Le discours de Ramsay - Universalité chevaleresque
Si le premier discours offrait une place prééminente à l’histoire du peuple juif lié à la première maçonnerie, jusqu'à la deuxième destruction du temple en 70. Le public concerné par ce premier discours était à l’évidence composé de maçons Jacobites. Le second prend l’universalisme encyclopédique comme pierre d’angle du monument. Les deux sensibilités semblent être respectées, les Jacobites d’un coté et les orangistes de l’autre, par la mise en œuvre de tous les savoirs, au-delà des divisions.
Le deuxième discours devait être lu devant une assemblée de franc maçon en mars 1737. On peut en détacher deux parties.
La première partie campe l’esprit de l’ordre et ses buts. On commence par définir les qualités requises, puis on développe l’amour de l’humanité, la saine morale, le secret et le goût des sciences et des arts libéraux.
Dans la deuxième partie, il est question des origines et de l’histoire. On reprend la légende, l’influence des croisés dans leur quête, le retour de la terre sainte en Europe, la dégénérescence et la réforme.
Enfin, en guise de conclusion, on évoque la régénération et l’avenir de l’ordre. À n'en pas douter l’écossisme naît de ces deux discours s’appuyant sur la grandeur de la France.
La doctrine de l’influence templière est confirmée au point de donner l’impression que la doctrine devient mythe et le mythe devient l’histoire. Robert Ambelain à qui je dois une grande partie de mon parcours maçonnique disait, s’agissant des faits historiques et des mythes, qu’ils contribuaient tous deux à l’édification ésotérique de l’individu dans un vaste ensemble qui le dépasse, que la légende est en marche et que rien ni personne ne peut l’arrêter.
Nous commentons ce deuxième discours par des insertions entre parenthèses.
LES QUALITÉS REQUISES POUR DEVENIR FRANC-MAÇON
« La noble ardeur que vous montrez, Messieurs, pour entrer dans le très noble et très illustre Ordre des francs-maçons, est une preuve certaine que vous possédez déjà toutes les qualités nécessaires pour en devenir les membres, c'est-à-dire : L’humanité, la morale pure, le secret inviolable et le goût des beaux arts. (Ramsay semble ici fixer ici la base intellectuelle et morale de l’admissibilité en loge d’un candidat, on méditera la notion de morale pure.)
L’ AMOUR DE L'HUMANITÉ
Lycurgue, Solon, Numa et tous les législateurs politiques n'ont pu rendre leur établissement durable, quelques sages qu'étaient leurs Lois, elles n'ont pu s'étendre dans tous les pays et dans tous les siècles. Comme elles n'avaient en vues que les victoires et les conquêtes, la violence militaire et l'élévation d'un Peuple au-dessus d'un autre, elles n'ont pu devenir universelles, ni convenir au goût, au génie et aux intérêts de toutes les Nations. La philanthropie n'était pas leur base. L'Amour de la Patrie, mal entendu et poussé à l'excès détruisait souvent, dans ces républiques guerrières, l'amour et l'Humanité en général. (L’amour de son prochain est ici la pierre angulaire, d’essence chrétienne, sur laquelle se fonde l’ordre et c’est le non-respect de ce principe qui a fait défaillir les nations)
Les Hommes ne sont distincts essentiellement par la différence des langues qu'ils parlent, des habits qu'ils portent, des pays qu'ils occupent, ni des dignités dont ils sont revêtus.
Le Monde entier n'est qu'une République dont chaque Nation est une famille et chaque particulier un enfant. C'est pour faire revivre et répandre ces essentielles maximes, prises dans la nature de l'Homme que notre Société fut d'abord établie. (C’est ici la marque de Fénelon.)
