(Extraits)
Les loges maçonniques du XVIIIème siècle dans le secret de leurs travaux ont su marier la tradition opérative et la chevalerie.
La recherche de la lumière semble être à l’origine de l’association des dernières voies initiatiques encore praticables en occident. La franc-maçonnerie est le grand réceptacle traditionnel d’éléments très anciens et hautement symboliques. Elle fut composée dés son ouverture spéculative par de nombreux officiers et chevaliers de noblesse. Ces derniers voulaient redonner corps à une tradition alliant action et spiritualité. Il ne faut donc pas s’étonner qu’au Siècle des Lumières, la loge maçonnique devienne la crypte protégeant le trésor des anciennes initiations.
Trois courants ont présidé à la naissance de la
franc-maçonnerie " spéculative " : le courant opératif - celui du métier qui repose sur les connaissances géométriques qui sont la base de l’architecture - le courant religieux ésotérique - avec son contre-versant hermétique qui libère le langage du dogme, et le courant chevaleresque qui engage enfin le maçon spéculatif dans un combat.
Les deux premiers sont bien connus. Le troisième mérite un certain nombre d’éclaircissements pour comprendre son extraordinaire adaptation inspirant la plupart des rituels des différents rites.
Il existe une symbolique et d'une mythologie commune entre chevalerie et maçonnerie. L'idéal chevaleresque est une source profonde du système écossais, et de la coutume écossaise depuis Robert de Bruce et la légende de la pierre de Scone. Cet idéal fonde le pouvoir royal plus que le pape lui-même.
La chevalerie se réclame comme la franc-maçonnerie d’une tradition immémoriale.
Les traces sont anciennes et partent de la tradition primordiale. La caste guerrière est toujours présente dans toutes les civilisations. Elle remplit une fonction indispensable à l’édifice testamentaire et se réfère à l’idéal et à un imaginaire agissant se traduisant dans l’engagement du corps jusqu’au sacrifice. C’est par le sacrifice qu’elle établit un lien supérieur avec le créateur ou le centre ontologique. Dans l’Ancien Testament, Dieu interdit à David de construire le Temple, car il appartient à cette caste guerrière et à trop de sang sur les mains. Les deux Saint-Jean dont se réclame la franc-maçonnerie sont les descendants du roi David au même titre que le Christ. À ce titre les maçons peuvent aussi se réclamer de la caste chevaleresque.
L’esprit chevaleresque connut son plein développement au moyen-âge puis s’ennoblira au point de perdre la couleur du sang et l’idée d’un centre totalisant. Sa présence au plan initiatique sera entretenue dans des cercles fermés tels la" Massénie du Saint-Graal " ou les "Fidèles d'Amour " chers à Dante. La démarche gibeline de restauration du pouvoir impérial face au Pape sera un support puissant qui fit choisir Jérusalem plutôt que Rome dans tous les rituels maçonniques, y compris les rituels catholiques ou Stuardistes. C’est l’esprit du Temple dans sa construction, sa destruction et sa libération qui motivera les deux initiations. La première bâtit le temple la seconde le libère.
La chevalerie en franc-maçonnerie nous vient de la légendaire Écosse, du moins celle que sur le continent, le génie français put imaginer.
La Légende de Saint André évangélisant l’Écosse, l’ordre chevaleresque de Saint André du Chardon ainsi que les tombes
templaro-maçonniques d'Écosse appuyées par la symbolique profonde de la très curieuse chapelle de Rosslyn, bâtie par les Sinclair, rejoignent la légende des templiers réfugiés en Écosse et mystérieux acteurs de la victoire de Bannockburn. De cet ensemble mythique se dégage le sentiment qu’une vérité universelle fut importée en Irlande et en Écosse et que les loges opératives et les chevaliers « acceptés »en furent dépositaires.
Les ordres chevaleresques structurèrent la chevalerie occidentale : celui du Temple, bien sûr, mais aussi celui de Saint-Lazare, des Hospitaliers de Saint Jean, des Chevaliers du Saint-Sépulcre ou des Chevaliers teutoniques. Ils vont ordonner la quête autour de cause et d’actes spécifiques.
Le sens symbolique donne mission à l'Ordre Écossais de créer un authentique Empire spirituel en faisant de ses adeptes de nouveaux Chevaliers de l'Esprit.
