Orateur vient d’orator, oro, parler. Tout bon dictionnaire indiquera que c’est celui qui compose, qui prononce des discours, des ouvrages d’éloquence. Même si cela n’a pas de rapport direct avec le rôle de l’officier en Loge, on ne peut évoquer l’orateur sans citer Saint Augustin « L'orateur pense et la parole suit », comme Cicéron bien évidemment « Les orateurs élèvent la voix quand ils manquent d'arguments ».
Au moyen-âge, l’orateur, est celui qui prie ou supplie. C'est aussi celui qui est envoyé par le pape auprès d'un souverain étranger, puis l’expression désignera tout prêtre ou prélat envoyant aux rois et princes des messages de prières.
" Le verbe relié au Verbe. "
L’art de l’Orateur
Les mots, la langue et les paroles ont une incapacité à saisir ce qui est vraiment. L’étirement du langage et la perte du sens nous ont obligés il y a fort longtemps à épeler plutôt qu’à prononcer. C’est cette prudence qui nous conduit à doter la loge d’un officier spécialisé dans l’art oratoire, comme d’autres le seraient dans le polissage de la pierre.
L'ORATEUR est placé à la gauche du Vénérable au Debhir. Sur son plateau se trouvent la Constitution et les Règlements, son bijou est le Livre ouvert comme les tables de la Loi. À l’Orient, il se situe sous le Soleil, symbole de la Règle toute puissante et de l’esprit. Il doit donc éclairer les zones d’ombre sans imposer un point de vue ou une opinion partisane.
Il est le Maître du dévoilement. Sa mission est double, dire la loi, comme une évidence et non comme une connivence, en dévoiler les arcannes en instruisant ses Frères, et enfin parler en leur nom dans les grands moments et en concluant leurs travaux.
Sa fonction éclairante au plan réglementaire fait le pendant de la passivité lunaire du secrétaire. Ce dernier réfléchit la lumière du soleil dans son action de transcrire fidèlement la mémoire.
Ce rôle magnifique et solaire ne rentre-t-il pas en concurrence avec celui du Vénérable maître ?
Oui, c’est une évidence, seulement c’est au Vénérable que revient de faire naître et préserver l’égrégore en Loge. Or l’égrégore naît sous couvert d’un rituel fidèlement exécuté, de la conjugaison habile de la sagesse de la beauté et de la force dans la parole et dans l’action. C’est au Vénérable qu’il revient d’exercer cette conjugaison et c’est à l’orateur d’incarner la conscience de la Loge.
Face à l’égrégore naissant, il est important que l’Orateur par sa liberté de parole ne vienne briser l’effort de tous. Sa parole ne brise pas elle solidifie et averti. Il fait œuvre de synthèse et doit être dans le sillage du Vénérable Maître. Il est moins important de relever une petite erreur qui est rectifiable par la suite que de gêner la poésie de la triple voie et la montée en puissance des influx spirituels.
L’Orateur ne doit pas jouer les Cassandres.
On le présente comme le garant de la règle et donc du caractère régulier de la tenue. Il doit prendre en compte les coutumes, traditions et usages de l'Ordre. Son rôle s’accentue en dehors du domaine réglementaire, car il est celui qui, dans les moments importants de la vie de la loge, la représente en s'exprimant au nom de tous les frères. Le voilà donc, moins censeur réglementaire que porte-parole d’une assemblée de Frères. Il parle pour instruire et incarne la pensée de la loge et son miroir .
Il prononce le discours de bienvenue au nouvel apprenti. C’est un moment fort pour le nouveau Frère. La réception, les passages de grade, les célébrations d’anniversaires ou les oraisons funèbres sont autant d’exercices ou il doit démontrer une capacité à mettre en perspective l’évènement dans la continuité initiatique. Cette position particulière le confirme comme le frère institutionnel, et on se demande jusqu'à quel point ce rôle solaire risque d’empiéter sur l’envergure jupitérienne d’un Vénérable Maître en chaire.
Il est censé soulager le V. :M. : dans ses tâches réglementaires, rappelle discrètement le règlement est le gardien de la Loi, de l’orthopraxie, de la rigueur. Il intervient si le V. :M. : laisse faire une mauvaise exécution du rituel. Son tact doit être exemplaire il ne peut se poser en censeur de la loge, et il s’adresse au Vénérable pour les rappels qu’il pourrait faire, ses références et niveaux d’intervention sont variés.
La véritable fonction de l’orateur reste attachée à l’idée d’une régularité qui n’est pas toujours aisée de pratiquer. La Maçonnerie est régulière – conforme à la Règle, donc – lorsqu’elle applique avec soin les textes universels qui unissent tous les francs-maçons de la terre.
Quelles sont les règles applicables ?
Au niveau national les Loges se regroupent au sein d’un organisme spécial nommé « Grande Loge ». Celle-ci se construit sur des « Grandes Constitutions » et des Règlements généraux de la Grande Loge. Ils concernent son fonctionnement ainsi que celui des Loges sous son obédience.
Au niveau local, chaque Loge vit au rythme de ses règlements particuliers qui en traitent toutes les spécificités comme le nombre des Tenues, les modalités d’élection des officiers dignitaires, les critères d’admission d’un nouveau Frère et la procédure à y appliquer, etc.