Nous voulons réunir tous les Hommes d'un esprit éclairé de mœurs douces et d'une humeur agréable, non seulement par l'amour des Beaux-Arts, mais encore plus par les grands principes de vertu, de science et de religion, où l'intérêt de la Confraternité devient celui du genre humain tout entier, où toutes les Nations peuvent puiser des connaissances solides et où les sujets de tous les Royaumes peuvent apprendre à se chérir mutuellement, sans renoncer à leur Patrie. (Unis dans la diversité des langages et des nations, c’est reconnaître les bienfaits de la construction d’une tour de Babel construite sous l’égide de l’universalité. Pour la commodité Ramsay se garde bien de rappeler que les premières loges implantées sur le territoire de France étaient Jacobites et brillaient plus pour leur aptitude à la conspiration en vue du retour des Stuarts au trône, plutôt qu’à cet œcuménisme novateur. Rappelons qu’il a pu participer aux différents complots en tant que Stuartiste convaincu[1]. Cette période semble révolue et à l’instar de la Grande Loge de Londres, le discours se veut universel.)
NOS ANCETRES LES CROISES
Nos ancêtres, les Croisés, rassemblés de toutes les parties de la Chrétienté dans la Terre Sainte voulurent réunir ainsi dans une seule Confraternité les particuliers de toutes les Nations. (Les précurseurs de la Franc-maçonnerie ne seraient pas seulement des tailleurs de pierre, des architectes ou artisans, mais des chevaliers, fils cadets avec titres et sans terres, des guerriers suivant le prêche de Saint Bernard ! Or il existe une initiation guerrière, comme l’initiation artisanale ou sacerdotale. L'Ordre serait, par ses origines conquérantes et libératrices, souché dans la noblesse d’épée et la chevalerie française. Ramsay donne des origines une explication opposée à celle des Constitutions d'Anderson qui sont, pourtant, la charte de la Maçonnerie anglaise. Or, Ramsay ne fut jamais désavoué par les dirigeants de la Mother Loge qui ne méconnaissaient pas l’antériorité historique de leurs devanciers Stuartistes sur le continent.)
Quelle obligation n'a-t-on pas à ces Hommes Supérieurs qui, sans intérêt grossier, sans même écouter l'envie naturelle de dominer, ont imaginé un établissement dont l'unique but est la réunion des esprits et des cœurs pour les rendre meilleurs et former dans la suite des temps, une Nation toute spirituelle, où sans déroger aux divers devoirs que la différence des Etats exige, on créera un Peuple nouveau, qui, étant composé de plusieurs Nations, les cimentera toutes en quelque sorte par le lien de la Vertu et de la Science.
(L’idée d’un universalisme structuré sur une base fédérale et réunissant les nations autour de l’idée de progrès, c’est mettre l’Homme au centre de cette nouvelle société, et non plus le Roi. Pour la forme on remarquera une réelle tendance dans ce discours à une croyance dans le progrès par la science qui annonce une forme précoce de positivisme. Certains y trouverons l’expression d’Utopia, d’autres les prémisses de l’illuminisme.)
LA SAINE MORALE
La saine morale est la seconde disposition requise dans notre Société.
Les Ordres religieux furent établis, pour rendre les hommes Chrétiens parfaits; les Ordres militaires, pour inspirer l'amour de la vraie gloire, et l'Ordre des Francs-Maçons pour former des Hommes et des Hommes aimables, de bons citoyens, de bons sujets, inviolables dans leurs promesses, fidèles adorateurs du Dieu de l'Amitié, plus amateurs de la Vertu que des récompenses.
Polliciti servare fidem, sanctumque vereri,
Numen amicitiae, mores, non numera amare.[2]
Ce n'est pas cependant que nous nous bornions aux vertus purement civiles.
