Du respect à la fraternité.
Sur le thème général du respect, nous aurions beaucoup à dire, particulièrement dans une société multiculturelle telle que la nôtre, qui subit les forces d’attraction et de dislocation de la mondialisation.
Nous tâcherons de dépasser cet aspect purement societal pour remonter à la source même du respect. Nous tenterons de trouver dans les richesses de l’expérience initiatique un fondement universel au respect.
Quel est le fondement du respect ? S’agit-il d’une crainte d’un homme vis-à-vis d’un autre homme ou d’une institution qui sait imposer sa force ou sa supériorité ? S’agit-il de la reconnaissance en l’autre de quelque chose d’infiniment plus précieux qu’un rapport de force basique ?
La franc-maçonnerie offre une initiation individuelle dans un cadre collectif. Ainsi, nous pouvons affirmer que la fraternité est le support et le point d’aboutissement de nos recherches. Il y a donc dans la fraternité et dans le sacré, fut-il laïc, une ressource inépuisable à toutes les prises de consciences lumineuses de l’initié. C’est ainsi que le franc-maçon lutte contre l’ostracisme, le sectarisme et l’obscurantisme. Pour y arriver, il s’appuiera sur l’épaule de ses Frères et sur la recherche de la Lumière.
Nous tenterons de démonter que le respect trouve sa source dans la quête de la Lumière qu’elle fût philosophique ou religieuse.
Le respect, une valeur absolue ou relative ?
Le respect est une considération rétrospective pour un ordonnancement ancien reconnu ou pour une qualité humaine reposant sur la reconnaissance hiérarchique au sein du groupe.
On démontrera que l’ordonnancement ontologique et sa connaissance justifient la qualité hiérarchique du respect sur tous les plans. Le respect découle de la reconnaissance de la qualité divine à l’origine du tout, que l’on retrouvera en l’homme. La loi et la morale des hommes feront implicitement référence à une loi divine fut-elle protohistorique.
Le respect implique la connaissance de la loi constitutive de l’univers et des hommes. Cette loi est décrite et conservée par la Tradition que l’on respecte et l’on vénère.
La Tradition au sens Guénonien, organise la société des hommes en fonction de la dévolution divine dont les tables de la Loi sont une base nécessaire, mais non suffisante. La notion de respect mutuel implique une relation entre les hommes qui trouve son origine première dans la relation hiérarchique au divin puis dans l’incarnation du divin en l’homme.
On voit que le respect s’envisage dans le plan horizontal de l’humanisation de l’homme (origine seconde) et dans le plan vertical de la relation autoritaire et fondatrice au divin (origine première), ou à la grande nature.
Le respect est une valeur absolue en regard de la causalité première.
Le prologue de l’Évangile selon Jean et la Genèse nous apporte de belles explications sur la place de l’homme dans la création.
Le respect envers Dieu s’envisage en valeur absolue dans l’Ancien Testament. Le respect s’associa à l’idée d’un absolu lié à la création. Ainsi si Dieu fait l’homme à son image nous pouvons prétendre que l’homme est redevable à Dieu de son existence et de sa conscience. Sa conscience le rend débiteur par la représentation mentale qu’il se fait de Dieu. Sans conscience, l’homme ne peut se représenter une puissance créatrice. Dieu n’existe et ne provoque le respect que par le pouvoir représentatif de la conscience.
C’est ainsi que Moise se déchausse devant le buisson ardant et que l’homme se prosterne devant Dieu. C’est un signe de respect et une prise de conscience de l’existence d’une puissance supérieure. Tous les monuments religieux, temples et cathédrales célèbrent ce respect et la prise de conscience « axiale » du bas vers le haut. La prise de conscience est ici littéralement une élévation initiatique, car elle se fonde sur l’expérience vécue comme une transformation de soi.
Soi devient essence. L’essence de l’homme est connue par la découverte du sens de la vie qui fait le pendant de la révélation (au sens religieux, scientifique ou laïc). C’est la découverte du « soi essentiel », associée à la révélation qui impose le respect.
Le respect en tant que valeur absolue peut-il s’envisager dans le sens descendant du Grand Architecte de l’Univers envers les hommes ?
La question reste ouverte, je pense que l’Architecte prend soin et donc respecte sa création. Il s’agit d’un respect envers la vie plus qu’envers l’homme. Dans l’Ancien Testament, Dieu est craint, le lien hiérarchique est assorti de sanction. Ainsi la puissance divine se respecte pour sa capacité d’accorder et d’ôter la vie (épisode du Déluge).