Ainsi le chevalier-maçon du XXIème Siècle, ne se considère plus comme gardiens in situe du Temple et de la Terre Sainte. Les défaites subies et la chasse dont ils furent victimes orientent les chevaliers à promouvoir leur temple intérieur, dans l’idée fraternelle de rependre la lumière autour d’eux. Cette notion fut apprise en Orient.
Le mariage de la truelle et de l’épée.
C’est ainsi que nous aurions pu intituler notre recherche. Le mariage de la truelle et de l’épée fut basé à la fois sur une nécessité et sur un consentement mutuel.
La nécessité découle de la source vétérotestamentaire qui indique que pour rebâtir le Temple détruit il faut marier la truelle et l’épée. D’autres facteurs historiques ont créé un rapprochement entre une corporation initiatique et les ordres de chevalerie dès le moyen-âge.
La présence de la chevalerie dans le système maçonnique pose un certain nombre de questions qui sont loin d’être résolues. Cependant, il est possible d’émettre un certain nombre d’hypothèses qui à défaut d’être démenties par la recherche historique ou prouvée par des documents authentiques, alimentent et densifient la mythologie maçonnique qui ne s’en lasse pas.
Notre article fait suite à celui paru dans la RDM2 page 134, et tente d’apporter quelques précisions. On retrouvera certains développements plus adaptés aux grades de chevalerie de la franc-maçonnerie du Rite Ecossais dans sa version primitive en consultant le Maître parfait Ecossais et le Chevalier de saint André aux Editions du Maçon.
La légende, tout autant que l’histoire, fonde l’imaginaire du maçon et du chevalier ouvrant ainsi de véritables et valables perspectives initiatiques pour lesquelles, il faut en convenir, une sèche rationalité ne ferait pas l’affaire. L’initiation maçonnique comme l’initiation chevaleresque nous propulsent au seuil du monde de la connaissance, qui n’est pas inconnu des Francs-Maçons. En effet, la pratique de nos ainés constitue un véritable patrimoine initiatique que nous transmettons d’initié en initié. Ce trésor se niche non pas dans les soubassements de notre conscience, mais bien au contraire dans ce que j’appellerais une supra conscience. Cette supra conscience se situe au fond de notre boîte crânienne et ne demande qu’a être réveillée par l’intuition du cœur.
Assis sur le seuil de la perception d’une totalité, nous sommes pris de vertige face aux profondeurs de l’Être et à l’infini de l’univers. Franchir ce seuil consiste à harmoniser l’être et le tout, autrement dit, faire en sorte que l’homme pentagramme devienne hexagramme. Embrasser en tant qu’homme une totalité qui nous dépasse, tel est le but et l’apport de la chevalerie.
Pour atteindre cet objectif, il faut se réapproprier les états inférieurs de l’être puis progresser au plan initiatique jusqu'à n’être non plus un corps réagissant, ni même un homme « bien pensant » et bien construit, mais un homme « esprit ». Seul l’esprit est capable d’embrasser le Tout.
À ce stade, c’est l’imaginaire qui sert de support de projection mentale pour réaliser ce dessin initiatique. L’imaginaire se nourrit de vécu et d’espoir ; il active le corps pour atteindre un état de délivrance ou de libération de l’esprit. Nous voyons poindre l’idée du sacrifice utile[1] qui deviendrait un passage, que nous trouvons dans la légende d’Hiram comme dans la chevalerie terrestre et céleste.
Nous verrons à quel point l’imaginaire, devenu réalité efficace dans un espace cérébral appelé « imaginal », peut intervenir dans les modalités d’expression d’une pensée devenue foi conceptuelle ou idéal. Se posera le problème du contact entre Dieu et l’homme. Pour le chevalier, le contact se fait « entre Ciel et Terre », dans un monde médian.
Ainsi le penser et l’agir du franc-maçon ou du chevalier, passe par une conception consciente et modélisée par l’initiation. L'initiation est une expérience vécue par le jeu du rituel. Qu’elle soit de métier ou d’armes, l’initiation induit des comportements d’une grande cohérence logique, qui sont fondés sur les intuitions plus que des raisonnements. L’intuition et favorisée par l’acquis ancestral de schémas que les mythes nous relatent. Les mythes sont agissants comme les symboles. Nous les avons en nous dans la plénitude de leurs significations, héritage du souvenir d’un lointain passé que d'aucuns qualifient d’âge d’or de l’humanité.
