amphitrite), avec l’assistance des représentants « carnavalesques » des trois castes initiatiques : l’autorité sacerdotale (évêque), la chevaleresque (gendarme) et l’artisanale (boulanger). Chaque autorité est revêtue de son habit symbolique. (Le lien entre Neptune et les trois voies initiatiques se fait par le trident présent sur le tampon.)

Donc un rite qu’il soit de « passage » ou « initiatique », infère derrière la notion d’épreuve et parfois d’humiliation apparente et d’appréhension, une vérité cachée. La peur, l’éblouissement, les larmes, les épreuves en général sont les bornes d’un processus d'élaboration alchimique interne.

Cet aspect doit être considéré comme vital pour l’équipage. Il met en balance l’individu et le groupe embarqué vivant en milieu confiné et affrontant les éléments. C’est ici que nous pouvons faire une distinction claire entre un rite initiatique et un rite de passage. Ce qui est en cause, c’est la capacité de progression de l’humanisation de l’homme.

Pour un simple rite de passage, cette humanisation consistera à l’abandon de l’innocence du néophyte dans l’épreuve pour assumer son rôle social dans et pour la tribu. Sur le fond il s’agit de servir une utilité collective relative à la survie du groupe entraînant un abandon de souveraineté individuelle. Ici la maison est commune et chacun s’affaire à la survie collective. On est dans une recherche de protection.

Pour un rite initiatique, l’épreuve sous-tend une recomposition. L’humanisation de l’homme s’accompagne d’une élévation spirituelle. Après une mort symbolique, il ne perd rien de sa souveraineté individuelle, mais consacre sa réflexion et son action à grandir vers la lumière. Ici chacun participe dans sa maison à l’œuvre commune. L’initiation maçonnique est une initiation individuelle dans une cadre collectif, chacun s’affaire à l’humanisation de l’Homme par divers moyens, dont la spiritualité. On est dans le construction d’une Œuvre perçue sur un plan de réalisation individuelle dans une perspective de libération ou de délivrance. Cette Œuvre est la reconnaissance des chemins de vie qui mènent à l’Unité.

Un simple rite de passage (tribal corporatiste et opératif) ne doit pas aboutir à grandir l’individu en dehors de l’Œuvre du groupe (exemple la cathédrale à bâtir). L’individu est dévoué à l’œuvre du groupe organisé. Le groupe est l’unité et son Œuvre est à son image. L’individu n’existe qu’au service et au renforcement du groupe. La vie s’envisage et se célèbre dans son unité de base qui n’est pas l’homme, mais le groupe.

Inversement un rite initiatique (franc-maçonnerie spéculative) va faire grandir l’humanisation de l’individu en regard et grâce au groupe. Dans ce denier cas l’individu devient le Tout et son gardien-bâtisseur (reconstruction du Temple de Salomon). Les deux aspects sont complémentaires c’est d’ailleurs le seul moyen de réconcilier les opératifs et les spéculatifs. La sacralité et la spiritualité fut-elle laïque sont de puissants moteurs de transfert du corpus agissant des rites et rituels.

C’est sur ce mode opératoire groupe /individu que se sont élaborés les Rites maçonniques primitifs de transition. On tenta d’allier le groupe et l’individu tendant vers l’esprit élargi. Ce fut la tentative louable, de transmettre les sciences traditionnelles pour les mettre au service d’un humanisme fin connaisseur de la tradition. La scolastique et son trivium – quadrivium constituaient déjà une échelle initiatique où l’homme restait architecte de sa vie et de son ascension vers le visage du divin, l’humanisme l’émancipa du groupe et de la lecture dogmatique. Les différents courants de la science hermétique virent se déverser dans l’athanor de la loge. Apparurent les tendances rationalistes et les tendances magico-occultes qui émargèrent la démarche spirituelle (sans la perdre de vue).

Il n’en demeure pas moins que la démarche initiatique est une réflexion spirituelle basée sur la Vie. Cette « réflexion » telle un miroir met en relation le haut et le bas dans une relation de causalité que l’initié devra décrypter.

« Il n’y a pas d’autre initiation que la vie » disait Robert Ambelain.

(…)

Avant d’aller plus loin, il convient de fixer le problème de l’humiliation et du bizutage dans le rite de la ligne.