Nous avons parmi nous trois espèces de Confrères : des Novices ou des Apprentis, des Compagnons ou des Profès, des Maîtres ou des Parfaits. (C’est ici la conception graduelle classique, de la progression initiatique qui est sous-tendue). On explique aux premiers les vertus morales, aux seconds les vertus héroïques, et aux derniers les vertus Chrétiennes, de sorte que notre Institut réforme toute la philosophie des sentiments et toute la Théologie du Cœur. C'est pourquoi un de nos vénérables Confrères dit dans une Ode pleine d'enthousiasme:
Free-Maçons, Illustre Grand Maître
Recevez nos premiers transports
Dans mon cœur l'Ordre les fait naître
Heureux ! Si de nobles efforts
Me font mériter votre estime
Et m'élèvent au vrai sublime
À la première vérité
À l'essence pure et divine
de l'âme céleste origine
Source de vie et de clarté.
(On devine les grands thèmes maçonniques toujours travaillés dans les loges symboliques et traditionnelles. Le plus important est cette intelligence du cœur qui prévaut lorsqu’il est question de transport ésotérique. On relève aussi le thème du mérite et du travail glorifiant l’homme dans son progrès sur lui-même pour l’élever, jusqu'à entrevoir la Lumière.)
Comme une philosophie sévère, triste et misanthrope dégoûte les hommes de la vertu, nos ancêtres les Croisés voulurent la rendre agréable, d'une joie pure et d'une gaieté raisonnable. (Les soldats de Dieu consacrent le maintien et le respect des valeurs chrétiennes qui sont le socle de la franche maçonnerie de tradition. La bonne chère en partage lors des agapes ritualisées, pour éviter tout excès, contribue à la confortation du groupe.)
Nos sentiments ne sont pas ce que le monde profane et l'ignorant vulgaire s'imaginent. Tous les vices du cœur et de l'esprit en sont bannis et on a proscrit l'irréligion et le libertinage, l'incrédulité et la débauche.
(Des rapports de police de l’époque indiquent que nombre de loges se réunissent pour travailler moins d’une heure et s’en suivent des agapes bien arrosées, qui dérivent rapidement en lieu de débauche. Ramsay entend rompre avec cette tendance. Il faut se souvenir qu’il dû fermer le club de l’entresol qui déplaisait tant au Régent pour des motifs politiques.)
C'est dans cet esprit qu'un de nos Poètes dit:
Nous suivons aujourd'hui des sentiers peu
battus,
Nous cherchons à bâtir, et tous nos édifices
Sont ou des cachots pour les vices,
Ou des temples pour les vertus.
(Bâtir des cachots pour les vices et élever des temples à la vertu sont les deux objectifs de l’apprenti entrant en Franc-maçonnerie.)
Nos repas ressemblent à ces vertueux soupers d'Horace, où l'on pouvait s'entretenir de tout ce qui pouvait éclairer l'esprit, perfectionner le cœur et inspirer le goût du vrai, du bon et du beau.
0 noctes coenoeque Deum
Sermo oritur, non de regnis domisbusve aliens
Sed quod magis ad nos
Pertinet et nescire matum est agitamus utrume
Divitits homines an sint virtuti beati;
Quitue ad amicitas usus rectumve trehat nos
Et quoe sit natura boni, summumque quid ejus[3].
Ici l'amour de tous les désirs se fortifie. Nous bannissons de nos Loges toute dispute, qui pourrait altérer la tranquillité de l'esprit, la douceur des mœurs, les sentiments de l'amitié, et cette harmonie parfaite qui ne se trouve que dans le retranchement de tous les excès indécents, et de toutes les passions discordantes.
(Seul le respect mutuel procure dans ces premières assemblées cette harmonie. Nous savons aujourd’hui que les premières loges s’agrégeaient autour du sentiment de reconquête du pouvoir dans les loges Stuartistes. Les Loges Orangistes prenaient naturellement le contre-pied. Ramsay tente habilement d’imposer cette harmonie œcuménique, en la francisant autour de l’esprit chevaleresque qui sied si bien au peuple français.)
