La Franc-Maçonnerie spéculative affirme, dans ses principes fondamentaux, de ne pas imposer un quelconque dogme ou doxa régissant les modalités de mise en œuvre de la libre pensée des Franc- Maçons
Cette liberté de choix s’exprime jusqu’au serment du néophyte qui suivant les rites, peut s’exprimer sur la bible ou sur l’un des livres sacrés universellement reconnus. Il s’agit alors des livres de sagesse immémoriaux, ou encore sur la règle qui se substitue à ces derniers et qui préside à l’organisation universelle du cosmos et de l’homme. La règle résume ainsi de manière syncrétique et laïque, l’ensemble des livres sacrés et ne donne pas l’avantage à une quelconque religion.
Ce relativisme est lourdement condamné par l’église qui voit ainsi son orthodoxie battue en brèche. On comprend aisément que l’absence de parti pris et de vérité religieuse, générale et impersonnelle, erga omnès, gène la croyance dans ses fondations, bâtie sur le terreau d’une vérité révélée. Ne souffrant ni discussion, ni interprétation, elle érige le croyant comme exécuteur testamentaire d’un ancien et nouveau sens dans le droit fil d’une doxa cléricale qui ne lui appartient plus.
Face à cette croyance, d’autres chercheurs de vérité ont cru bon d’imposer dans la Franc-Maçonnerie même, une vérité absolue elle aussi, mais bâtie sur le « comment ». Cette recherche dite « scientifique » fut porteuse d’espoir au point qu’à l’ère industrielle elle supplanta l’ancienne croyance stable dogmatique et immuable. Cette nouvelle vérité scientifique était faite de mouvement d’évolution de remise en question. Aussitôt émise une vérité scientifique se trouvait combattue par une nouvelle.
On a pu considérer alors que l’homme était le détenteur de la seule vérité sur l’explication du tout et qu’un jour il résoudrait l’équation finale, celle des origines de l’univers et probablement de sa fin. Ainsi au bout d’un parcours fait d’étapes, de révolutions scientifiques, nous serions capables de répondre à ces trois questions : « Qui somme nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? ».
Cette vérité de rechange s’est avérée vide de sens profond. Son irrésolution à nous donner une image stable nous trouble et nous renvoie à nos anciennes croyances dont la plasticité s’est accrue à l’aune du progrès scientifique. Loin de s’opposer, ces deux recherches de vérités authentiques vont finir par se rejoindre dans une embrassade de pensées synthétiques et transversales. La transversalité reste en effet la seule aptitude nécessaire au sage qui ne renonce pas.
L’absence de renoncement en occident est la caractéristique principale du cherchant qui, malgré le doute et les embûches d’un chemin initiatique, persévère parfois même dans la souffrance. C’est ici que le franc-maçon nanti de la même culture que ses contemporains tente de se frayer un espace pour entrevoir cette vérité universelle qui est le but de tout homme pensant.
La voie ainsi ouverte ne conteste pas les voies scientifiques, religieuses ou philosophiques. Elle se propose d’en faire un socle de sagesse au-delà des partis pris, pour mieux fonder une réflexion, débarrassée des querelles de clochers et d’églises. Cette vision est en soi oecuménique, car elle accepte toutes les expressions qui tendent vers l’amélioration et le perfectionnent de soi et de la société, mais elle est aussi relative considérant qu’un point de vue de grande sagesse rejoint le même sommet de la montagne que le point de vue d’une autre sagesse. Simplement les deux points de vue auront emprunté deux chemins différents pour un même sommet.
C’est bien ce cheminement qui est dérangeant si l’on considère que les religions sont en concurrence pour sauver nos âmes. Soyons clairs, le point de vue théologique de l’Église catholique s’oppose formellement au relativisme des « sagesses ».
La seule vérité qui compte est celle qui est révélée.
Une progression historiquement fondée sur le prosélytisme s’oppose à l’option maçonnique symbolique et traditionnelle ; d’autant que la première fonde sa lecture sur une interprétation exotérique et la seconde héritière des sociétés initiatiques antiques s’attache à une lecture ésotérique des textes sacrés. L’abandon par le clergé de l’option ésotérique crée à cet instant un antagonisme profond entre croyance en révélation d’un côté et foi dans une lecture symbolique universelle de l’autre. À l’heure où les soldats de Dieu combattaient l’infidèle en terre Sainte, se nouaient des contacts profonds entre les élites des deux bords. La doxa martialisée se retrouvait débordée par les rapprochements analogiques et anagogiques entre les soufis et l’élite expéditionnaire, ce qui nous donna l’émergence des « fidèles d’amour ».
La doxa romaine ne peut survivre sans s’imposer par la violence, l’histoire le démontre sans peine. Les vérités s’affrontent hors le champ des idées. C’est sur un champ de bataille qu’elles finissent toujours par s’imposer. Seule la force impose l’idée. C’est du moins ce qui nous guette lorsque resurgissent de vieux atavismes identitaires au premier plan de l’actualité. Même le Sage prend parti, comme une recréation face à la difficulté du chemin qu’il a naguère entreprit.