Il y a de très beaux rites de passage qui sont mal joués par des acteurs qui ne les ont pas compris. Le rudoiement du corps a pour but d’atteindre l’âme et l’esprit, mais il est inutile d’humilier pour faire grandir. Ainsi on se bornera à remettre en cause l’aspect rayonnant ou apparent du corps et touchant au plus prés la source de son rayonnement. Ce qui peut expliquer le dévêtement partiel, le poignard sur le cœur, etc. Au plan initiatique, cette source sera approchée et activée par le réordonnancement des 5 sens, le néophyte prendra conscience de l’existence d’un corps périssable et d’une âme qui l’anime et assimilera la lumière à l’esprit.

Le rite de passage non initiatique rudoie le corps pour que le groupe s’en empare, la scarification tribale comme le tatouage en sont des stigmates extérieurs.

Inversement en matière initiatique nul besoin d’humiliation qui anéantirait la présence de l’humain dans l’homme. Mais cependant le respect du devoir peut aller jusqu’au sacrifice de soi. Le sacrifice n’est pas une humiliation et correspond à un passage ultime.

Toutefois les véritables épreuves vécues au front appelé « ligne de front », sur mer comme sur terre, dépassent allègrement le stade du bizutage. L’individu incapable de « passer la ligne »n’a probablement pas sa place dans un groupe en situation de combat. Le dépassement psychologique s’associe à une survie qui ne se conçoit pas en dehors du groupe et qui probablement élimine plénitude égotique et l’individualisme.

Pour finir l’humiliation est un sentiment temporaire pour le néophyte qui sera vite remplacé par le sentiment d’appartenance. C’est ici la preuve qu’un rite de cette nature n’est pas initiatique, car il ne débouche pas sur l’élévation spirituelle. Enfin le sentiment d’humiliation de restera dans l’esprit que de ceux qui n’ont fait qu’assister au rite sans le vivre comme expérience ce qui est théoriquement impossible, car tous ceux qui franchissent la ligne doivent vivre cette épreuve. Il ne reste plus que ceux à qui on le raconte qui le verront comme humiliant, car ils n’appartiennent pas au groupe des chevaliers des mers.

(…)

Outre la définition des critères distinguant un rite initiatique d’un simple rite de passage, il convient de découvrir le sens caché du pseudo « dépassement » de la ligne en regard du périple.

Il s'agit du problème non pas de la « ligne », mais de la « limite » et de ce qui se passe au-delà ou plus précisément après.

Si je passe la ligne-frontière, j’aborde un monde inconnu.

Se pose alors la problématique du système référentiel adapté à un nouveau milieu. Ce système référentiel est le fruit de la représentation mentale à partir d’une « connaissance » transmise. Le système référentiel du véritable marin est différent de celle du néophyte. Cette différence justifie le rite de passage qui « réaligne » les systèmes référentiels.

Si un système référentiel sert à l’individu comme au groupe à se situer dans espace-temps et dans un univers donné, alors il nous faudra parler du Nord. (Et du rite du passage corrélatif du cercle polaire !)

L’élément clef du passage de la ligne repose sur une dépolarisation/repolarisation. (Représentée sur le tampon par la présence de deux étoiles)

La représentation mentale intègre de manière dissimilée le changement de pôle et de repère.

Ce changement implique le changement de loi, l’inversion symétrique des sens en regard du plan équatorial et de l’axe Nord-Sud. On assiste alors l’extériorisation de l'imaginaire et intériorisation du réel (charivari des valeurs), et bien sûr à la mise en abîme de l’homme parcourant le grand schéma avec notamment la notion de chute et de remontée (représentée sur le tampon par l’ancre et son cordage serpentiforme équivalent de l’axe ou du fil à plomb).

 (…)

Il sera intéressant d’établir des ponts et des symétries.
Mais peut-on s'affranchir d'une limite ou ne fait-on qu'y tomber? Celui qui repassera la ligne dans l’autre sens sera nommé chevalier des mers voir dignitaire...    

N’est pas chevalier qui veut !

Dans notre prochaine publication nos développerons ces différents aspects, "au fil de l’eau", en commençant par l’analyse de la flamme-tampon attestant du « passage ».

ER (suite prochaine parution)

 

 

1)Il existe traditionnellement trois voies initiatiques qui sont la voie sacerdotale, la voie royale, la voie artisanale.

2) En tant qu’expérience mentale et physique de partage  entre frères, l’égrégore subsiste dans chacun des participants après la tenue en loge et se régénère à chaque tenue.

 

 

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