Ce qu’Épeler veut dire …
On a souvent pour habitude d’accorder une large part de nos travaux aux symboles visibles de la loge.
Pourtant il est des paroles qui ont une influence tout aussi importante dans la vie d’un Maçon.
Prononcées à des moments clés et d’une certaine manière elles vont l’accompagner tout au long de son parcours initiatique.
Il en est ainsi pour l’acte d’Epeler.
Pourquoi utilise-t- on cette façon si particulière d’énoncer en F\M\ ?
Que nous révèle l’action d’Épeler ?
C’est en essayant de répondre entre autres à ces questions que nous tenterons de lever le voile sur ce qu’Épeler veut dire.
Nous nous intéresserons dans un premier temps à l’action d’Épeler dans le monde profane. Ce court préambule permettra de nous éclairer en partie sur les fonctions d’Epeler dans le Temple.
Dans un second temps nous resituerons les séquences ou on met en œuvre l’épellation dans le rituel.
Nous pourrons alors, dans une dernière partie, mesurer toute la portée de cette action d’Épeler.
§ Quelques considérations profanes en préambule :
Épeler (“nommer oralement successivement chacune des lettres d’un mot” selon la définition qui nous en est donné par Le Petit Robert édition 1993) est intimement lié à l’acquisition et la maîtrise du langage.
Chez le tout jeune enfant à la phase de vocalise va succéder une phase de production de syllabes clairement articulées qui vont progressivement lui permettre de reconstituer les mots environnants qu’il perçoit.
C’est par ce biais que l’enfant pose les fondations nécessaires au bon développement du langage.
Même si ces premières formations de phonèmes ne sont pas des épellations stricto sensu (ces dernières requérant une plus grande finesse dans la connaissance de la langue), elles peuvent s’y apparenter, en constituer les prémisses, tant le procédé en est similaire :
Décomposer méthodiquement un mot en sonorités élémentaires pour mieux le reconstituer et ainsi se l’approprier.
Plus tard, l’enfant pourra apprendre à lire et à écrire en suivant une méthode basée sur la fragmentation des mots en lettres : la méthode syllabique. Un temps décriée et remplacée par d’autres méthodes, celle-ci se révèle au final la plus efficace pour l’apprentissage de la lecture et l’écriture.
Ce même procédé sera d’ailleurs utilisé tout au long de la vie de l’individu pour apprendre ou transmettre oralement la juste orthographe d’un mot. Il est important de noter que l’action d’épeler implique une relation entre un destinateur (celui qui détient l’information et va la transmettre), le message (le mot, nom épelé), et un destinataire (celui qui va recevoir l’information).
Il s’agit donc d’une véritable communication qui est mis en place.
D’un point de vue physiologique la fonction d’« Épeler » est la résultante visible d’un mécanisme complexe mettant en jeu différentes capacités cognitives, auditives et phonatoires.
D’un point de vue psychologique, ce processus, commun à l’ensemble des individus, apparaît comme un schéma psychique inné d’apprentissage. Il est ancré en nous dés la naissance et se révèle essentiel pour appréhender une langue.
Si le développement du langage va de pair avec celui de la structuration du fonctionnement psychique, il ne fait nul doute que le processus d’épeler joue un grand rôle dans la structuration de la pensée.
La fonction d’Epeler s’avère donc être à la fois une faculté naturelle nécessaire pour acquérir le langage, un facteur structurant de notre appareil psychique et un mode de communication particulier.
Mais qu’en est-il de l’action d’Épeler en F\ M\ ?
§ “Épeler” dans le temple :
Afin de dégager toute la symbolique de l’action d’Épeler au sein du temple, il convient de rappeler quelle place ce mot, cette fonction occupe dans les rituels, à quel moment et où sa mise en œuvre intervient.
C’est lors de la phase finale de l’Initiation que le néophyte va être pour la première fois invité à Épeler.
Pour ce faire, le nouvel initié aura reçu au préalable du Vénérable une courte instruction lui dévoilant entre autres la méthode et le mot à épeler.
