Ce que doit savoir un Maître Maçon (par Papus 1910)
Nous publions ce texte car nous estimons qu’il contient certains propos qui témoignent d’un passé riche en controverses. C’est une bonne occasion pour chaque lecteur d’exercer son esprit critique, en tenant compte des circonstances historiques de l’époque.
Trop souvent nous constatons des attitudes ostraciques qui sont rien d’autre que des réflexes identitaires ou politiques. La franc-maçonnerie est diverse et il faudrait en prendre acte une bonne fois pour toutes, en acceptant l’autre dans sa différence. Il y a autant de maçons sincères dans une obédience que dans l’autre et nombre de loge dite « libres » font un travail initiatique à faire réfléchir ceux qui pensent être « plus » que les autres. Un peu de modestie et de sagesse rendraient les relations inter-obédiencielles plus franches et fraternelles.
Nous ne sommes pas loin de penser que la régularité du maçon, en plus de la chaîne de transmission, est plus une affaire de « bon cœur » que de réactions ostraciques, car le cœur est le réceptacle de la transmission et le centre de tout rayonnement.
Au-delà de ce constat, ce texte remet en avant des valeurs parfois oubliées qui donnent une dimension et une profondeur au grade de maître qui n’a rien de superficiel. Adapté vers 1740 sur le continent ce troisième degré de la franc maçonnerie spéculative suppose à la fois un certain nombre de pré-requis étudiés en profondeur au deuxième degré mais aussi un changement d’état de l’initié, en ce sens qu’il passe des petits mystères au grands mystères. Bref ce degré ne peut être acquis à l’ancienneté comme une simple formalité mais doit couronner un cheminement dans l’éveil du maçon. A défaut de cet avancement dans l’éveil, il y a fort à parier que le nouveau maître glissera vers un déphasage. Cette croissance trop rapide se traduira souvent par l’émergence de problèmes comportementaux en loge, l’énergie de ce dernier étant toute préoccupée à pérorer plutôt qu’à travailler. Décidément, seul le labeur fait le maçon de métier, seule la répétition du geste fait le tour de main de l’artisan et seule la persévérance fait l’œuvre.
L’autre question qui se pose, est de savoir si la franc-maçonnerie est une science au sens de l’algèbre ou des mathématiques. Nous ne le pensons pas. Le savoir symbolique n’est pas une science, c’est une connaissance à la fois intuitive et analogique, qui relie l’image à sa représentation intime au-delà de toutes logiques rationalistes.
En conséquence, nous parlerons plutôt de sensibilisation à un corpus de formes signifiantes que d’acquisition d’une science. C’est la base même de la connaissance initiatique que de situer son champ opératoire au-delà des frontières du raisonnement scientifique, sans le nier pour autant.
Un dernier mot pour l’auteur, Papus (Dr Gérard d’Eucausse 1860-1916) qui a fait partie de la grande aventure de la franc-maçonnerie et des sociétés initiatiques de la fin du XIXeme siecle au début du XX ème siècle. Il fut décrié par certains, porté aux nues par d’autres. Occultiste, théosophe, fondateur influent de différents ordres et auteur de plus de vingt ouvrages. Mais qu’importe, ce fut une époque formidable à la jonction de la tradition redécouverte et réadaptée confrontée à un modernisme échevelé. Cette période préserva la transmission de certaines traditions qui parfois dans des applications excessives, connurent des rajouts et des additifs et qui obtinrent d’un certain succès.
A chacun de se faire une opinion.
Les Rites Maçonniques
Les Maçons peuvent se diviser en deux catégories le Maçon qui cherche à s'instruire et à comprendre et le Maçon indifférent.
Ce dernier a vu dans la Franc-Maçonnerie un moyen d'arriver ou d'être assisté. Pour lui c'est une société comme une autre, plus commode, voilà tout.
Le Maçon qui cherche, au contraire, se rend vite compte qu'il existe des enseignements qui nécessitent une cause. Il réfléchit à tout ce qui frappe ses regards dans les loges, aux paroles qu'il entend, au rituel qu'on exécute devant lui et il découvre alors qu'il doit exister une Science de la Maçonnerie comme il existe une science mathématique qui utilise l'algèbre.