Ainsi, les obligations que l'ordre vous impose sont de protéger vos Confrères par votre autorité, de les éclairer par vos lumières, de les édifier par vos vertus, de les secourir dans leurs besoins, de sacrifier tout ressentiment personnel et de rechercher tout ce qui peut contribuer à la paix, à la concorde et à l'union de la Société.
LE GOUT DU SECRET
Nous avons des secrets, ce sont des signes figuratifs et des paroles sacrées, qui composent un langage tantôt muet, tantôt très éloquent pour le communiquer à la plus grande distance et pour reconnaître nos Confrères de quelque langue qu'ils soient.
(Il est fait mention ici des signes et mots de reconnaissance qui permettent aux maçons de se reconnaître, c’est du mot de maçon dont il s’agit dans toutes ses ramifications.)
C'étaient des mots de guerre que les Croisés se donnaient les uns aux autres pour se garantir des surprises des Sarrasins qui se glissaient souvent déguisés parmi eux pour les égorger. (Ramsay exclut l’origine opérative de l’ordre, c’est le maniement de l’épée et de la truelle qui prévaut sur le maillet et le ciseau. Les loges opératives n’étaient que des supports d’une tradition d’origine templière. Ce point de vue éminemment critiquable fait apparaître la mission réelle de Ramsay qui est la promesse qu’il fit, de raviver la flamme Templiere et l’ordre du chardon. Le mot de maçon devient le mot du templier.)
Ces signes et ces paroles rappellent le souvenir ou de quelque partie de notre science, ou de quelque vertu morale ou de quelque mystère de la foi. Il est arrivé chez nous ce qui n'est guère arrivé dans aucune autre Société. Nos Loges ont été établies et sont répandues dans toutes les Nations policées et cependant parmi une si nombreuse multitude d'hommes, jamais aucun Confrère n'a trahi nos secrets. Les esprits les plus légers, les plus indiscrets, les moins instruits à se taire, apprennent à se taire, apprennent cette grande Science en entrant dans notre Société, tant l'idée de l'union fraternelle a d'empire sur les esprits.
Ce secret inviolable contribue puissamment à lier les sujets de toutes les Nations, et à rendre la communication des bienfaits facile et mutuelle entre eux. Nous en avons plusieurs exemples dans les annales de notre Ordre. Nos Confrères qui voyageaient en divers pays de l’Europe, s’étant trouvés dans le besoin, se sont fait connaître à nos Loges, et aussitôt ils ont été comblés de tous les secours nécessaires. Dans le même temps que des guerres les plus sanglantes d'illustres prisonniers ont trouvé des Frères où ils ne croyaient trouver que des ennemis. (La fraternité transcende les frontières, faisant fi de la souveraineté nationale. Le secours entre soldats de camps opposés, quand tout est perdu, en témoigne ; le signe de détresse enseigné au 3ème degré également. Cette fraternité transfrontalière est de nature à remettre en cause le pouvoir absolu du Roi ou du Régent et ce goût du secret trouvant ses origines dans l’initiation n’est pas pour satisfaire le contrôle par le pouvoir.)
Si quelqu'un manquait aux promesses solennelles qui nous lient, vous savez, Messieurs, que les peines que nous lui imposons sont les remords de sa conscience, la honte de sa perfidie et l'exclusion de notre Société, selon ces belles paroles d'Horace:
Est et fideli tuta silentia
Merces, vestabo qui cereris sacrum
Vulgaris arcanum sub lisdem
Sit trabibus, fragilemque mecum
Salvat phaselum...[4]
Oui, Messieurs, les fameuses fêtes de Cérès à Eleusis, d'Isis en Egypte, de Minerve à Athènes, d'Uranie chez les Phéniciens et de Diane en Scytie avaient quelques rapports avec les nôtres. On y célébrait des mystères où se trouvaient plusieurs vestiges de l'ancienne Religion de Noé et des Patriaches.