C’est ainsi que nous pouvons affirmer que la franc-maçonnerie symbolique traditionnelle et spirituelle, dans ses développements modernes, a su préserver un symbolisme de tradition, né d’une intuition fondée sur des images projetées en soi.
Cette relation entre les projections personnelles et la culture traditionnelle des symboles fait apparaitre une universalité symbolique transculturelle et transfrontalière. Ce constat nous pousse à considérer le symbolisme traditionnel comme une modalité d’expression première qui échappe à la babélisation des langues.
Toutes les traditions de par le monde font une place de choix au bâtisseur et au combattant. Nous en pressentons la complémentarité, il nous faudra la démontrer.
Les traces de la Chevalerie Ecossaise en Franc-maçonnerie.
Un bref aperçu historique peut-il nous conforter sur l’existence d’un lien entre franc-maçon et chevalerie ?
Pour y répondre, il faut constater une évidence : un chevalier est par nature un homme d’armes, un militaire qui porte l’épée. Mais il est vrai que les ordres de chevalerie ont adoubé des nobles qui n’ont pas eu de fonction militaire. C’est le décorum chevaleresque qui prit le pas sur la tradition de l’adoubement entre hommes d’armes, ceci résulte d’une dénaturation par la noblesse du sens premier de la chevalerie. Rien ne dit cependant que cet adoubement nobiliaire n’excluait les notions d’idéal et de sacrifice. Nous dirons simplement que cette évolution fit sortir des douves l’adoubement pour l’installer dans les dorures de la cour.
Notre deuxième constat porte sur l’installation d’un nombre important d’officiers et bas officiers Écossais et Irlandais sur le continent en 1688 dans le sillage des Stuarts en exil. Ils pratiquaient le Rite Ecossais en loges militaires et l’esprit chevaleresque était présent sur les colonnes. Un certain nombre de ces officiers étaient membres d’ordre chevaleresque, ou avaient déjà la qualité de maître Écossais.
Le XVIIe siècle voit l’arrivée dans l’Ordre artisanal, héritier des corporations de métiers appelé Craft en Angleterre, de l’Ordre chevaleresque, ou du moins d’hommes titrés dans la hiérarchie militaire. Parmi ces non opératifs, on peut citer deux cas reconnus. Sir Robert Moray officier au service des Stuarts fut reçu en 1641 dans une loge décentralisée d’Edinburgh. Elias Ashmole capitaine de l’Armée de Charles 1er Stuart est fait franc-maçon le 16 octobre 1646 à Warrington. Tous les deux sont officiers portant l’épée, et ont démontré des qualités chevaleresques. On notera qu’ils furent reçus dans des loges dotées de surveillant et n’ont pas de maître de loge, ce qui correspond à l’organisation des loges écossaises de l’époque, mais dans la rituelie des Anciens devoirs. Évidemment, ce fait sera éludé dans les constitutions d’Anderson de 1717. Le pasteur Anderson défend le point de vue « whig » ainsi que Désaguliers qui est appointé par Georges 1er. Rien n’est divulgué dans les constitutions sur les sources opératives écossaises à cause de leurs implications Stuartistes.
On cite le registre de la Loge Coustos Villeroy[2] qui en fait état d’une pratique chevaleresque en 1737. Le registre critique une pratique imposée par la loge du Grand Maître jacobite et catholique Lord Darwentwater. Il s’agissait lors des réceptions de tenir l’épée à la main, comme il est fait en chevalerie.
En Écosse la lettre[3] de la grande Maîtresse des franches maçonnes à Harding l’imprimeur, nous dit : la Loge du Temple de Salomon devenue « la loge de Saint Jean de Jérusalem(…) la plus ancienne et la plus pure (…) et la fameuse vieille loge écossaise de Kilwinning » ont eu des rapports avec les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, ou chevaliers de Malte de l’Ordre des hospitaliers. On notera que la plupart des loges se nommaient loge de Saint-Jean et qu’au nom de ce lien historique et mythique, vers 1745 elles se transformèrent en loge de Saint-Jean de Jérusalem dont celle du Grand Maître le conte de Clermont.