Quelles sont donc les données de la Science Maçonnique ?
Si l'on se cantonne dans le domaine de l'histoire, on se rend compte que les premiers centres d'études maçonniques élevées ont été créés en France par des Alchimistes, des Mystiques, des adeptes des Sciences Occultes: Illuminés d'Avignon, Rose-Croix, Théosophes Chrétiens et Martinezistes. Ceux-là ont adapté à la Maçonnerie la Science Secrète dont ils détenaient la tradition.
Les Eléments de cette Science se retrouvent dans les Symboles, Chiffres et Nombres symboliques, Ternaire, Quaternaire, Septenaire, etc.
Dans les Figures : Triangles, Étoile Flamboyante (Pentagramme), Sceau de Salomon (Hexagramme), Tableau des Loges.
Dans les Légendes : Légende d'Hiram, Légende de Salomon, Inri, Histoire de J.-B. Molay.
Dans les Outils : Maillet, Niveau, Règle, Équerre, Compas, Pierre cubique, Épées, Poignards, etc.
Dans les Paroles : Mots de Passe Hébraïques et Latins et Paroles dans la Langue Profane de l'Initié.
Dans les Signes: Signes et Attouchements de chaque grade.
Dans les Décors et Bijoux : Dans les Bannières.
Dans la Langue écrite avec des caractères secrets suivant les grades.
Tout cet ensemble suppose et nécessite une Science Particulière dont l'étude doit constituer l'initiation aux vrais mystères de la véritable Maçonnerie.
Il faut cependant se souvenir que la Maçonnerie s'est trouvée mêlée à une foule d'événements politiques. Comprenant l'utilité possible de cette admirable association, certains hommes d'État ou même de simples ambitieux ont voulu utiliser cet Ordre en vue d'un but tout à fait étranger aux applications sociales de la Science Maçonnique. De là l'abandon des études symboliques et la transformation de la Franc-Maçonnerie en une société d'action politique, avec enseignement philosophique à tendances matérialistes. Les Loges qui suivent cette voie ont une tendance forcée à abandonner des études symboliques qui n'ont plus aucune utilité pour leurs membres et à méconnaître les hauts grades où ces études doivent être poursuivies.
D'autre part, et ceci est surtout visible à l'étranger, les Maçons rattachés aux anciennes formules n'ont pas abandonné les recherches spéciales concernant la Science Maçonnique pure.
C'est de ces diverses tendances que sont dérivée les systèmes maçonniques différents pour le genre d'instruction, pour le travail et même pour le rituel d'initiation.
En Style Maçonnique ces systèmes sont appelés Rites et ces Rites peuvent se diviser en trois genres principaux dont les autres sont dérivés par fusion ou adaptation.
1° Les Rites d'études philosophiques élémentaires d'action politique immédiate' On méprise ou on ne comprend pas tout ce qui sort de cette action et on abandonne toute étude de Science Maçonnique pure. Les grades sont réduits en nombre, les épreuves physiques et autres abandonnées et le rituel des hauts grades ignoré. La tendance de ces rites est la transformation de la Maçonnerie en société profane.
Le Grand Orient de France ou Rites Français Moderne, quelques Grands Orients de l'Etranger se rattachent à .se système.
2°... A côté de ces Rites transformateurs du symbolisme traditionnel il en existe d'autres où la hiérarchie et les hauts grades sont scrupuleusement conservés. La succession des grades représente en effet l'histoire des traditions secrètes dans la société profane depuis Salomon jusqu'aux Alchimistes en passant par les Croisés, les Templiers et tous les persécutés de l'Eggrégore Papal. De plus, la hiérarchie de l'Enseignement en Maçonnerie Bleue, Maçonnerie Rouge, Maçonnerie Noire et Maçonnerie Blanche directrice permet un développement rationnel de la Science Maçonnique étudiée successivement dans les Loges, dans les Chapitres, les Aréopages et régularisée dans son enseignement par la Direction Générale ou Suprême Conseil.
Ces Rites appartiennent au Système Écossais, qui n'a d'Écossais que le nom, mais qui est connu universellement sous cette appellation.
Nous citerons parmi les Rites rattachés à ce système Écossais.