(La version des origines de la franc-maçonnerie nichée dans Noé et dans les plus anciennes sociétés initiatiques à mystères, appelle naturellement le Noachisme comme valeur religieuse universelle vétérotestamentaire, valeur en discussion dans l’entourage d’Anderson et Desaguliers. Ramsay concrétise ainsi l’œcuménisme du Noachisme, bien avant la publication des Constitutions de 1738. On peut affirmer que l’esprit noachite français s’affirme nettement avant, ou du moins, concomitamment à celui d’Anderson.)
Elles finissaient par des repas et des libations et on n'y connaissait ni l'intempérance ni les excès où les Païens tombèrent peu à peu. La source de ces infamies fut l'admission des personnes de l'un et l'autre sexe aux Assemblées nocturnes contre la primitive institution. C'est pour prévenir de tels abus que les femmes sont exclues de notre Ordre.
(La masculinité traditionnelle de l’Ordre est ici posée dans des termes plus prosaïques qu’initiatiques !)
Ce n’est pas que nous soyons assez injustes pour regarder le sexe comme incapable du secret, mais sa présence pourrait altérer insensiblement la pureté de nos maximes et de nos mœurs.
Si le sexe est banni, qu'il n'en ait point d'alarmes
Ce n'est point un outrage à sa fidélité;
Mais on craint que l'amour entrant avec ses charmes,
Ne produise l'oubli de la fraternité.
Noms de frère et d'ami seraient de faibles armes
Pour garantir les cœurs de la rivalité.
(C’est ici un pavé dans la marre des tenants d’une mixité initiatique.)
LE GOUT DES SCIENCES ET DES ARTS LIBÉRAUX
La quatrième qualité requise dans notre Ordre est le goût des sciences utiles et des Arts Libéraux.
(Le retour à la base initiatique des Anciens Devoirs est ici posé. Les arts libéraux et la géométrie s’associent à la conception de la caverne socratique et de la vision de la Lumière. L’ascension graduelle des arts libéraux permettait de voir le visage de Dieu.)
Ainsi l'Ordre exige de chacun de vous de contribuer par sa protection, par sa libéralité ou par son travail, à un vaste Ouvrage auquel nulle Académie, et nulle Université ne peuvent suffire, parce que toutes ces Sociétés particulières étant composées d'un très petit nombre d'hommes leur travail ne peut embrasser un objet aussi étendu.
Tous les Grands Maîtres en Allemagne, en Angleterre, en Italie et par toute l’Europe, exhortent tous les Savants et tous les Artistes de la Confraternité de s'unir pour fournir les matériaux d'un Dictionnaire Universel des Arts Libéraux et des Sciences utiles, la Théologie et la Politique seules exceptées.
(Le lien avec les anciens devoirs est encore établi, mais cette fois-ci dans le sens descendant et pédagogique. On ne gravit plus l’échelle des sept arts, mais on les répertorie dans le but de transmettre.)
On a déjà commencé l'ouvrage à Londres, mais par la réunion de nos Confrères, on pourra le porter à sa perfection dans peu d'années.
(Le travail, l’œuvre à accomplir dans l’harmonie, à l’imitation de la Grande Loge de Londres, tel est le canevas des loges françaises.)
On y explique non seulement le mot technique et son étymologie, mais on donnera encore l'histoire de la science et de l’Art ses grands principes et la manière d'y travailler.
Par là, on réunira les lumières de toutes les Nations dans un seul ouvrage qui sera comme un magasin général, et une Bibliothèque universelle de tout ce qu'il y a de beau, de grand, de lumineux, de solide et d'utile dans toutes les sciences naturelles tous les arts nobles. Cet ouvrage augmentera chaque siècle, selon l'augmentation des lumières ; c’est ainsi qu’on répandra partout une noble l'émulation et le goût des Belles-Lettres des beaux Arts dans toutes l’Europe.
