L'acacia, symbole persistance de la vie. Tiré du tableau de loge du Maître au Rite Ecossais Primitif - GLSREP photo ER
Lecture en essence du tableau de loge des Maîtres
(Traces, absences, substitutions et essences.
Plaidoyer pour l’essence symbolique.)
L’hypothèse anagogique au grade de Maître.
Le grade de Maître est fondé sur une double perte : celle de l’archétype de l’initié (Hiram) et celle de la Parole (parole perdue). Subitement le monde du symbolisme constructif se trouve bouleversé, privé de son architecte détenteur des secrets. Du fait de la mort d'Hiram, le secret du grade réside sans doute dans cette négation du signifiant et de sa verbalisation. Il faut donc chercher l'ouverture secrète hors du cadre symbolique ordinaire.
La représentation mentale du franc maçon est essentiellement basée sur l’image-mémoire, dirimante et inductive. Le tableau de loge est une image-mémoire contenant une combinatoire de symboles que chacun intériorise suivant la méthode maçonnique. Nous pensons que ce tableau est une heuristique traversée par l’essence symbolique au même titre que la geste, le catéchisme et la légende du grade. L’image–mémoire deviendra image-miroir avec ses effets induits. Mais il existe des miroirs déformants, comme la mémoire ! Comment éviter cet écueil du sens déformé ?
La polysémie intrinsèque du symbole crée une difficulté d’interprétation constante. On s’accorde à dire que la moyenne générale des sens multiples concorde vers un sens commun. Or parler de sens commun comme une moyenne générale du sens c’est laisser le symbole dans la masse commune des sens et contresens, nous pouvons faire mieux en échappant aux variations discursives.
La question qui se pose et celle du niveau d’interprétation symbolique du rébus du Tableau de Maître : doit-on en rester à la détermination d’un sens discursif fondé sur un enchaînement logique de causes comme au premier et second degré, avec toutes les variations interprétatives des différentes rituélies, ou peut-on envisager un autre niveau de lecture moins substantiel et plus essentiel ou cardiaque ?
Il nous semble que ce grade se prête à une interprétation plus élevée en s’appuyant sur l’artifice de la substitution symbolique.
Il faut tenter un travail de synthèse avec moins d’herméneutique (explication de texte, apparence utile et causale du signifiant) et tendre vers l’anagogie (élévation plus spirituelle et plus intuitive fondée ici sur l’absence du signifiant).
Ce grade introduit une nouvelle expérience qui outrepasse le sens symbolique de l’objet représenté. Ce nouvel élément « vécu » est « l’essence » ou « l’envol du sens » dans un registre supérieur. Nous utiliserons le drame Hiramique pour tenter de démontrer la notion d’essence du symbole, nous pourrions tout autant exploiter les diverses traductions du mot de maîtres (MB etc…) dans les différents rites.
Si nous admettons que le symbole est une représentation mentale fondée sur une extrapolation de l’objet signifiant faisant sens, alors que serait l’essence symbolique ?
De notre point de vue, l’essence symbolique est la valeur signifiée au plus haut d’un symbole, ayant la particularité de traverser tous les sens en y laissant une trace « ressentie », que l’objet signifiant soit présent, absent ou substitué.
Comment démontrer que l’essence symbolique s’associe à la notion de trace « ressentie » dans l’objet substitué ?
Il n’est pas gênant que le Héros, signifiant premier (Hiram), ait disparu, car le signifiant substitué ou secondaire (L’os et son cortège symbolique) est par son identité essentielle « imprégné » de la « trace » du signifiant premier. Cette trace qui est supposée persister dans l’objet relique (ici l’os mais ce pourrait être le mot de Maître « substitué ») est un marqueur de l’essence, invisible et pourtant si intuitif. Ce constat de la trace se fait dans toutes les sociétés primitives et le culte des reliques du moyen-âge s'inscrit dans le réel « ressenti ». La notion de trace reliquaire est si présente qu'elle s'est traduite par les pèlerinages qui ont financées la construction des cathédrales. Donc l’essence du symbole premier disparu laisse une trace « ressentie » dans le symbole secondaire qui prend sa suite.
Soulignons qu’à son tour le signifiant premier (Hiram) peut être mis pour un signifiant plus original ou précurseur dont il reprendrait l’imprégnation essentielle qu’il nous faut découvrir. Ainsi certains on pu prétendre que le héros martyr Hiram est une sous-représentation archétypale du Héros précurseur Jésus, lui-même martyr devenu Christ.
Ce mécanisme peut se poursuivre à l’infini et s’appuie donc sur un archétype tant sa récurrence est évidente et transculturelle.
Dans ces conditions, nous constatons que le symbole, dans sa part essentielle est toujours associé à l’archétype.
Nous pouvons par l’essence du symbole remonter une chaîne d’absence ou de successibles vers la figure archétypale la plus originale. Donc l’essence symbolique relie tous les signifiants secondaires ou successifs au signifiant original. L'essence est reliante, moins par relation de cause à effet, mais plutôt du fait de sa constance dans une famille symbolique.