Au sens donné à la vie, chacune des trois voies nous enrichit. La voie religieuse comme fondatrice des soubassements moraux et sociétaux et comme archétype d’une pensée universelle et globalisante. Elle répond historiquement aux questions qui fondent l’existentialisme et donc à l’angoisse de l’homme face à sa finitude.
La vérité scientifique donne une confiance à l’homme qui ne repose plus sur une tradition, mais sur ses propres facultés qu’il développera jusqu'à retomber, une fois l’enthousiasme de la découverte passée, dans la même angoisse que l’homme de Cro-Magnon, car la réponse à « comment » ne fait pas avancer le « pourquoi », et n’apaise pas notre incertitude face à l’au-delà.
Enfin la voie philosophique intervient comme si l’homme avait la capacité de maîtriser le langage des dieux, sans maîtriser l’angoisse de la mort. Pour échapper à cette ultime question on inventa l’agnosticisme impasse dogmatique qui n’eu d’autre choix, que de se situer contre la tradition religieuse qui la précède.
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Face aux questions existentielles, la méthode proposée par la Franc-Maçonnerie est probablement la plus efficace pour que chacun élabore ses réponses. On n’aboutit pas à une vérité absolue, mais en autant de vérité que d’individus. C’est ici le premier aspect du relativisme. Ces derniers ont en commun une initiation qui les arment et les éclairent tout au long d’un chemin initiatique, qui n’a d’autre fonction que de lever le voile qui obstrue la lumière. Cette lumière éclairante est tout à la fois pour nous-mêmes et pour l’univers qui nous entoure. Cette double option implique que la connaissance du Tout, passe par la connaissance méthodique de soi, illustrée dès le cabinet de réflexion par l’acronyme V.I.T.R.I.O.L et par les premières lettres prononcées par le nouvel apprenti « je ne sais ni lire ni écrire, prononcez la première lettre et je vous dirai la seconde ». C’est ici la différence fondamentale qui rend originale et indispensable la voie maçonnique face à une doxa religieuse. Point de préjugés, ni de savoir acquis sur la voie initiatique traditionnelle et symbolique ; il s’agit plutôt de découvrir son propre parcours au fur et à mesure que l’apprenti découvre la seconde puis la quatrième lettre de son mot sacré. C’est aussi ce qui la distingue d’une vérité scientifique qui malgré son objectivité n’est que temporaire et fractionnée ; la vérité d’aujourd’hui est l’erreur de demain.
Face à une option philosophique dont on connaît l’incapacité à discerner durablement le vrai du faux, on retiendra que le franc-maçon profite du doute pour progresser par analogie, alors que le philosophe ne fait que constater son impuissance à dépasser son statut d’animal pensant. La pesanteur de son intellect, associé au doute érigé en ligne d’horizon, en réaction à la vérité révélée des religions monothéistes, le fait sortir de l’entonnoir des certitudes religieuses pour l’éjecter dans un espace de pensées sans limites. La distinction du vrai et du faux, qui est le but de tous les chercheurs de vérité, devient aussi incertaine que l’existence de l’être lui-même. Cette irrésolution philosophique finit par rejoindre l’inéquation mathématique du tout.
De la religion, des sciences et de la philosophie, le franc-maçon va tirer parti pour enrichir son parcours de vie. L’accès à la voie maçonnique met en relation tradition passée et la spéculation, dans un présent d’apprentissage et de perfectionnement. Le doute fait place à l’intuition qui s’affermit par la pratique de l’analogie dans l’interprétation des symboles.
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La puissance du sacré est toujours présente en tant qu’archétype de la pensée humaine. L’intemporalité, l’universalité et le sacré sont les fins mots du maçon. C’est ainsi que la personnalisation du chemin de chaque initié entre en résonance avec les rituels initiatiques qui agissent dans tous les registres de la pensée. Ils ensemencent ceux-ci d’une capacité d’élévation de l’esprit qui donne à la vérité une tonalité indéfinissable, car résultant plus du vécu que de l’intellect. L’élévation se personnalise au point que l’intuition, appelée aussi intelligence du cœur, permet seule de continuer le chemin initiatique. Mariée au rituel immuable, elle crée une typologie de pensée qui se distingue de la logique mathématique et de la croyance religieuse. Sans les exclure, elle y ordonne, sous l’égide de la raison et de l’intuition, l’action des symboles et l’efficience des mythes. Nous voyons bien se dessiner l’originalité de cette voie qui donne à la vérité une dimension inconnue par ailleurs. C’est ici le point de vue anagogique qui prévaut, c'est-à-dire la faculté que l’on a à interpréter en élevant sa pensée.
Cet aspect axial (représenté par le fil à plomb) est fondamental dans la méthode initiatique au même titre que l’analogie qui la précède (elle-même représentée par le niveau). Ni la philosophie, ni la psychologie n’organisent cette voie ascensionnelle. L’une et l’autre sont trop subordonnées aux sciences humaines pour s’abstraire de la contingence horizontale, tout au plus, elles se cantonnent à l’expertise des niveaux inférieurs de l’être. C’est donc par-dessus les barrières des chapelles et spécialités des savoirs qu’une Connaissance s’élabore en chaque initié.