On associe le caractère immémorial de la loge Kilwinning, aux liens particuliers entretenus avec certains ordres de chevalerie durant les croisades. C’est donc dès l’origine de Kilwinning qu’un lien est évoqué avec l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem plutôt que l’ordre du Temple. Le manuscrit Stuartiste n° 3077 de la bibliothèque Calvet à Avignon en atteste en 1780 : « Pourquoi nos assemblées sont dédiées à Saint-Jean ? – C’est pour apprendre aux maçons combien ils doivent être unis puisqu’ils s’assemblent sous les auspices de celui qui ne prêcha jamais que la paix, la concorde, et l’amour de ses frères ; d’ailleurs les maçons s’étant unis aux chevaliers de Saint Jean ils en adoptèrent le patron. »
La référence à l’Ordre du Temple apparaît en Allemagne vers 1733 d’après Le Forestier. Il fit une carrière intéressante, mais écourtée en France par l’œuvre de Willermoz et le Convent de Wilhelmsbad en 1782 et par l’intention de la SOT de rétablir l’ordre du Temple ce qui ne pouvait convenir aux lois des pays.
Le lien chevaleresque préexistait, la question du lien avec la chevalerie du Temple se pose, car Jean Baptiste Willermoz lui-même reconnaissait que dans sa propre Loge dès 1752[4] on y faisait référence dans la transmission du 4em grade pour présider la loge. « J’apprenais mystérieusement à ceux auxquels je conférais le 4em grade de la Loge, qu’ils devenaient successeurs des Chevaliers (Templiers) et de leurs connaissances, je l’ai ainsi répété pendant dix ans comme je l’avais appris de mon prédécesseur, qui l’avait appris lui-même par une ancienne tradition, dont il ne connaissait pas l’origine. »[5]
Cette transmission était sans rapport direct avec les prétentions de la SOT créée en 1755 par baron du Hund (eques ab Ense) qui prévalait en Allemagne.
La question du lien entre la franc-maçonnerie et la chevalerie du Temple avec les deux grades consacrés à cet effet à savoir l’Écuyer Novice et le Chevalier du Temple fut sévèrement critiqué par Robert Ambelain par un article paru en 1974[6] : « Si on discute encore sur les origines des emprunts à la tradition chevaleresque dans la confection des échelles de grades maçonniques, sur la part de Ramsay, sur les initiatives allemandes, sur la valeur de la tradition de Kilwinning, personne ne conteste que la référence à l’institution de la chevalerie est entrée telle quelle dans la tradition maçonnique, sinon comme un corps étranger au moins avec le destin d’un greffon. »
On notera que cette assertion est à replacer dans la filiation directe avec la chevalerie du temple, mais ne remet pas en cause le lien initiatique du bâtisseur et du chevalier. Robert Ambelain semble privilégier le lien par les trois composantes qui sont l’apport de Ramsay, la tradition kilwinnienne, et une certaine interprétation allemande. Le greffon ne fut pas le fait du hasard et trouve sa justification moins dans le désir de chevalerie que dans une connexité historique et légendaire propre à l’Écosse. C’est ce que tenterons de démontrer.
Peut-on faire remonter à une date plus antérieure le mariage de la truelle à l’épée ?
En Écosse la légende historique attachée au grade de saint André du Chardon fait une référence expresse à l’aide apportée par des templiers en exil de France incorporés aux loges de maçons opératifs et qui firent la victoire de Robert Bruce à la bataille de Bannockburn en 1314. Ici commence l’histoire ou la légende fondatrice des grades de chevalerie écossaise du Chardon d’Écosse qui nourrit le Maître Ecossais-Chevalier de Saint-André au Rite Ecossais Primitif. L’Ancienne Alliance entre L’Écosse et la France fut aussi vecteur de transmission de légende et traditions qui par mimétisme et du fait de l’exil de 1688 se transfèrent de l’Écosse à la France.
Nous pensons au surplus qu’un rapprochement est à faire entre le destin des Stuarts dans la perte et la tentative de reconquête du trône d’Angleterre par Jacques II et la légende d’Hiram. Au demeurant le mythe Hiramique du relèvement puis de la parole perdue s’inspire à notre sens, de la perte de la pierre de Scone par les dynasties Écossaise au profit des Anglais. Depuis 847, elle fut en effet la pierre du sacre des rois Ecossais, sur laquelle ils se tenaient debout pour recevoir l’onction. Nous savons que l'oint est le Roi qui reçoit la tradition des vertus nécessaires au maintient de l'alliance de sa communauté avec le divin. Il reçoit sur le trone l'esprit (la couronne) qui recoupe les notions spirituelles débouchant sur l'éthique et sur la dimention métaphysique . Le fait de monter sur le trône donnait au Roi une "élévation" d'un point de vue spirituel, soit une vision illuminée par l'universel, vision indispensable pour la pratique de la justice et de la charité.