Par tradition le Roi et le Pape sont détenteurs du pouvoir divin par représentation divine qui est figurée dans la couronne ou la tiare. Ils sont investis d’un lien particulier avec le divin. Ce lien s’appelle la conscience du divin. Pour autant le citoyen ne disposant pas de cette dévolution est dans un respect absolu de la fonction Royale ou Sacerdotale. Ce sont des fonctions ou charges qui s’exercent traditionnellement au nom du Divin.
On illustre cette relation respectueuse de la représentation divine par incarnation-procuration d’un Saint Louis rendant la justice sous un chêne. Il tranche avec son épée le différend. Il rend justice au nom de Dieu de qui il tient son pouvoir. Il exerce ce pouvoir délégué sous un chêne, c'est-à-dire en relation avec le Très-Haut. Le respect et la reconnaissance de la valeur descendante sont immédiatement reliés à une hiérarchie ascendante. Ici s’établi solidement une échelle graduelle montante et descendante qui celle de l’éveil de la conscience.
C’est ainsi que, du respect pratiqué par la voie de la justice divine, naissent rigueur et miséricorde. Nous allons découvrir que le respect est aussi lié à une notion révolutionnaire qui nourrit la conscience de l’homme : l’amour.
2) Le respect en valeur relative liée à la connaissance de soi.
Le respect devient une valeur relative lorsqu’il se situe dans une valeur humaniste ou humanisante.
La relation ne se fait plus entre un homme et un représentant de la puissance divine, mais entre deux hommes, deux tribus, deux peuples, etc. D’un point de vue vertical, nous passons à un point de vue horizontal.
L’autre étant une image de soi, un miroir, le respect de l’autre implique le respect de soi. C’est ce que nous apprenons en Loge.
Le respect de soi n’existe que si l’on a appris à se connaître soi-même, ce qui est le but premier de toute initiation. En respectant l’autre, je tente de réparer le crime d’Abel par Caïn, le crime fondateur de Remus par Romulus. Je tente par le respect de reconstituer ou d’établir une unité originelle en ne commettant aucun crime et en reconnaissant la valeur universelle de l’autre. Mon alter ego devient mon ego. Le respect devient une tentative d’unification à l’autre, et là nous ne sommes plus très loin de l’amour.
De cette attitude découlent les valeurs de fraternité, d’égalité, de liberté qui n’ont pas d’autres fondements que le respect de la loi d’amour.
Ce sont des valeurs qui font progresser l’humanisation de l’homme. Il faut préciser que les valeurs humanisantes se sont développées sous couvert de la loi d’amour. Cette loi est celle du Nouveau Testament, elle implique l’incarnation du Logos en l’homme. Ainsi, mon frère est aimé pour ce qu’il est, c'est-à-dire créature de Divin pour certains, ou miracle de l’évolution pour d’autres.
Le meurtre établissant le pouvoir de l’homme sur les autres hommes usurpe et falsifie le respect de la loi d’amour et conduit à l’asservissement. La négation de l’autre est une absence de respect et donc un crime contre « l’homme fils de la lumière ».
Ainsi le pseudo respect de l’autre en l’absence d’une connaissance approfondie de soi n’est qu’un usage social de paix et de bienséance entre des individus qui s’ignorent. Ils ne connaissent rien d’eux-mêmes, et donc des autres. Ici la règle sociale domine et s’impose à la connaissance de soi. Il faut savoir que la règle sociale découle de la Tradition qui autrefois avait un sens en regard de principes fondamentaux qui réglaient l’univers et les hommes. L’homme n’était autrefois qu’un élément du Tout, à l’image du Tout.
De la dégénérescence de cette Tradition subsiste des usages comportementaux respectueux que l’on attribue à la morale, mais dont les véritables racines se situent dans la Loi constitutive du Tout.
Ainsi se dessinent deux conceptions lumineuses du respect qui sont les deux faces, humaine et divine, d’une même pièce : cette pièce s’appelle l’ordonnancement lumineux de l’univers. (Ordo ab chaos)
Le respect dans le cadre de l’appartenance à un groupe, une tribu, une corporation se ritualise par des codes et des grades. C’est la notion d’appartenance qui induit le rituel de transmission. Celui –ci n’a de sens que dans une hiérarchie d’âges et de compétences. C’est le respect dû à l’âge de sagesse ou le respect dû au grade.
Le respect en valeur relative va plus loin que la tolérance qui fait de la différence une valeur humanisante. Le respect doit rétablir un lien ontologique à défaut il ne serait que crainte et domination.