La vision globale qui inscrit l’être dans un tout incommensurable fait aboutir la pensée discursive dans « le cul-de-sac » de l’indéfinissable. L’infini nous est accessible dans le sens ou nous en percevons l’idée, or la voie du Tout, en passant par la connaissance préalable de soi, nous entraîne sur un chemin infini, voire indéfini. Cette béance nous renvoie à une vision métaphysique qui, dans les temps contemporains, n’est plus de mise. C’est cette perte de perception que l’initiation maçonnique traditionnelle et symbolique tend à combler. Notons que ni l’église dans son exégèse exotérique, ni la science dans ses certitudes saisonnières n’utilisent ces principes de perception, car trop personnels et individuels pour être transcrit. La Franc-Maçonnerie n’est donc, ni une école du savoir, ni un conservatoire de croyance. La splendeur du vrai repose sur le soi relatif indéniable, mais dans une perspective métaphysique. C’est en dehors de la contingence que l’on trouve la vérité absolue. C’est donc cet « ailleurs » que nous concevons de toutes pièces qui guéri l’angoisse de l’instant ultime. C’est dans la beauté métaphysique que s’installe notre éternité.
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À une vérité correspond une lecture, encore faut-il savoir lire. « Je ne sais ni lire ni écrire », nous répond l’apprenti… Nous avons vu que l’apprenti ne sait qu’épeler, ce qui atteste que la réponse au « qui suis-je » se fait par tâtonnement. Ainsi il épelle son mot sacré toujours en échos avec celui qui est chargé de l’instruire.
Cette instruction consiste à réveiller en lui les mécanismes immémoriaux d’une perception des choses, des symboles et du sens de la vie, qui ont été les grands oubliés de la modernité rationaliste. Sur son autel, cette dernière sacrifia la vision ésotérique, accessible aux seuls initiés. Elle ne fut pas la seule, précédée quelques siècles plus tôt par l’hégémonie religieuse exotérique.
Après avoir épelé, il dégrossit sa pierre, fournissant symboliquement un effort sur lui-même puis il la taille, et la polie. Cette progressivité correspond à une conversion des modalités de sa pensée abstraite sur lui-même, puis à une conversion des modalités de perception réelle sur lui-même et sur l’univers.
Ainsi, en Franc-Maçonnerie, la vérité est à découvrir. Elle est propre à chacun de nous et participe au processus d’individuation qui passe par la conversion du regard. L’individu se confondra avec sa personnalité tout autant que l’épreuve initiatique se vivra en profondeur. Elle n’est en aucun cas révélée comme en religion. Ici on demande au maçon de découvrir une vérité perdue, appelée aussi parole perdue.
La recherche de la parole perdue est donc le grand enjeu de l’initiation maçonnique. Il s’agit d’une quête dans la plus pure tradition du Graal, de la Jérusalem Céleste ou de la Béatrice chère à Dante. Cette quête sans fin, fixe le sens de la vie et de l’accomplissement de soi et fixe aussi la direction du cheminement. Dans tous les cas, le chemin est d’abord intérieur. Pour ceux qui sont partis dans une chasse au trésor, avec pelles et pioches, il semble qu’ils aient oublié la boussole. Ce texte doit être lu à tous les chercheurs d’or… La démarche métallique n’est pas de mise chez nous. Le seul or que nous cherchons est celui de l’alchimie spirituelle et non pas celui des « souffleurs ».
La quête en elle-même, et seulement elle, permet la transmutation. C’est le véritable trésor.
La perte de la Vérité coïncide avec la perte du paradis et l’expulsion de l’homme du jardin d’Eden. La perte de cette vérité originelle, celle de l’âge d’or, fonde la destinée de l’homme et son incomplétude actuelle.
Le retour à l’âge d’or est inatteignable, mais il est concevable.
C’est par la force de la pensée que nous pouvons nous en rapprocher sans jamais y résider. Le chaos actuel est notre demeure et cette quête du paradis perdu où tout était ordonné lumineux et stable nous obsède.
C’est cette tension entre l’étant et le devenir qui est facteur de progrès. Ce dernier nous échappe devenant souvent une régression.
Le monde est un jardin qui n’est plus l’Eden, mais un jardin tout de même. Il faut être un jardinier précautionneux et à l’écoute du chant des sillons ensemencés.
C’est la seule façon de découvrir cette vérité qui n’est que « l’essence de la terre ». La graine ne germe que dans une bonne terre et à l’aide de la lumière. La bonne terre est notre est bonne volonté, autre signifiant des bonnes mœurs qui caractérisent le maçon.
La lumière initiatique, notre guide intérieur inspire notre liberté et enfin la connaissance de nous-mêmes. « Connais-toi toi-même » est le stade minimal pour s’approcher sur la pointe des pieds de la compréhension du tout qui nous fait mieux accepter l’instant ultime.(…)
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