Le Rite Écossais ancien et accepté de Morin réformé par Pike.
Le Rite Écossais ancien et accepté de Cerneau.
Le Rite Primitif et Originel de la Franc-Maçonnerie.
Le Rite National Espagnol, Rite Ancien et Primitif, etc. Le Rite Universel Mixte.
Le mot ancien ou primitif indique généralement le rattachement au système Écossais, alors que le mot moderne indique le rattachement au système précédent.
3°... Certains Maçons rattachés à des sociétés de Rose-Croix ou s'adonnant d'une manière spéciale à l'étude de la Science Maçonnique, ont voulu approfondir cette Science en y adaptant des grades kabbalistiques et mystiques.
Ce genre de Maçonnerie a toujours été réservé à une élite et souvent ne comprend que des hauts grades laissant aux autres rites le soin de préparer les initiés futurs.
Le plus connu de ces Rites est le Rite de Misraïm, puis le Rite Memphis, fondés tous deux en vue d'un but spécial. Ils ont souvent formé des Puissances unies sous le nom Memphis-Misraïm. Ce rite est à 90 grades ou 96 grades.
Généralement les membres des Suprêmes Conseils à l'étranger sont initiés aux trois Rites et sont pourvus des grades 33e, 90e,96e.
Le Rite Swedenborgien et les Ordres d'Illuminés Chrétiens se rattachent à ces Rites spéciaux.
Qu'on note ici que nous faisons seulement oeuvre d'historien. Nous montrons l'existence et la situation de chaque genre de Rîtes, sans vouloir rien juger. Le chercheur impartial doit d'abord constater sans aucun parti pris, laissant à chaque lecteur intelligent le soin de conclure en toute indépendance.
Beaucoup de Maçons français ignorent ces données fondamentales de toute organisation Maçonnique. On fait de plus beaucoup d'efforts pour leur cacher des choses aussi simples. Enfin chaque Rite a la singulière prétention d'être seul régulier. De là des querelles et des excommunications sans fin. Nous allons maintenant pouvoir en parler aussi clairement que possible...
Il est évident que chaque puissance Maçonnique constituée et possédant quelques Loges ou Chapitre verra toujours d'un très mauvais oeil la naissance ou l'arrivée dans son lieu d'action d'une puissance nouvelle ou venant d'ailleurs. Oubliant brusquement tous les enseignements de fraternité, de tolérance et de vérité enseignés dans les discours officiels, on va se conduire avec la nouvelle création exactement commune Église se conduit avec une nouvelle Église. Appel à l'irrégularité, excommunication majeure ou mineure, défense aux Frères de fréquenter les nouveaux venus, enfin tout ce qu'on reproche aux sectaires religieux.
Cependant l'étude impartiale de l'histoire nous montre qu'un Rite correspond toujours à une nécessité politique ou philosophique. C'est ainsi que si la France était en ce moment abandonnée à ses directions Maçonniques, elle serait vite rayée du nombre des contrées pouvant être considérées comme faisant des travaux Maçonniques sérieux.
Que vaut donc l'excommunication d'un Rite à l'égard d'un autre ?
Exactement ce que vaut l'excommunication d'une Église à l'égard d'une autre.
Les Réformés sont irréguliers pour les catholiques, qui eux-mêmes ainsi que les Réformés sont irréguliers pour les orthodoxes et tous s'accablent de documents historiques pour affirmer leur seule régularité.
Or, il est triste de voir des hommes à la raison éclairée, qui devraient ne plus se laisser influencer par les préjugés, se laisser aller à leurs passions aveuglantes et se conduire comme des sectaires cléricaux.
Et ce qu'il y a de comique dans cette aventure, c'est que ceux qui parlent d'irrégularité sont obligés de jeter un voile discret sur leurs propres origines, car l'histoire n'a pas les complaisances des fabricants de Rituels et elle remet cruellement à leur véritable place les excommunicateurs d'aujourd'hui qui furent souvent, sinon toujours, les irréguliers d'hier.
