Voir au-delà.
Problème de la représentation symbolique et ses limites.
L’accès à la connaissance passe par la pensée associée à la représentation d’une part et l’intuition d’autre part.
Il y aurait donc une pensée représentative et une pensée intuitive.
Il existe deux types de représentation : le système graphique figuratif ou abstrait, et le système conceptuel. Les deux se complètent, mais le système graphique est anthropométrique, susceptible de dégrader l’imagerie mentale en lui donnant un visage simplificateur et réducteur à l’échelle de l’homme.
L’interdiction de la représentation d’Allah trouve son fondement dans cet effet réducteur. Cette interdiction pour nous autres occidentaux nous parait incongrue voir attentatoire à notre liberté d’expression. A un certain niveau, l’imagerie du système graphique est dénaturante. Nous avons tous en mémoire l’image exotérique et anthropomorphique d’un « dieu le père » sous les traits d’un grand sage, barbe et cheveux blancs trônant dans les nuages. Cette représentation limite la nature même du divin. L’image dégradée est donc un outil exotérique pour parler au plus grand nombre, à ceux qui n’ont pas les clefs de la représentation numineuse.
Mais nous savons depuis René Guénon qu’il ne peut y avoir contradiction entre l’exotérisme et l’ésotérisme, mais simplement une différence de profondeur de champ.
En franc-maçonnerie, il n’y a pas de représentation physique de Dieu, de même que son nom est imprononçable dans certaines religions.
Hiram lui-même n’est pas officiellement représenté sur un quelconque diagramme ou tableau de loge. Si représentation il y a, elle est le fait d’illustrateurs et d’éditeurs non maçons. La force du système maçonnique est d’avoir substitué à l’image anthropomorphique, les outils par lesquels le GADLU exerce son pouvoir, l’équerre et le compas. De plus le terme de Grand Architecte de l’Univers se substitue à celui de Dieu dans un niveau qui ne correspond pas pour autant au démiurge d’un sous-monde. On imagine un grand artisan de l’Univers qui par le compas et la règle, manifeste un univers à partir d’un point central insécable et ontologique.
En regard du GADLU nous avons une délégation de 3 personnages qui construisent la maison de Dieu. C’est en réalité une représentation du divin par délégation. Hiram Abi n’est pas seul, il y a Salomon détenteur des plans du roi David et Hiram de Tyr pour la fourniture de la matière première. La représentation anthropographique reposerait sur un système trinitaire. La franc-maçonnerie résolue alors de se baser sur l’axe géométrique de la représentation trinitaire soit un triangle de perfection. Cette perfection trinitaire repose sur les trois fonctions traditionnelles : sacerdotale par Salomon, royale par Hiram de Tyr et artisanale par Hiram Abif.
Le temple de Salomon qu’ils sont censé construire est une représentation en réduction du monde manifesté où rien ne manque. Microcosme et macrocosme sont mis en scène, ainsi que la loi des cycles.
Nous pouvons donc affirmer que la franc-maçonnerie à trouvé une manière architecturale de représenter la manifestation du divin. Cependant le divin dans son essence ne peut être représenté.
La non représentation du divin va se retrouver chez ses délégataires. Le tableau de loge du troisième degré représente un cercueil voilé, ou plus exactement une fosse au fond de laquelle se trouve le cercueil voilé. Ce voile marque la distance entre le concept et l’impossibilité de représentation graphique du visage de celui qui interprète le « rédempteur » pour la classe des ouvriers. On laisse imaginer, en le cachant, ce qui ne peut être dessiné soit la présence de l’esprit libéré de l’emprise du corps.
Le dévoilement en franc-maçonnerie se substitue à la révélation de la religion. Il faut produire un effort conceptuel personnel et non pas s’assoir sur une vérité révélée uniforme et monolithique : il n’y a pas un visage ni un corps à dévoiler autre que le sien propre sous son aspect atemporel détaché de la vie. Il s’agit donc d’esprit plus que de corps. Il y a aliénation de la forme.
Comment représenter le concept de l’esprit dans une relation à Dieu ?
Dieu ne peut être suggéré qu’au niveau de sa relation avec l’homme et la manifestation.