La pierre taillée ou gravée est l’œuvre du maçon antique. Symboliquement c’est le maçon qui fait les fondations du pouvoir royal. Importée des lointaines contrées de l’Orient en Irlande, elle fut transportée en Écosse. Selon la tradition, le royaume appartiendrait aux Écossais tant que la pierre resterait dans leur pays. Confisquée en 1296, la pierre fut prise par Édouard Ier comme butin de guerre et emportée à l'abbaye de Westminster où elle fut placée sous la King Edward's Chair.
Figure 1 La pierre de Scone est insérée en assise du trône du sacre, donc l’épée du Roi se fonde sur la truelle du maçon.
Les rois Anglais s’en servirent pour leur sacre[7], dans la position assise comme en signe de domination du symbole. La pierre du destin perdue il fallut en trouver une de substitution et donc il y a assimilations entre la parole perdue et la pierre du sacre perdue[8]. Retrouver la pierre de Scone c’est retrouver la plénitude des pouvoirs des souverains écossais, et la voix au chapitre[9]. Cette pierre du sacre est par sa nature symbolique pierre venue du ciel ou en rapport avec le divin. Elle est une clef de voûte et une porte sur le céleste. C’est un deuxième point qui vient alimenter l’origine écossaise du mythe d’Hiram[10] où finalement le chevalier combattant pour la reconquête est acteur de l’histoire.
L’ensemble des points légendaires sortis des brumes des Highlands vont faire conjuguer la Quête chevaleresque et l’art de bâtir des maçons. Chacun dans son ordre va raconter la même histoire et tendre vers la même lumière par des chemins différents.
En filigrane la question qui se pose sera le lien entre la pierre du sacre et la chevalerie de la reconquête.
Nous pensons que l’Écosse et ses légendes sont une source sérieuse et parfois négligée qui permet d’expliquer une des formes primitives de la franc-maçonnerie chevaleresque, soit une maçonnerie de la reconquête. Nous en tiendrons compte dans cette étude sur la franc-maçonnerie et la chevalerie.
La nature et la cause du lien.
Sommes-nous certains que ce qui lie la franc-maçonnerie à la chevalerie ne soit rien d’autre qu’un gout immodéré des maçons du XVIIIe siècle pour les titres et le port de l’épée ?
Nous voyons trop de commentaires dévalorisants sur ce point, et nous souhaitons en savoir plus. Je ne pense pas que des générations de francs-maçons soient tombées sous les coups de leur égo, au point d’embrasser des titres ronflants, creux, et sans portée aristocratique réelle. Déjà Maitre, l’âge aidant, ils développent une sagesse qui les éloigne d’un titre qu’ils ne peuvent pas faire valoir. Le goût pour les titres et les honneurs n’ont pas fondé la relation initiatique entre le franc-maçon et le chevalier.
L’attraction pour la chevalerie semble liée par l’essence de la chevalerie authentique dont le Temple et les Hospitaliers ne sont que des surgeons aux ordres et dans un idéal particulier impliquant le service de l’Église et du Nouveau Testament. Ainsi, nous plaçons la relation entre la franc-maçonnerie et la chevalerie à un niveau supérieur à toutes les branches contingentes de l’ordre chevaleresque.
Nous pensons que l’association des deux branches initiatique s’est faite parle haut, c'est-à-dire par l’essence même de l’art de bâtir et de combattre.
Dans le cadre d’une première réponse à ce mariage du maçon et du chevalier, nous avons une réponse que nous avions déjà étudiée au premier degré dans l’étude sur la symbolique des outils : L’idée dirige la force et la force réalise l’idée. Cette expression signifiait dans un étonnant aller-retour, la complémentarité indispensable et équilibrée entre la matière et l’esprit, et plus précisément entre le ciseau et le maillet. Désormais nous élevons, comme il se doit, notre réflexion à un niveau supérieur : l’idée est l’idéal du chevalier, la force est la technicité réalisatrice et opérative du maçon et enfin l’épée axiale qui est l’expression de la volonté divine.
