Le cabinet de réflexion
Le point commun de nombreux rites, c’est de commencer l’initiation maçonnique dans le cabinet de réflexion ou la chambre de préparation. Ces qualificatifs appellent un commentaire préalable à cette étude : le cabinet dit de réflexion semble privilégier une réflexion sur soi, mais aussi une image de soi reflétée dans le miroir d’un obscur et ténébreux cabinet. Le chambre de préparation semble être le lieu d’une mise en condition psychologique et physique voir alchimique. Nous tenterons de conjuguer ces deux appellations dans notre exposé.
L'isolement du néophyte est pratiqué depuis la nuit des temps. On ne peut passer d'un plan à un autre qu'en traversant le royaume de l'obscurité et de la mort, tel est le premier enseignement qui apparaît au futur initié dans le cabinet de réflexions par ses symboles. Il y aurait donc assimilation de l’obscurité à la mort et éventuellement à la régénération de la vie.
Isolé dans un lieu fermé, seul face à soi-même, la mort est suggérée par différents symboles créant une rupture dans le but de préparer un changement essentiel !
Il va se dérouler une sorte de « métamorphose », comme la chrysalide dans son cocon soit littéralement un changement majeur dans l’ordonnancement formel, sensitif et psychologique de l’individu.
Le non-initié se retrouve avec la peur de mourir, peut-être la peur de vivre autrement, ou la peur d’un devenir qui ne serait pas sous sa maîtrise profane. La peur du changement remet en cause les certitudes et les acquis, mais c’est aussi la peur des autres ou dans le sort qui lui est réservé, et peut être de manière sous-jacente la peur de découvrir un autre lui-même.
Ces peurs reflètent son miroir sa propre image : la peur de lui-même. Confronté à la nécessité de l'introspection, le non-initié recule. Il sait qu'il faut mettre de l'ordre dans son MOI, et tacher de comprendre que la source véritable de cette appréhension est miroir de la vérité. L’appréhension est donc salutaire, elle fait partie de la démarche maçonnique et initiatique.
En effet, le cabinet de réflexion s'inscrit dans le programme pédagogique. Le postulant y trouve la solitude, l'obscurité, le silence, l'immobilité et parfois la peur de l’inconnu.
Ces états privilégient la confrontation avec lui-même et cette confrontation est généralement difficile pour le profane, car une confrontation avec un autre soi-même avec son double plus profond et plus vrai s’organise.
Cette confrontation avec soi-même fait apparaître le directeur secret de notre art de paraître profane et social qui s’appelle l’Ego. La profondeur sacrée de l’Être serait ainsi annihilée ou cachée par le voile d’un l’Ego puissant, véritable gourou de notre personnalité. La peur dans le cabinet de réflexion n’est pas ressentie par « l’être secret » qui est en moi, mais c’est mon apparence égotique qui s’inquiète de son devenir.
L’Ego craint pour sa suprématie, il semble ici qu’on puisse le démasquer, car ce n’est pas l’Ego que la franc-maçonnerie honore, c’est l’Être vrai et profond. A l’aide du poignard présent dans le cabinet de réflexion du REP, je vais apprendre à tenir en respect cet Ego usurpateur de mon être profond.
Donc le passage dans le cabinet de réflexion implique indirectement une compréhension du phénomène de l’Ego. On fait vivre au profane une approche de la voie intérieure par le traitement de sa peur, par la stimulation de sa propre inquiétude sur son passé et son futur testamentaire, puis par la formule attribuée à Socrate : « descend au fond de toi-même et tu découvriras les secrets de l’univers ».
La formule V.I.T.R.I.O.L est visible uniquement dans le Cabinet de réflexion et donc incite a plonger dans les profondeurs inconnues de soi et a en découvrir les richesses. Cette inscription énigmatique qui invite à un voyage dans les profondeurs restera gravée à jamais dans l’esprit de chacun, et viendra guider silencieusement notre recherche intérieure.
Ce V.I.T.R.I.O.L, semble une énigme indéchiffrable. Le profane n’en comprendra intellectuellement le sens que bien plus tard. Son inconscient n’aura aucune peine à s’imprégner de cet acronyme et passera le reste de sa vie à tenter de comprendre la valeur de chaque lettre, dont la valeur alchimique ne fait plus aucun doute.
Les sept initiales, V.I.T.R.I.O.L, sont la révélation de l’opération du Grand Œuvre, car il révèle le processus alchimique de la transmutation de l’être comme des métaux. V.I.T.R.I.O.L, terme mystérieux dont le sens dévoilé révèle une parfaite connaissance des processus qui mènent à l’éveil. « Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies Occultum Lapidem » : « Visite l’intérieur de la terre, et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée ».
Cette pierre que le profane doit trouver n’est autre que la pierre philosophale, et celle-ci se trouve au plus profond de chacun d’entre nous, elle ne se dévoile qu’à ceux qui, par un travail intérieur sincère, sont arrivés au parfait équilibre pour ne faire qu’un. Ainsi après cette plongée dans les eaux obscures de soi, éclairé par une simple et fragile bougie, il s’agira d’opérer une remontée en s’aidant des symboles élémentaires du cabinet de réflexion qui sont le Sel, le Soufre, le Mercure, avec un peu d’eau cependant pour étancher sa soif et faire germer dans les profondeurs de l’obscur cette graine de blé que nous y avons déposé.
«Tout procède de l’Unité, tout tend vers l’Unité ».
L’objet premier de notre quête est de se retrouver, c'est-à-dire sur un plan géométrique et métaphysique de découvrir et mettre à jour le centre de soi. De la réussite de cette quête dépend toutes les autres motivations.