(Réunir ce qui est épars. La doctrine encyclopédique produit ici ses effets. L’influence anglo-saxonne et cette tendance à récupérer en un ouvrage tous les savoirs et documents historiques, pour mieux les faire fructifier, sont typiques des intellectuels de son temps. La Royal Society, émanation de l’invisible collège et des sociétés d’antiquaires à l’anglaise, a infusé par ses membres la doctrine de la première Grande Loge spéculative. )
- ORIGINE ET HISTOIRE DE L'ORDRE
(Pour le chevalier Ramsay, le terme de franc-maçon ne doit donc pas être pris dans un sens littéral, grossier et matériel. Ils étaient d'habiles architectes qui voulaient consacrer leurs talents et leurs biens à la construction des temples extérieurs. Attachés aux principes religieux et guerriers, ils voulurent éclairer, édifier et protéger les temples vivants du Très-Haut; c'est ce que veut démontrer Ramsay en développant l'histoire ou plutôt le renouvellement de l'ordre. La question des origines non opératives est encore abordée. Ici l’architecte n’est pas un ancien tailleur de pierre. Le renouvellement dont il est question suppose la présence de maçons acceptés dans les loges opératives. Pour conserver une forme de cohérence au récit, on imagine bien volontiers que les premiers acceptés étaient des templiers réfugiés dans l’ordre opératif qu’ils avaient contribué à développer.)
Chaque famille, chaque
République, et chaque Empire dont l'origine est perdue dans une antiquité obscure, a sa fable et a sa vérité, sa légende et son histoire, sa fiction et sa réalité.(Ramsay admet par principe le mythe comme source traditionnelle et communautaire.)
Quelques-uns font remonter notre institution jusqu'au temps de Salomon, de Moïse, des Patriarches, de Noë même. Quelques autres prétendent que notre
fondateur fut Enoch, le petit-fils du Protoplaste, qui bâtit la première ville et l'appela de son nom. Je passe rapidement sur cette origine fabuleuse, pour venir à notre véritable histoire.
Voici donc ce que j'ai pu recueillir dans les très anciennes Annales de l'Histoire de la Grande-Bretagne, dans les actes du Parlement d'Angleterre, qui parlent souvent de nos privilèges, et dans
la tradition vivante de la Nation Britannique, qui a été le centre et le siège de notre Confraternité depuis le onzième siècle.
INSTITUTION DE L'ORDRE PAR LES CROISÉS
Du temps des guerres saintes dans la Palestine, plusieurs Princes, Seigneurs et Citoyens entrèrent en Société, firent voeu de rétablir les temples des Chrétiens dans la Terre Sainte, et s'engagèrent par serment à employer leurs talents et leurs biens pour ramener l'Architecture à primitive institution. Ils convinrent de plusieurs signes anciens, de mots symboliques tirés du fond de la religion, pour se distinguer des Infidèles, et se reconnaître d'avec les Sarrasins. On ne communiquait ces signes et ces paroles qu'à ceux qui promettaient solennellement et souvent même aux pieds des Autels de ne jamais les révéler. Cette promesse n'était donc plus un serment exécrable, comme on le débite, mais un lien respectable pour unir les hommes de toutes les Nations dans une même confraternité. Quelques temps après, notre Ordre s'unit intimement avec les Chevaliers de S. Jean de Jérusalem. Dès lors et depuis nos Loges portèrent le nom de Loges de S. Jean dans tous les pays.
(C’est ici le point principal de la différence identitaire des loges dites Écossaises qui en France se réfèrent expressément aux deux Saints Jean et ouvrent leurs travaux avec la Bible ouverte à l'Évangile de Saint-Jean. Il est ici clairement annoncé que la Bible se lit dans son sens Esotérique, sens qui n’est accessible qu’aux initiés. Que dire du lien entre les Templiers et l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem, Ordre hospitalier dont l’origine remonte à 1050. De leurs implantations ils rapportèrent une connaissance initiatique transmise par les Johannites, secte des disciples de Saint-Jean et les Cohanim continuateurs du culte du Temple de Salomon. Ils eurent selon toute vraisemblance, des contacts avec la secte des assassins et la tradition hellénique d’origine Byzantine. Ils furent chassés successivement de Jérusalem puis d’Acre, de Chypre, de Rhodes pour finir à Malte où ils prirent le nom d' Ordre des Chevaliers de Malte. Ici il n’est pas fait allusion directement aux templiers et à leur Ordre, sans doute dans un but diplomatique, le point de vue papal n’étant pas neutre.)