Une deuxième question se pose, pourquoi le chevalier intervient en franc-maçonnerie après l'émergence de celle-ci ?
On pourrait être tenté de faire une hiérarchie entre le détenteur de l’idée inscrite dans le ciel et son exécuteur terrestre. Cette réponse biaisera l’intérêt des deux voies traditionnelles qui sont complètes et autonomes par leur nature propre. Il ne peut donc y avoir de subordination. On peut simplement répondre à cet ordonnancement qu’un chevalier dûment adoubé peut s’intégrer au rite initiatique de la franc-maçonnerie et c’est ce que firent les templiers réfugiés en Écosse en 1314. Ceci fait partie intégrante de l’histoire réelle et mythique du REP notamment. De même le RER indique que trois chevaliers du temple fuient en Écosse dans des cavernes prés d’Heredom. Ils rejoignent les chevaliers de Saint André du Chardon d’Écosse. En 1340 ils fondèrent l’ordre maçonnique, ordre préparatoire à l’admission dans l’ordre équestre. Le RER explique ainsi la complémentarité de l’ordre maçonnique et de l’ordre équestre, le premier servant de vivier au second. Ceci ne suppose pas une hiérarchie qui minore l’ordre maçonnique.
L’erreur d’une interprétation simpliste serait d’installer la dépendance d’une tradition au profit exclusif de l’autre. Elle suppose une hiérarchie ce qui en matière de voie initiatique ne peut être admis. Chacune des deux voies se suffit à elle-même. Il faut trouver une autre explication.
Il est un fait incontestable qu’il a toujours existé une perméabilité entre les voies initiatiques. Elles sont composées d’éléments comparables dans leur progression et finissent comme nous le savons par se réunir au sommet. Pourtant dans cette suite logique mettant le travail de la matière par la sueur avant le sacrifice par le sang, nous avons dans le jeu d’échec un début de réponse. Le cheval ou cavalier se déplace sur l’échiquier d’une manière particulière. Il commence sa course comme les pas d’un apprenti, puis emprunte ceux du compagnon et pour finir comme un maître. Donc le cavalier connait déjà les pas et la progression du maçon. Le cycle chevaleresque se caractérise par la maîtrise de l’animalité du cheval à l’égal du maçon qui maîtrise sa propre animalité. Le chevalier se situe plus haut en intermédiation sur son cheval avec le ciel, alors que le maçon a les pieds sur terre et sous terre en creusant les fondations. Dernier point, si le cavalier démarre sur une case noire il finit sur une case blanche et le cavalier est la seule pièce qui peut sauter les obstacles.
Nous en déduisons qu’aucune subordination entre les deux voies n’est acceptable. Cependant la classification subterrestre et terrestre de l’une a pour complément la classification terrestre et céleste de l’autre. On établit une superposition. Le chevalier doit récapituler l’initiation maçonnique dans sa progression spirituelle. Il n’y a donc pas de subordination, mais une superposition correspondante à la nature des trois voies initiatique.
Le lien est-il matériel ou spirituel ?
Ce qui est transmis au plan initiatique, ne peut concerner une cause réduite au plan matériel, quelque soit d’ailleurs, la noblesse de l’objet social. Il est bien entendu qu’en matière initiatique ni la cause territoriale ni la cause religieuse ne peuvent dominer la cause spirituelle. Il faut admettre qu’aucune reconstruction du temple de Salomon ne peut perdurer au plan matériel. Seule la reconstruction au plan spirituel est possible. En conséquence, le mélange des causes matérielles et spirituelles porte à confusion.
Il faut voir dans le message initiatique de ces chevaliers un trésor qui n’est ni sonnant ni trébuchant. Il en est de même en alchimie, on ne peut confondre l’aspect spirituel, et la pratique du souffleur qui chercherait la richesse matérielle.
Le lien existait bien au plan de l’enseignement alchimique, spirituel et céleste, avec une chevalerie éclairée. Le maître maçon et le chevalier se purifiaient à la même fontaine située au pied du mont Scion ou était construit le Temple. À cette fontaine appelée SHIloha, ils pratiquaient la purification rituelle[11], notamment des mains et des yeux, avant de se mirer dans l’eau, puis se rendaient au Temple…
Rappelons que l’armement de chevalier est effectif au REP et au RER et qu’il n’implique pas une appartenance à l’Ordre du Temple[12] trop contingent en regard de sa nature. L’arment produit donc des effets liés à l’éveil de l’esprit, et la notion d’imaginaire commun.