Chaque maçon taille sa propre pierre dans un but à la fois de construction individuelle et collective. La vérité est donc en soi, elle peut être « réveillée » par la rencontre de l’autre, ou dans un cheminement initiatique. La légende d’Hiram vers 1730-1740 subit certains additifs théâtraux qui sont venus polluer la pureté originelle du concept du sacrifice utile. Ainsi on illustrait la relation au sacré, en le rendant plus trivial et plus concret. La représentation se faisait par une mise en scène, une épotie, qui en principe ne devrait pas dépasser la percussion des outils sur le corps de Hiram. Cette triple percussion mortelle, dévoyant le bon usage des outils, contribuait suffisamment à la transmission légendaire et au devoir de mémoire.
Le relèvement physique n’était pas indispensable et troubla le sens profond de ce rite. A l’origine il s’agissait simplement du relèvement du maître intérieur, et non pas d’un relèvement « physique ». Par « adaptation », les cinq points parfaits du compagnon devinrent les cinq points parfaits de la maitrise et du relèvement « physique ». Hiram peut se traduire comme « celui qui se relève vivant », ou du moins celui qui relève de l’ombre, sa part profonde et intérieure. Le maître devient celui qui est né deux fois, par le corps et par l’esprit.
Pour cet effet, il est aussi inutile d’introduire la vengeance « physique » dans certains rites. On a ainsi éludé l’image sacrée du lien sacrificiel à Dieu pour y substituer l’homme vengeur et sentencieux dans son microcosme. On n’a pas vu l’essence de l’acte sacrificiel qui relie au Tout, on a préféré un prêchi prêcha moralisateur et social. Par la vengeance et la soi-disant justice des hommes, certains rites sont passés à coté du vrai sens du sacrifice utile de Hiram. C’est bien là toute la difficulté de la représentation et de compréhension du lien avec le divin.
La franc-maçonnerie dans sa tradition représentative est restée fidèle à l’initiation de métier qui repose sur des objets avant de reposer sur des maximes ou des mots d’ordre.
Les deux premiers degrés sont du domaine des petits mystères et du monde des formes. C’est à ce titre que l’on s’appuie sur un système concret pour tenter de circonscrire la manifestation dans ce qu’elle à de plus élémentaire, en faisant toutefois un pont avec l’au-delà par le truchement du langage symbolique universel. Ainsi on passe d’un état grossier de forme (la pierre brute) à un état subtil de forme (la pierre cubique à pointe). Ces deux extrémités de la représentation formelle traduisent la réalisation descendante du maçon et sont reliés au Principe supérieur (étoile) par un fil guide (fil à plomb).
La planche à tracer du maître nous démontre l’intérêt de se poser la question de la représentation qui veut dire « rendre présent ». Il s’agit avec cette planche à tracer de rendre présent le Principe au milieu de la représentation formelle. Cette présence est rendue soit physiquement par le trait en projection sur la planche (mode opératif) à l’aide de la règle et du compas, soit mentalement par projection à l’intérieur de soi (mode spéculatif). Quoi qu'il en soit c’est toujours l’esprit qui guide le tracé.
La forme représentée doit suggérer l’informel comme dans une sorte de progression ontologique qui, par le Principe et sa perception doit donner la vision d’un Tout. C’est le secret de l’initiation dans ses degrés successifs. L’intuition permet l’accès à la connaissance en sautant par dessus les barrières de la subjectivité et de l’objectivité. L’intuition peut s’appuyer sur la représentation pour « ressentir » une vision de mondes successifs et hiérarchisés qui forment un tout, mais elle peut aussi s’en passer. Ces images, lorsqu’elles existent sont hautement élaborées et ont des répercutions dans un imaginaire particulier qui théâtralise les archétypes, les mythes et les symboles.
Cette théâtralisation de l’imaginaire se retrouve dans différents supports tels les tarots, les signes zodiacaux, les runes, les hiéroglyphes, les symboles alchimiques, les constellations et leurs positionnements, les mots et les chiffres, les signatures des anges etc. sans oublier les outils opératifs !
Ce sont des signes qui s’interprètent dans le grand imaginaire. Ce grand imaginaire agit sur le raisonnement et le ressenti de celui qui les observent.