Le travail du maçon consiste à rétablir dans sa relation fraternelle et dans la connaissance de soi, le fil conducteur du principe créateur, ou du miracle de l’évolution. Cette connaissance de soi implique le respect d’une puissance ontologique et de la racine lumineuse du frère.
Nous conclurons cette partie en constatant que le respect de l’absolu nous vient de l’Ancien Testament avec l’idée d’un Dieu autoritaire, alors que le respect fraternel nous vient de l’incarnation du logos en l’homme. Cette incarnation donne la notion d’amour. Dans ce dernier cas, celui du Nouveau Testament, l’amour implique le respect, car chaque homme détient en lui une parcelle du divin.
3) Le respect sans conscience.
Enfin le respect dans la méconnaissance de soi, et qui plus est, sans le sentiment d’autonomie et de libre arbitre, substitue à la reconnaissance de la lumière une basse servitude. Ce n’est plus ici ni la reconnaissance de la compétence ou de la sagesse, ni encore la reconnaissance des lois de l’univers ou de l’autorité de droit divin. C’est tout simplement la négation de soi. L’esclavage nie l’humanité de l’homme et ne reconnaît à celui-ci qu’une valeur marchande, utile ou raciale. L’homme n’est alors plus le fils de Dieu, il ne connaît que le bâton ou l’avoir.
Il fallut aux Hébreux s’arracher à la servitude de Pharaon en franchissant la mer Rouge, pour avoir à nouveau le respect de soi. (Pessha)
Le respect du Divin quelque soit sa dénomination, s’accompagnait parfois du respect de l’homme parce que créature de Dieu. Cette attitude cessa lorsque dans les temps modernes, l’homme entrant dans le positivisme et le rationalisme pensa que Dieu était mort (Nietzche). « Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau. — Qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d'inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d'eux ? »
— Le Gai Savoir, Livre troisième, 125.
Cette pensée enferma l’homme dans une fausse liberté qui rompit les amarres avec le respect envers plus haut. C’est ici que le relatif perdit de vue l’absolu. Il n’y avait plus de hiérarchie de valeurs, l’homme était le centre de tout se prenant pour Dieu lui-même.
Désormais seul le respect de soi prévalait et devait se qualifier et se quantifier en avoir et progrès social. L’homme pilla la création qu’il croyait sienne et se comporta en démiurge égotique. L’apprenti sorcier pensait recréer le monde en oubliant le grand schéma ontologique.
Sans plans du Temple à rebâtir, le feu de Prométhée se rependit désormais entre toutes les mains. L’homme mit le feu à la planète. L’homme ne construit plus que des tours de Babel, les cathédrales devinrent des objets touristiques.
C’est ici le manque de respect au Tout qu’il faut mettre en avant.
Ce manque, cette perte du lien respectueux se traduit par l’incapacité de reconnaître que le savoir n’est pas la Connaissance… le respect est une seconde nature lorsque l’on tente de « connaître ».
(…)
Nous avons vu qu’il ne peut y avoir de respect sans Conscience pour représenter l’absolu, mais la Conscience de l’absolu se structure sur la connaissance du plus haut et de soi. La connaissance s’aborde par les voies initiatiques.
4) Du plan à l’action.
Il ne peut y avoir de respect sans lecture lumineuse du Plan divin ou ontologique. La méconnaissance de soi ne permet pas de comprendre le sens profond du Respect. Nous pouvons ainsi conclure par une variante du Gnôthi Seauton « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les Dieux » qui veut dire « respecte-toi toi-même et tu respecteras l’Autre et le Divin ». Ceci explique l’utilité du caractère fraternel des trois voies initiatiques : artisanale, chevaleresque et sacerdotale.
Le franc-maçon agira de manière lumineuse dans un cadre individuel ou collectif, tout en restant fraternel.
En Franc-maçonnerie, mon Frère est mon égal, si je me respecte je respecte l’autre. Néanmoins, il demeure un lien hiérarchique qui repose sur le principe organisationnel propre à tous les groupes sociaux. Ici la reconnaissance particulière du grade ou degré signifiant (en principe) un état d’avancement dans la connaissance initiatique. C’est le respect de celui qui semble plus avancé sur le chemin de la lumière, en capacité de transmettre, qui assurera la pérennité de la voie initiatique. Pour autant un frère reste l’égal d’un autre frère, quelque soit son grade, pour la lumière qui réside en lui. La lumière, en tant qu’éveil de la conscience, nous rend libres, égaux et fraternels.
Finalement le Respect trouve sa source dans « l’identification consciente » de la Lumière en Dieu, Grand Architecte de l'Univers et en l’Homme.
(…) E.°.R.°.