Nous pouvons donc affirmer que le seul élément humain et matériel ne peut suffire à établir un lien. Le liant s’exprime dans la quintessence de ses propres valeurs dans les deux ordres. Ils aboutissent tous les deux au sacrifice, d’Hiram d’un coté et de Saint-André[13] de l’autre. On voit bien que le premier appartient à l’univers de l’Ancien Testament, et que le second est sur le chemin du Nouveau sans renier l’Ancien. Les deux suppliciés partagent une renaissance pour ne pas dire une ressuscitation en esprit.
Ce qui est transmis lors de l’initiation ou de l’adoubement ce sont des éléments hautement symboliques. La transmission d’une cause matérielle ne peut s’inscrire dans le plan divin. La matérialité est par définition une dégénérescence de l’esprit au sens métaphysique. La cause reste dans tous les cas spirituelle, elle permet la réalisation de l’homme sur le plan matériel. Bien tailler sa pierre ou défendre une cause juste ne peut se faire qu’en fonction d’une Loi venue d’en haut. Ladite Loi organise un retour au divin, libérant l’esprit contenu dans la matière.
Voici donc la nature d’un lien spirituel qui est commun aux deux ordres. L’épée céleste vient en aide à la truelle terrestre pour la construction du Temple de Jérusalem.
Cette association dans le même corps situe ce dernier en tant que médiateur entre terre et ciel. Une épée (assimilée au pouvoir sanctifiant de la Parole dans Apo 1,16;Jos 6,21) viendra désormais défendre le temple contre la perte du sens du divin. L’homme dans sa faible nature cède régulièrement à son animalité symbolisée par retour de l’adoration des idoles.
Le lien entre la franc-maçonnerie et la chevalerie se situe dans une cause commune aux deux traditions qui est cette exigence de connaissance spirituelle et sacrée, faisant participer l’homme au grand dessin de la création.
Le souvenir et le sacré et son utilisation.
Cet aspect chevaleresque en franc-maçonnerie trouvera sa confirmation dans les écrits de Ramsay.
Le chevalier Ramsay, chevalier de l’ordre de Saint-Lazare[14] dans ses deux célèbres discours dont celui de 1738 associa la chevalerie à la franc-maçonnerie. Sur les origines de la franc-maçonnerie, il évoque les Ordres de Chevalerie et cite « nos ancêtres les croisés » dont le langage secret « rappelle le souvenir, ou de quelque partie de notre Science, ou de quelque vertu morale, ou de quelque mystère de la Foi. »
Il y aurait donc un « mystère » à découvrir, certainement de nature initiatique, soit un enseignement ou un éveil qui lierait la Franc- maçonnerie et la Chevalerie dans une même finalité. Cette finalité se distingue du lien spirituel que nous avons vu précédemment. Elle se fonde sur un souvenir commun d’un épisode guerrier remontant aux destructions successives du Temple à Jérusalem, à la reconquête des lieux Saints par les croisades, puis à la destruction de l’Ordre du Temple en 1314. Ainsi se perpétue le cycle de la construction destruction à travers les âges. C’est le grand souvenir et le grand rendez-vous aux pieds de la muraille entre Occident et Orient. L’affrontement est fondateur et se reproduit inéluctablement en divers mondes et époques. C’est au moment des croisades que nous sommes rentrés dans la période d’une redécouverte spirituelle et intellectuelle de l’Orient. Cette redécouverte peut se décrire comme un élargissement de l’esprit[15]. L’élargissement donne accès au sacré au-delà du dogme religieux. C’est particulièrement vrai dans l’échange intellectuel et technique apporté par l’occupation musulmane sur la péninsule ibérique.
L’affrontement fusionnel Orient-Occident, ensemença les deux civilisations pour les ressemblances et les racines qu’elles avaient en partage. Si le fait fonde l’histoire, le souvenir teinté d’idéaux alimente le mythe qui se charge d’expliquer l’origine. La quête du Graal ou de la Lumière est un dérivatif de ce souvenir commun.
Cette finalité originelle apparaît clairement dans la construction et la défense du Temple de Salomon, l’épée dans la main droite et la truelle dans la gauche.