Cette transmission est appelée Communication des secrets de la Franc-maçonnerie. Ils sont au nombre de sept. Comme le souligne E\ R\“ il ne s’agit pas de secret initiatique, mais de pures conventions qui ont un haut degré d’évocation ” (cf. « Communication aux Apprentis » Les Écossais de Saint Jean p.26).
Le septième secret, Le Mot Sacré, est celui qui nous intéresse en l’occurrence.
Le Vénérable “conscient de l’ignorance du néophyte […] lui communique le Mot, par lettre, et l’Apprenti les répète une à une. Après quoi les deux Frères prononcent ensemble le Mot entier ” (cf. Ibid. p.28).
Le nouvel initié aura à renouveler cette séquence en Épelant cette fois-ci le Mot au Second puis au Premier Surveillant, entre les colonnes J\ et B\.
Un autre temps fort de la vie du maçon durant lequel ce dernier se doit d’épeler de nouveau est le catéchisme au grade d’apprenti et bien plus tard au grade de compagnon.
Placé entre les colonnes le frère est amené à répondre à une série de questions qui lui “ sont posées de manière à stimuler sa réflexion ” (cf. « La Franc Maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes- Livre de l’Apprenti » de Oswald WIRTH p.129).
Au cours de ce véritable dialogue, il est demandé à l’Apprenti : “Donnez-moi la parole”
Ce à quoi l’Apprenti répond : “Je ne puis ni lire, ni écrire, je ne puis qu’épeler, dites-moi la première lettre, je vous dirai la seconde …”.
Maintenant que nous avons resitué dans son contexte la pratique d’ « Épeler » il convient d’en dégager toute la portée symbolique.
§ La portée symbolique de la fonction d’“Epeler” en F\ M\ :
La portée symbolique de la fonction d’Epeler se manifeste à travers différentes formes.
o Épeler, une musicalité symbolique :
Commençons tout d’abord par évoquer la musicalité générée par le fait d’Épeler.
L’action d’Épeler crée une rythmique, une respiration qui donne une dynamique plus importante encore à la cérémonie. Que ce soit lors de l’initiation ou du catéchisme, l’épellation va apporter un souffle vivifiant, une cadence, une palpitation qui va stimuler les esprits.
Ce rythme saccadé n’est pas sans nous rappeler les coups que porte le maçon sur sa pierre afin de la tailler. La symbolique du maillet, du ciseau et du travail de la pierre brute peut d’ailleurs être reprise ici.
Dans la séquence d’épeler le maçon devient tour à tour l’incarnation de l’action combinée du maillet et du ciseau et celle de la pierre travaillée.
- Incarnation de l’action combinée du maillet et du ciseau, car en nommant une lettre il devient actif et façonne le Mot
- Incarnation de la Pierre travaillée, car il est ensuite dans l’attente de la lettre suivante, dont l’énoncé par le Vénérable ou le Surveillant va agir sur lui.
Au final chacun des locuteurs apportera sa pierre pour édifier une œuvre orale : le Mot Sacré.
o Epeler, une autre forme de transmission :
Comme nous l’avons vu plus haut la fonction d’Epeler joue chez le tout jeune enfant un rôle primordial dans l’acquisition du langage.
Il n’est par conséquent pas surprenant que ce “procédé” d’apprentissage graduel et performant soit utilisé à des fins initiatiques.
Ainsi, lors de la cérémonie d’initiation, l’impétrant gardera pour toujours en mémoire l’énoncé du Mot Sacré, et ce malgré le trouble ou l’émotion qui peut le saisir.
C’est grâce à cette séquence si particulière de l’épellation (répétée par trois fois) que cette transmission se révèle aussi efficace.
Une autre illustration du pouvoir de transmission de l’action d’Épeler se trouve dans le catéchisme de l’Apprenti.
Comme nous l’avons mentionné précédemment on questionne l’Apprenti ainsi : “Donnez-moi la Parole ?” et en réponse celui-ci avance “je ne dois ni lire, ni écrire je ne puis qu’épeler, dites-moi la première lettre, je vous dirai la seconde”.
Attardons-nous un instant sur le début de cette phrase (“je ne dois ni lire, ni écrire”) et interrogeons-nous sur son sens.
S’agit-il d’un interdit que l’on aurait intimé au frère apprenti ?