Cette union se fit en imitation des Israélites, lorsqu'ils rebâtirent le second Temple, pendant qu'ils maniaient d'une main la truelle et le mortier, ils portaient de l'autre l'Epée et le Bouclier.
(L’allusion à la double initiation qui va constituer la racine de l’écossisme en France est exprimée de manière péremptoire. Ramsay envisage l’initiation de métier constituée par la transformation de la matière comme une base qui se complète par l’initiation guerrière. On rejoint par le sommet, les deux versants d’une même montagne. Il ne reste plus que l’initiation sacerdotale qui sera mise en partition par la légende d’Hiram et sa parole perdue.)
Notre Ordre par conséquent, ne doit pas être regardé comme un renouvellement de bacchanales, et une source de folle dissipation de libertinage effréné, et d'intempérance scandaleuse, mais comme un ordre moral, institué par nos Ancêtres dans la Terre sainte pour rappeler le souvenir des vérités les plus sublimes, au milieu des innocents plaisirs de la Société.
DE LA TERRE SAINTE EN EUROPE
Les Rois, les Princes et les Seigneurs, en revenant de la Palestine dans leurs pays, y établirent des Loges différentes. Du temps des dernières Croisades on voit déjà plusieurs Loges érigées en Allemagne, en Italie, en Espagne, en France et de là en Écosse, à cause de l'intime alliance qu'il y eut alors entre ces deux Nations.
(La loge est donc le produit croisé de la tradition orientale des bâtisseurs et de la chevalerie plongée dans la croisade. La maçonnerie opérative ne serait que l’émanation des croisades. Orient et occident par la croisade qui est une communion des sangs partagent une même tradition.
Plus bas, Ramsay rappelle l’Ancienne Alliance qui unie la France et l’Ecosse. On y voit le poids d’une culture Stuartiste avec la justification de ses racines.)
Jacques Lord Steward d'Écosse fut Grand Maître d'une Loge établie à Kilwining dans l'Ouest d'Écosse en l'an 1286, peu de temps après la mort d'Alexandre III Roi d'Écosse, et un an avant que Jean Baliol montât sur le Trône. Ce Seigneur Écossais reçut Free-Maçons dans sa Loge les Comtes de Glocester et d'Ulster, Seigneurs Anglais et Irlandais.
Peu à peu nos Loges, nos fêtes et nos solennités furent négligées dans la plupart des pays où elles avoient été établies. De-là vient le silence des Historiens de presque tous les Royaumes sur notre Ordre, hors ceux de la Grande-Bretagne. Elles se conservèrent néanmoins dans toute leur splendeur parmi les Écossais, à qui nos Rois confièrent pendant plusieurs siècles la garde de leur sacrée personne.
(La garde écossaise du Roi et l’Ancienne Alliance entre l'Écosse et la France sont ici mis en avant pour créer le fameux lien « Écossais » qui va permettre l’incroyable foisonnement de « l’écossisme » en France. C’est par l'Écosse que nous revient une tradition oubliée. Il est dit ici que l'Écosse fut un centre reconnu pour la Franc-maçonnerie.)