Ainsi la légende d’Hiram appelle une dématérialisation de la relation au divin que l’on conçoit dans notre imagination sous un aspect idéal, sans forme bien définie.
La méthode maçonnique repose sur la tradition des mythes et l’interprétation des symboles. Nous connaissons leur efficacité dans la représentation mentale de l’individu et sur la relation existant entre le signifiant et le signifié, notamment dans les deux premiers degrés.
Le signifiant devient le prononcé du mot ou de la phrase qui évoque ou qui décrit ici le motif graphique. Le signifié étant la représentation mentale du concept, c’est à dire sa projection intime. Cette représentation est à la base un symbolisme personnel à l’individu, à l’auditeur ou au spectateur dans une tenue maçonnique. Chaque franc-maçon connait par « le cœur » la verbalisation unifiée de l’outil. La nature même des individus fait que le ressenti de chacun est différent, mais la signification doit rester constante, car universelle et archétypale. La franc-maçonnerie ne crée pas l’uniformité de représentation mentale, mais offre une base commune archétypale à l’interprétation symbolique. La nature de la projection intime est fonction de sensibilité de chacun. Les symboles interagissent entre eux produisant une infinité de variantes interprétatives intimes au-delà des individus même.
Ce que nous décrivons ici, c’est la diversité des imageries intimes produites par une même représentation graphique. Cela ne veut pas dire qu’il y a autant de significations à un symbole représenté graphiquement, que d’individus aptes à l’interpréter. Un symbole appelle une explication, mais peut se projeter intimement de multiples façons. Le signifié peut varier en tant qu’image intime, pas la signification qui est, par sa nature archétypale, universelle.
Dans l’effort de représentation que fait le franc-maçon, il doit prendre en compte ce qu’on lui présente et accepter l’idée d’une puissance d’évocation bien supérieure aux lieux communs qui caractérisent les objets, meubles, bijoux, tableau de loge, rythme des phrases et répétitions qu’on lui propose.
On voit bien que l’intention de développer les facultés cognitives et conceptuelles dans les rituels maçonniques contribue à définir cette fameuse lumière initiatique du premier jour de réception, mais aussi à mettre en relief cette lumière illuminatrice de l’esprit en relation directe non pas avec le savoir, mais avec la connaissance.
Le terme représentation convoque d’autres termes pour tenter d’en définir la puissance évocatrice : mot, signifiant, signifié, symboles, concept, objet, rituel, rythme et toujours la lumière.
L’idée de base est de rendre effective la présence lumineuse et vibratoire de l’objet ou du concept invoqué. Il y a généralement une mise en scène, une théâtralité de l’explication et de la présentation de l’objet. C’est le cas notamment dans la présentation des trois grandes lumières. Dans la présentation des grandes lumières, il y a une différence notoire entre les rituels qui en font une présentation réellement visuelle au futur apprenti et ceux qui lui laissent prêter serment sur les trois grandes lumières les yeux encore bandés. Dans le dernier cas, plus achevé, inutile de voir pour ressentir et se représenter quelque chose au plan mental que l’on n’a jamais vu concrètement. C’est ici une manière de développer en soi la vision.
Mais s’il est utile de voir pour manier l’outil, il est indispensable de ressentir pour conceptualiser. La lumière n’existe que s’il existe un homme pour la regarder et la conceptualiser. De même, Dieu n’existe que si on le conçoit et on le cherche. Toutefois, il faut une volonté de cherchant pour mettre en marche cette progression sur la voie. C’est le sens de l’engagement maçonnique par sa nature volontaire et qui reste lié quoiqu’il arrive à la lumière de l’esprit qui permet de voir au delà.
C’est ici l’illustration parfaite de l’excellence de l’approche maçonnique de la représentation (sans parler de l’intuition où elle développe des performances analogues).
On peut considérer que la vision d’une chose se dépasse par l’action volontaire d’autres sens que la vue : ici le toucher de la main posée sur la bible, le compas et l’équerre. L’oblitération des sens d’une épreuve initiatique, développe d’autres sens endormis qui font appel au sens primitif de la représentation mentale, celui-là même qui il y a plusieurs milliers d’années à fait naître le sixième sens, celui du sacré et du divin.