Ou son incapacité, faute de connaissance, d’aller plus loin dans l’énoncé de la parole ?
La référence à d’autres versions du catéchisme nous éclaire sur ce point.
Si l’on se réfère au catéchisme de l’apprenti repris dans l’ouvrage d’Oswald WIRTH (cf. « La Franc Maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes - Livre de l’Apprenti » p.132), la réponse apportée par l’apprenti est légèrement différente : “Je ne sais ni lire, ni écrire, je ne puis qu’épeler…”.
C’est par conséquent le manque de connaissance qui empêche l’Apprenti de prononcer “ La Parole”.
Face au constat de son ignorance, l’apprenti a besoin d’être guidé.
Il sollicite alors le Vénérable (“dites-moi la première lettre, je vous dirai la seconde”) et c’est par le biais de l’action d’épeler que la transmission va une nouvelle fois avoir lieu.
Cet apprentissage aurait pu être délivré d’un seul trait (sans être épelé), mais la connaissance transmise aurait alors perdu de sa force.
Par l’action d’épeler l’enseignement devient progressif, à la mesure de l’apprenti qui avance par étape. Le Mot est de plus autant suggéré que donné.
Ce procédé permet au récipiendaire non seulement de mieux l’intégrer, mais au-delà, d’appréhender la méthode de transmission en loge.
“La Méthode d’enseignement de la F\ M\[…] sollicite les efforts intellectuels de chacun, tout en évitant d’inculquer des dogmes. – On met le néophyte sur la voie de la vérité, en lui donnant symboliquement la première lettre du mot sacré ; il doit trouver lui-même la seconde, puis on lui indique la troisième, afin qu’il devine la quatrième ” (cf. « La Franc Maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes - Livre de l’Apprenti » de Oswald WIRTH p. 133).
Rappelons de plus que le Frère lors de l’épellation est placé entre les colonnes.
Or dans de nombreuses traditions hermétiques, “les colonnes étaient associées à la conservation et à la transmission de la connaissance” (cf. « Les Deux Colonnes et La porte du Temple» p34. de François Figeac).
Ce qui accrédite encore la thèse selon laquelle Épeler permet de révéler et d’inculquer une connaissance supérieure.
Enfin si l’on poursuit l’analogie entre l’enfant et l’Apprenti on peut avancer que si l’enfant doit produire des syllabes pour acquérir le langage, le jeune initié devra Épeler (non seulement oralement, mais aussi en tant que “démarche intellectuelle”) pour apprendre le langage symbolique de la F\ M\.
Et pour aller plus loin encore, si, comme nous l’avons vu plus haut, l’épellation (et plus largement le langage) joue un rôle dans la structuration et la maturation psychique de l’enfant, il paraît fort probable que ce procédé utilisé en loge agit de la même façon sur l’Apprenti.
o Épeler, une expression orale du Ternaire :
Dans de nombreuses religions, le langage est assimilé à l'action primordiale, à l'action créatrice par excellence.
Pour Jean Chevalier et Alain Gheerbrant “Le monde est l’effet de la Parole divine” (cf. « Dictionnaire des Symboles » p.560).
Parole qui est “le symbole de la volonté créatrice de Dieu” (ibid) :
Ainsi peut-on citer le « Prologue de l’Évangile selon Saint-Jean » qui s’ouvre sur : “Au commencement était la Parole… ” et sur lequel sont posés l’Équerre et le Compas.
De même dans les Védas on peut lire : “Au commencement était Brahma et avec lui Vâk, la Parole”.
Dans le « Livre de la Création » (appelé Sefer Yetsirah, ouvrage à caractère ésotérique de la tradition juive), il est dit “La Parole produisit tout objet et toute chose…”.
Il en est de même pour l’Homme, il ne peut concevoir les choses, les faire vivre qu’à partir du moment où il les fait sortir de l’indifférencié, autrement dit une fois qu’il les a nommées.
Le Nom, le Verbe, la Parole sont ce qui fait émerger les choses du néant, du chaos.
Or en F\ M\ La Parole est symboliquement morcelée.
Que nous révèle dès lors le fait d’Épeler ?