En référence à la tradition et à la continuité historique de celle-ci, il peut rechercher des textes plus anciens et à défaut de les appliquer, s’y référer en appui de son appréciation. La régularité va plus loin que la simple et vague « tradition » ; elle s’inscrit dans la lettre et dans l’esprit des landmarks qui se veulent intangibles depuis un millénaire. La régularité fait appel à une règle donc à un ordre initiatique qui va bien plus loin qu’une interprétation à géométrie variable. C’est ici que se situe la difficulté de la tâche.
Si la régularité est universelle, l’Orateur doit dépasser la problématique des différences de sensibilité propres aux lieux et aux époques.
L’Orateur doit veiller que la règle soit mise en application d’une manière sérieuse et rigoureuse, mais ce n’est pas tant l’application de la lettre qui fera problème, mais plutôt l’esprit de celle-ci. Il y a tout un monde entre la lecture d’une règle ou d’un usage et sa mise en pratique. Le lien se fait en fonction de l’état d’esprit de celui qui se charge de l’interprétation.
Il peut conduire des recherches dans les différentes sédimentations de textes réglementaires anciens. Sa plus ancienne référence est le Régius, cet ancien devoir de 1390 qui ouvre la voie documentaire à une maçonnerie opérative fondée sur un canevas initiatique et traditionnel dont toutes les loges contemporaines peuvent se réclamer. S’il utilise cette source comme fondement réglementaire même partiel il s’expose au problème de l’objectivité. Comment faire pour en avoir une interprétation adaptable à une situation contemporaine ? Son point de vue doit-il être doctrinaire ? Si oui, il est probable qu’il finisse par imposer un point de vue partisan, ou du moins insuffisamment éclairé.
Les Landmarks peuvent être une source de difficulté d’interprétation : quel est le texte de référence, il y en a plusieurs, la liste est elle adaptée aux usages de la loge ?
Il en est de même avec la règle des trois B…
Quelle est donc la marge d’adaptation (s’il en existe) entre la lettre et l’esprit. Finalement la parole de l’orateur doit faire ce lien permanent et cohérent entre la lettre et l’esprit. C’est son ouverture d’esprit qui comme l’ouverture du compas, l’aidera a surmonter ces obstacles. On voit que son domaine d’investigation réglementaire peut dépasser les Grandes Constitutions, les règlements de la loge ou les règlements généraux de la Grande Loge. Les sources sont multiples et foisonnantes et parfois contradictoires. Il est face à un mille-feuille qui incarne la régularité. Comment ne pas y perdre son latin.
Face à la difficulté d’appréciation, il est nécessaire de prendre du recul. Paradoxalement à force de détachement, ce qui doit être son attitude normale, on finit parfois par tout simplement s’éloigner du sujet, au point d’en refuser l’implication intellectuelle.
Sa fonction lui impose de rester lucide pour présenter la synthèse des travaux. À ce titre, il propose des « conclusions » que le Vénérable Maître fait adopter. L'Orateur élabore et prononce des discours dans les occasions solennelles. Les discours doivent être lus et agréés auparavant par le V. : M. :, c’est du moins la règle qui s’applique dans de nombreuses loges pour éviter tous errements dans le déroulement d’une tenue. L'Orateur est certainement un contrepoids à l’autoritarisme exagéré d’un Vénérable, cependant il ne doit rien lire en Loge sans avoir le consentement et l'approbation du V. M, alors même que son pouvoir est grand : Il prend la parole quand bon lui semble, sans devoir en demander permission au Vénérable Maître – ainsi que doivent le faire tous les autres Frères. En Effet, éclairer n’est ni imposer, ni décider.
L’arbitrage n’est pas de son ressort, il relève de chaque Frère si le sujet est personnel, et du Vénérable, s’il est collectif.
Lorsque l'Orateur est absent, le V. :M. : le fait toujours remplacer par un Frère de la Loge à son choix, de sorte que dans les travaux maçonniques, cette place ne soit jamais inoccupée.
L’Orateur signale son opposition de la manière suivante : «Vénérable Maître, je ne peux permettre que la Loge exprime son suffrage sur ce point. Il y a une contradiction grave avec la loi maçonnique. » S'il se produit une incompatibilité grave entre un document ancien faisant force de loi et un règlement moderne, l'Orateur doit proposer que le Vénérable Maître désigne une commission chargée de statuer sur ce problème en vue d'harmoniser le texte non conforme ou irrégulier. Il doit intervenir dans le respect des intentions du Vénérable. Il ne doit pas par son orgueil rompre l’égrégore. Le Verbe lui est prêté et non donné, dans un esprit de sagesse et d’amour.
Enfin et pour conclure, l’orateur est un apport du génie français du Siècle des lumières, cette fonction nouvelle n’existait pas dans la maçonnerie anglo-saxonne. C’est donc une modernisation des usages que d’introduire une telle innovation, un paradoxe ! C’est vers 1739 qu’on relève que Ramsay est Grand Orateur et à ce titre élabore son fameux discours. C’est donc sous un aspect protocolaire, lié au morceau d’architecture et procédural, lié à la pratique de la règle qu’est introduite l’orthodoxie propre à la tradition.
L’Orateur est maître de la règle, de l’écoute et du verbe. Pour autant, il reste soumis à l’œuvre qui se bâtit sous la direction du Maître de loge, c’est à cette condition qu’il incarne la conscience de la loge