DES CROISADES A LA RÉFORME - DÉGÉNÉRESCENCE DE L'ORDRE
Après les déplorables traverses des Croisades, le dépérissement des Armées Chrétiennes et le triomphe de Bendocdar Soudan d'Egypte, pendant la huitième et dernière Croisade, le Fils d'Henry III Roi d'Angleterre, le grand prince Édouard voyant qu'il n'avait plus de sûreté pour ses confrères dans la Terre sainte, quand les troupes Chrétiennes s'en retiraient, les ramena tous, et cette Colonie de frères s'établit ainsi en Angleterre. Comme ce Prince était doué de toutes les qualités du coeur et de l'esprit qui forment les Héros, il aima les beaux Arts, se déclara protecteur de notre Ordre, lui accorda plusieurs privilèges et franchises, et dès lors les membres de cette Confraternité prirent le nom de francs-maçons. Depuis ce temps la Grande-Bretagne devint le siège de notre science, conservatrice de nos lois, et la dépositaire de nos secrets. Les fatales discordes de religion qui embrasèrent et déchirèrent l'Europe dans le seizième siècle, firent dégénérer notre ordre de la grandeur et de la noblesse de son origine (ce sont les rivalités religieuses instrumentées par la noblesse aux commandes de la grande politique qui à fait la faillite de la tradition maçonnique et la grande mémoire, provoquant la discorde entre les hommes). On changea, on déguisa, on supprima plusieurs de nos rites et usages, qui étaient contraires aux préjugés du temps.
C'est ainsi que plusieurs de nos confrères oublièrent l'esprit de nos lois, et n'en conservèrent que la lettre et l'écorce. Notre grand maître, dont les qualités respectables surpassent encore la naissance distinguée, veut que l'on rappelle tout à sa première institution, dans un Pays où la religion et l'État ne peuvent que favoriser nos Lois.
Des Isles Britanniques, l'antique science commence à repasser dans la France sous le règne du plus aimable des Rois, dont l'humanité fait l'âme de toutes les vertus, sous le ministère d'un Mentor qui a réalisé tout ce qu'on avait imaginé de plus fabuleux.
Dans ces temps heureux où l'amour de la Paix est devenu la vertu des Héros, la nation la plus spirituelle de l'Europe deviendra le centre de l'Ordre; elle répandra sur nos Ouvrages, nos Statuts et nos mœurs, les grâces, la délicatesse et le bon goût, qualités essentielles dans un Ordre, dont la base est la sagesse, la force et la beauté du génie.
(Le rappel des trois lumières d’ordre signe l’appartenance maçonnique de son auteur.)
C'est dans nos Loges à l'avenir, comme dans des Écoles publiques, que les François verront, sans voyager, les caractères de toutes les Nations, et c'est dans ces mêmes Loges que les Étrangers apprendront par expériences, que la France est la vraie Patrie de tous les Peuples:
"PATRIA GENTIS HUMANAE"
(L’universalité d’un peuple se juge à l’aune de son rayonnement et la Franc-maçonnerie est un excellent support pour y parvenir. Voilà un dernier argument que l’auditeur politique, censé soutenir la démarche maçonnique en la protégeant, doit prendre en compte.)
[1] Notons pour la forme qu’il était parfaitement informé du complot ourdi par le George Monck, franc-maçon, en appui de Charles II dans le cadre des loges Jacobites, voir Renaissance Traditionnelle, N°197-108, 1996, p223.
[2] Nous avons promis d'être fidèles, de vénérer la sainte divinité de l'amitié, d'aimer la vertu, non les récompenses
[3] ] O nuits, ô repas divins !
On ne s'y occupe pas des domaines ou des maisons d'autrui
Mais de sujets qui nous touchent plus directement
et qu'il est mauvais d'ignorer.
Si les richesses ou la vertu donnent aux hommes le bonheur,
quel est le mobile des amitiés, l'intérêt ou le bien moral,
quelle est la nature du bien, et quel en est le degré suprême.
[4] « Il est au silence fidèle une récompense assurée;
mais à celui qui aura divulgué les rites de la mystérieuse Céres,
j’interdirai qu'il vive sous mon toit,
ou s'embarque avec moi sur un fragile esquif. »