Qu’on l’appelle Créateur, Un-Tout, Centre cosmique et ontologique ou l’Être dans son unité radicale, c’est de ce Principe originel non manifesté que va découler la manifestation, l’émanation créatrice, le Verbe, la Parole.
Or cette manifestation revêt des formes différenciées, voire opposées, tout du moins en apparence (le noir vs le blanc, la nuit vs le jour … pour ne citer que quelques exemples parmi une infinité d’autres).
Si l’on en reste à ce niveau, l’épellation ne consiste qu’à égrener des lettres différentes issues d’un même alphabet.
Cette vision duelle des choses est certes séduisante (la dualité, par essence réductrice, permet de facilement catégoriser) mais elle se révèle au final stérile, voire illusoire.
En effet, comme le souligne notre G.°.M.°. E\ R\“ toute opposition apparente n’est que l’expression bipolaire d’une même entité ” cf. « La Revue du Maçon n° 3 » p. 23 par E\ R\).
C’est cette pensée binaire simpliste qu’il nous faut dépasser.
Il nous faut alors tendre vers une troisième voie qui vise à la conciliation des contraires : Le Ternaire.
Ce troisième terme, bien “ plus qu’une synthèse des oppositions” permet “d’aller au-delà des antagonismes” (cf. « La Revue du Maçon n° 3 » p. 8 par E\ R\).
Épeler en loge est une mise en œuvre orale du Ternaire.
L’épellation se faisant à deux chacun des locuteurs va énoncer une lettre.
L’action d’Épeler constitue donc une expression qui semble a priori duelle, mais qui en formant le Mot Sacré va révéler la complémentarité de ces lettres (voie ternaire) et nous ramener à l’Unicité originelle.
L’action d’Épeler nous renvoie à “cette synthèse salvatrice du ternaire [qui seule] permet notre progression initiatique” (cf. « La Revue du Maçon n° 3 » p. 40 par E\R\).
Nous pouvons conclure que l’action d’Épeler même si elle n’intervient qu’en de brèves séquences dans le rituel est essentielle, car elle permet de poser les fondations d’une méthode et d’une vision maçonnique.
Comme à l’habitude de nombreuses questions demeurent.
On peut ainsi s’interroger sur la symbolique des silences qui ponctuent l’énonciation de chaque lettre ?
M.°.C.°.
INTERVENTIONS :
Nous utiliserons le terme « épellation » pour qualifier l’acte rituelique de décryptage du langage lié au sacré.
M.°.L.°. : L’instructeur met le néophyte sur la voie en prononçant la première lettre. L’apprenti doit réfléchir par lui-même et trouver ce qui les autres ont déjà trouvé. J’y voie un parallèle avec la rythmique des maillets à l’ouverture et la fermeture des tenues. La parole est la manifestation de la pensée. Concernant le silence entre chaque lettre, il me fait penser aux espaces qui ponctuent l’acronyme V.I.T.R.I.O.L.
E.°. R.°. : la différence entre le R.E.P. et les autres rites nous disons « je ne dois ni lire ni écrire » oui il y a un interdit et c’est le seul. Le savoir n’est pas la connaissance. Nous savons dire le mot, mais nous ne comprenons pas. «Je ne dois pas » est la directive que l’on a donnée à l’apprenti. L’apprenti nouvellement constitué assimile qu’il ne doit pas confondre son savoir profane et la connaissance acquise en loge.
Le fait d’épeler est le passage du monde binaire au monde ternaire, les deux lettres forment une syllabe qui a sa propre signification. Le fait d’épeler restitue le symbole (morcelé). C’est grâce à un vis-à-vis que l’on peut reconstituer le symbole. L’apprenti ne devine rien il l’apprend, car on lui transmet, il n’y a rien de magique. Ce qu’il faut retenir : épeler, c’est s’élever. Le frère qui répond est un miroir. C’est l’initiation individuelle dans un cadre collectif. Autre aspect à retenir l’apprenti épelle entre les deux colonnes et ainsi par sa présence constitue la troisième partie du ternaire. On ne peut pas parler de l’épellation sans parler du silence. Dans la Genèse il est dit au début était la parole. D’où vient la parole ? Du silence… le préinstant avant la logos et lumière. La parole est née du néant ou silence. Et vous apprenez apprenti à vous construire par le silence. Vous écoutez, vous entendez. La lumière ne peut exister s’il n’existe pas les ténèbres. Dans V.I.T.R.I.O.L. Chaque lettre est ponctuée et ce point qui représente l’instant premier symbolisé par le silence précédant le parole.