Ainsi le Grand Orient de France détient le record de l'irrégularité. (Ndlr: Nous ne partageons pas ce point de vue). Il a été formé par Lacorne et une série de FF. expulsés de la Maçonnerie, pour raisons graves. Il a été constitué en violation de tous les statuts généraux de la Maçonnerie et de tous les serments antérieurs et solennels, des FF. constituants. Or, comme les demi-mondaines devenues femmes honnêtes par un mariage sur le tard, il n'y a pas de Puissance maçonnique plus disposée à parler de l'irrégularité des autres que le Grand Orient de France et ses dérivés comme la Loge suisse Alpina.
Le Rite Écossais ancien et accepté de Morin réformé par Pike est également irrégulier dans ses origines ainsi que l'ont démontré les FF. appartenant au Rite Écossais ancien et accepté de Cerneau. Le Rite de Morin n'a pas de charte régulière à son origine et le prétendu document de Frédéric Il est, de l'avis de Albert Pike lui-même, une douce plaisanterie pour ne pas dire un faux.
De même la Grande Loge d'Angleterre, la Puissance la plus difficile en matière d'origine maçonnique, n'a jamais pu produire ses patentes de constitution qui n'existent pas.
Eh bien ! cela n'empêche aucunement chacune des Puissances que nous venons d'énumérer de posséder dans leur sein des hommes de très grande valeur au point de vue de la Science maçonnique. Si nous présentons ces déductions historiques sur la régularité, déductions éclairées par les savantes études de notre F. Teder, ce n'est pas pour mépriser des FF. de bonne foi et très instruits. C'est pour montrer que les francs-maçons doivent leur origine à des initiés qui ont trouvé bon de rester des supérieurs inconnus et qui ont constitué des rites sans donner de chartes, pour conserver leur plan.
Il faut être de notre époque où un homme se fait lui-même quelqu'un sans avoir besoin d'ancêtres (Self Made Man), il faut avoir le courage de reconnaître les hommes de valeur dans la Maçonnerie universelle sans vouloir discuter la valeur historique de chaque rite du moment qu'il initie les FF. dans les règles habituelles et qu'il possède un certain nombre de loges.
Il existe, d'après les recherches de l'illustre F. Villarino del Villar, trois cent mille maçons rattachés aux Puissances maçonniques qui se disent régulières et deux millions de FF. rattachés aux autres Puissances.
Il nous semble nécessaire de dresser en toute impartialité un tableau de toutes ces Puissances maçonniques sans nous mêler de juger les uns ou les autres. Ensuite il sera possible de chercher un moyen d'union qui respecte l'autonomie de chaque rite. Il en est ainsi des États-Unis d'Amérique où la constitution de chaque État est respectée, ce qui n'empêche pas la puissance effective de la Fédération. Il en est ainsi en Suisse. Il doit en être de même dans la franc-maçonnerie où chaque rite est un État autonome aussi petit soit-il. Les États-Unis d'Europe doivent être précédés de la Constitution de la Fédération maçonnique universelle.
Or une Fédération ne peut s'établir que sur le respect d'autrui.
La franc-maçonnerie a toujours été la grande initiatrice des réformes politiques et sociales. Elle a détruit pour ses membres les frontières et les préjugés de races et de couleurs, elle a présidé à la destruction des parchemins individuels et des statuts corporatifs qui écrasaient' l'intelligence du pauvre, elle a soutenu une lutte séculaire contre l'obscurantisme sous toutes ses formes.
Le moment est venu pour elle de sortir de la période des querelles mesquines et des rivalités individuelles. La Fédération des rites précédera la Fédération des Puissances de l'Europe et nous respecterons tous les rites qu'ils soient avec nous ou contre nous. L'œuvre à laquelle nous appelons aujourd'hui nos FF. demande bien trop de temps et d'efforts collectifs pour que les individus comptent pour elle.
Nous aurons tous disparu du plan physique depuis longtemps sans doute, lorsque les FF. qui viendront cueilleront sur nos tombeaux la branche d'acacia et la présenteront à la première assemblée fédérale des Puissances maçonniques, en disant: Debout et à l'ordre, mes FF., voilà le plan d'Hiram qui s'accomplit. Les ouvriers sont classés selon leur genre de travail et ils vont réaliser une partie du Grand oeuvre de l'humanité terrestre.