Dans le cabinet de réflexion, le candidat doit répondre par écrit à des questions et rédiger son testament moral et philosophique. Ces questions concernent les devoirs de l'homme envers lui-même, sa famille, sa patrie, l'humanité…
Toutes questions métaphysiques qui nieraient l’existence de l’homme comme acteur véritable du présent et du futur sont écartées. Dans les trois règnes évoqués qui sont le minéral, le végétal et l’humain, on reconnaît l’intégration de l’homme dans la grande nature c'est-à-dire dans le grand Tout. Mais à travers l’homme devenu maçon bâtisseur, c'est très indirectement la personnification de l'équilibre universel : Dieu est architecte, il tient l'équerre, le maillet, le niveau tous les instruments de travail et de mesure. Dans l'ordre moral, il est la Justice.
Voilà toute la théosophie maçonnique qui apparaît et pourtant rien n’est figé. Il faut faire un travail sur soi-même en permanence. Il serait incohérent de modéliser un univers statique alors que nous savons tous que tout tourne de l’infiniment petit à l’infiniment grand, l’univers se complexifie, franchissant ainsi des paliers et des cycles vers de plus en plus de conscience et d’esprit. Le moyen principal de cette progression sur la voie de l’éveil, mais aussi de l’humanisation de l’homme passe par la vision intérieure.
La rédaction du testament moral et philosophique permet au candidat de faire le point sur lui-même et sur ce qu'il estime essentiel au sens de « l’essence véritable de sa présence sur terre ».
Quelle que soit la qualité de ce qu'il rédige dans son testament, cette démarche est fondamentale dans le processus de l'initiation maçonnique. En sortant du cabinet de réflexion, le candidat sera considéré comme ayant subi l'épreuve de la terre. Toute la cérémonie initiatique se déroule comme si le candidat avait été transformé par cette épreuve.
Ressentir ce vécu en toute simplicité en toute humilité pourra peut-être faire la place à la polysémie des symboles qui mettent sur la voie de l’Éveil. En vérité le candidat est amené ni nu ni vêtu, débarrassé de ses métaux et de ses apparences profanes, le cœur pénétré à travers sa cuirasse profane d’un rayon lumineux. L’homme est ainsi débarrassé de ses vieilles écorces, à l’état natif prêt à recouvrir et réordonner les éléments qui le composent et les sens qui vont « animer » son âme d’homme libre.
Comment en effet prétendre sérieusement que les épreuves rituelles transforment réellement, immédiatement ou à terme, celui qui les subit ?
Le cabinet de réflexion, ce petit cagibi est tout à fait dérisoire et pourtant c’est un véritable athanor alchimique, un four ou s’opère la recomposition lente entre soufre sel et mercure.
Mais c'est justement là que réside sa signification essentielle. La recomposition élémentaire doit aboutir à l’essence de l’Être.
Ouvrir les yeux sur le dérisoire pour en pénétrer la signification là est la voie de l'éveil. Ce n'est souvent pas simple de voir dans l’obscurité. Cela implique une remise en question des réflexes mentaux acquis.
Comment prendre au sérieux ce qui ne l'est pas en apparence. Et comment ne pas prendre au sérieux ce qui semble l'être ?
Tant de gens ne parviennent pas à répondre à ces questions. Pourtant ces questions ne restent sans réponses, mais changez le contexte, posez de nouveaux repères et elles ne se poseront même plus.
Les rituels et la franc-maçonnerie répètent qu'ils sont à la recherche de la vérité, sans d'ailleurs la définir. Certains décrètent que cette vérité est inaccessible. Certains maçons sont à la recherche d'une vérité inaccessible et par ailleurs sans contenu, ce qui les sécurise indiscutablement. Et c'est très bien ainsi, car, hélas, la vérité inquiète, bien plus, elle dérange.
Le fait de ne pas trouver, démontrerait notre incapacité à chercher, mais à défaut de trouver une quelconque certitude n’y a-t-il pas dans le cheminement intérieur une richesse sans cesse renouvelée ?
La vérité initiatique, à quoi répond-elle ? Quelle est donc sa finalité, n’y a-t-il pas une spiritualité qui découle d'un processus aboutissant à l'initiation ? C’est peut-être à ce niveau que le chemin du cherchant peut être engagé.
Au travers de sa conscience considérablement élargie, l'homme a trouvé la compréhension de son propre univers et l’apaisement de l'angoisse qui l'étreignait devant les forces incontrôlables de la nature. Il en fit donc rapidement une institution conservant les secrets du processus d’éveil. Avec la tradition initiatique, l’homme trouve les moyens essentiels et ancestraux qui conditionnent l'épanouissement complet de l'individu et assurent par son humanisation croissante le devenir de l'espèce.
Ceci est la vocation du maçon depuis qu'il s'est révélé à lui-même être une personne en chemin pour l’éveil : la compréhension des symboles fondamentaux qui expriment les désirs et les espoirs de l'homme dans une Unité fondatrice. La voie symbolique ne paraît pas incompatible avec la voie scientifique, bien au contraire, les hommes scientifiques finissent toujours par arriver à un métalangage de l’Unité qui surplombe leurs propres disciplines. Ce métalangage reposera sur le symbole et les images archétypales.
Chacun de nous est donc le seul artisan de son évolution possible et nul secours ne peut être attendu de l'extérieur, s’il ne s’interroge sur son être et son devenir.
R.°.L.°. RL "Les Ecossais de Saint Jean"