D.°. D.°. : La position des apprentis au nord représente ce préinstant. Il est dit qu’ils sont là, car ils ne peuvent soutenir qu’une faible lumière. Si la lumière est l’expression du logos, ils n’ont pas encore la capacité de l’assimiler et ils ont besoin du vénérable pour aller sur la colonne du midi.
A.°. L.°. : épeler, je l’interprète comme un signe d’humilité de la part du nouvel initié. C’est le préambule du chemin qu’il doit parcourir. On le met dans un état d’ignorance. Le résultat du mot est le premier travail intellectuel que l’on va lui demander. Le temps de pause entre chaque lettre permet la mise en vibration du mot. Le tout ne doit faire plus qu’un.
J.°. P.°. : on parlait de VITRIOL, on enlèverait une lettre de ce mot et il n’aurait plus de signification. On pourrait le comparer aux officiers de la loge qui sont au nombre de 7, comme notre échelle des grades au REP. Nous sommes bien dans un rite christique qui semble porter l’épellation comme on égrène un chapelet. On rencontre l’épellation dans les églises. IHS, qui signifie Jésus Sauveur des Hommes. Il y a aussi INRI Jésus de Nazareth Roi des Juifs, ce sont deux épellations ascendantes.
Je rappelle pour nos apprentis que V.IT.R.I.O.L en latin signifie Visita Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem soit Visite l'intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée. Soit la partie descendante de l'épellation.
C.°. M.°. : Ce sujet est un bel exemple pour les apprentis : ce qui peut paraître anecdotique peut faire surgir d’éléments symboliques. Peut-être que ce travail intellectuel d’épeler est fait pour rassembler ce qui est épart, je ne pense pas qu’il aide à la compréhension du mot. N’est-ce pas une manière de réserver aux seuls initiés la compréhension des mots quand on épelle seulement la première lettre, même si c’est conventionnel ?
E.°. R.°. : Effectivement c’est un secret conventionnel qui repose sur un accord du groupe dans un désir d’élévation, mais le vrai secret se situe au fond de votre cœur, il est d'une profondeur inexprimable. On pourrait croire vu de l’extérieur qu’il y a volonté de dissimuler. Ce n’est pas le cas, la vérité, c’est l’effet miroir, l’effet symbole, la conciliation de deux éléments en un tout supérieur. Il y a donc un troisième élément qui intervient dans le fait d’épeler. C’est le travail du second surveillant d’éveiller l’apprenti sur la signification du mot et sa structuration. Il faut donc apprendre à lire entre les apparences.
E.°. R.°.: L’enfant est dans l’imitation, en entrant en loge on imite les plus anciens. C’est la mise sur la voie. Quand on vous montre le pas, quand on vous donne les lettres à épeler vous imitez, vous n’inventez rien. Nous apprenons à construire. Il faut trouver la trace des origines entre les interstices des lettres, il faut donc apprendre à entendre les silences interlettrés. Il faut admettre que dans l’Art royal, la connaissance procède du Devoir et non pas du savoir. C’est cette différence que nous apprenons au REP en disant non pas « je ne sais ni lire ni écrire », mais « je ne dois ni lire ni écrire ».
APPORTS, COMPLEMENTS et DEVELOPPEMENTS par E.°.R.°.
Le silence complément à ce qu’épeler veut dire
Le silence suit le même processus que la lumière.
Le silence est la source originelle du fleuve des mots.
Avant la parole qui avait-il ? Le silence primordial
Ce silence primordial fut le silence de toutes les paroles qui suivirent. Le silence est le verbe transcendé, aux potentialités illimitées. De ce silence est née une parole qui n’est autre qu’un aspect mineur du potentiel d'un silence primordial. Cette vibration associant le temps et le mouvement fut appelée Parole.
La parole est un silence « manifesté ». Le silence primordial est non manifesté. La parole perdue n’est que la perte du chemin qui même à l’origine, au grand silence. C’est son véritable secret.