La représentation rend présents la chose ou le concept. C'est-à-dire que la chose et le concept agissent parfois ensemble dans l’esprit du penseur volontaire. Alors, le milieu collectif d’une loge maçonnique tout entière volontairement consacrée à la représentation symbolique dans les trois premiers degrés, convoque la présence effective par exemple d’Hiram ou de la matière, ou de l’esprit. L’aboutissement réussi d’une telle convocation représentative de groupe, génère l’égrégore. L’égrégore n’est rien d’autre qu’une mise en harmonie rythmique des représentations imagées dans le cadre collectif d’une communauté de pensée initiatique et des influences spirituelles.
L’imagerie intime est perçue par tous, d’une manière différente peut être, mais avec la même signification. C’est un moment de partage qui dépasse l’aspect corporel pour atteindre l’âme, soit un niveau supérieur de conscience. Les occasions sont rares dans la vie profane de saisir, ne serait-ce qu’un instant, les vibrations de l’âme (ici représentées par les trois secousses). C’est ce que produit la franc-maçonnerie de plus fort, n’en déplaise aux plus rationalistes.
Ainsi, la représentation symbolique demande au franc maçon un cheminement intellectuel et sensitif, un engagement verbalisé par serment, une pensée « orientée », car elle chemine vers la lumière venant de l’Orient. Cette lumière symbolique peut être qualifiée de principielle et axiale, elle illumine d’autres paysages. La découverte du symbolisme implique d’aller chercher ses reférences non pas dans le savoir livresque, mais dans l’intuition et la connaissance.
Nous avons vu l’intelligence du cœur agir au surplus de l’activité discursive et cérébrale, et nous avons appris que la pensée raisonnante s’associe fort bien à l’intuition, à l’inspiration et au ressenti pour constituer la voie vers la connaissance.
La représentation unifie, dans un même temps et dans une même image de haute construction, la pensée réflexive et l’intuition.
Nous avons compris que la représentation ne rendait pas la présence de l’objet indispensable. Son évocation ou son dessin suffit, son manque physique dynamise les sens. C’est encore l’oblitération qui excite la pensée à un niveau non matérialiste. Ceci explique que certains rites maçonniques, en fonction de leur niveau de représentation recherché, n’avaient pas besoin de la présence effective de l’objet. Son absence physique et corrélativement son évocation par son nom suffisait pour concentrer le plus haut niveau de pensée chez le franc-maçon sans qu’il soit perturbé ou dissipé dans son effort par la manipulation maladroite d’un outil ou d’un instrument opératif. Ainsi le REP, à la différence du REAA, dispense le compagnon dans ses cinq voyages du transport d’outils qui figurent déjà sur le tableau de loge.
L’absence du signifiant au plan physique et c’est un paradoxe qui ne peut nous étonner, renforce le signifié dans sa puissance. C’est ici le même principe que l’oblitération des sens tels que la vue qui au moment de l’initiation développe d’autres facultés oubliées qui sont sensibles et/ou intuitives, ou encore le silence de l’apprenti qui l’oblige à l’effort de la pensée réceptive et à la représentation imagée dans l’intime. Cette aptitude sera particulièrement sollicitée au grade de maître, notamment au plan spirituel.
La représentation et c’est peut être le point le plus important favorise le phénomène substitutif.
Il en est ainsi de la problématique des mots sacrés et du fait d’épeler par lettres successives ou par syllabes, problème que nous avons déjà abordé sous une autre forme. La lettre absente ou attendue est reconnue préalablement par la force de son absence. La puissance de l’absence est totale. Quant à la lettre tracée, son caractère même est un élément appartenant à la sacralité, soit le plus haut niveau de représentation.
La parole perdue et sa recherche puis sa substitution reposent sur l’absence par la perte. La perte joue le même rôle que le sacrifice d’Hiram. Perte et sacrifice sont synonymes et orientent la pensée vers une plus grande lisibilité de la relation à Dieu pour certain ou une fidélité au devoir pour d’autres. On peut dire que Hiram comme le Christ, par le sacrifice de leurs corps devient objet-outil de la relation de fidélité de l’homme avec Dieu. Suivre l’exemple d’Hiram ou du Christ, c’est suivre la voie ascendante. Le sacrifice devient utile, puis idéal à mesure que la représentation de celui-ci nous sépare de notre animalité. L’animal ne sait pas prononcer les mots il ne peut connaître la parole.