Que faut-il bâtir, que faut-il défendre ?
Un centre point ce contact entre la création et Dieu, qui porte en lui, dans son architecture même le plan divin qui n’est rien d’autre que l’expression d’une loi universelle.
De tout cela l’homme n’est qu’un témoin devenu acteur par son initiation à ce secret, un médiateur entre la Terre et le Ciel. Il n’est plus un démiurge, car il a bien compris les limites de l’exercice, il veut retrouver et défendre la maison des origines, qui n’est autre que le retour au centre primordial.
C’est ce que nous appellerons le secret du chevalier écossais de Ramsay. Recouverte d’un voile d’une bienséance diplomatique, une vérité se laisse entrevoir dans ses deux discours.
Nous devons d’abord rechercher ce qui est véritablement initiatique dans la chevalerie, en recherchant les éléments rituéliques et symboliques qui autorisent un véritable "commencement".
(…) suite à paraître.
E.°.R.°.
[1]En ce sens la légende d’Hiram apporte quelque chose de distinct d’un simple retour dans le cabinet de réflexion en mettant en situation la mort utile d’Hiram. Cette mort s’analyse comme un sacrifice pour démontrer le relèvement possible de l’esprit dans le corps, appelé maître intérieur.
[2]Cette loge travaillait avec un rituel ancien d’origine irlando- écossaise, notons que le rituel de cette loge reprend les mêmes coups portés au crane d’Hiram qu’au REP..
[3]Jean Lhomme dans Chevalerie et Franc-Maçonnerie in Dictionnaire thématique de la franc-maçonnerie ed du Rocher.
[4]Déclaration faite lors de la Xème séance du Convent de Willemstad le 29 juillet 1782.
[5]Cité par JF Var, Cahiers verts, n°7 1985.
[6]Dictionnaire universel de la franc-maçonnerie de Daniel Ligou éditions Navarre.
[7]La position assise sans marche pied fait du roi Anglais l’inférieur du roi Écossais qui était oint debout sur cette pierre. Cette position debout fait de lui l’axe de communication avec le très haut et donc médiatise par son corps le terrestre et le céleste. Cette position est mise aussi pour la figuration de la colonne que les maçons connaissent dans leur temple. À l’époque les anciens rituels opératifs ne font référence qu’aux colonnes antédiluviennes sur lesquelles étaient gravées la connaissance sous deux aspects, le premier géométrique, le second hermétique. C’est cette somme de connaissance que le souverain couronné debout sur la pierre de Scone était supposé incarner. C’est une définition imagée et efficace de l’art royal associé à l’art sacerdotal. Le dévoiement anglais dans la position assise abaissa cette signification au pouvoir matériel sur les choses, soit l’art royal dans son niveau inférieur. Le souverain écossais incarne la colonne de la connaissance antédiluvienne gravée à l’époque de Hénoch découverte par les chevaliers en Orient et ramenée en Irlande puis en Écosse. Il est celui qui connait les secrets de la transformation de la matière et de l’extraction de l’esprit.
[8]Conjugués à a perte du trône d’écosse, la perte de la parole, la perte de la pierre du sacre, semblent liés dans une étonnante coïncidence, donnant un sens particulier à la légende d’Hiram. Il est possible que cette légende soit une mise en perspective biblique du drame écossais et Stuartiste. La suite chevaleresque de la légende d’Hiram en atteste.
[9]La voix au chapitre est la capacité d’interpréter, voir notre article dans RDM 3 p 57 : Perfection du langage initiatique…ou le retour d’Hermès Trismégiste et de Pythagore.
[10]On remarquera qu’au REP les trois coups des trois mauvais compagnons sont portés au sommet du crâne. La fontanelle est l’équivalent symbolique de la clef du dôme.
[11]Un très ancien rite maçonnique a conservé cette pratique.
[12]Au REP il subsiste un lien avec l’Ordre des chevaliers de Saint André du Chardon.
[13]Nous choisissons Saint André en référence au rite stuartiste.
[14]Rappelons que Lazare ressuscite trois jours, après sa mise au tombeau. Sa chaire pourrissait dans ses bandelettes, mais son esprit était « vivant ». Hiram reprend vie en transmettant la lame de lumière à celui qui la découvre.
[15]L’élargissement doit se définir comme une libération de quelque chose de prisonnier jusqu’alors.