Le silence interlettré.
L’épellation maçonnique est un dialogue en miroir. L’acte d’épeler en maçonnerie est de nature initiatique. Ce miroir inverse totalement l’image. En effet, le signifiant concret est inversé dans le signifié symbolique, comme une image extérieure serait projetée à l’intérieur d’une chambre noire par une ouverture étroite. Pour ceux qui s’intéressent à l’optique, l’inversion de l’image dans la chambre noire se situe au point de conjonction entre l’extérieur et l’intérieur. C’est l’effet de seuil ou le "sub liminem", de passage du « point sublime ». Il en résulte que l’image « intérieure » est inverse de l’image « extérieure ». Ceci explique en partie la disposition des colonnes en Loge et le croisement des 1er et 2nd Surveillants en regard de leurs colonnes respectives.
Dans l’épellation, la lettre et son prononcé à certes son importance, mais elle n’est que la partie d’un tout qui dépasse le mot lui-même. Nous avons déjà démontré que l’apparence binaire n’est qu’un procédé mnémotechnique mettant en évidence le mot lui-même et plus précisément la parole ordonnatrice du chaos. La parole originelle est née dans le silence des immensités sans début ni fin. Cette absence de début et de fin caractérise le non-espace et le non-instant. Cet état absolu des origines est indéfinissable tout autant que la parole et donc le mot à épeler procède de ce « non-lieu ». Ce non-lieu est l’absolu silence.
L’absolu silence est identique dans son concept aux ténèbres dont procède la lumière. Ainsi de l’absolu silence procède la parole.
Ainsi résumé le lien entre la lumière et son berceau ténébreux, nous comprenons que la parole suit le même chemin métaphysique avec cependant une « articulation » plus humaine. En effet l’homme pourrait peut-être prononcer la parole, mais il ne peut être la Lumière.
Pour certains c’est une des conséquences de la chute adamique qui nous priva de vivre dans la lumière de Dieu et qui nous a donné. La Connaissance détenue risquait de disparaitre à cause du Déluge. C’est sur les colonnes antédiluviennes que fut gravée la connaissance. Cette connaissance, protégée du Déluge, fut décryptée et lue après avoir été épelée.
Il faut donc refaire le chemin du décryptage de la connaissance transmise et passer par l’apprentissage de l’épellation. La connaissance est lumière par définition, c’est ici que la lumière et la parole se retrouvent, sur le point ontologique.
Ceci posé nous considérons que les traces de ce silence ontologique, qui fut le berceau de la parole subsistent encore. Il nous appartient de démontrer la présence du silence dans les mots sacrés. C’est une trace littéralement « préhistorique » de la parole.
Nous découvrons alors l’intérêt initiatique de l’épellation qui au-delà du passage du binaire au ternaire, au-delà de l’initiation individuelle dans le cadre collectif de la loge, nous fourni une preuve évidente que le silence est bien présent. Le silence se positionne entre les lettres. Il n’est pas présent dans la succession des mots, car nous sommes absorbés par le sens des mots. Dans l’épellation nous sommes absorbés par le vide ondulatoire inter-lettré. Ce vide fait la mise relief du mot.
Que pouvons-nous dire de cette vacuité silencieuse ? Le silence apparaît encore plus clairement en matière musicale où il donne le souffle et la profondeur de champ.
En peinture le silence s’associe au noir (une non-couleur) qui donne par les jeux d’ombres la profondeur qui alimente le relief. La lettre et plus précisément la syllabe seront couleurs.
Ce que nous transmettons dans l’épellation c’est aussi cette relation au silence ontologique, berceau de la parole organisatrice du chaos. Silence et épellation viennent évoquer l’origine et surtout la volonté divine que nous décelons dans le couple Jakin-Boaz. Ce couple Jakin-Boaz n’est plus une épellation, mais une juxtaposition de deux mots sacrés qui évoquent la volonté divine fermement établie sur terre.
Le silence inter-lettré nous renvoie au pré-instant. Il nous oblige à retracer le chemin parcouru par la lumière ontologique jusqu'à nous.
Il Faut être Trois pour épeler !
« Il faut donc être deux pour ne pas prononcer le silence tout en prononçant le mot! Pourquoi ce paradoxe.