On comprendra que, pour mettre en évidence l’essence, on caractérise la disparition du signifiant par un acte fort, transgressif faisant apparaître l’absence et justifiant le substitut. Cette absence appellera une substitution pour les besoins de l’édification de chacun. La méthode maçonnique à besoin d'objet-mémoire. Le substitut portera en lui l’essence du disparu dans un domaine inférieur.
Il y a donc une filiation traumatique causale (l’os provient de la putréfaction des chairs issue du « crime utile ») et une filiation archétypale sans causalité: l’indéfectible essence.
Voici notre exemple de filiation par l'essence: Le nouveau Maître capte l’essence de l’os reliquaire, l’os porte l’essence d’Hiram qui lui-même porte l’essence du Christ (par exemple) qui représente l'archétype de l'incarnation de l'esprit.
Conséquence : "l’axe essentiel" du symbole permettrait d’atteindre la structure archétypale à laquelle appartiennent les signifiants seconds ou substitués.
Donc le Maître, consciemment ou non, par induction et par contact symbolique avec la relique, serait à son tour traversé par cette essence symbolique révélatrice de l’Archè.
Quel est le rôle de l'essence symbolique dans nos transmissions?
Le rituel introduit l'essence symbolique dans l’expérience initiatique donnant à cette notion un goût de réalité.
Le rituel bien joué, malgré ses éventuels contre-sens serait potentiellement agissant en essence. Il suffit de laisser l’intuition résoudre les apparents paradoxes de l’absence. Exit la rationalité des causes : l’absence définitive d’Hiram se traduit par une « présence » transmissible moins par raisonnement (comment serait-ce possible ???) que par intuition, comme une évidence !
Conclusion, il est possible que l’intuition fonctionne sur le registre de l’essence symbolique… le sens restant affecté à l’herméneutique.
Il y aurait donc plusieurs avantages à vouloir une distinction entre sens et essence.
Outre la possibilité d’étudier la voie intuitive, dans l'exemple de la filiation Hiramique on associe l’essence à une succession d'archetypes identiques, eux mêmes adossés au schème de l'incarnation de l'esprit.
Donc l’essence d’un symbole renvoie à sa représentation la plus haute et la plus conforme à ce qui serait un schème fondamental dans la représentation symbolique.
Pour nous, un schème fondamental est un schéma qui s’illustre par des figures archétypales dans des niveaux de perception et des temps successifs. Les schèmes servent en secret les tables de correspondances et le principe d’analogie.
Ici, dans le drame Hiramique est sous-tendu par le schème structurant mettant en jeu : le vivant, la mort, la relique et la maison du divin. Ce schème reposera sur le concept qui relie des plans inférieurs (catabase de la fosse) et supérieurs (anabase, sortie de la fosse et envol dans l’axe) relativement à un plan de base. Ce plan de base est le plan d’exercice ou plan d’appuis du réel ou plan de vie.
Nous commençons à saisir l’intérêt de l’essence symbolique en ce qu’elle permettrait de remonter le courant archétypal qui s’adosse à un schème. L’essence symbolique serait donc potentiellement révélatrice de l’archétype et du schème : c’est sans doute le fameux secret d’Hiram, incommunicable aux 3 « insensés » qui dévoient le bon usage des outils, devenus outils sacrificiels. Ce contre-sens dans l'usage loin de nier l'essence finit par la révéler par le biais de la substitution.
Il est entendu que le réel est une perception, une représentation mentale de l’homme qui brille par sa variété. Si nous escamotons le sens toujours polémique au profit de l’essence c’est que nous recherchons ce qui est constant. Le sens finit par créer un obstacle épistémologique que l’on dépassera par l’essence.
L’appartenance à une société de tradition implique si possible de conserver la variable du sens, mais surtout de déterminer l’invariable essence symbolique. Ainsi il est indifférent que le sens, simple artefact contextualisé, puisse entraîner un non-sens ou un contresens.
Peu importe les variations dans les rituels maçonniques[i], nous retrouverons toujours l’essence du symbole graphique, verbal, ou gestuel, car les objets et mots symboliques comme les individus qui les font vivre en eux sont toujours animés d’une appétence pour la reliance à quelque chose de plus haut, plus global, plus « essentiel ». Donc les rituels dits « initiatiques » sans essence qui relie à l’Archè et au schème, sont peu appétissants et disparaissent ou ne se jouent pas.
Notons enfin qu’un rituel mémoriel dont la geste est fondée sur un symbolisme constructif porte en lui l’essence, l’Archè et le schème du bâtisseur en esprit.
Dans le prochain article, nous tenterons d’illustrer cette notion d’essence symbolique en détaillant les tableaux de loges du grade de Maître, leurs combinatoires et les artifices qui font apparaître l’essence symbolique.
E.°.R.°.
[i] Le devoir de mémoire des francs-maçons n’est pas uniquement situé dans l’entretien des contresens, suite à des oublis ou des déformations, ni de la variété des pratiques, il me semble qu’en conservant chacun nos spécificités nous pouvons introduire l’essence du symbole en tirant parti de la disparition des signifiants ou de leur substitution.