La parole substituée, ou les lettres épelées sont censées représenter « l’absent », avec il est vrai une perte irréparable dans son authenticité directe, mais toutefois compensée par l’intuition conjuguée à la pensée. Le mot n’est plus servi par le corps, il faut aller le chercher très loin et très haut. C’est le même procédé qui faisait l’authenticité archaïque du REP dans les cinq voyages du compagnon face à d’autres rites postérieurs plus syncrétiques et redondants.
Plus la représentation est épurée des syncrétismes matériels, plus elle se met en rapport avec l’essence, et l’idéal. Si elle se charge en redondance, elle devient sous représentative d’une idée métaphysique, elle se cantonne au réel et s’identifie strictement à l’objet.
Entre idéalisme et réalisme, notre pensée voyage.
En taillant la pierre, on devient la pierre elle-même. La pensée s’identifie à l’objet lui-même et essaie d’en faire œuvre de perfection. Cet aspect opératif est enseigné lors de l’initiation lorsque le premier travail de l’apprenti consiste à connaître la pierre par trois coups de maillet sur le ciseau. À ce stade nous sommes dans une représentation « réaliste » par l’objet. C'est-à-dire que l’objet est reçu comme tel par le tailleur. Il n’est pas faux de dire que la franc-maçonnerie spéculative, pour ses deux premiers grades, s’appuie indiscutablement sur la base réaliste des opératifs maniant les outils et façonnant la matière. Pour éviter tout écart, la définition du bon usage de l’outil nous remet dans le droit chemin.
À cette phase réelle succède la phase idéale. Cette pierre taillée est mentalement représentée comme œuvre sur soi même. Cette pierre virtuelle devient pierre d’angle, clef de voûte, temple idéal. Le compas devient le ciel et l’esprit. Il nous détache de notre animalité.
Les rites maçonniques ont admis ce décollage de la réalité avec la perfection « idéale » de la pierre cubique à pointe, et la quasi-disparition des outils dans les grades supérieurs. La perfection dans le réel (la matière) aboutie à un idéal (concept paysagé). L’objet limitateur, réaliste et contingent de notre pensée fait place à l’esprit qui domine la matière. Donc ce n’est plus l’objet qui prévaut et qui façonne la pensée, mais l’objet parfait qui devient produit d’une pensée idéale.
C’est l’individu, le maître en l’occurrence, qui par son esprit façonne la représentation par la planche à tracer et donc l’usage de l’outil, qui à son tour va façonner la réalité. Il y a donc bien un aller-retour entre réalisme des deux premiers degrés et idéalisme du troisième. C’est d’ailleurs un des sens portés par l’indissociable superposition-entrelacement du compas et de l’équerre.
La représentation est en franc-maçonnerie spéculative, portée par le couple réalisme-idéal. Se pose alors le problème de la justesse de la représentation graphique du symbole, mais aussi de son détournement et de son inversion voir son imitation. C’est le danger de la surreprésentation graphique qui prétend par-ci par-là rajouter telle ou telle forme ou détail pour soi-disant compléter un symbole. C’est une chose que nous avons vue particulièrement au début du XXème siècle avec différents mouvements qui redessinaient les symboles comme on charge une mule. Seul le profane s’émerveille devant ces graphismes, l’initié s’en éloigne. Il peut y avoir ressemblance par imitation, mais le hiéroglyphe est alors inerte en représentation symbolique.
Ces symboles surchargés sont alors idolâtres. Ils ne sont représentants que d’eux-mêmes et n’évoquent plus l’essence métaphysique de la grande tradition.
C’est donc par la représentation que notre pensée peut s’exercer. Pour que notre pensée soit dans une vérité totale encore faut-il que notre représentation ne soit pas faussée. D’où l’intérêt de travailler dans le milieu collectif et initiatique d’une loge qui permet d’éviter les errements, les syncrétismes, les innovations et les oublis.