Quel est ce mot qui dans sa portée originelle et sa signification nous est inaccessible?
Il y a donc un troisième personnage qui par son absence ou sa disparition à notre vue nous oblige à épeler. Nous sommes rendu au même point qu’au moment de la redécouverte des colonnes antédiluviennes.
C'est la parole perdue sur les chemins du langage. Une forme indéfinie, mal dégrossie. Un manque que ne peut s'exprimer que par le bégaiement ou par l'égrenage du sablier.
Nous n'avons plus la parole qui génère le tout. Notre langage est inachevé et confus au point de rechercher la lettre J ou B qui indique l’intention première du Divin sur Terre.
La vision du tout nous fait défaut. Pourquoi? Subissons-nous les conséquences de Babel? Sommes-nous la génération de Babel? La construction du Temple de Salomon s'est faite dans le silence afin que ceux qui y participèrent ne firent pas de les divergences un thème de discorde. Le silence est une écoute vertueuse qui construit la concorde. Face à cette reussite silencieuse qui permit d'acceuillir la Présence du Divin. Nous avons le contrexemple de la Tour de Babel qui fut construite avec des hommes qui exprimaient leurs divergences et ne pouvaient par leur silence accueillir l'autre et encore moins le Divin. Cette divergence d'opinion ne pouvait permettre l'achevement de la Tour car pour s'elever il faut converger en soi comme vers les autres. L'unité en soi permet l'union pour l'oeuvre d'élévation. Le silence vertueux préserve l'union avec l'autre comme avec le Divin.
Quel est donc cet événement qui nous a rendus orphelins de cette parole divine qui nous a fait à l'image de notre auteur?
Quel fut cet évènement premier qui nous fit chuter dans l'abîme de l'oubli, dans la perte dans la matière au point d'assassiner le dernier porteur de la parole?
Cet événement premier fut le non-respect de la parole et de la volonté du créateur par Adam.
Il nous reste le souffle"anima" qui est notre espoir. Par cette relique du souffle divin (l'âme) nous espérons accueillir l'esprit et donc la lumière, dont nous avons conservé un souvenir nostalgique ».
Epeler avec son corps, son âme et son esprit.
Épeler avec son corps, c’est mettre en évidence le silence impossible du corps. L’apprenti dans son silence écoute le bruit que fait le passage du temps dans son corps de midi à minuit, il ressent par sa posture assise le mouvement de la vie qui est né avec le temps.
Ce mouvement, c’est la vie. Ce ressenti est essentiellement existentiel. Ainsi l’autre épelant est un miroir pour soi.
Le dialogue de l’épellation peut-il se transformer en trilogue ? Si oui alors nous acceptons la « présence » d’un troisième personnage, nous sommes alors dans un schéma anthropique. C’est alors une démarche anthropocentrique qui ramène le silence dans l’épellation à un autre soi.
Le dialogue épelé du premier degré dans tous les rites est donc d’abord centré sur soi par le truchement du cabinet de réflexion et du testament philosophique. Puis le silence sur les colonnes affirme la place de l’homme dans un Tout qui reste à l’échelle de l’homme dans cycle solsticial. Cette épellation fait appel à un silence existentiel dans un premier temps. Ce n’est que plus tard que l’apprenti découvrira, c’est un silence qui vient d’un ailleurs plus profond et plus lointain, au-delà des capacités de l’homme à concevoir et des frontières du corps.
Donc, épeler avec son corps ce qui est le cas de l’apprenti renvoie au silence égocentré, épeler avec son âme renvoi au silence du paradis perdu, celui d’avant la chute d’Adam, épeler avec l’esprit renvoi au silence ontologique, celui précédant la création.
Nous avons donc trois niveaux d’épellation qui nous mènent aux trois niveaux du silence.
Nous épelons pour sortir du Chaos
Si nous épelons, c’est pour réapprendre et réordonner ce qui est épars.
Dans le chaos silencieux des ténèbres, la parole s’est formée instantanément. Elle fut l’œuvre de la puissance créatrice. Pauvres apprentis que nous sommes nous n’avons pas la capacité d’embrasser le tout ni du regard ni en pensée. Il faut donc se réapproprier les bases premières.
Il faut être deux, car le principe agissant dans l’ordre manifesté décline les genres et les qualités en deux. La manifestation est avant tout une différenciation des êtres et des choses. L’exemple premier trouve sa source dans la genèse.
De cette approche binaire nous savons que la synthèse des complémentarités doit être recherchée comme une troisième voie de synthèse. Ce troisième terme est unifiant et non destructeur. Le tout ainsi formé est supérieur à l’addition des deux parties premières. C’est l’œuvre unitaire du ternaire.
Ce ternaire nous le retrouvons en loge au moment où l’apprenti situé entre les deux colonnes entre en réplique avec successivement les deux surveillants. Situé ainsi, il participe physiquement au ternaire axial. La réplique de l’épellation est faite sur la base faussement binaire. C’est un ternaire dissimulé. Le franc-maçon ne doit pas se laisser prendre par la première apparence il doit rechercher ce qui est vrai. Ce qui est dans le processus d’épellation c’est que chacune les lettres prononcées est séparée d’une fraction de silence. Le fait que ce soit un faible instant est très significatif d’un aspect ontologique du silence, et donc d’ une « non-parole ».
La « non-parole » du préinstant.
Le temps semble démarrer en même temps que la Genèse.
La manifestation d’apparence binaire est synthétiquement ternaire. Le ternaire renvoie à l’unité première et ceci irrémédiablement. Donc nous concevons que le silence est le troisième terme des deux lettres épelées.
Si le silence semble précéder la parole-lumière alors, le silence est préontologique. Si la parole crée la vie que fait le silence ?
Il permet à la parole d’exister et donc le silence est le complément indispensable de la vie. Sans ténèbres point de lumière et sans silence point de parole.
Une distinction semble s’imposer : Si la parole peut s’éteindre comme la flamme d’une bougie, les silences pas plus que les ténèbres ne disparaîtront…
Rassembler ce qui est épars.
Le binaire de la manifestation n’est qu’un pâle reflet des choses nous condamne en apparence à la multiplicité. La conscience de l’unité première n’arrive qu’avec la mort sacrificielle de Hiram qui s'associe à la perte de la Parole et plus précisement de la transmission.
Ce que ne savent pas faire l’apprenti et le compagnon, le maître sait opérer le rassemblement. C’est ainsi qu’il sera capable de prononcer non pas une lettre, mais une syllabe puis le mot de substitution (constatant la rupture dans la chaine de transmission). Cette capacité à rassembler renvoie le silence non plus entre les lettres, mais entre les mots. Cette progression met en avant le morcellement des mots à la manière du morcellement du corps d’Osiris. Personne ne peut prononcer le mot en dehors du grand prêtre une fois l’an. Il faut donc pour prononcer le mot être initié, avoir les qualités requises par le sens de la lettre, de la syllabe et du mot en perspective du silence, soit un avancement suffisant dans la réalisation spirituelle du franc-maçon.
La succession des mondes.
La franc-maçonnerie offre une progression graduelle dans les différents mondes représentés par les tableaux de loges auxquels on accède par les mots de passe et que l’on invoque par les mots sacrés. Ces mots sont des paroles interlettrées de silence. Ce qui fait lien c’est le silence matriciel.
Les mots sacrés comme les lettres qui les composent sont significatifs d’un chaînage des mondes reliés par le silence du préinstant.
La meilleure image que nous pouvons offrir pour illustrer ce principe du chaînage est le chapelet ou le rosaire. Commun aux chrétiens et à l’islam le chapelet succède sur un fil les prières ou invocations les mondes qui s’y trouvent.
Pour comprendre l'épellation il faut "entendre" le silence ontologique
Il faut aussi accepter le Devoir comme source de connaissance qui donne à la mémoire sa part de tradition.
C'est aussi une invocation graduelle proche du chapelet
bref...
Le décryptage du langage sacré repasse par le point-silence ontologique, comme le cercle visible fait référence au centre invisible...
(Nous poursuivrons prochainement cette étude en la resserrant sur les trois silences initiatiques dont le plus achevé, nous l’avons compris, est sans mouvement et hors du temps).
E.°.R.°.