Pour conclure, en dehors de l’intuition, la pensée représentative sur le mode de la dictature partagée de l’objet puis du sujet, permet l’accès à la connaissance graduelle. Par ce système graphique, le symbolisme et les mythes vont trouver et illustrer leurs significations hautes. Mais le système représentatif graphique trouve ses limites. Il faut le dépasser, dans un premier temps en se « réalisant » c'est-à-dire en devenant la matière même et en s’identifiant à la pierre, puis en la dépassant, en survolant toutes les représentations graphiques et symboliques dans notre marche vers la lumière. C’est un des nombreux sens des pas du Maître qui survole la représentation graphique du tableau de loge. Le survol devient alors représentatif comme tous les gestes rituels en matière initiatique. Le geste rituel à l’avantage de confondre le signifiant et le signifié rend l’idée « personnifiée », (et non pas corporifiée sans quoi le relèvement du maître serait une métempsychose par migration de l’âme Hiram dans le corps du nouveau maître) le geste rituel grandi le soi.
Ainsi le corps du maçon se fait représentation symbolique liant l’idée et sa traduction corporelle. Le corps prend le relais du dessin ou du tracé. Les trois stades de la gestuelle maçonnique arrivent au terme d’une descente en soi calculée et progressive qui, au premier degré, sectionne la tête du reste du corps pris dans un marécage d’ombres, puis au second découvre le cœur, le troisième sépare la partie haute noble de la partie basse vile et animale, par le nombril et libère ainsi l’esprit de la matière.
La gestuelle horizontale assoit l’idée de la chrysalide qui renaît à la lumière dans une forme plus achevée en sortant progressivement de sa vieille peau. Désormais les futurs gestes des degrés supérieurs devront indiquer la verticalité de la lumière.
La représentation symbolique est toujours plus qu’une image. Elle évoque plus que le langage, surtout lorsqu’elle coïncide ou entre en résonance avec les archétypes de la pensée. Ainsi la représentation symbolique trouve sa deuxième définition : mise en lumière d’un concept déjà connu de notre subconscient pour certains ou de notre supraconscience pour d’autres.
C’est l’aspect inné de l’idée conceptuelle archaïque qui à fait éclore le sacré dans la conscience humaine y il a 10 000 ans. Le devoir de mémoire est venu renforcer et légitimer le mythe.
C’est à ce moment précis qu’il est indispensable que les schémas interprétatifs associés à la représentation soient relayés par le canal de l’intuition. L’objectif est d’aboutir à cette sensation d’un tout immémorial.
Au stade ultime de la projection symbolique dans le grand imaginaire, peut-on encore s’engager dans une description ?
Je crois que c’est impossible. Les lettres sont perdues ainsi que la parole… Le sommet de la représentation symbolique est l’absence d’image. Soit une idée pure et totale au même titre que l’absence de mot pour l’imprononçable nom du divin ou au niveau maçonnique, le mythe de la parole perdue. Tout ceci conduit à la métamorphose du regard dont l’aspect ultime consiste à voir l’invisible. Concevoir l’invisible c’est faire lien entre ésotérismes et sacré ontologique et cosmogonique. Cette image ne sera mentalement parfaite qu’autant qu’elle sera non représentable.
J’espère par ce qui précède avoir éclairé ce niveau ultime de la représentation qui se caractérise par l’absence ou le silence. C’est une grande constante en matière initiatique. La présence au monde comme au Tout ne peut être décrite ni tracée. Ne sont décrits et tracés que les outils et instruments qui servent à bâtir graduellement notre temple intérieur. Le temple intérieur ne peut être représenté, pas plus que ce que l’on contemple au sommet de l’échelle.
La représentation par l’absence est le « support » de la partie supérieure de l’expérience maçonnique qu’on appelle aussi le secret des francs-maçons.
Sur le problème de la représentation et de la nomination et du silence, nous avons choisi l’hymne de Saint Grégoire de Nazianze.
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Le lecteur fera l’abstraction du ton de la prière pour en ressortir uniquement l’inconnaissable description. |
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0 Toi l'au-delà de tout
Tout être
E.°.R.°.
Chap.°. La Lumière de Saint André |
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